La route, il la connaît par cœur. Ce ruban de macadam tout neuf qui traverse l’ouest de l’Ouganda depuis la frontière avec la République démocratique du Congo (RDC), il l’emprunte chaque matin, en direction de Bundibugyo. En regardant défiler les plantations de cacao et la chaîne de montagnes Rwenzori, Zacharias, l’agent communautaire de santé, anticipe aussi les visages des jeunes filles qu’il va rencontrer, espérant que leur grossesse se déroule bien depuis son dernier passage.
Depuis quelques mois, qu’il est arrivé dans la région, il a déjà offert un suivi de grossesse à près de 800 jeunes filles du canton en leur proposant de s’inscrire sur GetIN, une application mobile qui planifie un suivi régulier dans les centres de santé de leur région et alerte les agents communautaires si elles ne se présentent pas à un rendez-vous.
Crainte des regards
Au Busaru Healthcare Center ce lundi matin, le jeune homme oriente les adolescentes qui arrivent un brin méfiantes. Joyce, 17 ans et le ventre déjà bien rond, attend son tour. « Dans la plupart des cas, ces filles vont jusqu’au terme de leur grossesse sans avoir jamais vu un médecin par crainte des regards, du qu’en-dira-t-on, ou simplement parce que les centres de santé leur refusent l’accès en l’absence du père du futur bébé », explique l’agent. Son travail de sensibilisation consiste à inciter les futures mamans à s’enregistrer sur l’application pour pouvoir être suivies.
A Bundibugyo, 60 % de la population a moins de 20 ans et le taux de grossesses précoces est de 50 %, soit le double de la moyenne nationale, elle-même la plus élevée en Afrique subsaharienne. « Ici grâce à l’appli, les infirmières et les sages-femmes ont accès aux informations déjà enregistrées. Elles disposent des éléments des consultations antérieures, connaissent le terme de la grossesse, l’adresse de ces adolescentes, et disposent d’autres informations nécessaires à leur suivi », ajoute Zacharia.
Montée par deux jeunes Ougandais, Hope Kirabo, 23 ans, et Donald Waruhanga, 25 ans, sous la supervision de l’Institut technologique de Massachusetts aux Etats-Unis, avec l’appui du Fonds des Nations unies pour la population (FNUAP), GetIN est aujourd’hui opérationnelle dans deux districts ougandais : Bundibugyo et Kanungu.
« Le rêve est de couvrir tout le pays, spécialement les milieux ruraux, où le taux de mortalité des très jeunes mères reste encore élevé », expose Donald Waruhanga, qui a développé sa passion pour la technologie lors de son parcours universitaire. Le scientifique a été lauréat de la faculté d’informatique de l’Université de Makerere, à Kamapala. Intéressé par la maternité, on lui doit aussi une autre application, MamanBaby, qu’il a développée pour suivre l’évolution des contractions pendant un accouchement et alerter les sages-femmes en cas d’anomalie. Un joyau là encore récompensé en 2015 par le ministère ougandais du genre et du développement social.
Frein au développement
Dans le pays, 33 % des jeunes femmes accouchent avant leurs 18 ans, d’après les données de 2015 fournies par l’Unicef. Le suivi médical est d’autant plus nécessaire pour cette population que « les filles les plus jeunes sont plus susceptibles de souffrir de complications à l’accouchement, car leur corps n’est pas physiologiquement mature et prêt à supporter cette épreuve », observe Alain Sibenaler, représentant du Fonds des Nations unies pour la population en Ouganda. « Des études montrent qu’entre 15 à 19 ans elles sont deux fois plus susceptibles de mourir pendant la grossesse ou l’accouchement qu’une femme qui a plus de 20 ans. Avant 15 ans, ce risque est cinq fois plus élevé », alerte-t-il.
Muhumuza Siliwano, du département planification à Bundibugyo, regrette pour sa part que « ces grossesses prématurées sont aussi un frein au développement ». L’administratif épingle « la pauvreté et le manque d’éducation sexuelle dans les écoles » et mise beaucoup sur l’appli. « Quand GetIN couvrira toute la région, il sera plus facile d’élaborer une politique globale pour aider ces jeunes filles, les suivre de près, et à long terme nous pourrons réussir ce qui paraissait impossible au départ : réduire sensiblement le taux de ces grossesses précoces. »
Un espoir qui se lit aussi sur les visages du petit centre de santé de Busaru. « Il y a actuellement 50 jeunes filles suivies par notre établissement. Il n’y a pas longtemps, on n’en parlait même pas ici, parce qu’il n’y avait aucun suivi », témoigne une des sages-femmes du coin, soulagée de cette avancée et qui en attend d’autres.
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