Ainsi, des groupes marginalisés ou minoritaires font état de réalités troublantes et nous peinons à les entendre, voire nous leur reprochons de faire le procès du Québec[xxx]. Plus encore, nous n’agissons pas pour changer clairement la donne avec les outils qui sont déjà à notre disposition face à des problèmes que nous connaissons très bien. Nous pourrions dès aujourd’hui et sans la moindre peine poser tant de gestes décisifs pour la vie de tellement de gens. Par exemple, reconnaître certaines langues (de l’inuktitut à l’abénaki en passant par la langue des signes québécoise – notons que certaines d’entre elles n’existent qu’ici dans le monde) et assurer leur pérennité; procéder à l’embauche de personnes issues de la diversité dans la fonction publique pour que celle-ci reflète la diversité réelle de la population; mettre fin à la pauvreté et aux besoins criant d’accès à des services essentiels dans certaines communautés autochtones, en collaboration avec elles et sans attendre le gouvernement fédéral; reconnaître les diplômes des nouveaux arrivant en dépassant le corporatisme de certains corps de métier; établir un processus de traitement des plaintes contre la police qui semble neutre et qui porte à conséquence; régler les disparités salariales qui subsistent encore – même dans le secteur public – entre les hommes et les femmes; offrir les soins de santé adéquat aux personnes qui sont sur le territoire du Québec, peu importe leur statut migratoire et sans délais de carence. Ces gestes nous pourrions les poser maintenant. Ils ne nous mettraient pas en danger, bien au contraire, ils participeraient à nous rendre plus fort·e·s, plus serein·e·s et à nous sentir moins menacé·e·s.
La situation de dépendance a mené la majorité fragile non pas à s’assumer, mais à adopter le nationalisme des incapables. Quand ses tenants ont montré leurs évidentes limites, les nationalistes irresponsables nous ont enfoncé dans une dynamique encore plus malsaine avec nos concitoyen·ne·s marginalisés ou minorisés. Ces derniers ne sont plus seulement gênants, ils deviennent la source du danger qui menace l’équilibre précaire de notre société. Cette idée tordue selon laquelle quelques centaines de milliers de personnes parmi les moins fortunées sont plus dangereuses que l’impérialisme économique et culturel qui nous entoure ou que la crise climatique qui nous guette relève soit du délire, soit du déni. Le délire propre aux gens qui veulent oublier qu’ils ont choisi de ne pas s’attaquer aux vrais problèmes auxquels ils sont confrontés. Le déni de la prise de nos responsabilités comme peuple.
On ne bâtit rien de bon en exaltant le sentiment national. Pas plus en nourrissant l’idée que nous sommes, par essence, meilleurs que les autres et que la nation est un objet immuable qu’il faut protéger contre des attaques étrangères. Tout ce qui reste de ces opérations de flatterie c’est un égo surdimensionné, mais immanquablement flétri par des décisions dont nous ne sommes pas maîtres, ce qui génère un dangereux ressentiment.
La rupture est déjà consommée
La rupture entre indépendance est nationalisme est déjà advenue. À droite, les dés sont jetés et la Coalition avenir Québec (CAQ) a choisi son camp. Dans une récente plaquette autopromotionnelle, le député caquiste de Borduas, Simon Jolin-Barrette, écrivait : « Nul besoin d’être un indépendantiste exalté pour avoir l’avenir du Québec à cœur. Nul besoin d’être indépendantiste pour être nationaliste, et pour exiger que le Québec soit respecté à part entière. »[xxxi]
Le jeune avocat ambitieux a raison et s’inscrit parfaitement dans le nationalisme qui a dominé la scène québécoise des 20 dernières années. Il veut « exiger » qu’on respecte le Québec. Il ne veut pas décider, il veut plaider. En effet, l’indépendance devient, au mieux une menace utile (le couteau sur la gorge de Léon Dion), au pire un encombrant projet à remettre à plus tard (selon la stratégie Lisée), mais elle n’est en rien nécessaire. D’où la pertinence de l’autonomisme adéquiste maintenant caquiste qui a, dans son ingénuité, au moins l’avantage de l’honnêteté.
Jean-François Simard, ancien ministre péquiste désormais identifié à la CAQ reprend le même refrain, mais avec plus de profondeur[xxxii]. En se désolant de la tiédeur nationaliste des élites actuelles, il croit qu’il est temps d’en finir avec le projet de pays déjà refusé deux fois par la population. Pour lui, cela nous permettrait enfin de reprendre les armes de débats musclées avec Ottawa pour négocier une place au sein de la fédération canadienne. Simard propose de troquer les chimères d’un pays qui ne vient jamais à la réalité de notre place bien concrète dans le Canada. Cette place se prendrait, bien sûr, au sein du système politique et économique actuel auquel adhère par ailleurs le sociologue caquiste, qui se dit excédé par l’hégémonie de la gauche au Parti québécois.
Le message de Jolin-Barette et de Simard est simple : parachevons la régression nationaliste et débarrassons nous des encombrantes scories indépendantistes. Finalement, tout ce qu’on veut c’est un sentiment national exacerbé qui permet aux élites locales de mener leurs combats à Ottawa en bénéficiant du support populaire. Que faut-il obtenir dans ces négociations? Plus de pouvoir pour les provinces, une meilleure reconnaissance du Québec au sein de la fédération canadienne et peut-être, avec un peu de chance, « l’honneur et l’enthousiasme » chers à Brian Mulroney.
Car voilà toute la question pour la droite : la position humiliante du Québec, son honneur entaché. Son honneur politique, quand un piteux Philippe Couillard reçoit le camouflet d’un Justin Trudeau qui ne veut pas négocier. Son honneur économique quand il reçoit plus de péréquation que les autres provinces. Pour laver l’honneur il faut réduire légèrement la dépendance politique (en obtenant des bons deals avec Ottawa) et s’adapter le mieux possible à notre dépendance économique (en obtenant des bons deals avec les investisseurs étrangers).
À travers la CAQ, la droite nationaliste a complètement rompu avec l’indépendance.
Indépendance ou résignation
Pour sortir du nationalisme, il ne reste que deux options : la résignation ou l’indépendance. La résignation serait l’arrêt démissionnaire du nationalisme actuel. Ne même plus faire les fanfaronnades d’usage aujourd’hui, ne plus prétendre à rien. S’éclipser à la fois comme société et comme potentiel politique. Devenir un morceau de la courtepointe canadienne, revendiquer des droits à la Cour suprême et s’intégrer le mieux possible à l’économie mondialisée. Plus besoin de nationalisme, il n’y aura plus de prétention à quoi que ce soit.
Il y a, néanmoins, une autre option pour sortir du nationalisme : l’indépendance. Au Québec ce mot est accolé à d’étranges significations, il est compris comme une version « purs et durs » de ce qui a été appelé la « souveraineté du Québec ». Replaçons un peu le vocabulaire. La souveraineté ce n’est pas l’indépendance, c’est la capacité effective d’exercer un pouvoir politique dans un espace et un temps donné. Il y a déjà de la souveraineté au Québec, il y a même une souveraine. Il y a aussi des petits espaces – que la constitution nomme compétences – où chaque ordre de gouvernement exerce à peu près sa souveraineté. Preuve qu’on peut être souverain, sans être indépendant. Il faut certes régler la question de l’origine de la souveraineté au Québec, qui doit venir du peuple[xxxiii] et non de la reine.
La façon qu’a un peuple d’exercer sa souveraineté est très simple, c’est de se former en assemblée constituante et d’établir lui-même les règles de son vivre-ensemble en écrivant une constitution. Beaucoup de peuples l’ont fait, le Québec peut le faire à son tour. C’est le moment où l’on rompt avec le pouvoir royal et où l’on dit : non, le pouvoir qui institue la politique ici, c’est nous. On fait alors une brèche dans le cadre fédéral et colonial. Mais ce geste de souveraineté n’est qu’un premier pas et il ne garantit pas l’indépendance. Dans beaucoup de républiques le peuple est théoriquement souverain, mais l’indépendance n’est pas pour autant acquise. Le peuple peut avoir décidé par un geste instituant de former une république (c’est l’expression de sa souveraineté), mais il n’a pas nécessairement éliminé ce qui le rend politiquement et économiquement dépendant. Ainsi, plusieurs peuples ont exercés leur souveraineté, mais peu de nations sont réellement indépendantes.
En effet, l’indépendance, c’est d’arrêter de dépendre des autres pour prendre ses décisions. C’est la fin de l’adolescence, c’est l’atteinte de la maturité pour un peuple, c’est la prise des responsabilités. Pour atteindre l’indépendance, il faut que la nouvelle constitution propose certains changements substantiels qui permettent au Québec de rompre avec la dépendance politique et économique. Contrairement à ce que soutiennent les tenants du souverainisme traditionnel au Québec, l’absence de contenu n’est pas un avantage, elle est en fait contre-productive car elle permet d’envisager une souveraineté qui ne change rien à nos vies.
Ce n’est donc pas tellement qu’il faille une indépendance qui mènera à un pays « à gauche » contre une indépendance « à droite » (les choix démocratiques fait après l’indépendance sauront bien nous dire là-dessus où loge le Québec), c’est simplement qu’il faut se donner des cadres pour qu’une véritable indépendance soit possible. Or, ces cadres ont plus souvent été pensés à gauche qu’à droite.
En premier lieu, il est crucial d’ouvrir immédiatement une discussion avec les peuples autochtones qui habitent le territoire du Québec, pour qu’ils puissent participer ou dialoguer avec notre processus de sortie du régime colonial et, s’ils le souhaitent, établir le leur propre. Avec ces peuples, toutes les options doivent être sur la table – incluant les questions territoriales – car une condition à l’indépendance d’un peuple, c’est qu’il reconnaisse celle des autres. Il s’agit d’établir un véritable dialogue entre peuples dans l’esprit d’une décolonisation de notre rapport au Canada et des rapports que nous entretenons entre nous. Le rôle de la majorité francophone dans ce processus est de se défaire à la fois de son rôle de colonisé et de colonisateur, une tâche collective complexe et exigeante, mais qui trouve sa solution dans des gestes politiques clairs et non dans la rhétorique (qu’elle relève d’un nationalisme néocolonial ou d’une approche proto-métisse fleur bleue). Ce qui émergera lors de ce dialogue ou même les conclusions de celui-ci peuvent ne pas nous plaire, mais la démarche n’est pas moins essentielle à notre propre sortie de la dépendance. Toute indépendance qui se ferait sans un tel processus serait factice car elle ne participerait pas à dépasser les tensions coloniales qui traversent encore nos réalités. Les rapports coloniaux sont le propre de la dépendance, il faut en sortir.[xxxiv]
En deuxième lieu, il est crucial d’établir dans la constitution à la fois les institutions qui assurent la pérennité d’une société francophone en Amérique et le traitement équitable et juste des minorités au sein de cette société. En brisant la dépendance politique au régime fédéral et à sa constitution par ces gestes, on brise la logique dans laquelle le nationalisme s’inscrit en ce moment. On dé-fragilise la majorité en donnant une sécurité à ses institutions et, du même geste, on définit comme étant fondamentaux les droits des minorités qui à la fois vivent aux côtés de la majorité et la compose.
Enfin, il est nécessaire d’ouvrir toutes les discussions sur les questions économiques, entre autre le rapport aux accords commerciaux, celui à la monnaie canadienne et ceux des rapports économiques avec les autres peuples. L’indépendance exige de faire des choix sur ces questions. Peut-on être indépendants si nos lois peuvent être invalidées ailleurs? Peut-on être indépendants si nos choix monétaires ne sont pas pris chez nous? Toutes ces questions, plusieurs peuples se les posent et donnent des réponses différentes, il faudra les affronter directement pour savoir ce que l’indépendance économique veut dire pour nous.
En bref, la souveraineté est un geste, l’indépendance exige un contenu qui répond au contexte de dépendance dans lequel se trouve le Québec. Le nationalisme n’est que le déni de ce contexte de dépendance par le biais de l’exaltation de la nation.
Si nous empruntons le chemin de l’indépendance, notre réflexion collective s’inscrira dans une tradition qui nous précède et qui a tenté de penser comment pourrait s’articuler notre façon de briser la dépendance politique et économique ici, au Québec[xxxv]. Dans le débat entourant l’écriture d’une constitution, des décennies de riches réflexions socialistes, féministes, écologistes, antiracistes, autochtones et altermondialistes sur la souveraineté et l’indépendance alimenteront la gauche pour faire des propositions concrètes sur notre façon de nous inscrire dans le monde par des règles et des institutions. La droite politique, avec ses traditions et ses idées y participera aussi, mais elle aura le devoir d’expliquer comment ses propositions répondent aux questions fondamentales que pose la prise de notre indépendance.
Il ne sera plus question alors de demander des permissions, de se vanter et de flatter. Il sera question de prendre des décisions face à nos égaux et de vivre avec les conséquences. C’est économique, comme politique. Nous pouvons faire des erreurs, mais ce seront nos erreurs, pas celles d’un autre gouvernement qu’on peut ensuite blâmer sans se sentir concernés.[xxxvi]
L’indépendance, c’est l’entrée collective sur la scène de l’interdépendance globale. À peine sommes-nous adultes que nous constatons notre grand besoin d’être en relation avec les autres. Pour un pays, les autres ce sont les autres peuples du monde et les écosystèmes que nous habitons. Notre premier travail est de comprendre, écouter, découvrir ceux et celles avec qui nous partageons le monde. Cette compréhension exigera de participer à sa transformation pour assurer sa survie[xxxvii]. Devenus indépendant·e·s, ces relations avec les autres nous participons à les fixer : il n’y pas un ministre d’Ottawa qui écoute nos doléances, qui les met dans la grande liste de toutes les doléances des autres provinces et qui fait son choix. Bien sûr, il y a des rapports de pouvoir en jeu, mais nous y participons, nous cessons d’en être les spectateurs.
En finir avec la dépendance
La volonté d’indépendance n’a besoin d’aucune exaltation, d’aucun chauvinisme, d’aucune impression que nous serions meilleurs que d’autres. La volonté d’indépendance est fondée sur la réalité d’une communauté politique dont les frontières sont politico-culturelles et non ethniques. Politiques, car il existe une série d’institutions (l’assemblée nationale, bien sûr, mais surtout : un système d’éducation, un système de santé, des bibliothèques, des maisons de la culture, des médias, une administration publique, un régime fiscal, un code civil, un système d’aide social, etc.) qui regroupe tout le monde qui habite le Québec, peu importe son origine ou son lieu de vie sur le territoire (ces institutions sont des produits de notre monde actuel, elles ne sont pas parfaites et à sauvegarder en l’état, sans les remettre en question, elles contiennent toujours une part d’aliénation). Culturelles, car il existe une série de réalités culturelles (une langue commune et plusieurs langues minoritaires, un cinéma, des chansons, une littérature, une réflexion scientifique, une architecture, un design, une façon de prendre soin du territoire, une cuisine, un humour, des vedettes, des mœurs et coutumes, etc.) qui se croisent et dans lesquelles évoluent la population du Québec (là encore, la culture est un espace tendu, qui contient sa part d’ombre). Au sens descriptif, il s’agit d’une société. Au sens politique, les gens qui habitent cette société forment un peuple qui peut prendre des décisions de nature politique.
L’indépendance consiste à dire que ce peuple devrait pouvoir prendre ses décisions par lui-même. Je n’ai pas besoin d’aimer particulièrement les ougandais·e·s ou les guatémaltèques pour dire qu’ils ont toute la légitimité de prendre de façon indépendante l’ensemble des décisions politiques qui les concernent. Ni d’ailleurs pour souhaiter, par solidarité, qu’aucun impérialisme ne vienne contrevenir à cette autodétermination. Je peux même aimer profondément un peuple ou, au contraire, qu’il provoque chez moi de l’antipathie sans que cela ait de conséquence sur le fait qu’il doit être libre. Pas besoin de nationalisme pour aimer la liberté.
Mais les choses ne peuvent pas en rester à des considérations abstraites quand on souhaite transformer le monde et agir politiquement. Forcément on évolue dans une société donnée. Nous ne sommes pas des citoyen·ne·s du monde loin des institutions et des cultures. Nous baignons dedans. C’est le lieu de notre engagement, ce sont les gens et les institution que l’on aime et déteste tout à la fois et avec qui, irrémédiablement, on partage notre avenir. Ainsi, l’histoire fait que nous sommes au Québec et non ailleurs. Et qu’au Québec, la possibilité de prendre des décisions de façon indépendante n’est pas réglée. Qu’on le fasse parce qu’on pense que le droit à l’autodétermination se vaut en soi ou qu’on le fasse parce qu’avoir tous les pouvoirs politiques et économiques sera nécessaire pour transformer la société devient une question sémantique, il en résulte qu’il faut faire l’indépendance.
Mettre fin à notre dépendance politique et économique envers le colonialisme canadien et la mondialisation néolibérale n’exige aucun nationalisme. En fait, si on veut en finir avec le nationalisme, c’est avec la dépendance qu’il faut d’abord régler nos comptes. La dépendance économique au système mondialisé et la dépendance politique au fédéralisme canadien. Par une situation historique complexe que j’ai tenté de décrire ici, cette double dépendance participe à créer le nationalisme qui domine la politique québécoise depuis 20 ans et qui nous conduit vers de dangereuses dérives aujourd’hui. En finir avec ces liens malsains de dépendance permet, à gauche, de penser un projet de transformation sociale substantiel qui n’est pas balisé par des frontières politiques et économiques imposées d’ailleurs.
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Un grand merci à Marianne Di Croce et à Eric Martin qui ont relu ce texte et m’ont fait des commentaires précieux qui l’ont grandement transformé. Merci aussi à Julie Chateauvert et Jonathan Durand-Folco qui par leurs conseils et réflexions ont grandement nourri l’intuitions à l’origine de ce texte. Bien sûr, tout ce beau monde n’a aucune responsabilité dans les inepties qu’on trouvera immanquablement dans ce texte, leurs contributions ont plutôt tenté de les limiter.
[i] Sur cette question, l’ouvrage suivant me semble bien exposer la complexité de cette période tout en gardant une approche critique : McRoberts, Kenneth et Dale Posgate, Développement et modernisation du Québec, Montréal : Boréal Express, 1983, 350 p.
[ii] J’en ai déjà parlé dans les pages de cette revue à partir de Parti Pris(http://raisons-sociales.com/articles/trois-reflexions-charte-valeurs-quebecoises-partir-parti-pris/), mais pour une réflexion beaucoup plus étendue et nuancée on consultera: Mills, Sean, Contester l’empire – Pensée postcoloniale et militantisme, Montréal : Hurtibise, 2011, 360 p.
[iii] Ce n’est d’ailleurs pas le fait que du deuxième règne de Bourassa comme on le dira trop souvent, cachant avec complaisance les ignominies de la période péquiste s’étendant de la fin du référendum à 1985. On y oublie alors les nombreux reculs sociaux causés par les politique d’austérité mise alors en place, l’adhésion à la thèse de la sauvegarde du dollars canadien fort, la loi spéciale de 1982, la tentative de privatisation de la SAQ et bien d’autres bêtises encore.
[iv] Pour tout le détail de cet argument voir : IRIS, Dépossession, une histoire économique du Québec contemporain, Montréal : Lux éditeur, 2015, 328 p.
[v] Gélinas, Jacques B., Le virage à droite des élites politiques québécoises, Montréal : Écosociété, 2003, 248 p.
[vi] Nombre de travaux de l’IRIS ont montré ces transitions dans le financement fédéral.
[vii] Voir : Savard-Tremblay, op. cit., p.57-111.
[viii] Gélinas, Jacques B., Le néolibre-échange, L’hypercollusion business-politique, Montréal : Écosociété, 2015, 192 p.
[ix] Denault, Alain, Offshore, Paradis fiscaux et souveraineté criminelle, Montréal : Écosociété, 2010, 120 p.
[x] On répondra à ceci que je vise donc un certain nationalisme et non pas le nationalisme en général. On dira que le nationalisme que j’attaque est soit étriqué, étroit ou exacerbé. Ou alors, dans le cas précis du Québec, on évoquera – notamment pour ce que je présenterai plus bas comme le nationalisme des incapables – l’expression « affirmation nationale ». Tout le monde a droit à ses définitions, bien sûr, mais je veux prendre le temps ici d’expliquer en quoi, selon moi, je m’attaque à tout le nationalisme québécois et non à une simple version de celui-ci. Pour ce faire, je m’appui en partie sur une interprétation maussienne du nationalisme que je puise dans Karsenti, Bruno et Cyril Lemieux, Socialisme et sociologie, Paris : Éditions EHESS, 2017, 192 p. (Merci à Jonathan Durand-Folco de me l’avoir fait connaître). La conscience nationale – savoir qu’on existe dans une nation, qu’une nation est un fait social réel même si elle est composé d’éléments imaginaires, y vivre et souhaiter s’y épanouir individuellement et collectivement – n’est pas le nationalisme. Le nationalisme désigne une idéologie portant sur la nation (donc ce n’est pas non plus l’amour individuel de la nation ou de la patrie, qui n’est pas une idéologie construite et structurée – bien que le nationalisme puisse être lié, voire peut provoquer cet amour). Quand j’emploi nationalisme dans les pages qui suivent, je parle d’une idéologie qui fétichise la nation, qui la rend univoque et la dote d’une essence particulière et d’une trajectoire « naturelle » (s’enrichir, étendre son influence, conquérir, péricliter, disparaître, etc.). Le nationalisme ce n’est donc pas penser la nation ou souhaiter le meilleur pour le peuple qui vit en son cadre, sinon tout le monde qui pense ou fait de la politique dans le cadre national devient nationaliste et ce mot ne voudrait plus rien dire de spécifique. Pour justifier l’existence du suffixe « isme » il faut un système de pensée organisé. Pour reprendre l’ouvrage évoqué plus haut : « Loin de considérer la nation de manière sociologique, autrement dit loin de comprendre, de réfléchir et d’élaborer le cadre qu’elle représente, le nationalisme la soustrait à l’examen et la réduit à un présupposé non interrogé » (p.17). Cette fétichisation permet d’utiliser la nation à des fins politiques précises, notamment en la portant aux nues ou en la présentant comme mise en péril. Tout ceci n’empêche pas le nationalisme d’être parfois ouvert et progressiste (comme le néonationalisme des années 1960-1970) ou d’être tout le contraire en fonction de qui le porte. Le nationalisme s’adapte aussi, comme toute idéologie, au contexte politique et culturel dans lequel il évolue. Je m’attaque ici au nationalisme québécois des 20 dernières années, non pas à sa version étriquée ou ethnique, mais au nationalisme québécois en général. Enfin, bien que je sois conscient que cette définition ne fasse pas l’unanimité (mais quelle définition du nationalisme fait donc l’unanimité?), je crois qu’elle permet de rendre compte de la vaste majorité des usages du mot nationalisme et de la pratique politique du nationalisme dans l’espace public québécois. Il n’est donc pas question ni de contester l’existence de la nation, ni du peuple, mais de proposer d’abandonner une certaine habitude du discours et de l’action politique.