Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
SERPENT -  LIBERTAIRE

anarchiste individualiste

Mehdi Charef : « Du peuple immigré 

 

sait « On reste trois ans, le temps d’avoir votre certificat d’étude, et avec ça vous pourrez travailler à la Poste ou être instituteur au pays », on n’y croyait pas. C’est pour ça que je me suis dépêché de piquer tout ce que je pouvais à l’école pour m’en sortir. Le jour où je me suis surpris à penser en français — il ne faut pas croire, ça nous est tous arrivé —, ça m’a troublé. Le jour où on parle avec ses frères et sœurs en français, dans la maison… Nos parents ne disaient rien, ils ne voulaient pas nous interdire de nous « intégrer ».

La langue, c’est un des grands enjeux de la domination coloniale.

Le colon, il faut qu’il t’efface, qu’il te supprime. La première chose, c’était renier la langue arabe. On te dit que ta langue est barbare et que la leur, c’est la civilisation. Ton grand-père, alors, c’est quoi ? Rien, il n’est rien ton grand-père. Ça, c’est l’apartheid. Je suis né indigène, et j’ai encore du mal à me voir autrement. On n’avait pas la bonne langue, pas la bonne religion. En France, il fallait renier ce que ma mère portait : le haïk. Ça et apprendre à lire mieux que mon père, c’était comme se débarrasser de lui. Je n’avais pas envie de dépasser mon père, je savais tout ce qu’il avait sacrifié, laissé derrière. Une chose m’a toujours fasciné : après l’école, certains couraient pour rentrer chez eux, dans le bidonville, retrouver la robe et la langue arabe de leur mère, simplement entendre trois mots et repartir. Ceux-là ont mal tourné quand on nous a mis dans les HLM. Quand on était dans les cités de transit, on n’était qu’entre Tunisiens, Marocains, Algériens, et quelques familles africaines. Mine de rien, on se sentait en sécurité. Quand on a déménagé au troisième étage d’une HLM, on avait peur : il n’y avait plus d’Algériens, plus de Marocains, et chacun sa chambre ! On était dans le centre de la ville et plus à l’écart, comme dans le bidonville ou la cité de transit. Beaucoup de gamins de mon âge ont eu du mal à ce moment : il fallait vraiment affronter la France. Tu sentais que tu étais face à leurs maisons, leurs appartements ; il n’y avait plus de refuge. Ça m’a fait du mal de quitter le bidonville, malgré le manque d’eau et les toilettes — affreuses — qu’on fabriquait tous les 50 mètres. Perdre les familles avec lesquelles on vivait, c’était perdre une cohésion. Nos enfants l’ont recréée.

(© Association des bidonvilles et des cités de transit)

Dans votre film Cartouche gauloise, les enfants construisent une cabane particulièrement symbolique. C’était un « refuge », justement ?

La cabane, c’était l’Algérie d’avant l’indépendance. On la construisait avec des copains français ! Elle était abritée sous un pont : il pouvait pleuvoir, on était dans la cabane. On pouvait faire les cons, manger dedans, regarder passer les trains au-dessus, aller se baigner à la rivière. Un jour, un gamin arabe a mis un drapeau algérien sur la cabane ; c’est devenu l’Algérie ; mes copains français sont tous partis, ça a été dur. C’est pour ça que le gamin, dans le film, dit : « Moi aussi, je l’ai construite avec toi, la cabane ! » Il pleure, puis s’en va. En revenant en Algérie, il y a 10 ans, pour visiter des villes dans lesquelles j’allais tourner, on a fait toute la côte avec mon chauffeur — je ne connaissais pas assez bien — et je suis tombé dans une ville kabyle, Béjaïa. Tu aurais vu la gare ! Elle était sublime, construite par des Français. Des pères français ont expliqué à leur fils qu’ici et là, ils avaient installé l’électricité, construit la piscine, le stade, l’école de mon patelin. Ils se disent qu’ils ont construit l’Algérie. Enfant, qu’est-ce que j’admirais leurs vignes ! Tout était nickel. Pourquoi ? Ils avaient 40 ou 50 indigènes qui la travaillaient, leur terre. C’était beau, mais ceux qui travaillaient gagnaient 40 centimes par jour. Nous, on avait faim, très souvent, et les Français ne voulaient pas le voir. Ils ne voulaient pas voir la misère. Le bonheur, ça rend con, et c’était le bonheur pour eux. Dans les plus beaux domaines, il y avait des peupliers superbes, et ils se cachaient derrière. Comment ça se fait que le colon, pour lui, tu n’existes pas ? Je n’ai toujours pas compris.

Vous consacrez de longues pages à votre grand-mère, qui est la seule personne à qui vous posez « trop » de questions. Ce moment est d’ailleurs une respiration du livre…

« Nous, on avait faim, très souvent, et les Français ne voulaient pas le voir. Ils ne voulaient pas voir la misère. Le bonheur, ça rend con, et c’était le bonheur pour eux. »

Ma grand-mère était guérisseuse dans le désert. Elle soignait à l’aide de racines, elle avait des poudres de couleur qu’elle conservait dans des tissus, et les gens venaient de loin pour se faire guérir de fièvres. Les femmes venaient la voir pour leurs problème

s urinaires. Quand elle a quitté ma mère, elle lui a transmis ce don : il me semble avoir vu le geste de transmission. Pour soigner nos otites, ma mère formait une pâte à partir de racines et de plantes, qu’elle mâchait dans sa bouche et nous crachait ensuite d

Partager cet article
Repost0
Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article