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SERPENT -  LIBERTAIRE

anarchiste individualiste

Confession d’une ancienne néo-nazie

« Sa capacité à s’extirper elle-même des tentacules du
mouvement néonazi torontois et à devenir une activiste de l’antiracisme est un témoignage de sa bravoure. Son histoire, racontée dans ce rapport, est à la fois unique et poignante ».


Bernie Farber, directeur général
Rédacteur, From Marches to Modems,
Congrès juif canadien, région de l’Ontario
Pendant trop longtemps, les membres des groupes néonazis et haineux ont été décrits comme étant des personnes peu instruites, venant des classes populaires. C’est loin d’être la vérité. Leurs leaders proviennent en fait de toutes les couches de la société. Certains sont même fort cultivés.


C’était le cas d’Elizabeth Moore. Ancienne étudiante de l’Université Queen’s, elle allait devenir, bien que toute jeune, l’une des rares femmes porte-parole du Heritage Front, une organisation canadienne néonazie, vouée à la suprématie de la race blanche.


Elizabeth Moore : son histoire racontée par elle-même


Par Elizabeth Moore


Au Canada, les néonazis sont souvent perçus comme des gens du milieu ouvrier, peu instruits, bref des laissés-pour-compte comme le sont les punks de la rue. Ce stéréotype nous permet de les ignorer et d’avoir comme réflexion : « Pas dans ma cour ! » et « Pas dans mon école ! ». Si certains d’entre eux sont effectivement des punks, ce n’est pas le cas pour tous. Je connais personnellement ou j’ai entendu parler de 17 néonazis qui sont soit étudiants, soit diplômés de quelque huit institutions postsecondaires ontariennes.


Je ne peux expliquer pourquoi des personnes instruites sont attirées par le mouvement. Chacun a sans doute ses propres raisons. Ce que je ferai, c’est vous raconter mon histoire à partir du moment où j’ai été séduite par le mouvement jusqu’au jour où j’ai pris la décision de le quitter. Au delà de ce récit, ce dont je veux vous faire prendre conscience, c’est pourquoi et comment vos amis, vos voisins ou des membres de votre famille peuvent devenir des racistes extrémistes.


Si une personne est intéressée à joindre les rangs d’un groupement comme le Heritage Front, c’est qu’un certain racisme doit couver en elle. C’est vrai que j’étais raciste avant d’être présentée au groupe. Plusieurs personnes pensent que le racisme naît dans la famille. Cependant, en ce qui me concerne, mes deux parents étaient assez libéraux. C’est donc dire que, dans mon cas, le racisme m’a été enseigné à l’école. J’avais des amis blancs qui se plaignaient amèrement de l’invasion du voisinage par les « Chinetoques ». Mais j’ai aussi vécu l’envers de la médaille : on m’a insultée, poussée dans les casiers et intimidée dans les cours. À cette époque, je ne comprenais pas la source de la rage de mes compagnons de classe non blancs. Leur comportement a donc intensifié le racisme présent en moi-même.


Cinq ans plus tôt, lorsque j’étais en 12e année, j’ai rencontré un gars prénommé Hans. Il était différent des autres gens que je connaissais. Il était Allemand et un peu plus âgé que le reste de la classe. Je l’aidais dans ses devoirs parce qu’il avait des problèmes avec sa grammaire anglaise. Puis, peu à peu, il m’a présenté le national-socialisme. Par la suite, il m’a donné quelques tracts sur le Heritage Front. Il me disait que c’était « la réplique de l’homme blanc au multiculturalisme ». Les tracts précisaient qu’il s’agissait d’un groupement rassemblant des hommes et des femmes ordinaires préoccupés par l’avenir du Canada et persécutés par la Commission des droits de la personne en raison de leur franchise.


Quand j’explique pourquoi j’ai joint un tel mouvement, je me sens toujours déchirée. Je voudrais dire que c’est uniquement pour des raisons politiques, telles l’immigration et la liberté d’expression, mais je prends conscience aujourd’hui que ce n’était qu’une des raisons. Ça, c’est ce qui se passait dans ma tête. Mais ce qui me rendait différente des autres citoyens ignorants et bien intentionnés, c’était ce qui se passait dans mon cœur.


Je ressentais de la haine envers moi-même et de l’amertume, en raison du fait que je ne contrôlais pas ma vie, ni à la maison ni à l’école. Pendant longtemps, j’ai¸intériorisé ce négativisme et lorsque j’étais injustement critiquée par quelqu’un, je lui donnais raison. Ce que le Heritage Front m’a permis de faire, c’est d’extérioriser la haine que j’avais en moi et, de ce fait, de mieux me sentir par rapport à moi-même. Quel meilleur électrochoc pour votre estime personnelle que de se faire dire que vous êtes membre de la race supérieure de la planète ! Du coup, ce que pouvaient dire mes pairs non-blancs ne m’atteignait plus parce qu’ils n’étaient que des Noirs. Mon voisinage changeait de visage en raison de l’arrivée de Chinois ? Aucune importance. Ils seraient éventuellement déportés lorsque nous prendrions le pouvoir. Finalement, je commençais à mieux me sentir parce que je n’étais pas juste assise à me plaindre. Je faisais quelque chose de ma vie, bien que ce n’était encore que de la lecture de propagande et de la distribution de tracts.


J’étais une recrue convaincue mais encore trop timide pour eux. Pendant des mois, tout ce que je faisais, c’était d’envoyer des magazines et de parler au téléphone avec Wolfgang Droege. Parfois, j’envoyais de l’argent et je distribuais des cartes de visite du Heritage Front.


Cependant, tout s’est mis à changer quand j’ai écrit mon premier article pour Up Front, le magazine du Heritage Front. Ironiquement, mon premier article était une critique d’une pièce publiée par David Lane, un membre du célèbre groupe raciste et terroriste The Order, purgeant une peine d’emprisonnement à vie aux États-Unis pour le meurtre d’une personnalité juive de la radio. Il avait écrit un article avançant que les femmes blanches sont à la fois corrompues et séduites par le pouvoir. Il affirmait que la seule façon de se « réapproprier les femmes » était de le faire par la force. Je différais d’opinion. Sans savoir que Lane était célèbre dans les milieux racistes, je supposais qu’il n’était qu’un jeune homme frustré et sans envergure et j’ai taillé ses arguments en pièces.


Mon article est rapidement devenu le plus controversé de ceux que le Heritage Front ait publié. Ce fut aussi par cet article que Wolfgang et d’autres membres du Front me firent prendre racine plus profondément au sein du groupe. Ils s’employèrent à me répéter que j’étais meilleure que ma famille, mes amis ou mes professeurs parce que j’avais une conscience raciste. Ils m’ont également félicitée pour m’être tenue debout face à Lane. Ils faisaient constamment des blagues et des remarques racistes dans le but d’imprégner mes discours de rhétorique raciste.


Ce sont eux qui m’ont procuré des ouvrages révisionnistes, niant l’existence de l’Holocauste. Ceux-ci provenaient de trois sources : de Ernst Zundel, de l’Institute for Historical Review in America, ainsi que d’autres membres du Front. Ainsi, Gerry Lincoln me donna accès, ainsi qu’à mon copain, à son importante collection de vidéos telles The Eternal Jew et Triumph of the Will.


La négation de l’Holocauste est importante au sein du mouvement parce que si une personne arrive à croire qu’un des plus horribles crimes contre l’humanité n’est qu’un canular inventé par l’Occident et imaginé par les victimes, cette personne sera prête à croire tout ce que lui diront les leaders du mouvement.


Je suis rapidement devenue « accro » de l’euphorie de la haine ainsi que d’un vif sentiment d’appartenance que je n’avais jamais connu auparavant. Mon attachement au groupe se fortifiait sans cesse, à un point tel que je voulais continuellement en faire davantage sans égard pour les coûts potentiels, qu’ils soient monétaires ou autres. Au moment où je fus prête à quitter le groupe, j’étais reporter attitrée à Up Front, je m’occupais d’une ligne téléphonique haineuse et j’étais la porte-parole du mouvement auprès des médias. Je distribuais en plus des dépliants, je rédigeais des discours, j’infiltrais des organisations de gauche ainsi que des assemblées publiques, telle celle menée par Bernie Farber, le directeur national des relations avec la communauté du Congrès juif canadien, lorsqu’il est venu parler à Queen’s.


Je vivais une « Vie aryenne » dans laquelle chaque action était vue comme une contribution à l’amélioration de la race. Cette « Vie aryenne » influençait non seulement mes actions politiques, mais également mes goûts en matière de musique, de vêtements, d’émissions de télé et de films, pour n’en citer que quelques-uns. Au moment où je fus prête à quitter le groupe, 90 % de mes amis, y compris mon copain, appartenaient au Heritage Front, de même que mes espoirs, mes pensées et mes rêves d’avenir.


La première fois que j’ai eu des doutes, ce fut à l’occasion du tournage du film Hearts of Hate: A Battle for Young Minds.


Il s’agissait d’un film documentaire réalisé par le cinéaste indépendant Peter Raymont. Le Heritage Front vit là une belle occasion de diffuser son message. Du moins, le croyait-il. C’était la première fois que je considérais ce que les autres pouvaient penser de mon point de vue. Aussi répondis-je soigneusement aux questions du producteur. À cette époque, je fus présentée à Eric Geringas, le producteur-associé du film. Si je me souviens bien, c’était un jeune homme dans la fin de la vingtaine. Après ma défection, j’ai appris qu’il était juif. Comme je regardais cet homme travailler, je me rendis compte qu’il avait du succès. Je me suis aussi rendu compte que peut-être, juste peut-être, que l’avenir pour nous, les jeunes, n’était pas aussi noir que le Front voulait bien nous le faire croire. J’ai commencé à penser qu’en travaillant fort, il existerait peut-être un avenir autre que celui proposé par les racistes extrémistes.


En septembre 1994, lorsque je suis retournée en classe, j’ai eu une crise personnelle en raison de laquelle j’ai blessé des gens qui m’étaient proches. J’ai été l’objet de critiques négatives pour The Hearts of Hate, dont certaines parties avaient été tournées à l’Université Queen’s. J’ai alors décidé de mettre la pédale douce sur mes activités politiques, le temps de reprendre le contrôle de ma vie. Cependant, je me rendis compte que c’était impossible. Je m’étais engagée à faire fonctionner la ligne téléphonique haineuse et j’avais des obligations personnelles envers mon copain et à mes autres amis racistes.


Vers la journée de l’Action de Grâces de 1994, tout partait à la dérive. Non seulement j’étais insatisfaite de ma vie, mais j’ai découvert que j’avais été roulée par la direction du Heritage Front. On m’a finalement avoué que les dépliants qui avaient causé la condamnation d’Elisse Hategan pour propagande haineuse étaient ceux du Heritage Front. Elisse fit défection du Heritage Front vers l’époque où je suis devenue activiste. Dans le but de me garder, les dirigeants du Front me dirent qu’ils n’avaient rien à voir avec les dépliants qu’elle distribuait et dans lesquels, notamment, on comparait les Noirs à des gorilles. Le Front tenta de me convaincre qu’ils avaient même essayé de l’empêcher de les distribuer. Je compris alors que s’ils m’avaient menti à ce sujet, ils devaient me cacher bien d’autres choses. Je commençai à voir de mes propres yeux à quel point la violence était importante au sein du groupe. Je réalisai également qu’ils ne voulaient pas traiter les femmes de façon équitable et que j’étais une anomalie à leurs yeux. Chaque autre femme, à l’exception d’Elisse Hategan, suivait son petit ami et ne voulait rien de plus que lui plaire et avoir des enfants aryens.


Avec cette nouvelle perspective, je savais que j’aurais besoin de faire davantage que simplement disparaître peu à peu du décor. J’avais besoin de faire complètement défection afin de pouvoir me libérer. J’avais peur et je ne savais pas vers qui me tourner. Heureusement, en 1994, Bernie Farber a été réinvité à l’Université Queen’s pour donner une deuxième conférence sur le néonazisme au Canada. Par l’intermédiaire d’Eric Geringas, j’obtins un rendez-vous avec M. Farber. Après le discours auquel je n’ai pas assisté cette fois-ci, nous sommes allés dans un café et nous avons eu une longue et déchirante conversation. Il me dit que je devais cesser de travailler pour la ligne téléphonique haineuse et que je devais rompre tout lien avec mes amis néo-nazis, mon copain inclus. À ce moment-là, je ne savais pas si j’en serais capable. M. Farber me demandait de renoncer à la vie telle que je la connaissais. Honnêtement, j’ignorais si je pouvais lui faire confiance. Je me disais qu’il en recherchait un avantage personnel. Après tout, il était l’ennemi qui essayait d’envoyer mes amis derrière les barreaux.


Après y avoir longuement réfléchi, je décidais d’essayer et de lui faire confiance. En décembre 1994, alors que j’étais à Toronto pour la période des Fêtes, M. Farber m’invita à son bureau pour discuter. Je n’avais aucune idée de ce sur quoi porterait notre discussion. Lorsque j’arrivai, il me demanda mon point de vue sur l’Holocauste. J’étais abasourdie ! Chaque nazi en Ontario donnerait son bras droit pour être en position de débattre de l’Holocauste avec quelqu’un comme Bernie Farber. Mais j’étais incapable de le faire. Assise dans son bureau du Congrès juif canadien, mes vues sur la question, que j’avais si férocement défendues, me semblaient illogiques et incroyables. Aussi, le regardai-je simplement bouche bée.


Après ce qui m’a semblé être des heures à répondre à ses questions au sujet de mes opinions, il m’invita au Centre commémoratif de l’Holocauste. La première chose qu’il fit fut de me montrer un mur couvert de photographies de gens
ayant péri pendant l’Holocauste. Il me pointa la photographie d’une femme avec son bébé souriant. Celle-ci aurait pu être prise n’importe où, comme on en retrouve dans nos maisons. Sur le ton de la colère, il s’exclama : « Ce bébé est mort dans les chambres à gaz à Auschwitz. Maintenant, dis-moi ce qu’il avait à faire avec ce qu’on appelle la conspiration juive ? ». Je ne pouvais répondre. Je ne pouvais même pas le regarder. Par la suite, nous nous sommes assis et nous avons regardé un documentaire sur l’histoire de l’Holocauste. Au fur et à mesure que les images défilaient à l’écran, je réalisai que ce n’était ni les Juifs, ni les Non-Blancs qui étaient des sous-humains, mais bien moi. Et comme j’étais assise à côté de M. Farber, je me sentis – encore maintenant, je ne trouve pas le bon mot pour exprimer vraiment ma pensée – « sous-humaine ». Je me suis sentie telle un déchet, et que je ne méritais pas de vivre. Après notre rencontre, j’ai dit à mon hôte que les Juifs s’étaient battus pour sauvegarder leur dignité alors qu’ils n’avaient plus rien pendant que moi, qui avais tout, je l’avais laissée filer. Il acquiesça de la tête et dit : « Oui, mais la beauté de l’humanité, c’est qu’on peut toujours la récupérer ». Comme je quittais l’édifice, je me rendis compte que j’étais plus en paix parce que je savais que ce qu’il avait dit était vrai et que je récupérerais la mienne. Ce que j’ignorais, c’était à quel point la tâche serait difficile.


Cinq semaines après ma rencontre avec M. Farber, j’avais complètement coupé les ponts avec le Heritage Front. J’étais peut-être libre de corps mais pas d’esprit, et j’avais encore un long chemin à parcourir avant de m’en remettre. J’étais soudainement confrontée au fait que je n’avais aucune identité. Je n’avais aucune idée de qui j’étais, d’où j’allais et de ce que je voulais faire de ma vie. Je devais aussi faire face à la haine qui était toujours ancrée en moi. Cela m’amena à une dépression et même à des idées suicidaires. À plusieurs reprises, je me dis que tout était sans espoir, que je ne m’en remettrais jamais et que je ne me sentirais plus aussi forte et aussi sûre de moi que lorsque j’étais nazie. Je dus aussi affronter le fait que je devais retourner à Toronto pour l’été en sachant que même si j’y avais vécu pendant 19 de mes 22 années, je n’y avais plus un seul ami. Un an plus tard, c’est toujours le cas et c’est peut-être le sentiment d’être une étrangère dans ma propre ville qui me frustre le plus de cette situation.


En dépit de tous ces aspects négatifs, ma défection n’a pas eu que des conséquences néfastes. Après le stress de mes examens finaux et de la publicité entourant mon cas, je me suis rendu compte que je pouvais faire ce que je voulais. Je pouvais écouter la musique que je désirais, porter les vêtements que je voulais, regarder les émissions ou les films qui me plaisaient et décorer mon appartement comme bon me semblait. J’ai rapidement pris goût à cette nouvelle liberté. Pour la première fois, je me suis assise devant la télé pour regarder Seinfeld et j’en ai retiré un plaisir fou ! J’ai également pris des cours à Queen’s comme « L’Holocauste des Juifs européens de 1933 à 1945 » et je me suis donné comme objectif de préparer des projets sur les Autochtones et les activistes œuvrant pour les droits des femmes noires dans les cadre d’autres cours.


L’expérience qui m’a fait réfléchir le plus depuis ma visite au monument commémoratif de l’Holocauste s’est produite l’été suivant, lorsque j’ai participé à une réunion familiale internationale du côté de ma mère.Celle-ci est de descendance mennonite et plusieurs personnes présentes à cette rencontre se réclamaient de l’Ancien Ordre (Old Order) et portaient des vêtements religieux traditionnels. Nous étions assis tous ensemble et discutions de l’histoire de nos ancêtres qui s’étaient installés en Ontario. Une femme s’est alors levée et a expliqué qu’il étaient venus de Suisse, d’Allemagne et de Russie, entre le XVIe et le XIXe siècle pour fuir les persécutions religieuses de l’État ou de certains groupes, qui allaient jusqu’à la torture et au meurtre. C’est à ce moment-là que j’ai pris conscience que la haine ne concerne pas juste « l’autre », mais qu’elle influence chacun d’entre nous à quelque moment que ce soit et pour toute raison que ce soit. Il est devenu clair pour moi que nous sommes tous et toutes également humains et que si une personne est victime de la haine, c’est chacun d’entre nous qui en souffre.


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