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SERPENT -  LIBERTAIRE

anarchiste individualiste

Ce califat mystérieux qui fascine tous les djihadistes

Le «califat» emprunte au passé le plus mythique de l’islam. Il incarne aujourd’hui le fantasme du retour à un «gouvernement islamiste mondial». Mais quelle est l’origine de cette institution politico-religieuse centrale dans l’idéologie djihadiste? Pourquoi et comment s’est-elle imposée dans l’histoire, puis effondrée au siècle dernier? Quelle est sa résonance actuelle?

Le 28 juin 2014, Abou Bakr al-Baghdadi et ses disciples de l’organisation Etat islamique (EI) proclament la restauration du «califat» sur les territoires de Syrie et d’Irak conquis grâce à l’incroyable chaos dans ces deux pays. Appuyé sur un projet étatique, une administration rigoureuse, des ressources financières et pétrolières, une «révolution» religieuse sans précédent depuis un siècle se met en place pour imposer dans la durée une idéologie islamiste totalitaire.

Depuis deux ans, cette restauration du «califat» est devenu l’un des marqueurs distinguant Daech (acronyme de l’Etat islamique) des autres réseaux djihadistes plus anciens comme al-Qaïda, dont les observateurs avaient longtemps pensé que l’EI n’était qu’un simple avorton. Elle est désormais l’un des attraits les plus puissants pour les jeunes djihadistes (y compris européens et convertis) qui rêvent d’un retour insensé à l’islam des origines, à la communauté universelle des premiers croyants, à ce modèle archétypal de gouvernement islamique fantasmé depuis treize siècles et appelé «califat» (du mot arabe khilafa) qui veut dire «succession» du Prophète à la tête de l’islam.

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Chef d’Etat et chef spirituel

Le «califat» emprunte au passé mythifié de l’islam. Selon les récits fondateurs du VIIème siècle, le Prophète Mahomet, sentant sa fin prochaine, désigne son plus proche compagnon, Abou Bakr, pour présider à la prière publique. A sa mort en 632, le même Abou Bakr reçoit le serment d’allégeance de tous ses pairs et se voit institué «calife», chargé du culte mais aussi des affaires temporelles de la communauté islamique naissante.

Mais ce «califat» n’est pas qu’une pure construction historique. Il est aussi d’origine sacrée, car il puise à la lettre même du Coran: «Ton Seigneur dit aux anges: je vais établir un khalifa (sorte de vicaire-successeur) sur la Terre» (2.30)». Autrement dit, selon la révélation coranique transmise par Mahomet, Dieu-Allah légitime l’institution d’un «calife» comme substitut du Prophète à la tête de la communauté. Ce caractère divin va conférer au mot une autorité définitive.

Dès les premiers temps de l’islam, le «calife» assume donc la totalité des attributions du Prophète. Il est à la fois «chef d’Etat» et chef d’une communauté de foi, dépositaire du sacré, source de charisme, titulaire de l’autorité morale et de toute prérogative politique. Les premiers califes sont élus, mais le mode d’investiture deviendra héréditaire à partir du règne de Moawya, fondateur de la dynastie des Ommeyades (661-750).

Ce régime dynastique va durer pendant des siècles sous ce double registre temporel et spirituel. Il survit à la guerre de succession qui ensanglante l’islam des origines et enfante le grand shisme entre sunnites et chiites, premiers successeurs du Prophète et d’Abou Bakr, gardiens de la sunna(tradition), et hommes du «parti» (shia) d’Ali, neveu et gendre de Mahomet.

Dieu sur terre ou l’alliance du trône et de l’autel

Le prestige de l’institution califale ne va dès lors plus cesser de croître. Au début, le titre qui lui est attaché est celui d'«émir des croyants», plus rarement de «successeur de l’envoyé de Dieu». Mais sous la dynastie abasside (758-1258) à Bagdad, lorsque la puissance et la civilisation musulmanes sont à leur apogée, le «calife» devient le «représentant direct de Dieu sur terre»! Sous la dynastie ottomane qui va suivre (1280-1922), dans sa phase de surpuissance et de splendeur, il est encore promu souverain «de droit divin», selon une évolution qui ressemble fort à l’institution de la «papauté» dans la chrétienté latine du Moyen-Age.

Le «souverain pontife» de la religion musulmane est d’abord le protecteur des lieux saints de l’islam, La Mecque et Médine, mais plus largement il est le guide de la communauté, la référence absolue en matière de religion, le chef des armées et le magistrat suprême assurant l’exercice de la justice. Le «calife» abasside de Bagdad, comme le «calife» ommeyade de Cordoue conjuguent généralement bien cette grandeur du pouvoir temporel et le charisme du pouvoir spirituel.

Si tous ne sont pas d’éminents politiques, l’un des traits de la culture musulmane va se mettre définitivement en place: la pérennité du modèle «califal» comme alliance du pouvoir politique au sens plein du terme et d‘une autorité morale. Selon les circonstances, ce modèle s’apparente tantôt à un simple rayonnement personnel du «calife», tantôt à une véritable magistrature ayant vocation à exercer un «pontificat» spirituel à l’échelle de la communauté islamique mondiale.

La fin du despotisme clérical ottoman

Le «califat» ne sera aboli qu’au siècle dernier en… 1924. Depuis la fin du XIXème siècle, son sort se confondait déjà avec l’effondrement de l’Empire ottoman, harcelé par les aspirations nationalistes internes, par les mouvements séparatistes (arménien, balkaniques), par le jeu des puissances impériales (russe et britannique) et par la montée des «jeunes Turcs», d’inspiration laïque et et antimonarchiste. En 1909, le sultan-calife Abdulhamid II qui régnait depuis 1876 est destitué par un vote des deux chambres en 1909. C’est un coup mortel pour la fonction califale.

Avec l’émergence de la République présidée par Mustapha Kemal, réformateur et père de la Turquie moderne, la religion et l’Etat sont radicalement séparés et le califat, survivance de l’ancien régime, est logiquement aboli par un vote de l’Assemblée nationale le 3 mars 1924. Le calife Abdulmedjid, qui n’avait plus qu’un pouvoir spirituel, est destitué et exilé. C’est le point final de la dynastie ottomane qui, depuis le XIVème siècle, faisait face à l’Europe chrétienne, était à la fois en Méditerranée et en Orient le bouclier et le fer de lance de l’islam. La fin d’une institution qui incarnait le despotisme clérical et l’hégémonie turque, mais passait encore pour le garant de la tradition et de la grandeur passée de l’islam. L’abolition du «califat» aura d’ailleurs un retentissement profond dans l’ensemble du monde musulman.

Un archaïsme idéologique, mais une mystique toujours actuelle

Le califat incarne la nostalgie des temps mythiques de l’islam, de l’époque du Prophète et de ses successeurs directs

Moins d’un siècle après son abolition en 1924, la restauration du «califat» - longtemps considérée comme un archaïsme dans les milieux modernistes laïcisants - retrouve une actualité dans les discours islamistes radicaux. Ce terme incarne la nostalgie des temps mythiques de l’islam, de l’époque du Prophète et de ses successeurs directs. Les premières générations musulmanes, celle des grands « anciens» (les salafs, qui ont donné le mot salafisme), sont citées en exemple, chargées de transmettre le message de l’islam dans sa fraîcheur originelle. Mais rappelons que l’histoire chrétienne aussi est toujours traversée par cette nostalgie de la ferveur des origines.

L’ambition du «calife» autoproclamé de l’Etat islamique (Abou Bakr Al-Baghdadi, qui a pris le titre de califeIbrahim) est aujourd’hui de réorienter, y compris par les moyens de la terreur, le cours de l’histoire, d’unifier la communauté de tous les croyants sous une seule identité et une seule bannière, de restaurer la place de l’islam sur l’échiquier international. Autant que la restitution d’un passé glorieux, le «califat» est pour lui un système englobant destiné à changer la société et l’homme musulmans, à éduquer les générations futures selon les lois coraniques pour échapper à l’hégémonie de l’Occident, à l’héritage du nationalisme arabe et du tribalisme.

Hélas, cette confiscation du mot «califat» par les djihadistes repose de la pire manière la question plus que jamais actuelle de la vacance d‘une autorité intellectuelle et morale à l’échelle du monde islamique. Depuis un siècle, elle fait l’objet de débats, de recherches, de publications. Dès le début du XXe siècle, alors que le «califat» ottoman était déjà à l’agonie, des penseurs «réformistes» comme l’Egyptien Mohamad Abdouh ou le Syrien Rachid Rida appellaient de leurs voeux des instances de régulation pour l’interprétation des textes fondateurs de l’islam ou pour l’incarnation de la légitimité islamique.

Le mot de «califat» évoque sans doute l’un des chapitres de l’histoire et de la culture musulmanes, mais aujourd’hui c’est une fausse piste. Il n’était plus qu’un objet de mémoire et d’étude, sans incidence réelle sur le destin des pays musulmans. Mais la nostalgie qu’il engendre dans certains discours de résistance à l’islamophobie ou à l’Occident est inquiétante. La mystique de l’unité est toujours vive à l’intérieur d’une communauté musulmane (oumma) divisée, perçue comme persécutée et humiliée, à la recherche d’une nouvelle visibilité historique. Mais, si tant est qu’elle soit possible et réalisable, qui peut raisonnablement penser que la restauration d’un «calife» universel, sorte de monarque absolu de droit divin, pourra combler demain les rêves, les frustrations, les aspirations de la communauté musulmane, réduire ses fractures confessionnelles, ethniques et politiques?

Henri Tincq

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