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SERPENT -  LIBERTAIRE

anarchiste individualiste

Guy Hocquenghem contre la normalité

Dans les années 1968 s’exprime un bouillonnement politique et intellectuel. Guy Hocquenghem demeure une figure de cette époque, à la fois militant et théoricien. Il exprime une révolte contre tous les conformismes. Il participe au groupe Vive la révolution !, issu du maoïsme mais qui développe une critique de la vie quotidienne. La philosophe Cécile Voisset-Veysseyre propose une présentation de son parcours dans le livre Guy Hocquenghem. La révolte (1946-1988).

Dans le contexte d’une France colonisée par les intellectuels réactionnaires et les relents nationalistes, Guy Hocquenghem reste une figure contestataire importante à déterrer. Dans La beauté du métis, il dénonce une France repliée sur elle-même à travers une mascarade d’identité nationale. Rebelle et utopiste, il n’hésite pas à attaquer frontalement les idées reçues, à commencer par celles de la gauche et de son camp politique.

« Ce non-conformisme ne se souciait pas de plaire et prenait même un malin plaisir à pourfendre les idées sclérosées d’intellectuels, fussent-ils en vue, avec lesquels il avait un temps frayé ; il était sans concession », souligne Cécile Voisset-Veysseyre. Guy Hocquenghem cultive une verve polémique qui tranche avec notre période consensuelle qui vise à l’unité et aux débats formatés. Il attaque tous les dogmes et tous les pouvoirs. « Ce passionné vomit la tiédeur, fuit la blancheur, déteste la fadeur, ignore la torpeur », précise Cécile Voisset-Veysseyre.

La révolte se confond avec le désir. Il participe au Front Homosexuel d’Action Révolutionnaire (FHAR). Ce mouvement rejette le contrôle social imposé par les prêtres, les médecins, les avocats ou les assistantes sociales. « La parole libre, enfin libérée, n’avait cure de toutes ces instances de contrôle c’est-à-dire de normalisation », souligne Cécile Voisset-Veysseyre. Guy Hocquenghem se distingue avec ses prises de paroles médiatiques. Son ton polémique tranche dans le cadre des débats policés du plateau d’Apostrophes. Face à Bernard Tapie, il affirme « son opposition à la gagne, au pouvoir du fric, à l’économisme, à la satisfaction des égos», rappelle Cécile Voisset-Veysseyre.

Guy Hocquenghem n’hésite pas à attaquer le monde de la petite bourgeoisie intellectuelle. Il refuse la déférence devant la culture officielle, reconnue et largement subventionnée. Il ironise sur une presse vieille et ronronnante. Il attaque les renégats et refuse de céder sur son désir pour s’adapter, se renier, se résigner. «Une soif de liberté, un besoin de libération orientent ses textes tout en explosions », observe Cécile Voisset-Veysseyre.

En 1962, Guy Hocquenghem rencontre René Schérer, un philosophe hétérodoxe qui l’ouvre à la contestation. Une aventure intellectuelle, politique et amoureuse s’engage entre les deux hommes. Guy Hocquenghem grandit dans une famille d’enseignant, au sein de laquelle il se plait à cultiver un esprit de contradiction. Cet élève brillant intègre en 1965 l’École normale supérieure de la rue d’Ulm. Mais il rejette un parcours tout tracé, immergé dans la petite bourgeoisie d’État. La contestation du savoir et de la compétition issue de Mai 68 le conduit à refuser de passer l’agrégation de lettres classiques. Il dénonce le fonctionnariat et l'éducation nationale avec sa « barbarie administrative ».

Le parcours politique de Guy Hocquenghem consiste également à fuir les chemins balisés. Il décide de relier la philosophie à la révolte. Il quitte le Parti communiste qui étouffe le bouillonnement gauchiste des années 1960. Il rejoint les trotskistes desJeunesses communistes révolutionnaires (JCR) créées par Alain Krivine et Daniel Bensaïd. Mais il finit par se faire exclure. Dans le journal Action, il dénonce une société répressive. Il rejoint ensuite les maoïstes spontanéistes, une tendance libertaire qui s’appuie sur l’auto-organisation des luttes.

Pourtant, Guy Hocquenghem continue de fustiger un militantisme gauchiste qui refuse l’expression des désirs. Son homosexualité ne peut pas réellement s’épanouir. Il semble également influencé par les écrits de Raoul Vaneigem. Le désir doit empêcher le retour à l’ordre. Dans le numéro 12 du journal Tout !, il insiste sur la libération du désir, de l’homosexualité et de toutes les sexualités. En 1971, il s’adresse à ceux qui se croient « normaux ».

Entre 1971 et 1979, Guy Hocquenghem enseigne la philosophie à l’Université de Vincennes. Mais il continue de se situer en marge du discours académique et de la pensée universitaire. Il critique l’embrigadement de l’enfance dans le cadre del’école et de la famille. Il dénonce un enseignement qui normalise et uniformise les élèves. L’enfance doit se libérer de l’encadrement par les institutions.

Guy Hocquenghem insiste sur l’importance de la libération, dans le sillage dumouvement de Mai 68. « L’idée de libération selon un passage d’intensité de vie à une autre, passage rendu possible par l’imagination sans modèle préalable, s’exprime comme la revendication d’une liberté totale de vivre », précise Cécile Voisset-Veysseyre. La libération individuelle et collective du désir suppose une contestation des institutions, des mœurs, une opposition à la norme bourgeoise et au pouvoir. Dans Le désir homosexuel, Guy Hocquenghem attaque le monde des convenances et de l’hypocrisie morale. La libération des désirs s’oppose aux normes, aux contraintes sociales et à l’ordre moral. Il prend ses distances avec le FHAR qui recherche moins l’invention de nouveaux rapports humains que l’urgence du sexe et de l’amour. Guy Hocquenghem refuse de se contenter de l’affirmation d’une identité homosexuelle.

Au-delà d’une réflexion critique, Guy Hocquenghem s’appuie sur la libération des désirs pour penser l’invention d’une nouvelle société. Il sort du marxisme classique, centré sur l’économie, pour penser une nouveau mondé fondé sur la libération des désirs. Il se réfère à Charles Fourier, à son utopie amoureuse, avec une société fondée sur l’agencements des passions. « En bref, il convient de penser, avec Fourier la production comme désir et le désir comme production », écrivent Guy Hocquenghem et René Schérer en 1972. Les homosexuels ne doivent pas revendiquer une intégration dans l’ordre social, à travers le travail et la consommation. La libération des désirs doit s’opposer à toutes les formes de normes sociales.

Guy Hocquenghem refuse d’affirmer une identité homosexuelle qui repose sur une distinction entre le normal et le pathologique. Le terme d’homosexualité semble imposé par les institutions et les instances de contrôle, avec les médecins et les psychiatres. L’homosexualité apparaît alors comme une forme de perversité. Le désir demeure multiple et ne peut se réduire à une unicité : « Le désir homosexuel serait plutôt de l’ordre d’un désir de jouir quel que soit le système, et non simplement dans ou hors le système ».

Guy Hocquenghem apparaît aussi comme un grand écrivain. Il rédige des nouvelles et des romans. Il exprime également sa verve pamphlétaire dans sa Lettre ouverte à ceux qui sont passés du col Mao au Rotary. Il défend la mémoire d’un Mai 68 libertaire et fustige un « régiment de renégats ». Il ironise sur les anciens petits chefs gauchistes passés du côté du pouvoir et de l’ordre. Les July, les Kouchner, les Debray, les Glucksman sont joyeusement épinglés. Guy Hocquenghem vise notamment « le nouveau moralisme guerrier » et ironise sur les « crises de masculinité non-résolues de l’après-Mai ». Même dans le petit milieu du militantisme gauchiste, il apparaît comme oppositionnel. Désormais, ses camarades sont passés dans le camp du conformisme le plus tiède.

Guy Hocquenghem devient journaliste. Il écrit dans le service culture de Libérationde 1976 à 1981. Le quotidien fondé par Jean-Paul Sartre est alors dirigé par ses salariés, sans hiérarchie de salaires. Mais Guy Hocquenghem quitte ce journal qui se rallie à la gauche au pouvoir. Il dénonce un recentrage à coup de polémiques et d’oppositions internes avant de définitivement quitter ce qui devient un torchon petit bourgeois. Dans ces articles, il ironise sur la gauche paresseuse et puritaine. Il ridiculise Bernard Henri Lévy et les « nouveaux philosophes ». En 1981, il publie une ironique « Minigraphie de la presse parisienne » comme préface à laMonographie de Balzac. Il attaque différents grands noms du journalisme de son époque. « Il y eut un temps, peut-être, où le journaliste était la voix des autres. Il n’est plus que le ventriloque de la tripaille fermentée du milieu journalistique », dénonce Guy Hocquenghem.

Cette figure de la contestation permet de penser le désir homosexuel. Mais Guy Hocquenghem se situe au tournant de deux époques. Il se réfère à l’esprit libertaire de Mai 68, dans le sillage des mouvements de libération sexuelle. Il se réfère aufreudo-marxisme et à la philosophie contestataire incarnée par Herbert Marcuse. La libération des désirs passe alors par une révolution sociale.

Mais Guy Hocquenghem se réfère peu à la lutte des classes. Dans son pamphlet sur les renégats de Mai 68, il ne propose aucune analyse de classe. La lutte des homosexuels n’est pas directement articulée avec une dimension de classe. Cette approche, avec l’influence de Michel Foucault, peut déboucher vers une philosophie postmoderne. Les micro-résistances priment alors sur une perspective de révolution sociale. Le refus de la norme peut devenir une simple posture sans conséquences.

Pourtant, Guy Hocquenghem se garde d’affirmer une identité homosexuelle. Il s’inscrit dans une libération des désirs, en dehors des normes et des contraintes sociales. Sa philosophie se rattache à celle de Fourier et de son attraction passionnée. Guy Hocquenghem se démarque d’un marxisme rigide, réduit à la sphère économique. Il rejette le gauchisme morne et puritain. Il insiste au contraire sur l’importance du désir et du plaisir.

Source : Cécile Voisset-Veysseyre, Guy Hocquenghem. La révolte (1946-1988), éditions du Sextant, 2015

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