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SERPENT -  LIBERTAIRE

anarchiste individualiste

Quand l’exception devient la règle

13 novembre 2015. Larmes, cris, agi­ta­tion. Coups de fil aux proches. Apai­se­ment ou, à nou­veau, larmes et cris. Fin de soi­rée. Allo­cu­tions télé­vi­sées des uns et des autres. « On ouvre trop les fron­tières », dit Estrosi. « C’est la France qui est tou­chée dans ses liber­tés », dit Hol­lande. Dont acte : pour sau­ver les liber­tés de la France et de ses habi­tants, on va les pri­ver de leurs liber­tés. On a un nom pour cela : « l’état d’urgence ». Manifs inter­dites. Ordre est donné aux enseignant-e-s de dénon­cer le lundi sui­vant tout-e élève qui ne res­pec­te­rait pas la minute de silence. Cha­cun est prié de pleu­rer encore et encore, de cla­mer haut et fort de ne « pas avoir peur » tout en affir­mant que « la pré­sence des mili­taires, par­tout dans Paris, est ras­su­rante ». Qu’importe si c’est en 1955, en pleine guerre d’Algérie, qu’est née cette notion. Qu’importe si cela per­mit l’interdiction des mani­fes­ta­tions du 17 octobre 61 et du 8 février 62, avec les consé­quences que l’on sait. Et puis, au pas­sage, on arbo­rera des dra­peaux tri­co­lores. Pro­fils « Face­book », bal­cons, écoles… Tout se couvre de fanions.

Jusqu’à quand l’« état d’urgence » ? Petit à petit, comme l’oiseau fait son nid, la « résis­tance » s’organise : on lève l’interdiction de mani­fes­ter, mais bon, atten­tion tout de même. D’ailleurs, la COP 21 vient à point nommé : des fois qu’un dan­ge­reux écolo vienne y mettre son grain de sel, on prend des mesures pour le tenir à dis­tance. Va poin­ter ci, va poin­ter là. Ca per­turbe ta vie quo­ti­dienne ? Eh ! Fal­lait pas jouer les rebelles ! Allons même plus loin qu’en 1955 : l’ouverture de centres de réten­tion pour per­sonnes « pré­sen­tant des risques de dan­ge­ro­sité » est soulevée.

Comme prévu, les pou­voirs accrus de la police donnent aux fonc­tion­naires de l’Intérieur un léger com­plexe de supé­rio­rité : 500 assi­gna­tions à rési­dence, 3000 per­qui­si­tions admi­nis­tra­tives entre le 13 novembre et fin décembre. Pour arrê­ter des ter­ro­ristes ? Allons bon ma p’tite dame ! La loi pré­voit son exten­sion à toute asso­cia­tion qui « por­te­rait atteinte à l’ordre public ». Et puis, bien­tôt, il va fal­loir lever ces mesures excep­tion­nelles. Ques­tion de consti­tu­tion. Ou alors, on pour­rait chan­ger la consti­tu­tion ? Com­ment faire ? Rhé­to­rique, rhé­to­rique ! On crée une dis­tinc­tion entre « la ces­sa­tion du péril », qui devrait entraî­ner ipso facto la levée de l’état d’urgence, et « le risque d’actes ter­ro­ristes », qui peut sem­bler éter­nel. Qui peut jurer que nul n’aura désor­mais l’idée de tirer sur une foule ou de dépo­ser une bombe ? Bon, rassurez-vous : notre liberté a un ber­ger. Il s’appelle le conseil d’Etat. Certes, il est fait d’énarques sor­tis de la même cuisse divine que nos ministres mais, soyons sérieux, on ne va pas lais­ser les mou­tons — par­don, la popu­la­tion — prendre ce genre de décisions.

Alors, entre gens sérieux, on peut se le dire : la dis­tinc­tion entre « péril » et « risque » est un peu… sub­tile. Mais le nou­veau pro­jet de loi consti­tu­tion­nelle auto­rise désormais l’Etat à pro­ro­ger l’état d’urgence. Ca valait bien la peine de faire le coup des syno­nymes !Alors, au pas­sage, selon une méthode bien connue, on bran­dit de nou­velles mesures dont on avoue qu’elles ne sont que « sym­bo­liques », avec l’espoir de détour­ner sur elles l’attention des militant-e-s. La droite pro­po­sait de déchoir de sa natio­na­lité tout-e « binational-e » « en lien avec une entre­prise ter­ro­riste » ? La gauche va le faire ! Peu importe si, en réa­lité, des dis­po­si­tions appro­chant existent déjà : le chif­fon rouge fonc­tionne et une bonne par­tie de la gauche non gou­ver­ne­men­tale y fonce tête bais­sée. Olé ! Entendons-nous bien : que des dis­po­si­tions proches, comme la pri­va­tion des droits civiques, existent déjà ne légi­time en rien une telle pro­po­si­tion. Mais le piège consiste à consi­dé­rer chaque élément de ce dis­po­si­tif sépa­ré­ment au lieu de l’attaquer comme un arse­nal légis­la­tif soli­daire et cohérent.

Second piège dans lequel tombent égale­ment quelques tau­reaux : la dénon­cia­tion de ce pro­jet de loi au nom d’une concep­tion essen­tia­liste de la France ou de la répu­blique. Ce sont les dis­cours de type « c’est contraire à la tra­di­tion d’accueil de la France » (parlez-en aux immi­grés por­tu­gais et ita­liens du XXe siècle !), « la Répu­blique fran­çaise, c’est la liberté » (comme si elle n’avait pas lon­gue­ment inter­dit le regrou­pe­ment d’ouvriers et les grèves). Non, nous ne com­bat­tons pas l’état d’urgence au nom d’une « Idée » de la Répu­blique ou de la France et nous affir­mons que « France » et « Répu­blique » ne sont jamais que des mots, sus­cep­tibles d’acceptions très diverses. Nous com­bat­tons l’état d’urgence au nom de nos liber­tés, liber­tés concrètes et non idéales : notre droit de nous regrou­per, de mani­fes­ter pour amé­lio­rer nos condi­tions de vie et de tra­vail, de dor­mir sans craindre d’être éveillé-e-s en pleine nuit par la police, notre droit d’être défendu-e-s en cas d’inculpation, d’entrer et de sor­tir libre­ment du territoire.

Troi­sième piège et non le moindre : dis­so­cier de cet arse­nal la guerre san­gui­naire qui se déroule en Syrie au nom de liber­tés supé­rieures. Certes, on ne peut que se recon­naître dans le slo­gan « ni Daesh, ni Bachar El-Assad ». Mais, si j’ai une convic­tion, c’est bien qu’une poli­tique intel­li­gente ne sau­rait non plus se résu­mer à un slo­gan ou à une alter­na­tive binaire. Les guerres pas­sées ont mon­tré que de telles inter­ven­tions sont le ter­reau des guerres et du ter­ro­risme de demain. Face au fas­cisme, fran­çais, chré­tien ou musul­man, une seule réponse : la lutte inter­na­tio­nale de tous-tes les travailleur-se-s pour leurs libertés.

Clé­lie.

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