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SERPENT -  LIBERTAIRE

anarchiste individualiste

COMMUNISME

  COMMUNISME

Le léninisme, liquidateur de la rupture communiste La politique internationale des Bolcheviks Nous avons produit différents travaux dans lesquels nous dénonçons le rôle actif du léninisme contre la révolution. En 1984, nous avons publié en espagnol une chronologie de la politique internationale des Bolcheviks (1). Ces travaux, bien qu’inachevés et incomplets, sont déterminants pour comprendre le processus de liquidation internationale des groupes communistes entreprit par le léninisme dès son origine; c’est pourquoi notre groupe espère les corriger, les amé- liorer et les développer afin de pouvoir les publier sous d’autres formes. Dans cette chronologie, nous avons mis en évidence le fait que, sur le plan international, la pratique des Bolcheviks a toujours été contraire à une politique révolutionnaire et communiste. Si au début, dans la mesure où la révolution était toujours vivante en Russie et dans le monde, il y eut un étrange mélange entre la vieille politique diplomatique et impérialiste de la bourgeoisie russe et l’impulsion contraire venant du prolétariat, poussant à continuer la lutte révolutionnaire et à former une Internationale conséquente, les Bolcheviks vont jouer le bon vieux rôle des centristes socialdémocrates et imposer cette politique à toute l’Internationale. L’Internationale Communiste formelle est le résultat de ce rapport de forces. Et si au début, il y a des déclarations qui correspondent à des éléments de la rupture révolutionnaire exigée par les avantgardes du prolétariat, très rapidement, la prédominance de la ligne social-démocrate des vieux Bolcheviks, dont la majorité n’a jamais défendu l’insurrection prolétarienne, conduit à la prépondérance des vieilles méthodes social-démocrates et opportunistes, abandonnant jusqu’à toute prétention ré- volutionnaire. On peut donc vérifier que déjà à l’époque de Lénine, il y a un parallélisme évident entre des éléments clés. Dans la mesure où, au niveau interne, c’est la politique de développement du capital qui s’affirmait toujours plus fortement en se basant sur l’augmentation de la durée et de l’intensité du travail (avec pour conséquence la répression des Dans la mesure où, au niveau interne, c’est la politique de développement du capital qui s’affirmait toujours plus fortement en se basant sur l’augmentation de la durée et de l’intensité du travail (avec pour conséquence la répression des grèves et des groupes prolétariens) et sur le développement du commerce, au niveau externe, c’est la politique consistant à entrer dans le jeu bourgeois qui prenait le dessus, allant jusqu’à conclure des alliances et accords commerciaux et militaires avec les grandes puissances impérialistes. En toute logique, cette politique inter-impérialiste de l’Etat russe s’accompagnera de l’abandon de toute rupture communiste, passant des affirmations générales du Premier Congrès de l’Internationale Communiste (IC) à une politique de plus en plus ouvertement opportuniste et liquidatrice qui finira par dominer le Deuxième Congrès et, plus ouvertement encore, le Troisième et le Quatrième Congrès. 1- « La politique internationale des Bolcheviks et les contradictions au sein de l’Internationale Communiste » in Comunismo n°17 (octobre 1984) et n°18 (février 1985). 2 Le léninisme contre la révolution grèves et des groupes prolétariens) et sur le développement du commerce, au niveau externe, c’est la politique consistant à entrer dans le jeu bourgeois qui prenait le dessus, allant jusqu’à conclure des alliances et accords commerciaux et militaires avec les grandes puissances impérialistes. En toute logique, cette politique inter-impérialiste de l’Etat russe s’accompagnera de l’abandon de toute rupture communiste, passant des affirmations générales du Premier Congrès de l’Internationale Communiste (IC) à une politique de plus en plus ouvertement opportuniste et liquidatrice qui finira par dominer le Deuxième Congrès et, plus ouvertement encore, le Troisième et le Quatrième Congrès. La direction bolchevique désirait utiliser le capitalisme et l’Etat au profit du socialisme 2 , mais, dans la pratique, c’est le capitalisme et l’Etat qui tirèrent parti de l’image socialiste radicale des Bolcheviks pour s’affirmer et liquider la révolution. Il nous faut insister : cette politique contre la révolution se vérifie dès les premiers jours qui suivent l’insurrection d’octobre. Dès ce moment-là, se tiennent les premières conversations et tentatives d’accords avec les puissances impérialistes, sacrifiant sans ménagement la ligne du défaitisme révolutionnaire et de la révolution mondiale, ce qui mènera à la liquidation de la gauche communiste en Russie. Avec la fondation de l’IC, dirigée depuis le début par la direction bolchevique, cette dernière accroît son influence néfaste et agit comme un véritable bulldozer qui étouffe toute rupture révolutionnaire, imposant le démocratisme, le parti de masse, le syndicalisme, le parlementarisme… et liquidant par divers moyens (exclusions, falsifications, calomnies, menaces, magouilles démocratiques, répression directe…) les groupes et militants qui portaient cette rupture. Il est important de ne pas perdre de vue que l’affirmation mondiale de la contre-révolution, qui a continué à peser sur les grandes vagues de lutte de classe suivantes, telle celle de 1968-1973, dans le monde entier (et qui continue à peser aujourd’hui !) n’aurait pu être aussi totale sans cette légitimité spectaculaire dont les Bolcheviks bénéficiaient pour mener à bien ce processus liquidateur, elle n’aurait pu être aussi parfaite sans que, transformés en véritable autorité, ils ne liquident toute action des minorités communistes. Pour comprendre ce processus, nous renvoyons le lecteur à la chronologie en espagnol, nous nous contenterons ici de résumer les questions centrales de ce processus liquidateur, tel qu’il se concrétisa sous la direction de Lénine lui-même. Les minorités révolutionnaires pensaient trouver chez les Bolcheviks les meilleurs alliés pour rompre avec la politique contre-révolutionnaire des centristes. Les Bolcheviks, au contraire, exigèrent des groupes communistes qu’ils continuent à travailler avec les centristes et/ou la gauche de la social-dé- mocratie. Pour ce faire, ils adoptèrent une politique de captation ou d’alliance avec des secteurs de la social-démocratie, politique qui conduisit à la dilution de l’avant-garde, à la création de partis de masses mais sans force ni prétention révolutionnaire. Les minorités révolutionnaires comptaient sur le soutien des Bolcheviks à leur action directe contre le parlementarisme. Ces derniers, sous prétexte de « parlementarisme révolutionnaire », imposèrent le vieux parlementarisme et l’électoralisme social-démocrate. L’électoralisme pratique liquida les partis communistes comme forces d’action révolutionnaires. Dans de nombreux cas, comme par exemple quelques années plus tard en Italie, la participation électorale facilita l’action de la police et de l’Etat dans l’anéantissement des cadres et des militants révolutionnaires. Ces partis furent soit détruits par les forces répressives soit transformés en forces structurelles des Etats bourgeois. Les minorités révolutionnaires voulaient créer un parti qui soit un véritable noyau révolutionnaire, qui se place à la tête de la révolution et qu’ils définissaient comme « facteur unificateur et dirigeant de l’action des masses ». Les Bolcheviks imposèrent une pratique de parti de masse, façon social-démocrate, dans lequel les militants se retrouvèrent noyés dans une masse d’électeurs démocratiques. Le parti bolchevik lui-même avait cessé d’être un groupe qui, malgré ses oscillations, était parvenu à exprimer des tendances militantes à contre-courant et s’était transformé en parti de masse (plus d’un demi-million de membres un an après l’insurrection!) facilement manipulable par la bureaucratie, les congrès et autres manœuvres démocratiques. Les minorités révolutionnaires appelaient à s’organiser en dehors et contre les syndicats, les soviets et autres organisations unitaires qui avaient été transformées en appareils de l’Etat bourgeois. Les Bolcheviks imposeront une politique Les minorités révolutionnaires pensaient trouver chez les Bolcheviks les meilleurs alliés pour rompre avec la politique contre-révolutionnaire des centristes. Les Bolcheviks, au contraire, exigèrent des groupes communistes qu’ils continuent à travailler avec les centristes et/ou la gauche de la social-démocratie. Les minorités révolutionnaires comptaient sur le soutien des Bolcheviks à leur action directe contre le parlementarisme. Ces derniers, sous prétexte de « parlementarisme révolutionnaire », imposèrent le vieux parlementarisme et l’électoralisme social-démocrate. 2- Nombreux sont ceux qui diront que c’est là ce qu’ils affirmaient, et qu’en réalité les Bolcheviks avaient déjà pour unique objectif de liquider la révolution, qu’ils utilisaient le discours socialiste dans ce but, ils diront que, comme d’autres contre-révolutionnaires, les Bolcheviks désiraient que tout change pour que tout reste identique. Nous ne partageons pas cette analyse car elle place ces individus au-dessus de l’histoire, dirigeant volontairement la contre-révolution. Nous voyons plutôt cela comme le résultat d’un processus qui les dépasse. Nous pensons que la conception contre-révolutionnaire de la social-démocratie qui les domine les porte effectivement à croire en cette utilisation progressiste du capitalisme et de l’Etat à des fins socialistes, ignorant ainsi l’abc de ce que sont le capitalisme et l’Etat. 3 Le léninisme, liquidateur de la rupture communiste syndicaliste et d’entrisme généralisé dans tous les types d’appareil de l’Etat (jusque dans les coopératives de consommateurs), liquidant ainsi la rupture révolutionnaire naissante qui s’était développée. Les minorités révolutionnaires considéraient tous les centristes qui n’avaient pas rompu avec la social-démocratie comme leurs ennemis. Les Bolcheviks appelèrent non seulement au travail commun, comme le font la plupart des centristes, mais à un ensemble de (soidisant) tactiques, de lettres ouvertes et de front unique avec des secteurs socialdémocrates qui menèrent à une politique globalement frontiste, d’alliance et de subordination du prolétariat au programme et à la politique de la bourgeoisie. Les minorités révolutionnaires luttaient pour la rupture avec toute la dé- mocratie. Les Bolcheviks imposèrent des consignes et une politique intégralement démocratique et front-populiste 3 . Les minorités révolutionnaires luttaient avec les prolétaires de tous les pays, sans distinction, contre « leur propre » bourgeoisie et « leur propre » Etat. Les Bolcheviks imposèrent une politique d’alliances et de fronts avec différentes bourgeoisies qu’ils nommèrent, en fonction des circonstances, « nationalistes ». Cette politique contre-révolutionnaire et front-populiste qui, au départ et sous couvert de la soi-disant lutte pour la libération nationale 4 s’appliquait aux pays dits coloniaux ou semi-coloniaux, se répandit sous prétexte de l’arriération de tel ou tel pays, Europe incluse, jusqu’à se généraliser comme tactique antifasciste globale et conduire à la participation des partis « communistes » à la guerre impérialiste généralisée. Nous réaffirmons intégralement ce qui nous affirmions dans la chronologie «… l’histoire n’a pas attendu la mort de Lénine pour mal tourner. A l’opposé de cette légende, ce n’est pas le décès du «grand homme» qui donna le feu vert à la signature des différents accords militaires avec les puissances impérialistes, et l’Internationale n’a pas attendu que Lénine disparaisse pour liquider les positions et fractions révolutionnaires et s’affirmer comme un simple instrument de négociation au nom de l’État russe dans l’arène du capital international. Que ce soit sur le plan international ou en politique intérieure, les événements décisifs et les prises de position déterminantes se produisent dans les premières années. A partir de 1921-23, la politique bolchevique cesse d’être animée par les contradictions initiales, les dernières traces de la lutte internationale entre capitalisme et communisme ont été effacées. La politique des Bolcheviks se transforme en une politique contre-révolutionnaire parfaitement cohé- rente. Il y a une cohérence générale entre d’une part, l’affirmation de la politique d’accords commerciaux et militaires avec les grandes puissances, la liquidation de l’appui aux fractions d’avant-garde du prolétariat, la participation aux conférences de paix, les concessions en Russie au capital étranger au nom d’intérêts communs entre nations, les engagements d’arrêt de l’agitation révolutionnaire pris avec ces puissances prônant la coexistence pacifique... et d’autre part, l’affirmation dans l’Internationale d’une politique chaque fois plus démocratique, Les minorités révolutionnaires luttaient pour la rupture avec toute la démocratie. Les Bolcheviks imposèrent des consignes et une politique intégralement démocratique et front-populiste 3- On nous dira que le front–populisme fut approuvé dans les années trente, et c’est vrai. Nous ne nous référons pas au front populaire formel mais au front populaire réel. Le frontisme avec « les autres partis ouvriers », le front uni ou unique, cache le fait qu’en réalité il s’agit d’un front populaire car les « partis ouvriers » avec lesquels il est proposé de faire un front sont les partis bourgeois pour le prolétariat, les partis de la social-démocratie, c’est-à-dire les partis que tous les internationalistes considé- raient comme ouvertement capitalistes. C’est pourquoi nous parlons franchement de front populaire en général, au-delà du fait qu’à partir de la moitié des années vingt, d’importants dirigeants de l’IC, tel Dimitrov, firent explicitement des appels à l’unité entre les classes et à l’intégration au sein de fronts populaires. 4- Voir « Contre la mythologie justifiant la libération nationale » in Le Communiste n°15, 16 et 20. Les minorités révolutionnaires luttaient avec les prolétaires de tous les pays, sans distinction, contre « leur propre » bourgeoisie et « leur propre » Etat. Les Bolcheviks imposèrent une politique d’alliances et de fronts avec différentes bourgeoisies qu’ils nommèrent, en fonction des circonstances, « nationalistes ». L’histoire n’a pas attendu la mort de Lénine pour mal tourner. 4 Le léninisme contre la révolution de participation aux élections, de front unique, de gouvernement ouvrier, de libération nationale, et de syndicalisme; et il y a également une continuité sans failles entre cette politique et celle qui s’affirma ensuite: front populaire, front antifasciste, front national... admission dans la Société des Nations, dissolution de l’Internationale, pacte de non-agression avec Hitler et finalement participation directe à la dite Seconde guerre mondiale. » Diplomatie inter-impérialiste et anéantissement de la rupture révolutionnaire à l’époque de Lénine Dès l’insurrection d’octobre 1917, les Bolcheviks, malgré leurs beaux discours, considèrent la victoire non comme une bataille gagnée dans une guerre générale entre bourgeoisie mondiale et prolétariat mondial, bataille dans laquelle les frontières entre les pays ne comptent plus, mais comme la conquête bolchevique de l’Etat national russe. C’est pourquoi, au lieu de continuer la guerre révolutionnaire internationale que l’insurrection avait affirmée (rappelons qu’une partie importante des Bolcheviks, et plus particulièrement la direction, ne participa pas à l’insurrection et prit même position contre celle-ci !), les Bolcheviks s’établirent en tant que nouveau gouvernement et s’adressèrent à leurs pairs. La première chose qu’ils abandonnent, c’est donc cette position prolétarienne fondamentale qu’est la lutte contre la guerre et la paix bourgeoises et la lutte pour la révolution sociale, position que Lénine avait adoptée pendant la guerre et que, comme les autres socialistes bourgeois, il délaissa pour une position pacifiste typique du social-impérialisme. Avant tout appel à la continuité de la lutte révolutionnaire internationale et dès les premiers jours de l’insurrection, les Bolcheviks s’adressent aux diplomates 5 et aux gouvernements du monde entier, cherchant à faire des pactes et des alliances de toutes sortes. Les oscillations de Lénine concernant l’insurrection ainsi que l’opposition des vieux Bolcheviks à toute politique classiste divisent la direction bolchevique. Celle-ci cherche un accord avec les autres partis social-démocrates et plus particulièrement avec les Mencheviks à qui elle offre une participation au gouvernement dont ils ne voudront pas 6 . En même temps, cette direction courtise les Alliés qui considèrent les Bolcheviks comme les seuls capables de réorganiser la vieille armée afin que la Russie puisse continuer la guerre. L’amitié qui se dé- veloppe entre Lénine, Trotsky et Jacques Sadoul en ces premiers jours bien agités (ceux-ci se réunissent quotidiennement de nombreuses heures durant) permet de maintenir ce flirt assidu avec les Alliés tandis que, dans les coulisses, se prépare les négociations avec l’Etat allemand. Ainsi, Sadoul fixe avec Trotsky et Lénine les conditions d’une paix séparée avec l’Allemagne (l’État français s’assurant, par l’intermédiaire de Sadoul, que cette paix soit en réalité impossible) 7 tout en recevant simultanément de la part des Bolcheviks la promesse formelle qu’ils réorganiseront l’armée russe, ce que recherche fondamentalement la bourgeoisie alliée. Au cours du mois de décembre 1917, Trotsky et Lénine promettent, lors de diverses réunions formelles et informelles (entre Trotsky et Noulens, ambassadeur de France) de réorganiser l’armée russe qu’ils avaient auparavant participé à décomposer. Dès le départ, Lénine est le plus enthousiaste partisan de la politique impérialiste de paix. Ainsi, le 6 décembre 1917, Sadoul dit « Lénine me parlait avec enthousiasme de l’entretien Noulens-Trotsky. Il se disait certain de la collaboration amicale des Alliés et de leur participation prochaine aux pourparlers généraux de paix. J’ai eu beaucoup de peine à lui faire mesurer l’abîme qui sépare encore ces espérances de la réalité » 8 . En février 1918, « avant la nouvelle invasion de l’armée allemande, Trotsky tente des rapprochements diplomatiques afin d’obtenir l’aide des forces impérialistes alliées. Les possibilités de «lutte contre l’ennemi commun» (Trotsky) et de reconstruction de l’armée russe grâce à l’envoi d’instructeurs alliés sont négociées. Bien que les conversations n’évoluent pas du fait de la méfiance réciproque des interlocuteurs, elles constituent néanmoins un premier jalon important dans l’application de la théorie de la participation au jeu des équilibres inter impérialistes que, des années après, Trotsky imputera à Staline» 9 . Il faut souligner que le 22 février, lors de la réunion du Comité Central du Parti bolchevik, la proposition de demande d’aide militaire et économique à l’impérialisme anglofrançais est acceptée. En réalité cette politique de recherche d’alliances impérialistes existait déjà dès le lendemain de l’insurrection. Comme le dit Sadoul dans sa lettre du 7 janvier 1918 :« Depuis près de deux mois, pas une semaine ne s’est écoulée sans que, par mon intermédiaire, les Bolcheviks aient demandé officieusement, c’est vrai, mais sincèrement, le concours militaires des Alliés. » Il n’a pas été suffisamment souligné combien cette politique signifie, d’une part, l’abandon total de la lutte du pro- 5- «Dès le lendemain (de l’insurrection NDR), une note à la presse assurera à tout le personnel des ambassades et des missions du respect que désire témoigner aux Alliés la seconde révolution » (Jacques Sadoul, Notes sur la révolution bolchevique, p.55). Jacques Sadoul était capitaine de l’armée française, socialiste, envoyé en 1916 en Russie par son gouvernement pour une mission de renseignement. Il sera à Petrograd en 1917 et deviendra un intermédiaire entre l’Entente et les Bolcheviks prêts à négocier. 6- Selon Sadoul, Lénine est le premier à avoir fait cette offre. Dans les œuvres de Lénine, ce dernier semble, un peu plus tard, opposé à cette solution que des Bolcheviks de renom continueront de défendre au Comité Central jusqu’à ce qu’ensuite, se retrouvant en minorité et menacés d’exclusion, ils l’abandonnent. 7- « Déjà je leur ai proposé toute une série de conditions préalables à la conclusion d’un armistice qui feront frémir d’horreur les négociateurs allemands : continuation de la fraternisation et de l’agitation révolutionnaire, interdiction des transports de troupes d’un front à l’autre, négociations en territoire neutre ou russe, conditions militaires très désavantageuses pour les Allemands, etc., etc. » (Jacques Sadoul, idem, p. 120). 8- Jacques Sadoul, idem, p .161. 9- Extrait de la chronologie citée précé- demment. 5 Le léninisme, liquidateur de la rupture communiste létariat mondial contre toutes les armées nationales (politique définie comme «capitulatrice » par les révolutionnaires) et, d’autre part, l’affirmation des Bolcheviks en tant que chefs d’un Etat national de plus, remplaçant les autres social-démocrates et le tsarisme dans la continuité des guerres et des paix impérialistes. Rien de plus cohérent donc que la réorganisation de la vieille armée bourgeoise. Ainsi, en février 1918, prétextant l’offensive allemande, l’organisation de l’armée que Lénine et Trotsky avait promise aux Alliés commence: imposition du recrutement massif ainsi que des normes générales de discipline militaire (« formes extérieures de respect », salut militaire, formules obligatoires pour s’adresser à un supérieur, privilèges pour les officiers…). Ces mesures, applaudies par les tsaristes eux-mêmes, permettent la collaboration avec d’anciens officiers du tsar. Cet assentiment n’empêche pas, au même moment, l’approbation des conditions fixées par l’Allemagne et, quelques jours plus tard, la signature du fameux traité de Brest-Litovsk. L’affirmation de cette ligne politique capitulatrice suscita, bien entendu, des résistances prolétariennes, particulièrement dans les secteurs révolutionnaires. C’est au sein même du parti bolchevique que cette résistance s’exprima le plus clairement. Cette première opposition à la politique de Lénine adressera une lettre au Comité Central, elle s’exprime clairement contre la capitulation quelques jours avant la signature du traité de BrestLitovsk : « Ce consentement [donné par le CC du Parti aux impérialistes allemands] donné à la première offensive des ennemis du prolétariat signifie la capitulation de l’avant-garde du prolétariat international devant la bourgeoisie internationale. Démontrant devant le monde entier la faiblesse de la dictature du prolétariat en Russie, il assène un coup à la cause du prolétariat international, coup particulièrement dur au moment de la crise révolutionnaire en Europe occidentale, et il élève, en même temps, une barrière entre le mouvement international et la révolution russe. La décision de conclure la paix à tout prix, décision prise sous la pression des éléments petit-bourgeois et des courants petitbourgeois, entraîne inévitablement, pour le prolétariat, la perte de son rôle dirigeant non seulement en Occident, mais en Russie elle-mê- me… Abdiquer les positions du prolétariat à l’extérieur nous prépare inévitablement à les abdiquer aussi à l’intérieur. Nous estimons qu’après la conquête du pouvoir, après l’écrasement total des derniers bastions de la bourgeoisie, le prolétariat se trouve inévitablement confronté à la tâche d’étendre la guerre civile à l’échelle internationale et qu’aucun danger ne pourra l’arrêter dans l’accomplissement de cette tâche. Renoncer à cette tâche, ce serait vouer le prolétariat à sa perte par désagrégation interne et cela équivaudrait à un suicide. » 10 Comme on le voit, les secteurs révolutionnaires ont une conscience claire que Lénine et compagnie sont en train d’abandonner les positions élémentaires du prolétariat, qu’il s’agissait là d’une véritable capitulation sur le plan exté- rieur face à la bourgeoisie mondiale qui conduira également à capituler sur le plan intérieur; que la négociation entre hommes d’Etat est une capitulation face à la bourgeoisie mondiale et qu’ainsi on est en train de renoncer à la tâche la plus importante et la plus décisive : l’extension mondiale de la révolution. La délégation russe présidée par Trotsky, Brest-Litovsk. Signature du traîté de Brest-Litovsk. 10- Cette lettre fut présentée au Comité Central le 22 février 1918 et fut signée par d’importants membres de ce Comité tels Oppokov, Lomov, Ouritski, Boukharine et Boubnov ainsi que par divers autres Commissaires du peuple tels que : Stukov, Bronski, Iakovieva, Spundé, Pokrovski et Piatakov. 6 Le léninisme contre la révolution La déclaration des camarades en lutte contre Lénine et compagnie est clairvoyante à plus d’un titre même s’il est erroné d’expliquer cette politique par la pression de la petite-bourgeoisie: il s’agit d’une politique directement bourgeoise, capitaliste, impérialiste. Comme nous le soulignerons plus avant, dans les conversations successives avec la diplomatie impérialiste mondiale, les Bolcheviks seront chaque fois plus explicites quant à l’abandon de l’extension internationale de la révolution. Concrètement, la paix de Brest-Litovsk est un coup très dur pour le prolétariat et pour la révolution dans le monde entier et, plus particulièrement dans la région, c’est une trahison évidente des intérêts de la révolution. Cette pratique de la part des Bolcheviks contre la révolution fortifie une bourgeoisie mondiale alors chancelante et contribue par conséquent à lui donner une nouvelle ardeur dans la guerre impérialiste. La trêve bolchevique consolide l’impérialisme partout dans le monde, c’est un ballon d’oxygène pour la bourgeoisie et l’Etat allemand contre le prolétariat qui, dans ce pays, est en plein combat révolutionnaire. Mais, globalement, la signature de la paix livre le prolétariat de toute l’Europe centrale et de l’est aux bottes du militarisme allemand en Ukraine, Finlande, Livonie, Estonie, Crimée et dans le Caucase, ainsi que dans un nombre croissant de territoires du sud de la Russie. En effet, pour les militaires allemands qui, face au défaitisme révolutionnaire, vivent déjà une période d’insécurité totale, la signature de cette paix repré- sente un véritable soutien de la part des Bolcheviks, soutien qui les renforce face aux prolétaires d’Allemagne et qui leur permet, avec d’autres fractions bourgeoises nationales impérialistes, de réinstaurer la terreur blanche sur ces territoires. Au nom du prolétariat de Russie et sur base de la vieille consigne bourgeoise du « droit des peuples à l’autodétermination » que la social-démocratie et Lénine avaient revendiqué au nom du socialisme!, on dit au prolétariat de ces régions alors en plein mouvement révolutionnaire : « que chacun se débrouille comme il peut ». Tous les principes de la solidarité internationale et de la lutte révolutionnaire sont abandonnés au nom de la trêve de Lénine et de sa politique opportuniste, ce qui équivalait à dire : nous, nous avons déjà fait la révolution, maintenant nous pouvons négocier avec vos bourreaux. Avec cette capitulation, qui contribue à l’impérialisme, c’est la guerre mondiale elle-même qui se renforce : même avant la signature officielle du traité, c’est par centaines de milliers que les soldats allemands sont transférés du front russe vers la France, l’Italie,… La trêve est un coup brutal contre la fraternisation et le défaitisme révolutionnaire, contre les insurrections en marche et contre le mouvement révolutionnaire qui est en plein développement. L’essence profondément contre-révolutionnaire du traité de Brest-Litovsk ne peut être comprise que si l’on tient compte de ce qu’il implique vis-à-vis des insurrections prolétariennes qui se déroulent à ce moment-là dans toute l’Allemagne. La trêve renforce l’impérialisme et la guerre impérialiste, comme le dénonce la gauche communiste allemande, russe et d’autres pays. Même Rosa Luxembourg, qui n’est certainement pas une communiste de gauche, dénoncera le sens contrerévolutionnaire de cet « accouplement monstrueux de Lénine avec Hindenburg » dans l’un de ses derniers textes. 11 Dans Pourquoi nous sommes contre la paix de Brest-Litovsk, I. Steinberg (socialiste révolutionnaire de gauche) déclare : « Ce n’est pas tel ou tel territoire, ou telle dénomination d’un territoire qui sont chers au paysan ou à l’ouvrier ; ce qui lui tient à cœur, c’est la population travailleuse qui habite ce territoire et le régime social sous lequel elle vit. L’âme de la Révolution est affligée non pas seulement du fait que plusieurs régions sont actuellement détachées de la grande Russie, mais de ce que ces régions ont passé du pouvoir de la révolution au pouvoir de la réaction, au pouvoir des propriétaires fonciers, des tsars et des capitalistes… oui, dans ce sens, la République russe voudrait bien être une grande puissance: elle veut être une Grande Puissance de Révolution et de socialisme… la paix de Brest nous a détournés d’un coup de cette tâche d’extension. Elle nous a privés du secours et de la coopération révolutionnaire de millions d’ouvriers et de paysans conscients et les a privés, à leur tour, de notre concours et de notre coopération ». 12 Lénine reprendra, contre Kautsky, l’accusation de la gauche communiste selon laquelle le prolétariat allemand, en participant à ce massacre, trahit le prolé- tariat d’Europe, de Finlande, d’Ukraine, de Lettonie, l’Estlandia, etc., mais il tait le fait que sa politique conduit à ce que le prolétariat russe participe à cette même trahison en abandonnant, par l’armistice 11- « Le cœur encore chaud des scènes de fraternisation avec les soldats révolutionnaires russes, des photos de groupes communes, des chants et des vivats à la gloire de l’Internationale, les « camarades » allemands se précipitent déjà, à bras raccourcis, dans le feu des action de masses héroïques afin d’assassiner pour leur part des prolétaires français, anglais, italiens. L’apport de masses fraîches de chair à canon allemande fera rejaillir dix fois plus fort l’ardeur du carnage sur les fronts Ouest et Sud. Il est bien évident que la France, l’Angleterre et L’Amérique seront amenées à faire des efforts ultimes et désespérées. Ainsi, l’armistice russe et la paix séparée à l’Est qui le suivra de près, auront pour premiers résultats, non pas l’accélération de la paix en générale mais tout d’abord la prolongation du gé- nocide et l’accroissement monstrueux de son caractère sanglant ; en regard des sacrifices qu’il coûtera des deux côtés, ceux qui ont déjà été consentis paraîtront dérisoires. Un renforcement considérable de la position militaire de l’Allemagne, et par là-même de ses appétits et de ses projets d’annexion les plus téméraires, sera le résultat suivant. » R. Luxembourg, La responsabilité historique, janvier 1918. Ce que Luxembourg dé- clare dans ce texte nous parait indubitable. Nous devons néanmoins rappeler qu’elle n’est jamais parvenue à rompre avec les bases idéologiques de la social-démocratie et qu’elle a joué un rôle centriste contre la rupture communiste en Allemagne. 12 - Steinberg, I., Les S.R. de gauche dans la révolution russe. Une lutte méconnue. La trêve est un coup brutal contre la fraternisation et le défaitisme révolutionnaire, contre les insurrections en marche et contre le mouvement révolutionnaire qui est en plein développement. 7 Le léninisme, liquidateur de la rupture communiste et l’idéologie léniniste de l’autodétermination nationale, les prolétaires de toutes ces zones aux militaires allemands et à la répression contre-révolutionnaire internationale. Lénine dit : « En réalité Kautsky sait parfaitement bien que cette accusation a été et est lancée par les socialistes de gauche allemands, les Spartakistes, Liebknecht et ses amis. Cette accusation exprime la claire conscience du fait que le prolétariat allemand a commis une trahison envers la révolution russe et internationale en écrasant la Finlande, l’Ukraine, la Lettonie et l’Estlandia. » Il est vrai que la politique du Parti Social-démocrate Allemand (SPD) et du Parti Social-démocrate Allemand Indépendant (USPD) n’avait pas seulement réussi à freiner la révolution, elle avait ouvertement favorisé le militarisme allemand et permit qu’on l’utilise pour massacrer des frères de classes dans le monde. Mais la politique de Lénine conduit au même point et cela, Lénine le passe systématiquement sous silence. L’isolement des prolétaires de ces régions face à la terreur blanche et au militarisme allemand est également la conséquence directe de la politique impérialiste de paix de Lénine. Cette politique contre-révolutionnaire, présentée comme une « trêve indispensable», deviendra plus tard l’arché- type même de la politique internationale léniniste. Un jour on fait alliance avec un impérialisme, le lendemain avec un autre en invoquant toujours que c’est un mal nécessaire, le moindre mal. Et la lutte ré- volutionnaire sans alliance ni profit pour d’autres fractions de la bourgeoisie est systématiquement postposée. À chaque fois, on argumente que tout est préférable à cette lutte parce qu’on pourrait risquer la « défaite de la révolution ». Comme si cette politique n’était pas en soi la pire défaite de la révolution ! Comme s’il y avait quelque chose de pire pour la révolution que la contre-révolution à laquelle a abouti l’Etat russe et mondial sous la direction de Lénine, Trotsky, Staline… ! Soulignons qu’au début, cette politique léniniste est minoritaire partout, dans les comités, le parti, les soviets, les villes, la campagne… et que ce n’est qu’au prix de mille manœuvres que Lénine et les siens réussiront à l’imposer démocratiquement, en organisant une majorité, et à signer la paix au nom de cette dernière. Plus tard, cette politique opportuniste et de magouilles démocratiques, de diffamation et de purges deviendra la norme générale des vieux Bolcheviks qui n’avaient jamais été en faveur de l’insurrection (Kamenev, Zinoviev, Staline…) pour s’imposer, avec Lénine, dans le parti, en Russie et progressivement à l’IC. Tout en signant la paix de Brest-Litovsk, Lénine et Trotsky, tenant les promesses faites aux Alliés et en continuité avec la réorganisation de l’armée russe 13, projettent simultanément avec plusieurs ex-officiers tsaristes la réorganisation de la marine et en général des forces armées; ils accomplissent ainsi ce que fait tout Etat bourgeois et ce que, dans ces circonstances, la bourgeoisie alliée leur demande. En avril-mai 1918, la militarisation de la population est décrétée et l’on passe du recrutement volontaire à la conscription obligatoire des ouvriers et des « paysans ». La peine de mort est rétablie et appliquée contre ceux qui refusent cet embrigadement forcé. En même temps, on tente d’organiser l’économie sur base de « concessions au capital international » 14, on accorde de hauts salaires aux administrateurs et aux technocrates tout en appliquant des mesures qui tendent à augmenter directement le taux d’exploitation des prolétaires, ce que Lénine résumera comme suit :« Le renforcement de la discipline et la croissance de la productivité du travail (sic) 15, l’introduction du salaire aux pièces, l’application des nombreux éléments scientifiques et progressistes que contient le système Taylor». Ce programme ouvertement bourgeois qui cherche par tous les moyens d’augmenter l’exploitation du prolétariat et donc le taux de profit, s’accompagne de toutes sortes de concessions et propositions vis-à-vis du capital international afin d’exploiter les forces de production « soviétiques ». On vante non seulement les ressources naturelles russes mais explicitement aussi les excellentes conditions d’exploitation des prolétaires russes qui détiennent soi-disant le pouvoir dans le pays. Ainsi, en mai 1918, les Bolcheviks remettent à Robins 16 un mémorandum qui sera ensuite présenté au Département d’Etat des Etats-Unis et dans lequel sont exposés, pour la première fois, les avantages que les Bolcheviks proposent aux capitalistes nord-américains si ces derniers participent à l’exploitation des mines, à la construction de moyens de transport, à l’introduction de méthodes modernes dans l’agriculture, à l’exploitation des richesses maritimes de Sibérie en échange de produits agricoles. Ce document qui appelle sans scrupule à exploiter les prolétaires de Russie pendant que Lénine et son parti appuient l’augmentation du taux d’exploitation par tous les moyens possibles, montre à quel point ce parti fait tout ce qui est possible pour offrir de meilleures conditions de rentabilité 13 - Etant donné ce que nous développons dans notre texte, il est logique que nous parlions de l’armée russe et de sa réorganisation en tant qu’armée russe (en opposition aux gardes rouges ou à ce qui sera ensuite connu sous le nom d’« armée makhnoviste ») dans la continuité de l’armée tsariste (les normes et la hiérarchie de l’historique armée du tsar sont rétablies) et que cela n’a aucun sens de parler d’armée prolétarienne comme le firent les dirigeants Bolcheviks. Cette appellation ou celle d’armée rouge relève de la pure mystification du léninisme, du trotskisme et du stalinisme. 14 - Les dites concessions au capital international semblent n’être qu’économiques mais elles sont évidemment aussi politiques, programmatiques, antagoniques à l’abc de la lutte communiste : le capital est indissociable du taux de profit et donc de l’augmentation de l’exploitation des prolétaires. Lénine garantit cela également. 15 - Voici encore une fois la preuve que Lénine voit les choses comme les patrons : il identifie augmentation du travail (plus grande discipline, accroissement de la quantité et de l’intensité du travail) et augmentation de la productivité du travail qui, comme nous l’avons déjà dit, est tout le contraire (moins de travail pour produire la même chose !) La citation est tirée de « Les tâches immédiates du pouvoir des Soviets. Thèses ». 16- Raymond Robins : major dans les services de renseignements américains, envoyé en Russie sous couverture, comme chef-adjoint de la Croix-Rouge, avec pour mission de maintenir la Russie en guerre contre l’Allemagne. Il jouera un grand rôle dans le rétablissement des relations entre le gouvernement russe et “l’ami américain”. 8 Le léninisme contre la révolution et attirer des capitaux, c’est-à-dire qu’il sacrifie les prolétaires, augmente au maximum le taux d’exploitation et de profit du capital comme le ferait aujourd’hui n’importe quel gouvernement (de droite comme de gauche et indépendamment de toutes les déclarations et formulations socialistes). Il ne faut jamais oublier que l’augmentation de l’exploitation dans un pays détériore les conditions de survie du prolétariat mondial. Donc, lorsque Lénine et Cie offrent de meilleures conditions de rentabilité en Russie, ils améliorent concrètement non seulement la rentabilité du capital international dans ce pays mais également la force sociale et politique du capital face aux prolétaires en lutte dans le monde entier ; ce qui les place objectivement, et indépendamment de la volonté ou des déclarations des Bolcheviks, du côté de la bourgeoisie mondiale contre les prolétaires du monde entier. Au début, cette politique bourgeoise imposée par les Bolcheviks ne rencontre la compréhension de la bourgeoisie mondiale qu’à de rares exceptions alors qu’elle aurait mérité le titre de politique d’avant-garde de la contre-révolution. En effet, la bourgeoisie demeure terrorisée par les Bolcheviks. Dans les mois qui suivent, toutes les forces militaires bourgeoises internationales (russes, japonaises, françaises, anglaises, nord-américaines…) s’unissent contre la Russie, ce qui donnera aux Bolcheviks un semblant de radicalisation car ils abandonneront cette politique ouvertement impérialiste et se redonneront, une apparence de « prolétaires internationalistes ». Cette pratique provisoire et apparemment « internationaliste » n’est pas le résultat d’une ligne stratégique invariante mais de conditions particulières d’isolement et d’affrontement aux Etats nationaux. Les Bolcheviks, contraints d’abandonner la politique diplomatique envers les autres gouvernements, concentrent leur action internationale dans les appels au prolétariat et à la révolution mondiale. Cette phase radicale, qui durera jusqu’à la fin de l’année 1920, coïncide avec la phase finale de la plus grande vague ré- volutionnaire de l’histoire du prolétariat, ce qui fait apparaître l’opportunisme bolchevique comme s’il était révolutionnaire sous certains aspects. Mais même lors de cette courte période où les Bolcheviks se font les porte-parole d’une « nouvelle internationale véritablement communiste et révolutionnaire », ils continuent à né- gocier et à passer des accords avec ceux qui répriment directement le prolétariat. Entre janvier et avril 1919, les Bolcheviks font plusieurs tentatives de conciliation avec les gouvernements alliés et déclarent explicitement qu’ils reconnaissent «les obligations financières des créanciers de la nationalité d’une des puissances alliées». Ce qui signifie que les Bolcheviks reconnaissent les dettes contractées par le tsarismeet témoignent ainsi à leurs pairs du monde entier qu’ils sont de véritables hommes d’Etat. Guiorgui Tchitchérine, commissaire aux affaires étrangères, dé- clare que c’est le premier exemple d’appel à la conciliation internationale au nom des avantages financiers et que c’est « un des aspects les plus extraordinaires de la politique étrangère de Lénine». Tout à fait extraordinaire,en effet, si l’on continue à croire que cela serait utile aux prolétaires mais totalement banal et courant si on tient compte du fait que cela ne sert qu’à un Etat bourgeois en particulier, l’Etat russe, comme c’était le cas pour la politique de Lénine. Et plus encore, si l’on considère le sabotage de la lutte que cette politique inter impérialiste représente concrètement pour le prolétariat. Il suffit de prendre pour seul exemple, le sabotage ouvert que représenta ce type de négociations en pleine insurrection prolétarienne en mars 1920 en Allemagne. La politique de bonnes relations inter bourgeoises des Bolcheviks avec les capitalistes du monde entier, qui se traduira par la réaffirmation de l’Etat russe comme puissance impérialiste telle qu’il l’avait été à l’époque tsariste et qui atteindra son apogée à l’époque stalinienne, détermine en permanence les rapports avec les forces et organisations prolétariennes qui sont en processus de rupture avec la social-démocratie. Dès leurs premières rencontres avec la bourgeoisie allemande et les cadres militaires de ce pays, les Bolcheviks entrent en contradiction avec différents groupes politiques prolétariens en Russie même: constitution de groupes de gauche communiste au sein des bolcheviks opposés à la politique léniniste, résistances et révoltes des Socialistes-Révolutionnaires de gauche (S-R de gauche) et de groupes anarchistes et/ou anarcho-communistes. Dès juinjuillet 1918, les protestations contre la politique bourgeoise des Bolcheviks font un saut qualitatif avec la révolte des S-R de gauche, l’assassinat de Mirbach, ambassadeur allemand, et quelques tentatives d’assassiner Lénine lui-même. Ces oppositions qui s’expriment tant en positions qu’en actions sont très variées et contradictoires et, si bon nombre d’entre elles sont fondamentalement des oppositions social- L'armée rouge franchissant la glace pour écraser Kronstadt, le 17 et 18 mars 1921. 9 Le léninisme, liquidateur de la rupture communiste démocrates (Mencheviks, secteurs libertaires « défensistes», c’est-à-dire appuyant la guerre, tel que revendiqué dans leur « Manifeste des Seize») ou influencés par des positions nationalistes, il y a une réelle résistance prolétarienne, représentée essentiellement par des secteurs des Bolcheviks, des S-R de gauche ou par des secteurs se revendiquant de l’anarchisme, comme ce fut le cas pour le mouvement makhnoviste17. Dès qu’ils arrivent au pouvoir, les Bolcheviks mènent de concert la répression des forces contre-révolutionnaires et la terreur ouverte contre les organisations prolétariennes et révolutionnaires qui s’opposent à leur politique. Cette ré- pression des groupes prolétariens et des minorités révolutionnaires, qui s’opère dès les premiers jours, est plus forte dès la mi-juillet 1918 et franchit un pas qualitatif incontestable avec la répression de mouvements révolutionnaires en Ukraine, dans les campagnes, à Tambov… et, plus tard, avec la répression de la révolte de Cronstadt en 1921 18 Les rapports avec les groupes révolutionnaires et la politique bolchevique qui dirige l’IC S i la politique opportuniste des premiè- res années provoque évidemment dé- sorientation et désorganisation parmi les groupes prolétariens d’avant-garde dans le monde, 1919 (année du Premier Congrès de l’IC) est en général considérée comme l’année où la politique bolchevique est la plus radicale. Si certains documents (Plate-forme, Manifeste) de ce congrès apparaissent comme des éléments de rupture avec le capital international et en particulier avec la tradition social-démocrate, on y prône en même temps « l’utilisation révolutionnaire du parlement », position en contradiction totale avec la rupture communiste alors en cours dans le monde entier. Dans plus de 15 pays, des groupes d’importance variable se sont constitués en rupture avec le socialisme bourgeois. Ces groupes qui appellent à la constitution de partis en dehors et contre la social-démocratie considèrent le parlementarisme et l’électoralisme quels qu’ils soient comme contre-révolutionnaires et affirment de diverses manières une critique globale de la démocratie et de la social-démocratie. Alors que durant toute l’année 1919, de grands mouvements insurrectionnels et des grèves se succèdent sur toute la surface du globe, les Bolcheviks, soit directement soit en tant que Comité Exécutif de l’IC, défendent l’électoralisme et le parlementarisme contre le mouvement du prolétariat et les gauches communistes. Nous soulignons à ce sujet que la première circulaire du Comité Exécutif (« Le parlementarisme et la lutte pour les soviets ») de septembre 1919 défend déjà la nécessité de l’utilisation «tactique » (sic) du parlementarisme, 19 et que, un mois plus tard, au Congrès du Parti Communiste Allemand (KPD) à Heidelberg, Radek 20 défend, au nom des Bolcheviks, la participation aux élections et aux syndicats, s’opposant ainsi ouvertement à la gauche communiste dans un moment crucial. La répression brutale qui sévit à ce moment empêche plusieurs délégations « communistes de gauche » de participer au Congrès d’Heidelberg. Soutenu par les Bolcheviks, et plus particulièrement par Radek, Levi 21 en profite pour exclure tous les militants communistes. Soulignons aussi qu’à cette période, Radek avait déjà rédigé son répugnant opuscule intitulé « Evolution de la ré- volution mondiale et les tâches du parti communiste », véritable précurseur de la 17- Nous renvoyons également le lecteur intéressé par les positions de ceux qui luttaient contre cette politique en Russie aux textes « Le Manifeste du Groupe Ouvrier du Parti Communiste Russe (Bolchevik) » et « Insurrection prolétarienne en Ukraine (1918-1921)» parus dans notre revue Communisme n°35 - janvier 1992 dont la nouvelle version (amplement revue) est disponible sur notre site internet www.gci-icg.org. 18- Voir à ce sujet nos travaux dans Le communiste n°24 (avril 1986), « Cronstadt, tentative de rupture avec l’État capitaliste en Russie », dans Le communiste n°28 (décembre 1988), « Contre-révolution et développement du capitalisme en Russie » (4 textes) et Jacques Baynac « La terreur sous Lénine ». 19- C’est entre le Ier et le IIème Congrès de l’IC que s’affirme nettement la politique lé- niniste contre les gauches communistes. 20- Karl Radek, ex-militant de la gauche communiste qui devient l’homme de Lénine en Allemagne et sera avec lui le promoteur de toutes les vieilles tactiques socialdémocrates et opportunistes, telles que dénoncées par Anton Pannekoek. 21- Paul Lévi, luxembourgiste de droite et ennemi déclaré des gauches communistes. Soldats attaquant Cronstadt insurgé. 10 Le léninisme contre la révolution « maladie infantile» de Lénine à laquelle Anton Pannekoek répondra dans son important travail de dénonciation du léninisme « La révolution mondiale et la tactique du communisme » 22. Déjà dans ces circonstances, Radek et Levi, qui pactisent avec l’USPD (la gauche de la social-démocratie allemande) contre tout ce qu’affirme la gauche communiste allemande et ce que la lutte elle-même met en avant, défendent ouvertement le frontisme en parlant de « bloc temporaire» entre le KPD et le SPD. Il est important de souligner que cette pratique frontiste s’oppose à la pratique même de l’avant-garde prolétarienne en lutte ouverte contre la social-démocratie. Le summum est atteint en 1920, en pleine insurrection du prolétariat dans la Ruhr, les chefs léninistes du KPD sabotent le mouvement en appelant à constituer un front avec les ennemis directs du prolétariat. C’est-à-dire que, contre toute attente, alors que la lutte internationale du prolétariat bat son plein, les Bolcheviks vont ouvertement défendre non seulement le syndicalisme et le parlementarisme mais également la réalisation d’un front unique avec les ennemis déclarés du prolétariat, ceux-là même qui avaient réprimé et continuaient de réprimer la lutte internationale. En ce sens, la politique contre-révolutionnaire appliquée par les Bolcheviks en Allemagne au moment où le prolétariat fait preuve de sa force, préfigure la politique qui sera imposée partout plus tard. Au moment où Lénine soutient cette politique contre les minorités communistes, il leur écrit pour minimiser les divergences. Un an plus tard, il reconnaît que cela aussi n’était qu’une manœuvre, une simple « question tactique ». Il déclare qu’il était nécessaire de «soutenir la gauche communiste » mais que « maintenant nous ne leur faisons plus de publicité, nous n’en parlons plus », tactique du front unique comme précurseur du front populaire et du frontisme soidisant anti-impérialiste. En 1919, un Bureau de l’IC pour l’Europe occidentale est créé à Amsterdam. Ce Bureau exprime un ensemble de tendances extrêmement riches, dont certaines en rupture avec la social-démocratie, celles-ci critiquent le syndicalisme, l’électoralisme et le parlementarisme, le parti de masse…. Et qui, vu la coïncidence de positions avec les fractions communistes d’Amérique du sud (Argentine, Uruguay, Chili…) et d’Amérique du nord (Etats-Unis, Mexique…) auraient pu constituer une véritable alternative organisative à la politique opportuniste de Moscou. Cependant, très rapidement, à la requête des Bolcheviks, un autre Bureau est formé à Berlin avec des personnages clairement centristes et opposés à toute rupture décisive tels Levi, Zetkin et Radek. Le Bureau de Berlin part du principe (en plein 1919 !) que « la révolution, même à échelle européenne, se fera lentement » et se charge de liquider le Bureau d’Amsterdam. La contradiction entre les deux Bureaux grandit, elle éclate au début 1920 sous l’impulsion du Bureau d’Amsterdam, lors de la Confé- rence d’Amsterdam où il est question d’adopter les bases d’orientation de la lutte en Europe occidentale. Malgré les divergences existantes et la répression, le Bureau d’Amsterdam appelle ouvertement à la rupture totale avec les partis social-patriotes et particulièrement avec le Labour Party en Grande-Bretagne, en total antagonisme avec l’opportunisme des Lénine, Radek, Zinoviev, Zetkin et autres opportunistes de la direction de l’IC. L’opposition entre les deux Bureaux grandira jusqu’à ce qu’au nom du Bureau d’Amsterdam, Louis Fraina affirme publiquement 23 un ensemble de ruptures révolutionnaires importantes : revendication de la scission en Allemagne avec le KPD, revendication de la rupture totale avec les syndicats défendue par le Parti Communiste Ouvrier d’Allemagne (KAPD), rejet de la conception du parti de masse et affirmation du parti comme facteur unificateur et dirigeant, nécessité de rupture avec le centrisme défini comme l’ennemi principal et dénonciation en tant que forces opportunistes d’un ensemble d’organisations telles que : l’USPD, le Parti Socialiste nordaméricain, la gauche du Labour Party britannique, le Parti Socialiste Ouvrier espagnol avec lesquelles Moscou flirtait. C’en est trop, d’autant que, dans les faits, la politique opportuniste des Bolcheviks et la direction de l’IC sont ouvertement dénoncées. La réponse du Comité Exé- cutif de l’IC ne se fait pas attendre : il décide purement et simplement de dissoudre le Bureau d’Amsterdam. Voilà un important précédent quant à la manière d’éliminer ceux qui à l’avenir seraient en désaccord. Aucune discussion ni consultation n’est organisée avec les intéressés, qui n’en sont même pas directement informés; ils apprendront par la radio que le Bureau est liquidé et leur mandat annulé. On ne recourt pas encore à la liquidation physique mais on dit clairement que la décision d’«annuler le mandat du Bureau d’Amsterdam » est adoptée du simple fait que « ce dernier défend sur ces questions un point de vue opposé à celui de l’Exécutif, principalement en ce qui concerne le rejet de l’arme parlementaire » et « qu’il renonce à faire pénétrer l’esprit révolutionnaire dans les syndicats ». Très vite, «l’arme parlementaire» et l’entrisme dans les syndicats se révèleront nuisibles à cet «esprit révolutionnaire», et les partis «communistes» démontreront n’être que la réplique des partis social-démocrates, depuis toujours parlementaires et syndicalistes, c’est-à-dire des partis d’Etat, contre le prolétariat. En ces années léninistes, les idéologies telles que celles du parlementarisme révolutionnaire, de l’entrisme dans les syndicats ou de la libération nationale situent déjà les Bolcheviks du côté des Etats contre la lutte du prolétariat dans plusieurs pays. Avant même que se tienne le Deuxième Congrès de l’IC, celui-ci fixe sa position front-populiste d’ « appui à la libération nationale » dans les pays « coloniaux et semi-coloniaux ». Les léninistes, plutôt que d’appuyer les minorités révolutionnaires de Perse, d’Afgha- 22- Voir la première partie de ce texte dans Communisme n°64. 23- Dans l’article « La Conférence Communiste Internationale et les problèmes de l’Internationale ». 11 Le léninisme, liquidateur de la rupture communiste Non seulement ceux qui nous critiquent, mais aussi des lecteurs et de proches camarades ont été surpris que nous insistions une fois de plus sur le léninisme, le bolchevisme, le stalinisme... considérant que tout cela est terminé, dépassé, que tout cela a été rendu caduque par la “ chute du mur ” et qu’il n’en reste tout au plus que des réminiscences anachroniques. Cette appréciation se base sur ce que les politiciens disent d’eux-mêmes ou, ce qui revient au même, sur les régimes politiques ou partis formels qui se déclarent léninistes ou marxistes-léninistes, plutôt que sur la réalité de la domination capitaliste et sur l’apport qu’a représenté pour cette dernière la contrerévolution léninisto-stalinienne en tant que “ science de la manœuvre politique, tactique et stratégique ” qui justifie tout et son contraire. Le léninisme ne se limite pas aux régimes marxistesléninistes qui, il n’est pas inutile de le rappeler, et jusqu’à une époque très récente, s’étendirent à plus de la moitié de l’humanité. Lénine a été l’auteur le plus lu de tous les temps. Le marxisme-léninisme est une méthode essentielle et globale qui permet de dominer le prolétariat, c’est, comme disait Trotsky, une véritable “ science de la manœuvre ” qui permet de liquider l’action directe révolutionnaire au nom d’intérêts dits supérieurs. Si, au sens le plus large, toutes les forces et partis dont l’objectif est de contrôler les prolétaires constituent le parti historique de la social-démocratie (oui, du vieux parti bourgeois pour neutraliser les prolétaires), le triomphe de la contre-révolution léniniste a fait de cette science la forme la plus développée de domination des prolétaires, la méthode la plus perfectionnée pour imposer au prolé- tariat la mobilisation productive et nationale impérialiste, au nom du futur socialisme. Le léninisme est utilisé non seulement par les staliniens, les trotskystes, les zinoviévistes, les gramsciens... qui, il est vrai, sont de moins en moins présents, mais également, de façon consciente ou non, par les nationalistes, les socialistes, les libertaires, les libéraux, les populistes, la gauche et la droite. Pas besoin de lire Lénine pour trouver cette dualité caractéristique poussée à sa plus pure expression au nom, non pas du parti mais du socialisme, du progrès, de la nation, de la démocratie, de l’égalité.... Pas besoin non plus d’être membre d’un parti pour défendre cette conception ; aujourd’hui, elle refleurit dans les ONG, les syndicats, les structures d’aide sociale et médicale que l’Etat instaure comme tactique contre-insurrectionnelle dans les quartiers pauvres (dans les “ favelas ”, les banlieues, les “ suburbs ”, les bidonvilles...) dans le pseudo socialisme latino-américain, parmi les piqueteros argentins ou au sein du mouvement des travailleurs sans terre du Brésil... On nous dira que ce dualisme est essentiel à toutes les formes de domination capitaliste et que ces dernières ne sont pas le fruit du léninisme, ni de la social-démocratie. C’est bien vrai, parce que la démocratie elle-même, pour dissoudre la classe dans l’individu citoyen, a besoin de lui et, en ce sens, tout parti intéressé au développement et au progrès du capital doit l’utiliser. Néanmoins, en tant que prolétaires exploités en lutte contre le capital et ses Etats, ce sont les formes précises dans lesquelles cette domination se structure qui nous intéressent au premier plan, et plus particulièrement les formes de domination destinées aux prolétaires conçues pour canaliser ceux qui se battent contre cette société. Ce qui nous intéresse par- dessus tout c’est donc le rôle des partis bourgeois pour le prolétariat, c’est-à-dire la social-démocratie et son perfectionnement marxiste-léniniste. En approfondissant la question, nous constatons qu’il ne s’agit pas d’une forme de domination quelconque mais que nous sommes face à la forme la plus perfectionnée qui soit, au-delà de la terminologie utilisée. Ainsi “ le moindre mal ” est une variante de toute l’histoire de l’oppression et de la domination de classe. La classe dominante essaye toujours d’utiliser et de canaliser ses propres exploités contre d’autres secteurs en disant qu’ils sont pires, elle prône toujours le changement afin que tout reste pareil. La social-démocratie a toujours utilisé cet expédient contre l’autonomie du prolétariat et l’action directe. Mais le mérite de son application ciblée contre la force révolutionnaire du prolétariat mondial insurgé des années 1917 /1919 et pour sa canalisation vers le frontisme revient au léninisme au pouvoir (1918-1923) et à la propagande marxiste-léniniste qui s’ensuivit. Le raffinement suprême dans la liquidation de la force révolutionnaire est précisément sa transformation historique et son embrigadement dans le front unique, puis le front populaire, le front national et, pour finir, sa soumission à la guerre impérialiste et son massacre généralisé. Depuis lors, pour assurer sa domination, la dictature du capital, la démocratie, crée toujours l’épouvantail du fascisme afin de s’assurer une légitimité antifasciste et liquider toute expression autonome sur base d’un front (qui comme tout front populaire inclut le terrorisme d’Etat). Les physionomies ou appellations peuvent varier mais toutes les formes de domination et liquidation du prolétariat autonome utilisent les bases de la social-dé- mocratie et leur perfectionnement effectué par Lénine et ses différentes et nombreuses variantes. La persistance contre-révolutionnaire du léninisme 12 Le léninisme contre la révolution nistan, d’Inde, de Chine… 24, cherchent à tout prix un rapprochement diplomatique avec la bourgeoisie autoproclamée nationaliste de ces pays et contribuent objectivement à l’isolement et donc à la répression des révolutionnaires de ces pays. Soulignons que cette politique diplomatique de bonnes relations entre Etats sera officialisée en mai 1919 avec l’appui au régime de l’Emir Amanullah d’Afghanistan et les échanges de repré- sentants diplomatiques qui en découlent. Quelques mois plus tard, dans une lettre adressée au premier mandataire de ce pays, Lénine lui-même insistera pour « renforcer les relations de bon voisinage entre les deux nations ». L’antagonisme déjà relevé par Marx entre l’intérêt du prolétariat et celui de la nation ne semble pas préoccuper Lénine qui, au nom du prolétariat, pense à présent uniquement aux intérêts « des nations ». C’est sur base de cette même politique que s’organise le Deuxième Congrès Panrusse des Organisations Musulmanes Communistes. Lors de ce Congrès, Lé- nine n’hésite pas à désigner comme sujet de la révolution non pas le prolétariat révolutionnaire mais «les pays opprimés», c’est-à-dire l’alliance des exploités et des exploiteurs. « La révolution socialiste ne sera pas seulement, ni principalement, la lutte des prolétaires révolutionnaires de chaque pays contre leur bourgeoisie, mais le résultat de la lutte de toutes les colonies et de tous les pays opprimés par l’impérialisme, de tous les pays dépendants contre l’impérialisme international ». Il est totalement faux d’affirmer, comme le prétend par exemple le trotskysme sous toutes ses variantes, que les appels aux fronts populaires et aux alliances avec la bourgeoisie nationale aient commencé avec Staline. Imputer à Dimitrov ou Staline la politique liquidatrice propre au front populaire est un gigantesque mensonge. Ces appels et manifestes de Lénine et des Bolcheviks sont une incitation directe à la lutte nationaliste, soi-disant anti-impérialiste. Ce genre de proclamations, qui dès ce moment-là se succèdent sans relâche, contribuent directement à la liquidation de l’autonomie du prolé- tariat dans le monde. En effet, seule une conception nationale du développement du capital, très fréquente dans l’idéologie euro raciste de la social-démocratie, puis de l’IC, peut prétendre que ces appels au prolétariat à appuyer les bourgeoisies nationales dans leur supposée lutte contre les impérialistes, affectent uniquement le prolétariat de tel ou tel pays «colonial ou semi-colonial» et non le prolétariat mondial dans son ensemble. Premièrement, cette soi-disant tactique est un véritable abandon stratégique du prolétariat mondial auquel on demande explicitement de considérer la contradiction nationale comme supérieure à la contradiction de classe et comme menant au même objectif socialiste, ce qui est totalement faux. Jamais la libération nationale ne conduit au socialisme ni ne favorise les intérêts du prolétariat parce que, au lieu d’affirmer la lutte mondiale du prolétariat contre la bourgeoisie mondiale, ces opportunistes érigés en chefs d’Etat appellent, au nom du prolétariat, les prolétaires du monde entier à soutenir telle ou telle nation considérée comme opprimée, c’est-à-dire à liquider la véritable autonomie de classe, et placent le prolétariat à la traîne de n’importe quelle bourgeoisie du monde qui se dirait « contre l’impérialisme». Deuxièmement, parce que la question même des « pays opprimés » peut être appliquée à n’importe quel pays ou région au monde, c’est ce que feront par la suite les trotskystes et les staliniens partout. Même l’Allemagne le revendiquera, après le Traité de Versailles. Y compris dans les rares pays « oppresseurs » qui seraient exclus de cette qualification aussi intéressée qu’absurde 25, on a pu et pourra toujours trouver d’autres « peuples» ou « nations» opprimés et donc justifier ainsi l’alliance des prolétaires avec la bourgeoisie de ces « nations opprimées», ce qui fut et sera toujours une arme contre la constitution du prolétariat en classe et donc en parti. Dans les faits, on proclame de manière à peine voilée le vieux principe social-démocrate qui veut que la révolution socialiste pour laquelle on lutte ne soit pas en réalité une lutte contre le capital et encore moins contre le capital mondial, mais une large alliance, populaire et nationaliste contre tel ou tel impérialisme, contre tel ou tel pays. Dans la pratique, il s’agit d’un appel à renoncer à la lutte prolétarienne contre le capital et à s’allier avec les capitalistes qui se considèrent, dans chaque cas particulier, comme « antiimpérialistes», ou plus avancés ou plus démocrates que les autres. Comme on le sait, cette politique bourgeoise d’alliances et mésalliances inaugurée sous Lénine marquera les multiples virages de l’Etat russe et de la direction de l’IC dans les décennies suivantes. Citons seulement le pacte signé par Staline avec Hitler vingt plus tard, précédant de quelques années celui qu’il signera avec Roosevelt et Churchill. Il est donc parfaitement logique qu’avec cette conception nationale impérialiste, Lénine appelle de moins en moins à la révolution et de plus en plus à la paix entre nations. En décembre 1919, répétant son «immuable aspiration à la paix » (dixit), Lénine lance avec Radek le slogan du « socialisme en un seul pays», justifiant de fait la répression du mouvement ouvrier de chaque pays en fonction des intérêts et des accords de l’Etat russe. Lénine s’adresse à toutes les puissances de l’entente: Angleterre, France, États-Unis, Japon, Italie… Ce même mois, Radek affirme la nécessité de « la reconstruction nationale » et la « construction du socialisme », en « coexistence pacifique avec les États capitalistes ». Le « socialisme en un seul pays» sera officialisé au 6° Congrès en 1928 et théorisé par Boukharine. Staline ne fera qu’appliquer et me- 24- Voir à ce sujet notre Mémoire ouvrière intitulée «Manifeste du Parti Révolutionnaire de l’Inde » in Le Communiste n°10/11, août 1981, où il est question des polémiques. Nous en profitons pour clarifier que nous ne revendiquons plus, aujourd’hui, le contenu de l’introduction de ce texte. 25- La qualification est absurde parce qu’on applique à un rapport entre pays des termes qui ont une contenu de classe, comme exploitation ou oppression. Elle est fausse au sens où il est absurde de dire, par exemple, que toute une nation est exploitée et opprimée et de cacher qu’en son sein il y a des exploiteurs. Mais comme elle sert à diviser le prolétariat mondial pour le transformer en wagon de queue de telle ou telle fraction, elle est et sera souvent utilisée. Nous préférons ajouter que cette qualification est également intéressée, ce qui explique la persistance de l’absurdité. 13 Le léninisme, liquidateur de la rupture communiste ner à ses conséquences ultimes cette conception que les Bolcheviks ont bel et bien défendue dès les débuts de leur accession au pouvoir. Tout en faisant quelques déclarations ronflantes et quelques appels au prolétariat, les Bolcheviks s’affirment chaque fois plus comme les continuateurs du tsarisme. En 1920, ils protestent parce que certains traités (dont celui de Paris de février) ne tiennent pas compte de ceux conclus sous le régime du tsar. Ils réclament donc, sur le plan international et face aux autres gouvernements bourgeois d’être acceptés comme les héritiers des droits, privilèges et devoirs de l’Etat tsariste russe. Les dirigeants représentants l’Etat russe (Lénine, Trotsky, Yoffé, Litvinov, Tchitcherine, Radek…) multiplient les communiqués et les conférences de presse afin de montrer leur bonne volonté ainsi que la conformité du gouvernement russe avec les autres gouvernements bourgeois et n’hésitent pas à annoncer clairement leur renonciation à la lutte révolutionnaire en faveur du maintien de la paix. En février 1920, Radek déclare que « le gouvernement soviétique ne développera plus d’activités révolutionnaires dans les pays capitalistes » 26, en échange de contreparties. Cela signifie qu’en tant qu’administrateurs de l’Etat russe, les Bolcheviks refusent non seulement de mettre ce dernier au service de la lutte du prolétariat 27 mais aussi qu’ils liquident la lutte au profit des intérêts de l’Etat russe. Ils se situent donc du côté de l’Etat mondial du capital contre la lutte du prolétariat. Quelques mois plus tard, en mai 1920, la Russie déclare la guerre à la Pologne, ceci montre clairement qu’il ne subsiste plus rien des positions défaitistes révolutionnaires ou de la guerre prolétarienne contre la bourgeoisie partout dans le monde et qu’il s’agit d’une guerre entre Etats nationaux. Les Bolcheviks le reconnaissent eux-mêmes en proclamant qu’il s’agit non pas d’une guerre de classe mais d’une guerre nationale. L’armée rouge, dirigée par Trotsky, réintègre des officiers tsaristes (Kamenev, Vaisetts, Toukhachevski), y compris le dernier commandant en chef de l’armée du Tsar, le général Broussilov. La direction bolchevique dans son ensemble affirme son caractère national impérialiste en participant à la liquidation de l’autonomie de classe qu’impliquent pour le prolétariat cet encadrement militaire et ses appels à la guerre nationale. On oblige maintenant les prolétaires qui avaient triomphé contre les tsaristes à leur obéir et on applique la terreur d’Etat contre ceux qui se rebellent. On fusille, jette au cachot et torture sans répit. Voyons ce que déclare dans la Pravda du 18 mai 1920 le vieux bolchevique Zinoviev, fidèle à la position qu’il a toujours défendue selon laquelle la révolution en Russie est la seule à pouvoir réaliser les tâches démocratiques bourgeoises, au nom de l’absence des conditions requises ; voyons comment celui qui s’était opposé à l’insurrection dont il avait dénoncé les préparatifs en 1917 continue de plus belle à collaborer avec l’ennemi de classe : « La guerre devient nationale. Non seulement les secteurs avancés de la paysannerie mais même les riches paysans sont hostiles aux impositions des propriétaires polonais… Personnes ayant participé avec Lénine et Trotsky à la répression de Cronstadt 26- Cette collaboration de Radek et, par son intermédiaire, de l’Etat russe, avec les répresseurs directs du prolétariat en Allemagne avait été conclue par Radek lui-même quelques années auparavant lorsqu’il passa de l’état de prisonnier à celui d’homme d’Etat adulé. D’ennemi, Radek devint le fidèle collaborateur du chef de la Reichwehr, le général Von Seeckt et ils préparèrent ensemble les accords qui uniront les deux Etats et se concrétiseront quelques années plus tard (par le traité de Rapallo). Voir à ce sujet (par exemple) Sebastian Haffner, Le pacte avec le diable. 27- En réalité cette formulation est incorrecte. Elle appartient à nos ennemis et nous ne l’utilisons que pour mettre en évidence sa fausseté : jamais un Etat national ne peut être mis au service de la lutte du prolétariat, il faut au contraire le détruire et seul le prolétariat en arme peut développer cette action révolutionnaire. Le fait est que les marxistes-léninistes confondent et assimilent le pouvoir armé du prolétariat et l’Etat bourgeois russe qui n’a jamais été détruit. Comme nous l’avons expliqué, le développement du capital en Russie, tant défendu par Lénine, ne pouvait que consolider l’Etat bourgeois dans ce pays, quels que soient ses administrateurs. L’application du léninisme a donc consolidé l’Etat bourgeois en Russie et les Bolcheviks à sa tête. 14 Le léninisme contre la révolution Nous, communistes, devons être à la tête de ce mouvement national qui unira toute la population et gagnera le soutien de tout le peuple et croîtra sans cesse ». C’est dans ces circonstances d’unité nationale russe y compris avec les gé- néraux tsaristes, de terrorisme interne et de soumission des Bolcheviks à la politique capitaliste et impérialiste russe, que Lénine écrit son immonde pamphlet « Le gauchisme, maladie infantile du communisme » dans lequel il caricature la pratique des gauches communistes, se prononce en faveur de la participation aux syndicats et aux parlements, défend la politique des compromis et affirme la politique du front unique avec la social-démocratie et les « gouvernements ouvriers ». Les différentes délégations des gauches communistes qui arrivent à Moscou, et particulièrement celles du KAPD qui s’attendent à être soutenues par Lénine et ses camarades dans leur lutte contre le centrisme, encaissent une déception totale: les positions de Lénine ne sont pas les leurs, elles sont exactement identiques aux positions contre-révolutionnaires défendues en Allemagne par Lévi, Radek et Cie. Le mythe de Lénine est enraciné si profondément, y compris parmi les révolutionnaires, qu’il faut envoyer délégation après délégation pour parvenir à se convaincre que Lénine est objectivement de l’autre côté de la barricade. Ce petit bouquin de Lénine sur la «maladie infantile» est en fait un manuel de formation de base de tout cadre au service de la contre-révolution. Il deviendra la bible que réciteront les services de choc staliniens dans le monde entier. C’est dans ce contexte de prises de positions en faveur des opportunistes et des centristes, avec tous les social-dé- mocrates maintenant déguisés en Parti « communistes » et partisans de l’IC, avec l’assurance d’une armée dirigée par les officiers tsaristes pour encadrer et discipliner les prolétaires, avec les appels au capital étranger, les accords commerciaux et militaires avec diffé- rents Etats bourgeois, que les Bolcheviks préparent le Deuxième Congrès de l’IC. Entre mars et juillet 1920, alors que les relations commerciales et militaires avec les gouvernements de la région (Iran, Afghanistan…) s’améliorent, ils signent des accords commerciaux avec plusieurs gouvernements (par exemple, avec l’Etat suédois), renouent des relations commerciales avec les Etats-Unis (suppression des restrictions nord-amé- ricaines au commerce avec la Russie) et parviennent à un « plein accord » avec le gouvernement britannique. Les Bolcheviks publient une série de documents dans lesquels ils adoptent clairement, et sur toutes les questions en cours, la position du centrisme international contre la rupture affirmée depuis toujours par les gauches communistes, y compris en Russie. C’est ainsi que le Comité Exé- cutif de l’IC adresse une « lettre ouverte au KAPD » dont le contenu sera connu au Deuxième Congrès, dans laquelle il prend ouvertement parti contre lui et en faveur du parti contre-révolutionnaire de Lévi et Cie. Cette lettre demande aux membres du KAPD de renoncer à la rupture qu’ils étaient en train d’opérer vis-à-vis du PC officiel en taisant leurs critiques et les appelle à intégrer les syndicats social-démocrates, à participer aux élections nationales et au parlement… Faisant appel à l’autorité posthume de Liebknecht et Luxembourg, la lettre invite ou plutôt exige que les militants du KAPD renoncent à tout ce qui leur a permis de se constituer en force autonome, en-dehors et contre les partis et les syndicats du capital. Parallèlement, ils sont calomniés et discrédités, on les accuse d’aider « la bourgeoisie à prolonger sa domination de classe », on affirme que leur conception du parti est « propagandiste », « anarchiste »… et on use de méthodes qui seront par la suite monnaie courante, on leur pose un véritable ultimatum pour qu’ils se soumettent à la discipline. En vue du deuxième Congrès, on rédige les 19 conditions d’adhésion à l’IC (auxquelles deux autres seront ajoutées par la suite) qui, bien qu’elles soient présentées comme un obstacle au réformisme, excluent les groupes et les organisations qui avaient affirmé une rupture fondamentale avec la socialdémocratie. Ces conditions circulent avant le Congrès sous le label de «conditions d’exclusion du Parti Communiste Ouvrier d’Allemagne». Cela est bien clair lors de la discussion de juin entre d’un côté Lénine/Radek au nom de ces conditions et, de l’autre Merges/Rühle au nom du KAPD. D’autres articles, rédigés par Zinoviev, circulent également. Zinoviev, considéré jusque-là par Lénine et Trotsky comme le pire des traîtres à cause de son attitude policière durant l’insurrection est maintenant le président adulé de l’IC. Parmi ses articles, retenons : « Les questions brûlantes de l’actualité pour le mouvement international, le deuxième Congrès de l’IC et ses tâches » et « Ce qu’a été l’IC jusqu’ici et ce qu’elle devra être à l’avenir ». Le premier article de Zinoviev défend la vieille conception du parti de masse et tente (comme l’a toujours fait la social-démocratie) de prouver la force de ces partis par le nombre d’adhérents et les succès parlementaires, position se situant aux antipodes de celle du KAPD. Au parti de masse social-démocrate léniniste, les ré- volutionnaires en Allemagne opposent le parti « noyau » et spécifient qu’ils utilisent le mot « parti» dans le sens «traditionnel du terme », c’est-à-dire comme Marx. Dans le second article, Zinoviev affirme que dorénavant, le plus important est de se soumettre à la discipline du parti. Toutes ces péroraisons contre le réformisme cachent mal qu’on cherche à liquider la rupture communiste, comme le prouvent les appels à l’unité avec le centrisme, avec les Levi, Gramsci et même avec le parti travailliste britannique. Dans le même ordre d’idée, avant le deuxième Congrès de l’IC, Lénine annonce la couleur en prônant ouvertement Alors que le prolétariat allemand endure défaite sur défaite pendant toute l’année 1921, les dirigeants Bolcheviks obtiennent que les grandes industries militaires allemandes (Albertossewerke, Krupp, Bonn et Vose) construisent en Russie des canons, des avions, des sous-marins… 15 Le léninisme, liquidateur de la rupture communiste Dès le départ, la contre-révolution a dissimulé le fait que la terreur “ rouge ” appliquée sous Lénine n’était pas principalement dirigée contre la bourgeoisie mais contre le prolétariat. Ceci est la conséquence logique du programme de développement du capitalisme appliqué dès le début par Lénine et les siens : la défense des intérêts élémentaires du prolétariat s’oppose toujours à la politique capitaliste. C’est pourquoi, bien qu’on réprime également certains secteurs de la bourgeoisie et autres partis capitalistes, de plus en plus de forces bourgeoises seront cooptées ou neutralisées et le terrorisme d’Etat s’appliquera massivement contre le prolétariat rural et urbain. Dès la création de la Tcheka en décembre 1917, l’ennemi est désigné : “ le sabotage et la contre-révolution ” ; visant au premier chef tous ceux qui s’opposent à la politique nationaliste des Bolcheviks et sabotent le développement de l’organisation capitaliste et taylorienne de la production. La traduction exacte du terme Tcheka est : “ commission extraordinaire panrusse pour lutter contre la contre-révolution, le sabotage et la spéculation ”. Plus la politique nationaliste et impérialiste se réaffirme, et plus s’élargit la cooptation au sein de l’appareil d’Etat d’anciens fonctionnaires et militaires tsaristes et d’anciens bourgeois pour gérer le capital, plus la répression contre le prolétariat s’accroît. Si les premières victimes du terrorisme d’Etat, particulièrement parmi le prolétariat agricole, se produisent en pleine guerre civile (entre la terreur blanche et la terreur rouge) et si l’on peut prétexter ou alléguer une grande confusion dans le conflit entre deux projets capitalistes, c’est ensuite dans le secteur économique que se concentre le terrorisme d’Etat, dans la répression contre toute tentative prolétarienne de vivre moins mal. Sont accusés de spéculation, de sabotage et de contre-révolution tous ceux qui échangent de la nourriture, qui résistent aux réquisitions, qui obtiennent un morceau de viande, tous ceux qui font grève à l’usine, qui résistent au recrutement forcé dans l’armée et, de manière générale, tous ceux qui prônent la lutte contre les mesures d’intensification de l’exploitation que le léninisme imposent contre les intérêts prolétariens. Mais ce sont ceux qui appellent ouvertement à la résistance contre la politique clairement bourgeoise des Bolcheviks, et particulièrement ceux qui, comme ils l’ont toujours fait, continuent d’agir de manière organisée contre l’Etat, qui sont réprimés de la façon la plus sélective et la plus violente. Les partis et groupes les plus réprimés par le tsarisme sont les premiers à être réprimés par les Bolcheviks qui, il ne faut pas l’oublier, peuvent compter sur la collaboration de nombreux anciens officiers tsaristes, sur des militaires expérimentés. Dans de nombreux cas, les militants révolutionnaires sont enfermés dans les mêmes prisons et les mêmes cachots que ceux où ils étaient jetés à l’époque du Tsar. Dès la création de la Tcheka en décembre 1917, sous la direction de Dzerjinski (ex-S.R. de gauche), la répression devient terrible, tant qualitativement que quantitativement: la torture se généralise dès le départ ainsi que la politique de disparitions et de liquidation physique des personnes. Contrairement au mythe, c’est sous Lénine que l’Union Soviétique a connu la période de répression ouverte la plus massive de son histoire, par le nombre de morts directs. Différentes sources coïncident pour affirmer que, durant ce qu’on considère officiellement comme l’époque de la Terreur, c’est-à-dire une période de 18 mois s’étendant de septembre 1918 à janvier 1920, il y eut un million et demi de morts. La déclaration du Comité Central de l’Exécutif des Soviets du 2 septembre 1918 légitimant ce qu’il nommait la “ terreur de masse ” et qui dans la pratique fut la terreur contre les masses, avait été approuvée au départ pour lutter contre les opposants à la paix de Brest-Litovsk, particulièrement contre la rébellion ouverte des Socialistesrévolutionnaires de gauche. Elle se poursuivait contre tous ceux -taxés d’“ agent de la bourgeoisie ”- qui appelaient à continuer la révolution (en prônant la “ révolution permanente ” ou la “ troisième révolution ”), comme les Bolcheviks insurrectionnalistes l’avaient fait jusqu’en octobre 1917, en opposition à la majorité des Bolcheviks (opposée à l’insurrection, à la révolution socialiste et soutenant le gouvernement provisoire). Les Bolcheviks déclaraient que la révolution était terminée, qu’il fallait maintenant travailler et collaborer à la reconstruction avec les différentes forces du capital et de l’Etat mondial. Un peu plus d’un mois plus tard, Lénine s’en justifiait dans la Pravda : “ Lorsque les gens nous reprochent notre cruauté, nous nous demandons comment ils peuvent oublier les principes les plus élémentaires du marxisme ” (publié le 26 octobre 1918). Si pour justifier l’injustifiable, Lénine se prend pour le plus grand interprète de Marx sur terre, il est logique que Djerzinsky, le premier chef de la Tcheka, déclare que “ la contrainte prolétarienne sous n’importe quelle forme, en commençant par la peine capitale, constitue une méthode pour créer l’homme communiste ”. Un an et demi plus tard, lorsque l’Etat décide de supprimer la peine de mort (interdiction officielle, surtout de façade et de toute façon maintenue pour les cours martiales : on a ainsi déporté vers les zones de front les condamnés à exécuter), il le fait afin de pouvoir utiliser toute la force de travail disponible et la mettre au service du développement économique. On consolide ainsi l’idéologie léniniste de l’indispensable développement du capitalisme comme étape vers le socialisme, on applique le “ génial ” slogan de Lénine qui dit que le socialisme c’est “ le pouvoir des soviets et l’électrification de la campagne ”. L’application stricte du travail forcé est nécessaire à la réalisation des tâches démocratiques bourgeoises dans un pays en ruines. Par l’idéologie et la terreur d’Etat, on imposera au prolétariat l’effort productif maximum. Les camps de travail forcés commenceront à fonctionner dès 1918, année où plusieurs camps sont créés. Le 8 août 1918, Trotsky rédige et signe, en tant que commissaire du peuple à l’armée et à la marine, un ordre du tribunal révolutionnaire de guerre dont voici un extrait : “ Le camarde Kamenchikov, que j’ai nommé commandant de la garde chargé de protéger la ligne de chemin de fer Moscou-Kasan, a donné l’ordre de créer des camps de concentration à Murom, Arsamas et Swiachsk. Dans ces camps ont été internés tous les agitateurs troubles, les officiers contre-révolutionnaires, les saboteurs, les spéculateurs, les parasites, à l’exception de ceux qui ont été fusillés séance tenante sur les lieux de leur crime, ou qui ont été condamnés à d’autres peines par le tribunal révolutionnaire. ”. En 1920, huit camps de concentration supplémentaires seront ouverts. En 1922, la direction de la police politique en contrôlera cinquante-six. Au même moment, la condamnation aux “ travaux forcés ”, défendue par Lénine et Trotsky, continuera à se généraliser jusqu’à se transformer en condamnation spécifiquement destinée à “ ceux qui ne veulent pas travailler et [aux] saboteurs ”, c’est-à-dire la résistance prolétarienne. Avec ou sans peine de mort officielle, et en plus des exécutions officieuses ou relevant de la loi martiale, les condamnés crèvent du régime d’incarcération dans les camps, du climat extrême des régions délibérément choisies à cet effet, de la privation de nourriture, des tortures contre la moindre désobéissance et évidemment du travail forcé… “ L’obligation, et par conséquent la coercition, est la condition indispensable du réfrènement de l’anarchie bourgeoise… Sans les formes de coercition gouvernementale qui constituent le fondement de la militarisation du travail, le remplacement de l’économie capitaliste par l’économie socialiste ne serait qu’un mot creux… Sans obligation du travail, sans droit de donner des ordres et d’exiger leur exécution, les syndicats perdent leur substance, car ils sont nécessaires à l’Etat socialiste en édification, non afin de lutter pour de meilleures conditions de travail… mais afin d’ordonner la classe ouvrière pour la production, afin de la discipliner, de la répartir, de l’éduquer… en un mot, d’incorporer autoritairement, en plein accord avec le pouvoir, les travailleurs dans les cadres du plan unique. ” (Trotsky - Terrorisme et communisme, 1920) A la mort de Lénine, les prisons que les prolétaires avaient vidées en 1917 renferment dans leurs immondes entrailles 87.800 prisonniers politiques, dont déjà un grand nombre de militants ayant participé à l’insurrection d’octobre, y compris des militants de la gauche communiste du parti bolchevique lui-même. L’appareil politique, la terreur de l’Etat et les camps de travail deviennent ainsi la clé de la contre “ révolution russe ” et du développement du capitalisme (que Lénine et Radek appelleront “ socialisme en un seul pays ”, expression officialisée au 6° Congrès en 1928, théorisée par Boukharine et perpétuée par Staline). Lors du second anniversaire de 1917, la Pravda écrit fièrement : “ ‘tout le pouvoir aux soviets’ s’est transformé en ‘tout le pouvoir aux Tchekas’ ”. Le terrorisme d’Etat contre le prolétariat 16 Le léninisme contre la révolution non seulement le parlementarisme mais aussi l’affiliation des communistes au parti travailliste britannique, parti que la gauche communiste de ce pays et du reste du globe considérait, avec raison, comme le « dernier bastion de la défense du capitalisme contre la révolution montante» selon les termes de Fraina 28. Pendant ce congrès, qui se déroule à Moscou en juillet-août 1920, l’ensemble de la ligne bolchevique ainsi que la domination totale de ces derniers sur l’Internationale et sur chaque parti adhérent s’imposent: parlementarisme, syndicalisme, «émancipation nationale». Sur ce dernier point, les thèses opportunistes de Lénine l’emportent même si elles sont édulcorées afin d’éviter que certaines organisations de la gauche communiste, particulièrement celles de Perse, de Corée ou d’Inde ne se crispent et se regroupent. Ainsi, au lieu de la formule ouvertement front-populiste élaborée par Lénine qui invoque « la nécessité pour tous les partis communistes d’aider le mouvement démocratique bourgeois de libération » et met le communisme au service de la bourgeoisie, on en approuve une autre, beaucoup plus vague. Ne prenant en compte que les intérêts de l’Etat russe et manœuvrant dans les couloirs, les léninistes vont adoucir les formulations de droite pour éviter que les minorités révolutionnaires ne se rassemblent. Cependant, l’alignement des Bolcheviks et de l’Exécutif de l’I8 « sans réserve avec l’opportunisme » 29 est clairement dénoncé par les vrais communistes qui ont effectivement rompu avec la social-démocratie. Comme nous le disions dans notre revue centrale en espagnol Comunismo n°18 (février 1985), la période qui suit le deuxième Congrès et va jusqu’en 1921 « se caractérise par la vague de défaites et de repli désordonné du mouvement révolutionnaire qui d’une part constitue la vérification pratique du fait que la ré- volution ne pouvait avancer sans rompre programmatiquement de manière radicale avec le programme de la social-démocratie (parlement, syndicats, soutien au développement du capital en Russie, « droit des peuples à l’autodétermination », réformisme à tous les niveaux…) et, d’autre part sera scellée par une « nouvelle politique» qui ira encore plus loin dans l’affirmation de la contre-révolution (participation à la lutte inter capitaliste internationale, front unique -« ouvrier» et « anti-impérialiste »-, gouvernements ouvriers…) et sera officialisée par le Troisième et le Quatrième Congrès de l’I9. Sur le plan international, cette NEP 30 sera accompagnée de la liquidation réelle de toute l’avantgarde communiste, désarticulée, vaincue, désorganisée, désarmée, séparée des ouvriers qui étaient déjà en train de s’allier avec leur capital national pour produire les monstrueux phénomènes que nous verrons quelques années plus tard : stalinisme, fascisme, fronts nationaux anti-impérialistes, nazisme, front populaire. » L’application des directives du deuxième Congrès conduit à l’adhésion massive de social-démocrates aux partis communistes ou à la dissolution de ceux-ci dans un parti social-démocrate ainsi qu’à l’isolement et au désaveu des révolutionnaires qui s’opposent au nationalisme, au parlementarisme, au syndicalisme. Dans notre chronologie, nous donnons de nombreux exemples de la façon dont cette politique de l’IC a conduit à ce résultat en Allemagne, Autriche, France, Argentine, Mexique. En Allemagne, la politique du parti de Levi, qui soutient l’IC, ne cesse de se rapprocher de celle de cette pourriture d’USPD (l’unification ordonnée par Moscou aura lieu quelques mois plus tard), ces deux partis allant jusqu’à publier des communiqués communs qui appellent les prolétaires à s’opposer au mouvement insurrectionnel du prolétariat défini comme une provocation. Le léninisme agit comme l’avaient fait les vieux Bolcheviks qui s’opposaient à l’insurrection. Le zinovievisme et le kamenevisme des vieux Bolcheviks contrerévolutionnaires se sont internationalisés, avalisés maintenant par Lénine et Trotsky : l’insurrection prolétarienne est dorénavant considérée comme de l’aventurisme petit-bourgeois, caracté- risation qu’utilisent encore aujourd’hui les social-démocrates et les staliniens ! Dans les pays où la révolution pourrait encore triompher, l’IC applique donc sa ligne opportuniste, se situant systématiquement du côté des contre-révolutionnaires. Si l’on tient compte du fait que pendant que le prolétariat en Allemagne luttait contre ses exploiteurs et ses bourreaux, les dirigeants russes négociaient secrètement avec les autorités militaires d’Allemagne la possibilité de reconstruire l’industrie russe d’armement, on comprend parfaitement pourquoi la ligne de Zinoviev, Lénine, Trotsky est si ouvertement contraire à la 28- Ajoutant que « il faut développer une lutte sans pitié contre le travaillisme ». Ces deux citations sont tirées des thèses de Fraina approuvées par la Conférence d’Amsterdam. 29- Extrait du « Post-scriptum » ajouté par Pannekoek, après le Premier Congrès de l’IC, à son texte « La révolution mondiale et la tactique du communisme » (texte paru alors sous le pseudonyme de Horner). 30- Il s’agit de la Nouvelle Politique Economique de Lénine, favorable au capitalisme et au commerce privé en Russie, qui sera appliquée avec succès pour le développement capitaliste dans ce pays, et signifiera, bien entendu, un coup brutal à la lutte du prolétariat. Les premiers pas du terrorisme d’Etat La première action de la Tcheka sera d’écraser une grève d’employés et de fonctionnaires à Petrograd. La première grande rafle aura lieu dans la nuit du 11 au 12 avril 1918 contre des organisations qui se définissent anarchistes, et surprendra par une dureté inusitée. Lors de cette rafle, plus de 1.000 flics de la Tcheka prendront d’assaut 20 maisons d’anarchistes de Moscou, emprisonneront 520 personnes, dont 25, accusées d’être des “ bandits ”, seront assassinées. Cette appellation sera par la suite couramment utilisée contre les militants qui continuent à lutter contre le capitalisme et l’Etat. Le nombre de tchékistes passera de 120 en décembre 191

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