Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
SERPENT -  LIBERTAIRE

anarchiste individualiste

Construire sa propre théorie révolutionnaire Publié le 31 décembre 2018

Résultat de recherche d'images pour "Construire sa propre théorie révolutionnaire"

Ce qui suit est la traduction de la brochure révisée, largement réécrite et publiée par Spectacular Times en 1985 sous le titre Revolutionary Self-Theory.
Première publication sous le titre Auto-théorie : le plaisir de penser pour soi-même, par The Spectacle et signée « Larry Law » en 1975.
Ce texte étant une traduction amatrice et souvent littérale, il est recommandé si vous comprenez l’anglais de lire directement le texte original, disponible entre autres à l’adresse suivante : https://theanarchistlibrary.org/library/larry-law-revolutionary-self-theory

Cette brochure s’adresse aux personnes qui ne sont pas satisfaites de leurs vies. Si vous êtes heureux/se avec votre existence actuelle, nous n’avons aucun argument à vous opposer. 

Néanmoins, si vous êtes fatigué·e d’attendre que votre vie change,
Fatigué·e d’attendre la communauté, l’amour, l’aventure authentiques,
Fatigué·e d’attendre la fin de l’argent et du travail forcé,
Fatigué·e de chercher de nouveaux passe-temps pour passer le temps,
Fatigué·e d’attendre une existence riche et abondante,
Fatigué·e d’attendre la situation dans laquelle vous pourrez réaliser tous vos désirs,
Fatigué·e d’attendre la fin de toutes les autorités, aliénations, idéologies et morales… 
…alors nous pensons que vous trouverez ce qui suit plutôt pratique. 

L’un des grands secrets de notre misérable mais potentiellement merveilleuse époque est que penser peut être un plaisir. Ceci est un manuel pour construire votre propre théorie. Construire sa propre théorie est un plaisir révolutionnaire, le plaisir de construire son « auto-théorie » de la révolution. 
Élaborer son auto-théorie est un plaisir constructif et destructif à la fois, car on élabore une théorie de la pratique pour une transformation à la fois constructive et destructive de cette société. 

L’auto-théorie est une théorie de l’aventure. Elle est aussi érotique et humoristique qu’une authentique révolution. 
L’aliénation ressentie du fait d’avoir notre réflexion faite pour nous par les idéologies de notre époque nous amène à la recherche de la jouissive négation de cette aliénation : penser par soi-même. C’est le plaisir de faire de son esprit le sien. 

L’auto-théorie est le corpus de pensée critique que l’on construit pour notre propre usage. Nous le construisons et l’utilisons quand nous faisons l’analyse de pourquoi notre vie est ce qu’elle est, de pourquoi le monde est ce qu’il est. (En gardant à l’esprit que « penser » et « ressentir » sont inséparables, car la pensée provient de l’expérience subjective et des émotions.) Nous élaborons notre auto-théorie quand nous développons une théorie de la pratique : la théorie de comment obtenir ce que nous désirons dans la vie. 

Soit la théorie est une théorie pratique, une théorie de la pratique révolutionnaire, soit elle n’est rien. Rien qu’un aquarium d’idées, une interprétation contemplative du monde. Le domaine des idées est l’éternelle salle d’attente des désirs non réalisés. 
Celles et ceux qui présupposent (souvent inconsciemment) l’impossibilité de réaliser les désirs de leur vie, et par conséquent de se battre pour elle.ux-mêmes, finissent souvent par se battre pour un idéal ou une cause. Celles et ceux qui savent que ce n’est que l’acceptation de l’aliénation savent dorénavant que tous les idéaux et toutes les causes sont des idéologies. 

II 

Dès lors qu’un système d’idées est structuré par une abstraction à son centre, nous donnant un rôle et des devoirs pour son bien, ce système est une idéologie. L’idéologie est le système de fausse conscience dans lequel nous ne fonctionnons plus comme le sujet de notre relation au monde. 
Les formes variées d’idéologie sont toutes structurées autour de différentes abstractions, mais elles servent toutes les intérêts d’une classe dominante (ou qui aspire à l’être) en donnant un sens à notre sacrifice, souffrance et soumission. 
L’idéologie religieuse en est le plus vieil exemple : la projection fantastique appelée « Dieu » est le Suprême Sujet du cosmos, qui agit sur chaque être humain comme s’il était « Son » sujet. 

Dans les idéologies « scientifiques » et « démocratiques » de l’entreprise bourgeoise, l’investissement de capitaux est le sujet « productif » qui dirige l’histoire du monde - la « main invisible » qui guide le développement humain. La bourgeoisie a dû attaquer et affaiblir le pouvoir que l’idéologie religieuse détenait autrefois. Elle a exposé la mystification du monde religieux par sa recherche technologique, étendant par là même le domaine des choses et méthodes qu’elle pouvait utiliser pour faire du profit. 

Les diverses enseignes du léninisme sont des idéologies « révolutionnaires » où le Parti est le sujet légitime à dicter l’histoire du monde, en dirigeant son objet – le prolétariat – vers l’objectif de remplacer l’appareil bourgeois par un appareil léniniste. 
Les nombreuses autres formes d’idéologies dominantes sont visibles quotidiennement. La montée des nouveaux mysticismes religieux sert de manière détournée la structure dominante des relations sociales. Elles fournissent un moule soigné dans lequel le vide de la vie quotidienne peut être obscurci et, comme les drogues, le rendre plus facile à supporter. 

Le bénévolat et le déterminisme nous empêchent de comprendre notre véritable place dans le fonctionnement du monde. Dans les idéologies d’avant-garde, seule la nouveauté en soi et pour soi est importante. Chez les survivalistes, la subjectivité est devancée par la peur à travers l’invocation de l’image d’une catastrophe mondiale imminente. 

Lorsqu’on accepte les idéologies, on accepte l’inversion du sujet et de l’objet ; les choses acquièrent la volonté et la puissance humaines, tandis que les êtres humains n’ont leur place qu’en tant que choses. L’idéologie est une théorie renversée. Nous acceptons plus encore la séparation entre l’étroite réalité de notre vie quotidienne et l’image d’une totalité du monde qui est hors de notre portée. L’idéologie ne nous offre qu’une relation de voyeur avec la totalité. 
Dans cette séparation, dans cette acceptation du sacrifice pour la cause, toutes les idéologies servent à protéger l’ordre social dominant. Les autorités dont le pouvoir repose sur la séparation doivent nous refuser notre subjectivité afin qu’elles-mêmes survivent. Ce refus se manifeste sous la forme de sacrifices demandés au nom du « bien commun », de « l’intérêt de la nation », de « l’effort de guerre », de « la révolution »… 

III 

On se débarrasse des œillères de l’idéologie en nous demandant constamment à nous-mêmes : Comment est-ce que je me sens ?
Est-ce que je m’amuse ?
Est-ce que je prends du plaisir ?
Comment est ma vie ?
Est-ce que j’obtiens ce que je veux ?
Pourquoi pas ?
Qu’est-ce qui m’empêche d’obtenir ce que je veux ?
Cela signifie avoir conscience de l’ordinaire, avoir connaissance de sa routine quotidienne. Que la vie tous les jours – la vraie vie – existe, est un secret qui l’est chaque jour un peu moins, tant la misère de la vie quotidienne devient de plus en plus visible.

IV

La construction de sa propre théorie est basée sur le fait de penser pour soi-même, être entièrement conscient de ses désirs et de leur validité. C’est la construction de la subjectivité radicale.
Une authentique « élévation de conscience » ne peut être que « l’élévation » de la pensée au niveau d’une conscience de soi positive, sans culpabilité : développer sa subjectivité primaire, libre des idéologies et des morales imposées sous toutes leurs formes.
L’essence de ce que de nombreux gauchistes, gourous et autres coachs appellent « élévation de conscience » consiste à frapper les gens jusqu’à l’inconscience avec leurs matraques idéologiques.

Le chemin de l’idéologie (l’auto-négation) à la subjectivité radicale (l’auto-affirmation) passe par le point zéro, la capitale du nihilisme. Lieu immobile dans l’espace social et le temps battu par les vents, les limbes sociales où l’on s’aperçoit que le présent est dénué de vie ; qu’il n’y a pas de vie dans son existence quotidienne. Un·e nihiliste connaît la différence entre vivre et survivre. 

Les nihilistes expérimentent un renversement de perspective sur leur vie et le monde. Pour elles et eux, rien n’est vrai que leurs désirs, leur volonté d’être. Iels refusent toute idéologie dans leur haine des relations sociales dans la société capitaliste globale. Depuis cette perspective renversée, iels voient avec cette clarté nouvellement acquise le monde inversé de la réification, l’inversion du sujet et de l’objet, de l’abstrait et du concret. C’est la scène de la marchandise fétichisée, des projections mentales, des séparations et des idéologies : l’art, Dieu, l’urbanisme, l’éthique, les pins smiley, les stations de radio qui vous disent qu’elles vous aiment et les détergents qui ont de la compassion pour vos mains. 

Les conversations quotidiennes offrent des sédatifs tels que « Tu ne peux pas toujours avoir ce que tu veux » ou « La vie a ses hauts et ses bas », entre autres dogmes de la laïque religion de la survie. Le « bon sens » est le non-sens de l’aliénation ordinaire. Chaque jour les gens se voient refuser une vie authentique, et vendre en retour sa représentation. 

Détruire le système qui les détruit est la pulsion permanente que les nihilistes ressentent. Ne pouvant continuer à vivre dans ces conditions, leurs esprits s’enflamment. Assez rapidement, iels se confrontent au fait qu’iels doivent trouver un ensemble de tactiques cohérentes, qui aura en pratique un effet sur le monde. 
Mais si un·e nihiliste n’est pas au courant de la possibilité historique de transformer le monde, sa rage subjective va se cristalliser dans un rôle : suicidaire, meurtrier·e solitaire, voyou, néodadaïste, déséquilibré·e… tou·te·s à la recherche d’une compensation pour cette vie de temps mort. 
L’erreur des nihilistes est de ne pas comprendre qu’il y a d’autres nihilistes, et de supposer en conséquence que la communication et la participation collective à un projet d’auto-réalisation est impossible. 

Avoir une orientation « politique » dans sa vie signifie simplement savoir que l’on peut changer sa vie en changeant la nature de la vie elle-même, à travers la transformation du monde – et que cette transformation du monde requiert un effort collectif. 
Ce projet d’auto-réalisation collective peut être correctement nommé « politique ». Mais la « politique » est devenue une catégorie mystifiée, séparée de l’activité humaine. Tout comme toutes les autres séparations imposées dans les activités humaines, la « politique » est devenue un simple centre d’intérêt, qui a même ses spécialistes – qu’ils soient politicien·ne·s ou commentateurs·ices. Il est possible d’être intéressé (ou pas) par le football, les collections de timbres, la trap ou la mode. Ce que les gens voient comme « politique » aujourd’hui est la falsification sociale du projet d’auto-réalisation collective – ce qui convient parfaitement à ceux qui possèdent le pouvoir. 

L’auto-réalisation collective est le projet révolutionnaire. C’est la saisie collective de la totalité de la nature et des relations sociales, et leur transformation selon le désir conscient. 
Cette « thérapie » authentique consiste à changer sa vie en changeant la nature de la vie sociale. Cette thérapie doit être sociale si elle doit avoir la moindre conséquence. La thérapie sociale (la guérison de la société) et la thérapie individuelle (la guérison de l’individu) sont liées : chacune a besoin de l’autre, chacune est une part nécessaire de l’autre. 

VI 

Penser subjectivement signifie utiliser notre vie – comme elle est maintenant et comme nous voulons qu’elle soit – comme le centre de notre réflexion. Ce recentrage positif sur soi est accompli par un assaut continuel sur tous les externes : tous les faux sujets, faux conflits, faux problèmes, fausses identités et fausses dichotomies. 
Nous sommes empêchés d’analyser la totalité de notre existence quotidienne par le questionnement de nos opinions sur le moindre détail : toutes les broutilles spectaculaires, les controverses bidon et les faux scandales. Êtes-vous pour ou contre les syndicats, les missiles téléguidés, les cartes d’identité ? Quelle est votre opinion des drogues douces, du jogging, des Ovnis, de l’impôt progressif 

Ce sont des faux sujets. Le seul sujet pour nous est comment nous vivons. 

Un vieux proverbe juif dit : « Si vous n’avez que deux alternatives, alors choisissez la troisième. » Chercher une nouvelle perspective sur le problème. Nous pouvons échapper aux deux camps d’un faux conflit en saisissant notre « troisième choix » : voire la situation depuis la perspective de la subjectivité radicale. 
Être conscient du troisième choix signifie refuser de choisir entre deux polarités supposément opposées mais réellement égales qui essaient de se définir elles-mêmes comme la totalité de la situation. Dans sa forme la plus simple, cette conscience est exprimée par le/a travailleur·euse en procès pour braquage à main armée qui, lorsqu’on lui demande si iel plaide coupable ou non-coupable, répond « Je suis sans-emploi ».

Autre illustration plus théorique mais tout aussi classique, le refus de reconnaître une quelconque différence essentielle entre la classe dirigeante des capitalistes d’entreprises à l’ « Ouest » et la classe dirigeante des capitalistes d’état à l’ « Est ». Tout ce que nous avons à faire est d’observer les relations sociales au niveau de la production, aux USA et en Europe d’un côté, en URSS et en Chine de l’autre, pour voir qu’elles sont essentiellement les mêmes. Ici comme là-bas, la vaste majorité des gens va travailler pour une paie ou un salaire en échange de l’abandon du contrôle sur à la fois les moyens de production et ce qu’iels produisent (qui leur est ensuite revendu sous la forme de marchandises). 

Ce qui suit est la traduction de la brochure révisée, largement réécrite et publiée par Spectacular Times en 1985 sous le titre Revolutionary Self-Theory.
Première publication sous le titre Auto-théorie : le plaisir de penser pour soi-même, par The Spectacle et signée « Larry Law » en 1975.
Ce texte étant une traduction amatrice et souvent littérale, il est recommandé si vous comprenez l’anglais de lire directement le texte original, disponible entre autres à l’adresse suivante : https://theanarchistlibrary.org/library/larry-law-revolutionary-self-theory

Cette brochure s’adresse aux personnes qui ne sont pas satisfaites de leurs vies. Si vous êtes heureux/se avec votre existence actuelle, nous n’avons aucun argument à vous opposer. 

Néanmoins, si vous êtes fatigué·e d’attendre que votre vie change,
Fatigué·e d’attendre la communauté, l’amour, l’aventure authentiques,
Fatigué·e d’attendre la fin de l’argent et du travail forcé,
Fatigué·e de chercher de nouveaux passe-temps pour passer le temps,
Fatigué·e d’attendre une existence riche et abondante,
Fatigué·e d’attendre la situation dans laquelle vous pourrez réaliser tous vos désirs,
Fatigué·e d’attendre la fin de toutes les autorités, aliénations, idéologies et morales… 
…alors nous pensons que vous trouverez ce qui suit plutôt pratique. 

L’un des grands secrets de notre misérable mais potentiellement merveilleuse époque est que penser peut être un plaisir. Ceci est un manuel pour construire votre propre théorie. Construire sa propre théorie est un plaisir révolutionnaire, le plaisir de construire son « auto-théorie » de la révolution. 
Élaborer son auto-théorie est un plaisir constructif et destructif à la fois, car on élabore une théorie de la pratique pour une transformation à la fois constructive et destructive de cette société. 

L’auto-théorie est une théorie de l’aventure. Elle est aussi érotique et humoristique qu’une authentique révolution. 
L’aliénation ressentie du fait d’avoir notre réflexion faite pour nous par les idéologies de notre époque nous amène à la recherche de la jouissive négation de cette aliénation : penser par soi-même. C’est le plaisir de faire de son esprit le sien. 

L’auto-théorie est le corpus de pensée critique que l’on construit pour notre propre usage. Nous le construisons et l’utilisons quand nous faisons l’analyse de pourquoi notre vie est ce qu’elle est, de pourquoi le monde est ce qu’il est. (En gardant à l’esprit que « penser » et « ressentir » sont inséparables, car la pensée provient de l’expérience subjective et des émotions.) Nous élaborons notre auto-théorie quand nous développons une théorie de la pratique : la théorie de comment obtenir ce que nous désirons dans la vie. 

Soit la théorie est une théorie pratique, une théorie de la pratique révolutionnaire, soit elle n’est rien. Rien qu’un aquarium d’idées, une interprétation contemplative du monde. Le domaine des idées est l’éternelle salle d’attente des désirs non réalisés. 
Celles et ceux qui présupposent (souvent inconsciemment) l’impossibilité de réaliser les désirs de leur vie, et par conséquent de se battre pour elle.ux-mêmes, finissent souvent par se battre pour un idéal ou une cause. Celles et ceux qui savent que ce n’est que l’acceptation de l’aliénation savent dorénavant que tous les idéaux et toutes les causes sont des idéologies. 

II 

Dès lors qu’un système d’idées est structuré par une abstraction à son centre, nous donnant un rôle et des devoirs pour son bien, ce système est une idéologie. L’idéologie est le système de fausse conscience dans lequel nous ne fonctionnons plus comme le sujet de notre relation au monde. 
Les formes variées d’idéologie sont toutes structurées autour de différentes abstractions, mais elles servent toutes les intérêts d’une classe dominante (ou qui aspire à l’être) en donnant un sens à notre sacrifice, souffrance et soumission. 
L’idéologie religieuse en est le plus vieil exemple : la projection fantastique appelée « Dieu » est le Suprême Sujet du cosmos, qui agit sur chaque être humain comme s’il était « Son » sujet. 

Dans les idéologies « scientifiques » et « démocratiques » de l’entreprise bourgeoise, l’investissement de capitaux est le sujet « productif » qui dirige l’histoire du monde - la « main invisible » qui guide le développement humain. La bourgeoisie a dû attaquer et affaiblir le pouvoir que l’idéologie religieuse détenait autrefois. Elle a exposé la mystification du monde religieux par sa recherche technologique, étendant par là même le domaine des choses et méthodes qu’elle pouvait utiliser pour faire du profit. 

Les diverses enseignes du léninisme sont des idéologies « révolutionnaires » où le Parti est le sujet légitime à dicter l’histoire du monde, en dirigeant son objet – le prolétariat – vers l’objectif de remplacer l’appareil bourgeois par un appareil léniniste. 
Les nombreuses autres formes d’idéologies dominantes sont visibles quotidiennement. La montée des nouveaux mysticismes religieux sert de manière détournée la structure dominante des relations sociales. Elles fournissent un moule soigné dans lequel le vide de la vie quotidienne peut être obscurci et, comme les drogues, le rendre plus facile à supporter. 

Le bénévolat et le déterminisme nous empêchent de comprendre notre véritable place dans le fonctionnement du monde. Dans les idéologies d’avant-garde, seule la nouveauté en soi et pour soi est importante. Chez les survivalistes, la subjectivité est devancée par la peur à travers l’invocation de l’image d’une catastrophe mondiale imminente. 

Lorsqu’on accepte les idéologies, on accepte l’inversion du sujet et de l’objet ; les choses acquièrent la volonté et la puissance humaines, tandis que les êtres humains n’ont leur place qu’en tant que choses. L’idéologie est une théorie renversée. Nous acceptons plus encore la séparation entre l’étroite réalité de notre vie quotidienne et l’image d’une totalité du monde qui est hors de notre portée. L’idéologie ne nous offre qu’une relation de voyeur avec la totalité. 
Dans cette séparation, dans cette acceptation du sacrifice pour la cause, toutes les idéologies servent à protéger l’ordre social dominant. Les autorités dont le pouvoir repose sur la séparation doivent nous refuser notre subjectivité afin qu’elles-mêmes survivent. Ce refus se manifeste sous la forme de sacrifices demandés au nom du « bien commun », de « l’intérêt de la nation », de « l’effort de guerre », de « la révolution »… 

III 

On se débarrasse des œillères de l’idéologie en nous demandant constamment à nous-mêmes : Comment est-ce que je me sens ?
Est-ce que je m’amuse ?
Est-ce que je prends du plaisir ?
Comment est ma vie ?
Est-ce que j’obtiens ce que je veux ?
Pourquoi pas ?
Qu’est-ce qui m’empêche d’obtenir ce que je veux ?
Cela signifie avoir conscience de l’ordinaire, avoir connaissance de sa routine quotidienne. Que la vie tous les jours – la vraie vie – existe, est un secret qui l’est chaque jour un peu moins, tant la misère de la vie quotidienne devient de plus en plus visible.

IV

La construction de sa propre théorie est basée sur le fait de penser pour soi-même, être entièrement conscient de ses désirs et de leur validité. C’est la construction de la subjectivité radicale.
Une authentique « élévation de conscience » ne peut être que « l’élévation » de la pensée au niveau d’une conscience de soi positive, sans culpabilité : développer sa subjectivité primaire, libre des idéologies et des morales imposées sous toutes leurs formes.
L’essence de ce que de nombreux gauchistes, gourous et autres coachs appellent « élévation de conscience » consiste à frapper les gens jusqu’à l’inconscience avec leurs matraques idéologiques.

Le chemin de l’idéologie (l’auto-négation) à la subjectivité radicale (l’auto-affirmation) passe par le point zéro, la capitale du nihilisme. Lieu immobile dans l’espace social et le temps battu par les vents, les limbes sociales où l’on s’aperçoit que le présent est dénué de vie ; qu’il n’y a pas de vie dans son existence quotidienne. Un·e nihiliste connaît la différence entre vivre et survivre. 

Les nihilistes expérimentent un renversement de perspective sur leur vie et le monde. Pour elles et eux, rien n’est vrai que leurs désirs, leur volonté d’être. Iels refusent toute idéologie dans leur haine des relations sociales dans la société capitaliste globale. Depuis cette perspective renversée, iels voient avec cette clarté nouvellement acquise le monde inversé de la réification, l’inversion du sujet et de l’objet, de l’abstrait et du concret. C’est la scène de la marchandise fétichisée, des projections mentales, des séparations et des idéologies : l’art, Dieu, l’urbanisme, l’éthique, les pins smiley, les stations de radio qui vous disent qu’elles vous aiment et les détergents qui ont de la compassion pour vos mains. 

Les conversations quotidiennes offrent des sédatifs tels que « Tu ne peux pas toujours avoir ce que tu veux » ou « La vie a ses hauts et ses bas », entre autres dogmes de la laïque religion de la survie. Le « bon sens » est le non-sens de l’aliénation ordinaire. Chaque jour les gens se voient refuser une vie authentique, et vendre en retour sa représentation. 

Détruire le système qui les détruit est la pulsion permanente que les nihilistes ressentent. Ne pouvant continuer à vivre dans ces conditions, leurs esprits s’enflamment. Assez rapidement, iels se confrontent au fait qu’iels doivent trouver un ensemble de tactiques cohérentes, qui aura en pratique un effet sur le monde. 
Mais si un·e nihiliste n’est pas au courant de la possibilité historique de transformer le monde, sa rage subjective va se cristalliser dans un rôle : suicidaire, meurtrier·e solitaire, voyou, néodadaïste, déséquilibré·e… tou·te·s à la recherche d’une compensation pour cette vie de temps mort. 
L’erreur des nihilistes est de ne pas comprendre qu’il y a d’autres nihilistes, et de supposer en conséquence que la communication et la participation collective à un projet d’auto-réalisation est impossible. 

Avoir une orientation « politique » dans sa vie signifie simplement savoir que l’on peut changer sa vie en changeant la nature de la vie elle-même, à travers la transformation du monde – et que cette transformation du monde requiert un effort collectif. 
Ce projet d’auto-réalisation collective peut être correctement nommé « politique ». Mais la « politique » est devenue une catégorie mystifiée, séparée de l’activité humaine. Tout comme toutes les autres séparations imposées dans les activités humaines, la « politique » est devenue un simple centre d’intérêt, qui a même ses spécialistes – qu’ils soient politicien·ne·s ou commentateurs·ices. Il est possible d’être intéressé (ou pas) par le football, les collections de timbres, la trap ou la mode. Ce que les gens voient comme « politique » aujourd’hui est la falsification sociale du projet d’auto-réalisation collective – ce qui convient parfaitement à ceux qui possèdent le pouvoir. 

L’auto-réalisation collective est le projet révolutionnaire. C’est la saisie collective de la totalité de la nature et des relations sociales, et leur transformation selon le désir conscient. 
Cette « thérapie » authentique consiste à changer sa vie en changeant la nature de la vie sociale. Cette thérapie doit être sociale si elle doit avoir la moindre conséquence. La thérapie sociale (la guérison de la société) et la thérapie individuelle (la guérison de l’individu) sont liées : chacune a besoin de l’autre, chacune est une part nécessaire de l’autre. 

VI 

Penser subjectivement signifie utiliser notre vie – comme elle est maintenant et comme nous voulons qu’elle soit – comme le centre de notre réflexion. Ce recentrage positif sur soi est accompli par un assaut continuel sur tous les externes : tous les faux sujets, faux conflits, faux problèmes, fausses identités et fausses dichotomies. 
Nous sommes empêchés d’analyser la totalité de notre existence quotidienne par le questionnement de nos opinions sur le moindre détail : toutes les broutilles spectaculaires, les controverses bidon et les faux scandales. Êtes-vous pour ou contre les syndicats, les missiles téléguidés, les cartes d’identité ? Quelle est votre opinion des drogues douces, du jogging, des Ovnis, de l’impôt progressif 

Ce sont des faux sujets. Le seul sujet pour nous est comment nous vivons. 

Un vieux proverbe juif dit : « Si vous n’avez que deux alternatives, alors choisissez la troisième. » Chercher une nouvelle perspective sur le problème. Nous pouvons échapper aux deux camps d’un faux conflit en saisissant notre « troisième choix » : voire la situation depuis la perspective de la subjectivité radicale. 
Être conscient du troisième choix signifie refuser de choisir entre deux polarités supposément opposées mais réellement égales qui essaient de se définir elles-mêmes comme la totalité de la situation. Dans sa forme la plus simple, cette conscience est exprimée par le/a travailleur·euse en procès pour braquage à main armée qui, lorsqu’on lui demande si iel plaide coupable ou non-coupable, répond « Je suis sans-emploi ».

Autre illustration plus théorique mais tout aussi classique, le refus de reconnaître une quelconque différence essentielle entre la classe dirigeante des capitalistes d’entreprises à l’ « Ouest » et la classe dirigeante des capitalistes d’état à l’ « Est ». Tout ce que nous avons à faire est d’observer les relations sociales au niveau de la production, aux USA et en Europe d’un côté, en URSS et en Chine de l’autre, pour voir qu’elles sont essentiellement les mêmes. Ici comme là-bas, la vaste majorité des gens va travailler pour une paie ou un salaire en échange de l’abandon du contrôle sur à la fois les moyens de production et ce qu’iels produisent (qui leur est ensuite revendu sous la forme de marchandises). 

Partager cet article
Repost0
Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article