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SERPENT -  LIBERTAIRE

anarchiste individualiste

Lutte de classe et concurrence dans l’industrie textile

La fin du système protectionniste instauré dans le monde par l’accord multifibres de 1974 à 2004 plonge l’industrie textile dans une concurrence exacerbée qui entraîne chute des salaires et aggravation de conditionsde travail déjà très dures. D’où les révoltes des travailleurs du Bangladesh en 2006, de l’Egypte et d’ailleurs aujourd’hui


En France le gou­ver­ne­ment de Sarkozy essaye de sauver les der­nières plumes du coq gau­lois, pour séd­uire les par­ti­sans d’une cause natio­nale pro­tec­tion­niste en déc­on­fi­ture, tout en se fai­sant l’agent d’une mon­dia­li­sa­tion crois­sante puisqu’il va appli­quer, pas­sant sous les four­ches cau­di­nes de l’ Union europé­enne, les direc­ti­ves libé­rales de Bruxelles. Les sou­tiers du gou­ver­ne­ment cher­chent toutes les peti­tes recet­tes (TVA sociale, fran­chi­ses et autres ponc­tions) qui pour­raient rame­ner le coût du tra­vail au niveau de l’éco­nomie sou­ter­raine.


Après avoir signé les traités européens qui devaient libé­ra­liser et dérég­lem­enter (les trans­ports, les téléc­om­mu­ni­cations, les ser­vi­ces, les finan­ces...), après avoir liquidé des pans entiers d’indus­tries (la sidér­urgie et le tex­tile), ils veu­lent « remet­tre les Français au tra­vail », expul­ser les clan­des­tins (qui pour­tant les ser­vent bien, eux aussi, en tant que main-d’œuvre bon marché)... tout en dével­oppant la flexi­bi­lité et l’insé­curité sociale du sala­riat.


Au moment où la concur­rence que se font les tra­vailleurs et tra­vailleu­ses dans le sec­teur tex­tile pro­duit des explo­sions en chaîne (au Bangladesh, en Egypte, au Cambodge, et à l’île Maurice où des ouvrières sri-lan­kai­ses ont fait grève...). La pres­sion d’un véri­table escla­va­gisme qui sévit en Chine (très bas salai­res et très dures condi­tions de tra­vail), ris­quant de mener à la famine des mil­liers de tra­vailleurs occupés dans ce sec­teur, nous amène à retra­cer un petit his­to­ri­que de l’accord mul­ti­fi­bre. Depuis une qua­ran­taine d’années, les pays dits indus­tria­lisés n’ont cessé de perdre leurs avan­ta­ges dans le sec­teur tex­tile. Tandis que l’essen­tiel de l’indus­trie des vêtements est restée au stade de la plus-value abso­lue (1), où la main-d’œuvre reste domi­nante, la bran­che tex­tile dans son

ensem­ble, elle, s’est rapi­de­ment gon­flée en capi­tal fixe (4 % à 8 % de la for­ma­tion brute en capi­tal fixe de l’emploi indus­triel) ; la pro­duc­tion de tissus requiert de plus en plus de machi­nes per­fec­tionnées, qu’il s’agisse de métiers à tisser les matières tra­di­tion­nel­les, mais aussi des syn­thé­tiques et de toutes matières de haute tech­no­lo­gie fai­sant inter­ve­nir l’élect­ro­nique avec l’intég­ration de puces...


Pour les pays dits en dével­op­pement, les indus­tries du vêtement représ­entent de 20 % à 40 % de l’emploi indus­triel et ont été rapi­de­ment en mesure, avec leur faible coût du prix du tra­vail, de mettre à genoux celles des cen­tres indus­tria­lisés (2). A partir de 1974, un accord pro­tec­tion­niste (3) por­tant le nom d’« arran­ge­ment mul­ti­fi­bres » (AMF) a été mis en place, afin d’endi­guer cette muta­tion trop rapide. Il couvre un tiers du com­merce mon­dial des vêtements ; un autre tiers concerne les éch­anges inter­nes à l’OCDE et le der­nier tiers les éch­anges entre pays expor­ta­teurs, du Nord comme du Sud.


Cet accord pro­tec­tion­niste au pos­si­ble per­met­tait donc aux pays du Nord de protéger leurs indus­tries tex­ti­les contre la concur­rence des pays en dével­op­pement (4) Ce mécan­isme pro­tec­tion­niste a aussi béné­ficié à cer­tains pays en dével­op­pement : ceux qui avaient droit à de larges quotas, comme le Bangladesh, ont misé sur l’indus­trie tex­tile et créé des emplois. Ce système a contri­bué à l’inter­na­tio­na­li­sa­tion de la pro­duc­tion tex­tile : lors­que cer­tains pays attei­gnaient leur limite de quotas, les entre­pri­ses déplaçaient leur pro­duc­tion là où des quotas étaient encore dis­po­ni­bles, et les coûts de pro­duc­tion res­taient bas. L’indus­trie tex­tile s’est ainsi mon­dia­lisée à l’extrême, avec envi­ron 160 pays pro­duc­teurs. Il sera pour­tant sans com­plexe qua­li­fié comme un accord « de libé­ra

li­sation » dans l’acte final des accords mul­ti­latéraux sur le com­merce des mar­chan­di­ses signés à Marrakech en 1994, et qui intègrent l’accord sur les tex­ti­les et vêtements dont fait partie l’AMF.


Limité dans le temps (1995-2004) l’AMF va ralen­tir la lente agonie de l’indus­trie du tex­tile des pays de l’OCDE et il sera for­te­ment cri­ti­qué et cons­pué par les libéraux ; ceux-ci atten­daient l’arme au pied le moment où leurs entre­pri­ses (5) pour­raient enfon­cer les digues de la for­te­resse OCDE pour inon­der le marché. Contrairement à ce que la grande presse prét­endait, l’AMF ne fut pas un régime de pro­tec­tion de l’emploi, mais un régime de pro­tec­tion des inves­tis­se­ments (Conférence des Nations Unies sur le com­merce et le dével­op­pement, CNUCED, 1994). Il fal­lait lais­ser le temps aux capi­taux inves­tis de se reti­rer en dou­ceur pour se placer dans des bran­ches plus ren­ta­bles (6) La France et l’Italie furent les prin­ci­paux pays béné­fici­aires de l’AMF, mais aussi les pays expor­ta­teurs, qui trouvèrent le système pas si mau­vais avec ses rentes qui tom­baient pour les déd­om­mager de leurs « pertes ». Comme la pro­duc­tion de vêtements dét­er­mine en partie le prix mon­dial de la force de tra­vail, puis­que dans chaque salaire une frac­tion est réservée à l’habille­ment, l’accord AMF était loin de satis­faire toute la classe capi­ta­liste :


« En effet, les consom­ma­teurs des pays de l’OCDE ont payé cher l’AMF (...). Quelques esti­ma­tions por­tant sur les dix der­nières années : ces coûts se mesu­rent en mil­liards de dol­lars. Comme dans le cas des pro­duits agri­co­les, ce coût est encore plus lourd pour les consom­ma­teurs aux reve­nus les plus fai­bles (qui consa­crent une part plus impor­tante de leurs gains à ces dép­enses néc­ess­aires de vêtements). Ces coûts cor­res­pon­dent, gros­siè­rement, à une hausse des prix de 20 % en moyenne, pour les tex­ti­les et de 40 % à 65 % en moyenne pour les vêtements (avec des crêtes de l’ordre du double ou du triple)


(La Nouvelle Organisation mon­diale du com­merce, Patrick Messerlin, Ifri, éd. Dunod, 1995, p. 121-122.)


Chaque capi­ta­liste indi­vi­duel veut que le prix des vêtements chute, de manière à pou­voir faire chuter le prix de la force de tra­vail dans son sec­teur, et aug­men­ter sa part de plus-value. Mais de l’autre côté de la bar­rière, ceux qui menaçaient l’indus­trie tex­tile de l’OCDE se voient à leur tour menacés par la fin des accords mul­ti­fi­bres et l’entrée de la Chine dans l’OMC.


Selon les syn­di­cats du tex­t

ile, 30 mil­lions d’emplois dans le monde sont menacés (7). Le déman­tèlement de l’accord mul­ti­fi­bres de 1974 sonne le glas pour de nom­breux tra­vailleurs de pays en voie de dével­op­pement. Depuis trente ans, des pays comme le Bangladesh, l’île Maurice, l’Indonésie, Madagascar, le Sri Lanka, la Tunisie, le Lesotho, le Salvador ou la Turquie béné­ficiaient d’un accès garanti aux grands pays impor­ta­teurs. Ils avaient bâti leur éco­nomie sur le tex­tile. Plusieurs gou­ver­ne­ments ont déjà annoncé des déman­tèlements de leurs lég­is­lations du tra­vail. Aujourd’hui le rou­leau com­pres­seur chi­nois impose ses normes d’exploi­ta­tion à des pays où la surex­ploi­ta­tion des tra­vailleu­ses (80 % à 90% des employés du sec­teur tex­tile sont des femmes) est déjà à la limite du pos­si­ble, pro­vo­quant des explo­sions de rév­oltes et des émeutes ouvrières. Ce n’est donc pas un hasard si le Bangladesh s’est trouvé confronté en 2006 à une véri­table guerre civile (8), si des ouvrières sri-lan­kai­ses exploitées jusqu’au sang se rév­oltent en février 2007 contre la Compagnie Mauricienne de Textile (CMT) (voir La grève des ouvrières du Sri-Lanka à l’île Maurice) ; si, en mai 2007, une rév­olte éclate au Cambodge (voir Cambodge : Syndicats pro-patro­naux à Pnom-Penh) et si l’Egypte connaît une déf­erl­ante de grèves aussi dans le sec­teur tex­tile (voir Egypte : vague de grèves dans le delta du Nil).


Comment vont réagir les indus­triels et gou­ver­nants de ces pays ? Ils vont repor­ter la pres­sion sur les ouvriers et ouvrières. A titre d’exem­ple, le Pakistan fait tou­jours tra­vailler des enfants. Les Philippines ont indi­qué que la loi sur le salaire mini­mum ne s’appli­quera plus au sec­teur de la confec­tion. Au Kenya, sur les 39 000 emplois qu’offrait le sec­teur du tex­tile et de l’habille­ment, 6 000 ont dis­paru depuis octo­bre 2004, et la moitié des emplois du sec­teur sont menacés, a indi­qué un rap­port du BIT inti­tulé Promouvoir une mon­dia­li­sa­tion juste dans le sec­teur des tex­ti­les et de l’habille­ment dans un envi­ron­ne­ment post-Accords mul­ti­fi­bres.


Le docu­ment révèle qu’au Lesotho, l’une des éco­nomies les plus pau­vres du monde, 6 650 tra­vailleurs du tex­tile sur 56 000 ont perdu leur emploi, et 10 000 autres ont été affectés à des tra­vaux préc­aires.


Ce qui se passe dans l’indus­trie tex­tile mon­diale pour­rait bien deve­nir l’avenir de l’indus­trie auto­mo­bile mon­diale, on en voit déjà les pré­mices.


G . Bad


juin 2007


ANNEXE


Le poid­sde la Chine


La Chine est deve­nue en dix ans le pre­mier expor­ta­teur mon­dial d’habille­ment avec 28 % du marché planét­aire contre 19 % en 1995. Durant la phase de tran­si­tion, les parts de marché de la Chine sont passées de 4 % à 13,3% en quan­tité, et de 8,5 % à 16,4% en valeur. Lorsque les quotas sur les habits pour bébés ont dis­paru, les expor­ta­tions chi­noi­ses dans ce sec­teur ont aug­menté de 826% (celles du Bangladesh et des Philippines dimi­nuant de 18 et de 17%). Selon la Banque mon­diale, la Chine pour­rait réa­liser 50 % des expor­ta­tions mon­dia­les en 2010. L’Empire du milieu pro­duit la matière pre­mière et va jusqu’à la pro­duc­tion finale avec des coûts de main-d’œuvre très bas : 90 euros en moyenne par mois pour un sala­rié pour 70 à 80 heures de tra­vail par semaine. Les autres pays pro­duc­teurs de tex­tile, à l’excep­tion de l’Inde, doi­vent impor­ter la matière pre­mière, ce qui les rend moins compé­tit­ifs. Par ailleurs, la Chine a anti­cipé la fin des accords mul­ti­fi­bres en aug­men­tant sa capa­cité de pro­duc­tion. #


NOTES


(1) La plus-value abso­lue est obte­nue par un pro­lon­ge­ment de la journée de tra­vail au-delà du temps néc­ess­aire à la repro­duc­tion de la force de tra­vail, alors que la plus-value rela­tive sera obte­nue par la recom­po­si­tion de la force de tra­vail - essen­tiel­le­ment au moyen du pro­grès tech­ni­que - en la réd­uisant à sa forme de tra­vail capi­ta­liste : le tra­vail social abs­trait et inter­chan­gea­ble.


(2) Un mécan­isme de pro­tec­tion a été prévu jusqu’en 2008. C’est-à-dire qu’un pays qui observe une aug­men­ta­tion trop impor­tante des impor­ta­tions chi­noi­ses peut en limi­ter le flux. L’Organisation mon­diale du com­merce lui en donne la pos­si­bi­lité. Les Etats-Unis, où 350 000 emplois ont dis­paru dans ce sec­teur en quatre ans, pour­raient ainsi uti­li­ser cette arme.


(3) Sans l’AMF, les expor­ta­tions des pays en dével­op­pement auraient doublé.


(4) On assi­gnait aux pays pro­duc­teurs une quan­tité maxi­male expor­ta­ble vers les Etats-Unis, le Canada et l’Union europé­enne. Ces quotas différaient selon les pays et les caté­gories de pro­duits.


(5) Il s’agit prin­ci­pa­le­ment de mul­ti­na­tio­na­les qui, par la triche fis­cale et les bas coût sala­riaux, vont s’atta­quer aux entre­pri­ses natio­na­les du tex­tile des pays de l’OCDE.# (6) Les entre­pri­ses mul­ti­na­tio­na­les du sec­teur (mar­ques et dis­tri­bu­teurs) seront les prin­ci­pa­les béné­fici­aires de la libé­ra­li­sation. Elles ont déjà pro­fité de l’AMF, délo­ca­lisant et re-loca­li­sant au gré des quotas dis­po­ni­bles et des coûts de pro­duc­tion moin­dres. Avec la libé­ra­li­sation, elles pour­ront choi­sir sans entrave les four­nis­seurs qui allient qua­lité et faible coût. De plus, elles n’auront plus à payer des rede­van­ces pour accéder aux quotas des pays expor­ta­teurs.


(7) La Fédération inter­na­tio­nale des syn­di­cats du tex­tile (une indus­trie qui représ­ente 6 % des éch­anges mon­diaux) parle de 30 mil­lions d’emplois affectés dans le monde. Le Bangladesh pour­rait perdre un mil­lion d’emplois, c’est-à-dire la moitié des sala­riés du sec­teur. La Confédération inter­na­tio­nale des syn­di­cats libres estime que le Royaume-Uni pour­rait perdre 15 % de ses emploi tex­ti­les, l’Allemagne 13 %, la France plus de 10 %.


(8) Voir Une rév­olte ouvrière au Bangladesh, Echanges 118 (automne 2006), et Bangladesh : quelle suite aux émeutes géné­ralisées de 2006 ? , Echanges 119 (hiver 2006-2007).


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