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SERPENT -  LIBERTAIRE

anarchiste individualiste

Émilie König, du voile intégral à la Syrie: parcours d'une djihadiste

Émilie König, du voile intégral à la Syrie: parcours d'une djihadiste
Émilie König, née en décembre 1984 et devenue «égérie» de Daesh, aurait été arrêtée en Syrie, où elle résidait depuis l’été 2012. Je l’avais rencontrée juste avant son départ dans le cadre de mes recherches sur le voile intégral. Retour sur sa personnalité.

Partie en Syrie à l’été 2012, Émilie König aurait évolué dans la hiérarchie de l’organisation État islamique si l’on en croit le département d’État américain, qui l’a fichée comme djihadiste en septembre 2015. Elle aurait récemment été arrêtée par les forces kurdes de Syrie.

Avant son départ, elle s’était confiée sur sa vie. Elle avait raconté sa recherche d’idéal pour combler sa vie chaotique, une quête d’absolu qui l’a projetée dans le djihad. Loin d’être la proie de recruteurs, Émilie était une volontaire, animée par un esprit de revanche et de réparation. Elle a vécu sa jeunesse en additionnant les flirts, les boîtes de nuit, l’alcool, les expériences avec des hommes dont elle a eu deux enfants.

Recherche de publicité

J’ai rencontré Émilie König pour la première fois le 23 avril 2012, devant le Palais de justice de Paris, alors que devait avoir lieu une comparution de Mohamed Achamlane, leader de Forsane Alizza –groupuscule musulman démonstratif à visée radicale–, arrêté un mois plus tôt. C’est un membre du groupe qui me met en contact avec elle; il la présente sous le nom de Samra, son prénom de conversion. Je la filme alors pour la première fois: elle porte un masque chirurgical en remplacement de son niqab, afin d’être autorisée à entrer dans le Palais de justice.

 

Elle présente d’emblée le voile intégral comme une obligation religieuse et dit l’avoir adopté après la loi d’octobre 2010. Son choix de porter le niqab après son interdiction est typique d’une tendance apparue après le vote de cette loi, qui a attiré de nouvelles femmes ayant des profils différents des premières à l’avoir revêtu, qui étaient moins démonstratives.

Émilie m’apparaît alors dans une recherche de publicité, allant au devant de la caméra. Elle m’invite ensuite chez elle pour continuer à la filmer. Je me rends plusieurs fois dans son petit deux-pièces à Boulogne. Une relation de confiance se crée. Elle me livre très vite des détails plus intimes sur sa vie. Mes échanges avec elle m’ont permis de distinguer deux niveaux de discours: celui bien policé adopté devant la caméra et celui de ses confessions, où elle se révèle torturée mais sans fausse pudeur.

Contrairement à d’autres femmes portant des signes religieux visibles, Émilie ne s’est jamais présentée comme un modèle de vertu. Mais plutôt par ses faiblesses, ses manques, son désir d’homme à tout prix, ses erreurs de jeunesse. Rapidement, elle me parle de son ancienne activité de barmaid dans une boîte de nuit de Lorient, des hommes qu’elle y a fréquenté alors qu’elle était déjà musulmane, de son mari violent avec lequel elle a vécu un cauchemar.

Elle dit trouver dans le niqab une réponse à sa quête de réparation. Il lui sert à la fois à laver l’échec, mais aussi à cacher la honte: se dissimuler en tant que mère célibataire. Enfin retrouver un honneur perdu et faire le deuil de l’échec matrimonial.

Émilie a 25 ans quand elle adopte le voile intégral. Il représente pour elle une démarche de piété absolue: «J’ai vécu des choses bizarres dans ma vie, mais l’islam m’a appelée. J’ai rencontré un amour inconditionnel: celui d’Allah, je veux tout faire pour lui faire plaisir.» Car le niqab, c’est aussi s’affilier à un mouvement, celui des salafistes, et bénéficier des réseaux sociaux d’entraide, qu’elle comprend ainsi: «Je ne suis plus toute seule. Il y a des frères qui peuvent me défendre.»

Succession de ratages

La vie d’Émilie, telle qu’elle la raconte, est une série d’échecs. Tout commence par l’abandon de son père:

«Mon père est parti quand j’avais deux ou trois ans. Je l’ai retrouvé à 11 ans. Je l’aime beaucoup. C’est un ancien gendarme avec beaucoup de charisme et de cœur. Quand je l’ai vu pour la dernière fois, j’étais enceinte de mon deuxième enfant, sur le point d’accoucher. Il était venu chez moi, il a cru que je m’étais fait refaire les seins. Puis quand il a vu les versets du Coran au mur, il s’est laissé tomber sur une chaise en disant: “c’est pas vrai!” Je lui ai annoncé qu’il allait être grand-père pour la deuxième fois, sans lui avouer que l'enfant s’appellerait Mohamed. J'ai vu mon père s’éloigner en voiture sachant que je ne le reverrai jamais plus. Il m’a rayée de son cœur. Je pleure car je l’aime. Mais je sais que je n’étais pas désirée, c’est pourquoi je ne lui en veux pas. Nous sommes quatre enfants de trois pères différents. Ma mère s’est mariée très jeune et sa belle-mère a tout fait pour gâcher sa vie.»

 

Dans son adolescence, ce n’est pas seulement l’absence du père qui crée son mal de vivre, c’est aussi d’avoir été abusée par l’ami de sa mère entre 11 et 13 ans. Émilie arrête l’école à 15 ans grâce à une dérogation: «Je faisais de la gym acrobatique en sport-étude. J’avais un bon niveau. Mon entraîneur m’encourageait et disait que je pouvais aller très loin. Mais j’ai eu un problème au genou et j’ai dû tout abandonner. Je suis entrée en apprentissage et j'ai travaillé dans le prêt-à-porter masculin et féminin, ainsi que dans le maquillage.»

Sa conversion à l’islam à 17 ans est l’aboutissement de son attirance pour la spiritualité: «Depuis l’enfance, quand j’entrais dans une église, j’avais envie de prier. Je me suis convertie à l’islam car j’ai toujours côtoyé des musulmans.» En dépit de son entrée dans l’islam, elle accepte à 18 ans un emploi de barmaid dans une boîte de nuit. Sa vie est alors ancrée dans le monde de la nuit, où elle sert de l’alcool dans la promiscuité masculine. Elle a une relation avec un homme qu’elle présente comme un Kabyle d’Algérie non pratiquant. Elle se marie avec lui quand elle est enceinte de son premier enfant, à 23 ans. «Quand je me suis mariée, il avait déjà fait de la prison pour trafic de stupéfiants.» Il est à nouveau incarcéré pour violences conjugales, puis pour trafic de drogue. Elle revient sur son échec matrimonial:

«Il me considérait comme sa chose, je lui appartenais. C’est un musulman qui ne pratique pas, qui se drogue et qui m’a beaucoup détruite. Il m’a cassé le nez plusieurs fois. J’ai un problème de cloison nasale et je suis obligée de prendre des médicaments quand je suis enrhumée. Je me suis reconstruite grâce aux sœurs et à l’islam.»

Elle porte plainte pour violence conjugale. Quand il sort de prison en mai 2011, elle habite encore à Lorient et le retrouve à son réveil dans son lit:

«Ce sont mes fils qui lui avaient ouvert la porte. Puis il les a enfermés dans leur chambre. Il m’a insultée, m’a giflée. Il a voulu me déshabiller et j’ai hurlé. C’est pour le fuir que je suis venue à Paris. J’ai trouvé cet appartement à Boulogne grâce à mon travail d’alors: j’étais courtière en assurances dans un call center.»

Elle semble encore sous le choc de cette relation destructrice.

Sa justification au port du voile intégral

Le niqab lui permet d’afficher une nouvelle identité alors qu’elle tente de se reconstruire, en plus de la protéger de son mari. En se voilant intégralement, Émilie dissimule un passé peu reluisant et acquiert une meilleure image d’elle-même. Le psychanalyste Éric Smadja décrit bien cette posture:

«Quand une personne comme Samra a vécu tant d’échecs, elle est en souffrance narcissique. Elle cherche des artifices pour revaloriser son image. Le niqab fonctionne pour elle comme un objet magique. Elle porte sur elle un fétiche pour réparer sa blessure narcissique.»

À 25 ans, Émilie troque ainsi le monde de la nuit contre celui des salafistes. Elle échange un mariage avec un dealer condamné à la prison contre la vertu absolue, la piété totale et sans compromis. Elle se coupe de son entourage de Lorient et trouve à 26 ans l’anonymat de la région parisienne. Elle agit comme une repentie. Le niqab devient la preuve de son changement radical de vie; il lui permet de camoufler son identité et d'échapper aux poursuites de son ancien mari.

Le sociologue Raphaël Liogier, qui l’a rencontrée, se souvient de sa fragilité, de cette femme en difficulté et de son problème identitaire, qu’elle essaye de résoudre grâce à l’instrumentalisation d’un symbole de l’islam rigoriste. Ce que confirme aussi le psychanalyste Éric Smadja:

«Le niqab permet à ces femmes d’exister, même sous la forme du rejet. Il existe un côté masochiste évident, car elles sont persécutées. On est dans des processus de subjectivation dans le sens où ça les aide à se construire une identité individuelle fragile, qu’elles cherchent à réparer de manière singulière: par la transgression, par la provocation. Ce n’est pas une question religieuse mais strictement identitaire.»

Émilie se plaint des interpellations dont elle fait l’objet dans la rue, qui lui rappellent la loi d’interdiction de son vêtement. Elle fait le récit d’un contrôle de police qui s’est suivie d’un sentiment d’humiliation: «Une voiture banalisée s’est interposée devant moi. Ils m’ont demandé de décliner mon identité. Une policière est arrivée et m’a palpée violemment. Elle m’a même palpé les parties intimes. Ce contrôle m’a traumatisée.»

Elle filmera plus tard les vexations dont elle fait l’objet dans un supermarché, interpellée par des personnes âgées qui lui rappellent la loi. Un femme âgée l’apostrophe: «Belphégor se balade.»

À la recherche d’un homme viril, protecteur et transgresseur

Émilie fréquente alors assidûment les réseaux sociaux salafistes à la recherche de l’homme parfait, le musulman viril et pieux. Elle raconte avoir par ce moyen rencontré un Saoudien faisant ses études de médecine en Allemagne. Mais elle renonce à l’épouser quand il lui demande de retirer son niqab le temps de finir ses études: «Moi, j’ai refusé la main du frère, tout simplement. Je n’ai pas à retirer mon niqab. Je me suis désavouée de dunya [le monde matériel, ndlr], donc il est hors de question que je revienne sur mes positions passées, qui sont pour moi maintenant péchés.»

Autre prétendant: un musulman belge converti. Et très vite, on retrouve son attirance pour les hommes à la marge. Elle me dresse le portrait de son futur mari:

«Il est d’origine belge. C’est un ancien compagnon de Ben Laden, que j’admirais profondément. J’ai été très triste quand j’ai appris sa mort. Mon fiancé est fiché internationalement du fait de ses relations. Regarde sa photo sur mon portable. Il a le crâne rasé car il revenait de l’omra [petit pèlerinage à La Mecque]. Regarde les traits de son visage, les côtés de son nez et ses lèvres. Il a vraiment un air de Ben Laden, comme si c’était son fils. Je suis fière d’être avec un homme fiché par la police et considéré comme dangereux.»

Quelques semaines avant son départ en Syrie, Émilie m’a appelée plusieurs fois sur mon portable. Elle était dans une situation de grande détresse. Elle n’arrivait plus à surmonter les insultes dont elle faisait l’objet dans la rue. Ses comptes étaient gelés et elle avait été trompée par son petit ami belge rencontré sur les réseaux sociaux, qui s’était présenté comme un compagnon de Ben Laden. Il lui avait demandé une photo d’elle nue, qu’il a publiée ensuite sur internet. Selon le sociologue Michel Wieviorka:

«Si cette femme a été séduite un temps par quelqu’un qui s’est fait passer pour un lieutenant de Ben Laden, qui lui a fait miroiter le djihad et qui lui a demandé comme prix d’un mariage une photo d’elle nue, cela veut que cette femme a aussi une énorme soif d’amour, que cette femme n’a pas été aimée. Cela lui a coûté cher, parce qu’elle s’est fait avoir par un escroc. Cela l’a peut-être aussi renforcée dans sa recherche du grand amour djihadiste.»

La psychanalyste Raja Ben Slama rappelle:

«La chose sexuelle est très importante dans le djihadisme. C’est une révolution des jeunes, une révolution sexuelle, sauf qu’elle s’étaye sur l’idéologie djihadiste. Elle permet de faire l’amour au nom de Dieu, d’avoir des relations libres sous couvert de religion.»

Émilie se trouve encore plus isolée. La Syrie devient un lieu fantasmé. Elle cherche d’abord à rejoindre le groupe Forsane Alizza. Cindy, ancienne militante de Forsane Alizza –qu’elle a rejoint dès ses débuts–, se souvient d'elle:

«Samra m’avait contactée à l’époque parce qu’elle aurait aimé pouvoir intégrer Forsane. Mais Abou Hamza n’acceptait plus personne. Elle n’avait pas la même vision des choses que moi: il était plus important pour elle de s’installer sur une terre musulmane que de s’occuper de ses enfants. C’est pour moi inacceptable. Mais certains trafiquent les textes pour faire entrer ce genre d’idées dans le crâne de personnes comme elle.»

Cindy rappelle: «Plus une femme a la foi, plus elle a le sentiment d’avoir été choisie par Dieu, moins elle transige avec l’extérieur, toujours perçu comme mécréant, même dans un environnement musulman. Samra avait cette posture sûre d’elle-même, sûre de son choix de vie et se plaçant en posture élective.» Cindy se souvient en février 2014 de la forte présence de Samra sur les réseaux sociaux: «Je ne vois plus Samra sur Facebook. Elle était très controversée. Elle étalait trop sa vie en public depuis la Syrie.»

Double discours

Le discours de Cindy devant la caméra est différent de celui qu’elle tient en off. En posture énonciatrice, elle parle de son devoir domestique en tant que femme. Il existe un fort contraste entre son rôle accepté de femme au foyer tel qu’elle en parle devant la caméra et sa volonté de contrer la loi, de désobéissance civile, de défier la police. Une personnalité double, à la fois dans le conformisme musulman –une femme parfaite et pieuse prenant soin de son foyer «parce que je suis une femme»–, mais aussi rebelle, antisociale, et qui veut s’affronter à l’État.

Elle exprime un discours souvent repris par les femmes en posture de réislamisation, qui acceptent le rôle de la femme selon un schéma traditionnel très sexué. Les salafistes reproduisent un modèle social classique dans lequel les rôles sont partagés: chaque sexe se réduit à une fonction précise au sein de la famille. Du moins en théorie, car il ne faut pas oublier que ces femmes sont éduquées en France et ne veulent pas renoncer à leurs acquis sociaux.

Les femmes «réislamisées» ou converties réaffirment leur attachement aux valeurs classiques, leur obéissance au modèle traditionnel de la femme au foyer. Cette résignation ne doit pas être interprétée au premier degré, car bien peu de femmes s’y conforment. 

En Syrie, Émilie rencontrera un Français converti, Axel Baeza, avec lequel elle aura un fils, Ibrahim. Après le décès de son mari, elle disparaît. En janvier dernier, elle aurait eu des jumelles.

 
Agnès De Féo
Agnès De Féo (9 articles) 
Sociologue et documentariste
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