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SERPENT -  LIBERTAIRE

anarchiste individualiste

Hétéronomie et autonomie des sociétés 2

Hétéronomie et autonomie des sociétés 2

« Nous avons à créer notre propre pensée au fur et à mesure que nous avançons…et cesser de croire que la vérité a été révélée une fois pour toutes dans une œuvre écrite… »[1]

Cette citation de Cornélius Castoriadis indique à mon avis un des changements fondamentaux que les hommes doivent cultiver pour que le politique se régénère dans le sens réel de la démocratie directe.

La situation sociale historique est favorable à poser les prémisses de cette révolution idéelle.

« Il ne s’agit pas de faire des prophéties. Mais je ne pense absolument pas que nous vivons dans une société où il ne passe plus rien. »[2]

Les interrogations majeures d’une partie des jeunes générations sur l’avenir planétaire, sur la finitude des ressources, sur leurs modes de vies …posent les germes de rapports sociaux différents. Nous ne sommes certes pas parvenus à maturations de ces idées et à leur diffusion massive mais elles se propagent et constituent autant de paris futurs semés dans les anfractuosités de l’entendu général.

La faiblesse des structures politiques aptes à porter ce type de projets n’est pas forcément significative de la non pénétration idéelle et n’oublions qu’elle est contemporaine du fait « Que les citoyens soient sans boussole … mais cela tient précisément à ce délabrement, à cette décomposition, à cette usure sans précédent des significations imaginaires sociales. »[3]

Notre société est orpheline de pensée d’elle-même. Les individus ne peuvent s’appuyer sur rien. L’entendu général est de l’ordre de l’éphémère et de l’inconsistant. La société semble s’auto déployer indépendamment des humains qui y vivent, à travers une accumulation et une prolifération d’objets gadgets qui sont censés occuper tous les interstices de nos vies vides de sens.

Ce désenchantement du monde s’accompagne de mouvements apparemment contradictoires de recrudescence religieuse qui, en fait, ne servent qu’à essayer illusoirement de ré-enchanter le monde.

Mais ce monde ne fait plus sens. La désaffection généralisée pour la chose publique que ce soit dans les élections, dans l’adhésion associative, syndicale ou politique est patente et permanente.

Nous vivons une société schizophrénique, tiraillée entre son inconsistance quotidienne entretenue et les problématiques essentielles qui s’imposent à elle dans un temps relativement proche. Cette société semble ballotée au gré des courants qui l’animent. Les humains errent à la surface de l’onde désorientés et déstabilisés.

L’ambivalence de la société entretient les positionnements équivoques des humains entre une apparente désinvolture du advienne ce qui arrivera et une angoisse existentielle pathogène. Les individus alternent ces périodes en une survie sociale où ils ne pèsent pas sur les choix essentiels.

Cornélius Castoriadis avait raison de souligner que « l’important dans la Grèce ancienne est le mouvement effectif d’instauration de la démocratie, qui est en même temps une philosophie en acte…Lorsque le démos instaure la démocratie, il fait de la philosophie : il ouvre la question de l’origine et du fondement de la loi. Et il ouvre un espace public, social et historique, de pensée. »

Et c’est à partir de l’échec de la démocratie, de la démocratie athénienne, que Platon élabore le premier une « philosophie politique » qui est toute entière fondée sur la méconnaissance et l’occultation de la créativité historique de la collectivité…comme toutes les « philosophies politiques » qui la suivront…une philosophie sur la politique, extérieure à la politique, à l’activité instituante de la collectivité. »[4]

En ce sens, la philosophie libertaire a pour l’essentiel échappé à la dénaturation du concept central de la démocratie et elle se situe dans la filiation grecque antérieure à Platon ce que j’ai par ailleurs déjà souligné dans de précédents articles.

Quels enseignements en extraire ?

Le premier axe de réflexion est que la philosophie politique avant d’être de l’effectuation politique. Il faut poser cette interrogation radicale de l’ « espace public, social et historique, de pensée. ».

A tort et à raison, les anarchistes ont cherché les meilleures formes organisationnelles en détachant la question des fondamentaux et en s’attardant trop sur les réponses structurelles à apporter dans le cadre d’une démocratie directe. Ils se sont ingéniés à s’opposer stérilement sur des procédures décisionnelles alors que fondamentalement ils pouvaient trouver des réponses communes qui auraient permis un plus grand impact à leurs idées.

La question de l’individu a été traitée superficiellement en atomisant l’individu.

« L'anarchiste-individualiste n'est jamais l'esclave d'une formule-type ou d'un texte reçu. Il n'admet que des opinions. Il ne propose que des thèses. Il ne s'impose pas de point d'arrivée. S'il adopte une méthode de vie sur un point de détail, c'est afin qu'elle lui assure plus de liberté, plus de bonheur, plus de bien-être, mais non point pour s'y sacrifier. Et il la modifie, et il la transforme quand il s'aperçoit que continuer à y demeurer fidèle diminuerait son autonomie. Il ne veut point se laisser dominer par des principes établis à priori; c'est à posteriori, sur ses expériences, qu'il fonde sa règle de conduite, jamais définitive, toujours sujette aux modifications et aux transformations que peuvent suggérer l'enregistrement de nouvelles expériences, et la nécessité d'acquisition d'armes nouvelles dans sa lutte contre le milieu. Sans faire non plus de l'a priori un absolu. »[5]

Que disent les anarchistes si ce n’est la même chose mais en prenant en compte que l’individu n’est pas que le fruit de lui- même mais d’une interaction incessante entre les humains.

« Il n’y a pas d’être humain extra-social ; il n’y a ni comme réalité, ni comme fiction cohérente d’ « individu » humain comme « substance » a- extra- ou pré-sociale. »[6]

Où est le péril pour l’anarchiste individualiste de reconnaître que l’individu est et est fait des interactions avec les autres et le domaine social historique dans lequel il évolue. Cela lui ôte – t –il son libre arbitre ? Son indépendance de pensée ?

Dès sa naissance, le sujet humain est pris dans un champ social historique, est placé sous l’emprise à la fois de l’imaginaire collectif instituant, de la société instituée et de l’histoire dont cette institution est l’aboutissement provisoire…On est ici très au-delà, ou en deçà, de toute intention, volonté, manœuvre, conspiration … »[7]

Mais pour autant, l’activité incessante d’interrogation sur le sens de la société et sa participation à celle - ci n’est nullement exclue, bien au contraire, elle constitue « le refus d’une source de sens autre que l’activité vivante des humains. »[8]

« L'anarchiste-individualiste n'est jamais comptable qu'à lui-même de ses faits et gestes. »[9]

Pour les anarchistes, l’obligation de rendre compte et raison de ses actes et de ses dires est un fondement de la démocratie directe et il est plus difficile de le faire en se confrontant aux dires et aux actes de ses pairs qu’en s’enfermant dans un absolu être atomistique. En rien les anarchistes individualistes ne s’opposent fondamentalement à cette exigence qui dépasse l’anarchisme pour définir l’expression vivante d’une démocratie directe.

« Être anarchiste c'est nier l'autorité et rejeter son corollaire économique: l'exploitation. Et cela dans tous les domaines où s'exerce l'activité humaine. L'anarchiste veut vivre sans dieux ni maîtres; sans patrons ni directeurs; alégal, sans lois comme sans préjugés; amoral, sans obligations comme sans morale collective. Il veut vivre librement, vivre sa conception personnelle de la vie. En son for intérieur, il est toujours un asocial, un réfractaire, un en-dehors, un en-marge, un à-côté, un inadapté. Et pour obligé qu'il soit de vivre dans une société dont la constitution répugne à son tempérament, c'est en étranger qu'il y campe. S'il consent au milieu les concessions indispensables - toujours avec l'arrière - pensée de les reprendre - pour ne pas risquer ou sacrifier sottement ou inutilement sa vie, c'est qu'il les considère comme des armes de défense personnelle dans la lutte pour l'existence. L'anarchiste souhaite vivre sa vie, le plus possible, moralement, intellectuellement, économiquement, sans se préoccuper du reste du monde, exploitants comme exploités; sans vouloir dominer ni exploiter autrui, mais prêt à réagir par tous les moyens contre quiconque interviendrait dans sa vie ou lui interdirait d'exprimer sa pensée par la plume ou la parole. »[10]

Voilà bien la pierre d’achoppement entre l’anarchiste et sa composante l’anarchiste individualiste.

L‘implicite est ici explicité. Il est asocial, réfractaire. La confusion des registres est patente. Ne peut-on pas être réfractaire à une société donnée et pour autant social. Vivre en- dehors, à - côté, en-marge n’est- il pas la reconnaissance de l’impuissance que celle de puissance de l’individu. Faute de peser sur le pouvoir, je bannis le pouvoir, je l’ostracise de ma sphère même si celui-ci continue de sévir à la frontière de mon monde.

Pensée aisée de non confrontation avec la réalité sordide de nos sociétés. Le combat contre les différences et les hiérarchies ne fait sens que dans le domaine social historique. Tout le reste n’est que pure fiction confortable. Point il ne faut y voir de pensée lucide ou indépendance d’esprit.

« Ma propre liberté, dans sa réalisation effective, est fonction de la liberté effective des autres. »[11]

Ceci n’est pas s’en rappeler la phrase de Bakounine sur la liberté.

« L'anarchiste a pour ennemi l'État et toutes ses institutions qui tendent à maintenir ou à perpétuer sa mainmise sur l'être individuel. Point de possibilité de conciliation entre l'anarchiste et une forme quelconque de société reposant sur l'autorité, qu'elle émane d'un autocrate, d'une aristocratie ou d'une démocratie. Point de terrain d'entente entre l'anarchiste et tout milieu réglementé par les décisions d'une majorité ou les vœux d'une élite. L'anarchiste combat au même titre et l'enseignement fourni par l'État et celui dispensé par l'Église. Il est l'adversaire des Monopoles et des Privilèges, qu'ils soient d'ordre intellectuel, moral ou économique. En un mot, il est l'antagoniste irréconciliable de tout régime, de tout système de vie sociale, de tout état de choses impliquant domination de l'homme ou du milieu sur l'individu, et exploitation de l'individu par l'homme ou le milieu. »

Pour ce faire, l’anarchiste se doit une implication lucide dans le social et l’individu n’y peut y parvenir isolément.

« La construction de l’autonomie, « l’auto-institution et l’autogouvernement explicites, est inconcevable sans l’autonomie effective des individus qui la composent. »…il en résulte que l’autonomie (la liberté effective) de tous, dans une démocratie, est ce qui doit être une préoccupation fondamentale de chacun » [12]

« Un abîme sépare l'anarchisme du socialisme sous ses différents aspects, y compris le syndicalisme. L'anarchiste place à la base de toutes ses conceptions de vie: le fait individuel. Et c'est pour cela qu'il se dénomme volontiers anarchiste-individualiste. »[13]

Par cela l’anarchiste individualiste montre son incapacité à penser l’anarchisme hors de son propre champ réductionniste. L’anarchisme a un champ plus vaste que le seul fait individuel. Il articule le social et l’individuel ce qui n’exclut pas le respect des droits et devoirs individuels mais les prolongent et les dynamisent.

La participation de tous à la loi, à son élaboration critique ne signifie pas obligatoirement un renoncement à l’esprit critique individuel bien au contraire cela lui offre un réel champ d’effectuation.

« L'anarchiste souhaite vivre sa vie, le plus possible, moralement, intellectuellement, économiquement, sans se préoccuper du reste du monde, exploitants comme exploités; sans vouloir dominer ni exploiter autrui, mais prêt à réagir par tous les moyens contre quiconque interviendrait dans sa vie ou lui interdirait d'exprimer sa pensée par la plume ou la parole. »[14]

Cette définition de l’anarchiste est inacceptable pour tout anarchiste qui se respecte. Comment peut- on admettre ne pas se préoccuper du reste du monde, ignorer la misère des exploités ?

[1] Cornélius Castoriadis, Marx aujourd’hui, paru dans la revue Lutter n° 5 mai août 1983, cité dans domaines de l’homme 2 p 101

[2] Cornélius Castoriadis, une interrogation sans fin, paru dans la revue esprit septembre-octobre 1979, cité dans domaines de l’homme 2 p 311

[3] Cornélius Castoriadis, la montée de l’insignifiance, entretien avec Oliver Morel juin 1993, cité dans les carrefours du labyrinthe, t 4, p.108

[4] Cornélius Castoriadis, une interrogation sans fin, paru dans la revue esprit septembre-octobre 1979, cité dans les domaines de l’homme 2 p 314.315

[5] E. Armand, Petit Manuel Anarchiste Individualiste, (1911)

[6] Cornélius Castoriadis, la démocratie comme procédure et comme régime, les domaines de l’homme t 4,p 268

[7] Cornélius Castoriadis, la démocratie comme procédure et comme régime, les domaines de l’homme t 4, p 270

[8] Cornélius Castoriadis, la démocratie comme procédure et comme régime, les domaines de l’homme t 4, p 272

[9] E. Armand, Petit Manuel Anarchiste Individualiste, (1911)

[10] E. Armand, Petit Manuel Anarchiste Individualiste, (1911)

[11] Cornélius Castoriadis, la démocratie comme procédure et comme régime, les domaines de l’homme t 4, p 274

[12] Cornélius Castoriadis, la démocratie comme procédure et comme régime, les domaines de l’homme t 4, p 274

[13] E. Armand, Petit Manuel Anarchiste Individualiste, (1911)

[14] E. Armand, Petit Manuel Anarchiste Individualiste, (1911)

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