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SERPENT -  LIBERTAIRE

anarchiste individualiste

« C’est au présent que nous parlons de communisation »

Ce « court » texte, produit pour présenter « Théorie Communiste » dans un bouquin anglophone, résume de façon très claire les positions actuelles de cette revue parfois difficile à aborder…. Il y manque les derniers développements produits autour de la distinction de genre qui font partie du N° 24 de TC, paru depuis.

Dans le cours de la lutte révolutionnaire, l’abolition de l’Etat, de l’échange, de la division du travail, de toute forme de propriété, l’extension de la gratuité comme unification de l’activité humaine, c’est-à-dire l’abolition des classes, sont des « mesures » abolissant le capital, imposées par les nécessités mêmes de la lutte contre la classe capitaliste. La révolution est communisation, elle n’a pas le communisme comme projet et résultat, mais comme contenu.

La communisation et le communisme sont des choses à venir, mais c’est au présent que nous devons en parler. C’est le contenu de la révolution à venir que les luttes annoncent, dans le cycle de luttes actuel, chaque fois que le fait même d’agir en tant que classe, dans la lutte contre le capital, apparaît comme une contrainte extérieure, une limite à dépasser. C’est la lutte en tant que classe qui est, à l’intérieur d’elle-même, devenue le problème, sa propre limite. Par là, elle annonce et produit comme son dépassement la révolution comme communisation.

a) Crise, restructuration, cycle de lutte : de la lutte en tant que classe comme limite d’elle-même
Le principal résultat du procès de production capitaliste a toujours été le renouvellement du rapport capitaliste entre le travail et ses conditions : autrement dit il est un procès d’autoprésupposition.

Jusqu’à la crise de la fin des années 1960, la défaite ouvrière et la restructuration qui s’ensuivit, il y avait bien autoprésupposition du capital, conformément au concept de capital, mais la contradiction entre prolétariat et capital se situait à ce niveau par la production et la confirmation, à l’intérieur même de cette autoprésupposition, d’une identité ouvrière par laquelle se structurait le cycle de luttes comme la concurrence entre deux hégémonies, deux gestions, deux contrôles de la reproduction. Cette identité était la substance même du mouvement ouvrier.

Cette identité ouvrière, quelles que soient les formes sociales et politiques de son existence (des Partis communistes à l’autonomie ; de l’Etat socialiste aux Conseils ouvriers), reposait dans sa totalité sur la contradiction qui se développait dans cette phase de la subsomption réelle du travail sous le capital entre d’une part la création et le développement d’une force de travail mise en œuvre par le capital de façon de plus en plus collective et sociale, et d’autre part les formes de l’appropriation par le capital, de cette force de travail, dans le procès de production immédiat, et dans le procès de reproduction. Voilà la situation conflictuelle qui dans le cycle de luttes se développait comme identité ouvrière, qui trouvait ses marques et ses modalités immédiates d’appréhension dans la « grande usine » ; dans la dichotomie entre emploi et chômage, travail et formation ; dans la soumission du procès de travail à la collection des travailleurs ; dans les relations entre salaires, croissance et productivité à l’intérieur d’une aire nationale ; dans les représentations institutionnelles que tout cela impliquait tant dans l’usine qu’au niveau de l’Etat ; dans le bouclage de l’accumulation sur une aire nationale.

La restructuration comme défaite, à la fin des années 1960 et durant les années 1970, de tout ce cycle de luttes fondé sur l’identité ouvrière a eu pour contenu la destruction de tout ce qui était devenu une entrave à la fluidité de l’auto présupposition du capital. On trouvait d’une part toutes les séparations, protections, spécifications qui se dressaient face à la baisse de la valeur de la force de travail, en ce qu’elles empêchaient que toute la classe ouvrière, mondialement, dans la continuité de son existence, de sa reproduction et de son élargissement, doive faire face en tant que telle à tout le capital. On trouvait d’autre part toutes les contraintes de la circulation, de la rotation, de l’accumulation, qui entravaient la transformation du surproduit en plus-value et capital additionnel. N’importe quel surproduit doit pouvoir trouver n’importe où son marché, n’importe quelle plus-value doit pouvoir trouver n’importe où la possibilité d’opérer comme capital additionnel, c’est à dire se transformer en moyens de production et force de travail, sans qu’une formalisation du cycle international (pays de l’Est, périphérie) ne prédétermine cette transformation. Le capital financier a été le maître d’œuvre de cette restructuration. Avec la restructuration achevée dans les années 1980, la production de plus-value et la reproduction des conditions de cette production coïncident.

Le cycle de luttes actuel se définit alors par le fait que la contradiction entre les classes se noue au niveau de leur reproduction respective, ce qui signifie que, dans sa contradiction avec le capital, le prolétariat trouve et affronte sa propre constitution et existence comme classe. C’est en conséquence la disparition d’une identité ouvrière confirmée dans la reproduction du capital, c’est la fin du mouvement ouvrier et la faillite corollaire de l’auto-organisation et de l’autonomie comme perspective révolutionnaire. Parce que la perspective de la révolution n’est plus de l’ordre de l’affirmation de la classe, elle ne peut plus être de l’ordre de l’auto-organisation. Abolir le capital c’est se nier comme travailleur et non s’auto-organiser comme tel, c’est un mouvement d’abolition des entreprises, des usines, du produit, de l’échange (quelque soit sa forme).

Agir en tant que classe c’est actuellement d’une part n’avoir pour horizon que le capital et les catégories de sa reproduction, d’autre part, c’est pour la même raison, être en contradiction avec sa propre reproduction de classe, la remettre en cause. Ce conflit, cet écart dans l’action du prolétariat est le contenu et l’enjeu de la lutte des classes. Que, pour le prolétariat, agir en tant que classe soit la limite de son action en tant que classe est maintenant une situation objective de la lutte de classe, que cette limite soit construite dans les luttes en tant que telle et deviennel’appartenance de classe comme contrainte extérieure est un enjeu dans ces luttes : niveau du conflit avec le capital ; conflits à l’intérieur même des luttes. Cette transformation est une détermination de la contradiction actuelle entre les classes, mais elle est chaque fois la pratique particulière d’une lutte à un moment donné, dans des conditions données.

Ce cycle de luttes est l’action d’une classe ouvrière recomposée. Il s’agit, dans les aires centrales d’accumulation, de la disparition des grands bastions ouvriers et de la prolétarisation des employés, de la tertiarisation de l’emploi ouvrier (spécialistes de l’entretien, conducteurs d’engins, chauffeurs routiers, livreurs, manutentionnaires, etc. – ce type d’emploi est maintenant majoritairechez les ouvriers), du travail dans des entreprises ou des sites plus petits, d’une nouvelle division du travail et de la classe ouvrière avec l’externalisation des activités à faible valeur ajoutée (travailleurs jeunes, souvent intérimaires, sans perspective professionnelle), de la généralisation des flux tendus, de la présence de jeunes ouvriers pour qui la scolarisation a rompu le fil des générations et qui rejettent massivement le travail en usine et la condition ouvrière en général, des délocalisations.

Les grandes concentrations ouvrières en Inde ou en Chine s’inscrivent dans cette segmentation mondiale de la force de travail, tant par leur définition mondiale que par leur propre inscription nationale elles ne peuvent être considérées comme une renaissance ailleurs de ce qui a disparu en « occident ». C’est un système social d’existence et de reproduction qui définissait l’identité ouvrière et qui s’exprimait dans le mouvement ouvrier et non la simple existence de caractéristiques matérielles quantitatives[1].

Des luttes quotidiennes à la révolution il ne peut y avoir que rupture. Cette rupture s’annonce dans le cours quotidien de la lutte de classe chaque fois que dans celles-ci l’appartenance de classe apparaît comme une contrainte extérieure objectivée dans le capital dans le cours même, pour le prolétariat, de son activité en tant que classe. Actuellement, la révolution est suspendue au dépassement d’une contradiction constitutive de la lutte de classe : être une classe est pour le prolétariat l’obstacle que sa lutte en tant que classe doit franchir. Avec la production de l’appartenance de classe comme contrainte extérieure, on peut, à partir des luttes actuelles comprendre le point de bascule de la lutte de classe, son dépassement, comme un dépassement produit : la classe dans sa lutte contre le capital se retourne contre elle-même, c’est-à-dire qu’elle traite sa propre existence, tout ce qui la définit dans son rapport au capital (et elle n’est que ce rapport) comme limite de son action. Les prolétaires ne libèrent pas leur « vraie individualité » niée dans le capital, la pratique révolutionnaire est précisément la coïncidence du changement des circonstances et de l’activité humaine ou autochangement.

C’est par là que nous pouvons parler actuellement du communisme et en parler au présent. Que la révolution soit l’abolition de toutes les classes existe comme un fait actuel en ce que l’action en tant que classe du prolétariat est, pour elle-même, une limite. Cette abolition n’est pas un but que l’on se propose, une définition de la révolution comme une norme à atteindre, mais un contenu actuel dans ce qu’est la lutte de classe même. Produire l’appartenance de classe comme contrainte extérieure c’est, pour le prolétariat, entrer en conflit avec sa situation antérieure, ce n’est pas une « libération », ce n’est pas une « autonomie ». C’est le « terrible pas à franchir » dans la compréhension théorique et la pratique des luttes actuelles.

Le prolétariat n’en devient pas pour autant un être « purement négatif ». Dire que le prolétariat n’existe comme classe que dans et contre le capital, qu’il produit tout son être, toute son organisation, sa réalité et sa constitution comme classe dans le capital et contre lui, c’est dire qu’il est la classe du travail productif de plus-value. Ce qui a disparu dans le cycle de luttes actuel, à la suite de la restructuration des années 1970 / 1980, ce n’est pas cette existence objective de la classe, c’est la confirmation dans la reproduction du capital d’une identité prolétarienne.

Le prolétariat ne peut être révolutionnaire qu’en se reconnaissant en tant que classe, il se reconnaît ainsi dans chaque conflit et à plus forte raison dans une situation où son existence en tant que classe sera, dans la reproduction du capital, la situation qu’il aura à affronter. C’est sur le contenu de cette « reconnaissance » qu’il ne faut pas se tromper. Se reconnaître comme classe ne sera pas un « retour sur soi » mais une totale extraversion comme auto-reconnaissance en tant que catégorie du mode de production capitaliste. Ce que l’on est comme classe n’est immédiatement que notre rapport au capital. Cette « reconnaissance » sera en fait une connaissance pratique, dans le conflit, non de soi pour soi, mais du capital, sa désobjectivation. L’unité de la classe ne peut plus se constituer sur la base du salariat et de la lutte revendicative, comme un préalable à son activité révolutionnaire. L’unité du prolétariat ne peut plus être que l’activité dans laquelle il s’abolit en abolissant tout ce qui le divise.

Des luttes revendicatives à la révolution, il ne peut y avoir que rupture, saut qualitatif, mais cette rupture n’est pas un miracle, elle n’est pas une alternative, elle n’est pas non plus la simple constatation par le prolétariat qu’il n’y aurait plus rien d’autre à faire que la révolution devant l’échec de tout le reste. « Une seule solution, la révolution » est l’ineptie symétrique à celle de la dynamique révolutionnaire de la lutte revendicative. Cette rupture est produite positivement par le déroulement du cycle de luttes qui la précède, elle s’annonce dans la multiplication des écarts à l’intérieur de la lutte de classe.

Nous sommes théoriquement les guetteurs et les promoteurs de ces écarts qui à l’intérieur de la lutte du prolétariat sont sa propre remise en cause et, pratiquement, les acteurs lorsque nous y sommes directement engagés. Nous existons dans cette rupture, dans ce déchirement de l’activité en tant que classe du prolétariat. Il n’y a plus de perspective pour le prolétariat à partir de soi-même comme classe du mode de production capitaliste, si ce n’est la capacité de dépasser son existence de classe dans l’abolition du capital. Il existe une identité absolue entre être en contradiction avec le capital et être en contradiction avec sa propre situation et définition comme classe.

C’est par cet écart à l’intérieur même de l’action en tant que classe que la communisation devient une question actuelle. Cet écart à l’intérieur de la lutte de classe, dans laquelle le prolétariat n’a simultanément que le capital pour horizon et par là entre en contradiction avec sa propre action en tant que classe, c’est la dynamique de ce cycle de luttes. Actuellement la lutte de classe du prolétariat comporte des éléments repérables, des activités qui annoncent son dépassement dans son propre cours.

b) Quelques exemples[2]
Il ne s’agit pas, le plus souvent, de déclarations fracassantes ou d’actions «radicales», cela peut n’être que toutes les pratiques de « fuite » ou de dénégation des prolétaires vis-à-vis de leur propre condition. Dans les grèves actuelles sur les licenciements, souvent et de plus en plus, les ouvriers ne revendiquent plus le maintien de l’emploi, mais des indemnités conséquentes. Contre le capital, le travail est sans avenir. Déjà, dans les luttes dites « suicidaires » comme celle de l’entreprise Cellatex en France, où les ouvriers menaçaient de déverser de l’acide dans une rivière et de faire sauter l’usine, menaces non mises à exécution mais largement imitée à l’occasion d’autres conflits lors de fermetures d’entreprises, éclate que le prolétariat n’est rien séparé du capital et qu’il ne porte par nature aucun avenir si ce n’est l’abolition de ce par quoi lui-même existe. C’est l’inessentialisation du travail qui devient l’activité même du prolétariat, tant de façon tragique dans ses luttes sans perspectives immédiates (suicidaires), que comme revendication de cette inessentialisation comme dans la lutte des chômeurs et précaires de l’hiver 1998 en France.

Le chômage n’est plus cet à côté de l’emploi nettement séparé. La segmentation de la force de travail, la flexibilité, la sous-traitance, la mobilité, le temps partiel, la formation, les stages, le travail au noir, ont rendu flou toutes les séparations.

Dans le mouvement français de 1998, et plus généralement dans les luttes de chômeurs de ce cycle de luttes c’est la définition des chômeurs qui se veut le point de départ de la reformulation de l’emploi salarié. La nécessité pour le capital de tout mesurer en temps de travail et de poser l’exploitation du travail comme question de vie ou de mort pour lui est simultanément l’inessentialisation du travail vivant immédiat par rapport à ce que le capital concentre en lui de forces sociales. Cette contradiction inhérente à l’accumulation capitaliste, et qui fait du capital une contradiction en procès, prend alors la forme bien particulière d’une définition de la classe face au capital dont le chômage se revendique comme le point de départ. Dans les luttes de chômeurs et précaires, la lutte du prolétariat contre le capital fait sienne cette contradiction, la revendique. De même quand les licenciés ne revendiquent pas du travail mais des indemnités.

Les salariés licenciés de Moulinex mettant le feu à un bâtiment de l’usine s’inscrivent également dans la dynamique de ce cycle de luttes qui fait, pour le prolétariat de sa propre existence comme classe, la limite de son action de classe. De même, en 2006, à Savar, 50 km au nord de Dacca, au Bengladesh, suite à trois mois d’arriérés de salaires, deux usines sont incendiées et cent autres mises à sac. En Algérie, la moindre revendication salariale tourne à l’émeute, les formes de représentation sont rejetées sans que s’en forme de nouvelles et ce sont toutes les conditions de vie et de reproduction du prolétariat qui sont en jeu au-delà des protagonistes immédiats de la grève et de la revendication. En Chine, en Inde, on ne passera pas de la multiplication des actions revendicatives multiformes, touchant tous les aspects de la vie et de la reproduction de la classe ouvrière à un vaste mouvement ouvrier. Ces actions revendicatives tournent souvent « paradoxalement » à la destruction des conditions de travail, c’est-à-dire de leur propre raison d’être.

En Argentine, on s’est auto-organisé comme chômeurs de Mosconi, ouvrières de Bruckman, habitants de bidonvilles…, mais ce faisant quand on s’auto-organisait, on se heurtait immédiatement à ce que l’on était qui, dans la lutte, devenait ce qui devait être dépassé et qui a été vu comme étant à dépasser dans les modalités pratiques de ces auto-organisations. Le prolétariat ne peut trouver en lui-même la capacité de créer d’autres rapports interindividuels sans renverser et nier ce qu’il est dans cette société, c’est-à-dire sans entrer en contradiction avec l’autonomie et sa dynamique. L’auto-organisation est peut-être le premier acte de la révolution mais toute la suite s’effectue contre elle. En Argentine, par la façon dont ont été mises en œuvre les activités productives, dans les modalités effectives de leur réalisation, ce sont les déterminations du prolétariat comme classe de cette société qui ont été effectivement bousculées (propriété, échange, division du travail, rapport entre hommes et femmes…). C’est ainsi que la révolution comme communisation devient crédible.

En France, en novembre 2005, dans les banlieues, les émeutiers n’ont rien revendiqué, ils ont attaqué leur propre condition, ils ont pris pour cibles tout ce qui les produit et les définit. Les émeutiers révélèrent et attaquèrent la situation de prolétaire maintenant : cette force de travail mondialement précarisée. Ce qui rendit immédiatement caduc, dans le moment même où une telle revendication aurait pu être prononcée, de vouloir être un « prolétaire ordinaire ».

Trois mois après (au printemps 2006), toujours en France, en tant que mouvement revendicatif, le mouvement étudiant anti-CPE ne pouvait se comprendre lui-même qu’en devenant le mouvement général des précaires, mais alors soit il se sabordait lui-même dans sa spécificité, soit il ne pouvait qu’être amené à se heurter plus ou moins violemment à tous ceux qui, dans les émeutes de novembre 2005, avaient montré que revendiquer d’être un « prolétaire ordinaire » était caduc. Faire aboutir la revendication par son élargissement sabotait la revendication. Qui pouvait croire à la jonction avec les émeutiers de novembre sur la base d’un emploi stable pour tous ? Cette jonction était d’une part objectivement inscrite dans le code génétique du mouvement et, d’autre part, cette nécessité même de la jonction induisait un amour / haine interne au mouvement, tout aussi objectif. La lutte anti-CPE a été un mouvement revendicatif dont la satisfaction de la revendication était inacceptable pour lui-même en tant que mouvement revendicatif.

Dans les émeutes en Grèce, en décembre 2008, le prolétariat ne revendique rien et se considère contre le capital comme le fondement d’aucune alternative. Mais si ces émeutes ont été un mouvement de classe, elles n’ont pas été une lutte dans ce qui est la matrice même des classes :la production. C’est par là que ces émeutes ont pu accomplir cette chose capitale de produire et de viser l’appartenance de classe comme contrainte, mais elles n’ont pu le faire et atteindre ce point qu’en se heurtant comme à leur limite à ce plancher de verre de la production. Et la façon (objectifs, déroulement des émeutes, composition des émeutiers…) dont ce mouvement a produit cette contrainte extérieure a été intrinsèquement définie par cette limite : le rapport d’exploitation comme pure et simple coercition. C’est l’attaque des institutions et des formes de la reproduction sociale prises pour elles-mêmes qui d’un côté l’a constitué et a fait sa force qui en a simultanément exprimé ses limites.

Etudiants sans avenir, jeunes immigrés, travailleurs précaires, ils sont des prolétaires vivant au quotidien la reproduction des rapports sociaux capitalistes comme coercition, coercition inclusedans cette reproduction parce qu’ils sont prolétaires, mais la vivant quotidiennement commeséparée et aléatoire (accidentelle et non nécessaire) par rapport à la production même. Ils luttent à la fois dans ce moment de la coercition comme séparé et conçoivent et vivent cette séparation que comme un manque de leur propre lutte contre ce mode de production.

C’est par là que ce mouvement a produit l’appartenance de classe comme une contrainte extérieure, mais ce ne fut qu’ainsi. C’est par là qu’il se situe au niveau de ce cycle de luttes et en constitue un moment historique déterminant.

Les prolétaires se sont, par leur propre pratique, remis en cause comme prolétaires dans leur lutte, mais ils ne l’ont fait qu’en autonomisant, dans leurs attaques et leurs objectifs, les moments et les instances de la reproduction sociale. Reproduction et production du capital sont demeurées étrangères l’une à l’autre.

En 2009, en Guadeloupe, l’importance du chômage et de la part de la population vivant de « revenus d’assistance » ou d’une économie souterraine fait que revendiquer pour le salaire est une contradiction dans les termes. Cette contradiction a structuré le cours des événements entre un LKP centré sur les travailleurs stables (essentiellement la fonction publique) mais cherchant par la multiplication et l’infinie diversité des revendications à faire tenir ensemble les termes de cette contradiction et l’absurdité, pour la majorité des personnes engagées sur les barrages, dans les pillages et les attaques de bâtiments publics, de la revendication salariale centrale. La revendication a été déstabilisée dans le cours même de la lutte, elle fut contestée ainsi que sa forme d’organisation, mais les formes spécifiques de l’exploitation de l’ensemble de la population héritées d’une histoire coloniale ont pu empêcher que cette contradiction n’éclate plus violemment à l’intérieur même du mouvement (à noter cependant que le seul mort fut un syndicaliste tué sur un barrage). De ce point de vue, la production de l’appartenance de classe comme une contrainte extérieure fut plus un état sociologique et une sorte de schizophrénie qu’un enjeu de la lutte.

De façon générale, avec l’éclatement de la crise actuelle, il y a actuellement dans la revendication salariale une dynamique qu’elle ne pouvait avoir précédemment. Dynamique interne qui lui est donnée par l’ensemble de la relation entre prolétariat et capital dans le mode de production capitaliste tel qu’il est sorti de la restructuration et tel que maintenant il entre en crise. La revendication salariale a changé de signification.

Dans la succession des crises financières qui, depuis une vingtaine d’années, régulent le mode de valorisation actuel du capital, la crise des subprimes est la première à avoir pour point de départ non pas des actifs financiers se référant à des investissements en capital, mais à la consommation des ménages et plus précisément des ménages les plus pauvres. En cela elle est une crise spécifique de la relation salariale du capitalisme restructuré dont la diminution continue de la part des salaires dans la richesse produite tant dans les pays centraux que les pays émergents était (et demeure) définitoire.

Le « partage des richesses » de question essentiellement conflictuelle dans le mode de production capitaliste est devenu, en outre, tabou, ce que le récent mouvement de grèves et de blocages (octobre-novembre 2010) à la suite de la réforme du système des retraites en France est venu confirmer. Dans le capitalisme restructuré (dont nous connaissons actuellement le début de la crise), la reproduction de la force de travail a été l’objet d’une double déconnexion. D’une part déconnexion entre valorisation du capital et reproduction de la force de travail, d’autre part, déconnexion, par le crédit, entre la consommation et le salaire comme revenu.

Bien sûr, le partage de la journée de travail entre travail nécessaire et surtravail a toujours été définitoire de la lutte des classes. Mais, maintenant, dans la lutte sur ce partage, c’est paradoxalement dans ce qui définit le prolétariat, au plus profond de lui-même, comme une classe de ce mode de production et rien que cela, qu’apparaît pratiquement et conflictuellement que son existence de classe devient pour le prolétariat la limite de sa propre lutte en tant que classe. C’est là le caractère central actuel de la revendication salariale dans la lutte des classes. Dans le cours le plus trivial de la revendication salariale, le prolétariat voit son existence comme classe s’objectiver comme quelque chose qui lui est étranger dans la mesure où le rapport capitaliste lui-même le pose en son sein comme un étranger.

La crise actuelle a éclaté parce que des prolétaires n’ont plus pu payer leurs crédits. Elle a éclaté de par le rapport salarial même qui fondait la financiarisation de l’économie capitaliste : compression des salaires nécessaire à la « création de valeur » ; concurrence mondiale de la main-d’œuvre. C’est cette nécessité fonctionnelle qui, avec la crise des subprimes, fait retour de façon négative à l’intérieur du mode historique d’accumulation du capital. C’est le rapport salarial qui est maintenant au cœur de la crise actuelle[3]. La crise actuelle est le début de la phase de renversement des déterminations et de la dynamique du capitalisme tel qu’il était sorti de la restructuration des années 1970 et 1980.

c) Deux ou trois choses que l’on peut savoir d’elle
Comme non-capital, dissolution de toutes les conditions existantes (travail, échange, division du travail, propriété), le prolétariat trouve là le contenu de son action révolutionnaire commemesures communistes : abolition de la propriété, de la division du travail, de l’échange, de la valeur. L’appartenance de classe comme contrainte extérieure est alors en elle-même un contenu, c’est-à-dire une pratique lorsque de manifestation de la limite de la lutte en tant que classe elle se dépasse en mesures de communisation. La communisation ce n’est rien d’autre que les mesures communistes pratiquées comme simples mesures de luttes par le prolétariat contre le capital.

C’est l’insuffisance de la plus-value par rapport au capital accumulé qui est au cœur de la crise de l’exploitation, s’il n’y avait pas au cœur de la contradiction entre le prolétariat et le capital la question du travail productif de plus-value, s’il n’y avait qu’un problème de distribution, c’est-à-dire si la contradiction entre le prolétariat et le capital n’était pas une contradiction pour cela même, le mode de production capitaliste, dont elle est la dynamique, c’est-à-dire si ce n’était pas un « jeu qui produit l’abolition de sa règle », la révolution demeurerait un vœu pieux. La haine du capital, l’envie d’une autre vie ne sont que l’expression idéologique nécessaire de cette contradiction pour elle-même qu’est l’exploitation.

Ce n’est pas par une attaque du côté de la nature du travail comme productif de plus-value que la lutte revendicative est dépassée (on en reviendrait toujours à un problème de distribution), mais par une attaque du côté des moyens de production comme capital. L’attaque contre la nature de capital des moyens de production, c’est leur abolition comme valeur absorbant le travail pour se valoriser, c’est l’extension de la gratuité, la destruction qui peut être physique de certains moyens de production, leur abolition en tant qu’usine dans laquelle se définit ce qu’est un produit, c’est-à-dire les cadres de l’échange et du commerce, c’est leur définition, leur absorption dans les rapports intersubjectifs individuels, c’est l’abolition de la division du travail telle qu’elle est inscrite dans le zonage urbain, dans la configuration matérielle des bâtiments, dans la séparation entre la ville et la campagne, dans l’existence même de quelque chose que l’on appelle une usine ou un lieu de production. « Les rapports entre individus se sont figés dans les choses, parce que la valeur d’échange est de nature matérielle » (Marx, Fondements de la critique de l’économie politique, Ed. Anthropos, t.1, p.97). L’abolition de la valeur est une transformation concrète du paysage dans lequel nous vivons, c’est une géographie nouvelle. Abolir des rapports sociaux est une affaire très matérielle.

Dans le communisme l’appropriation n’a plus cours parce que c’est la notion même de « produit » qui est aboli. Bien sûr, il y a des objets qui servent à produire, d’autres qui sont directement consommés, d’autre qui servent aux deux. Mais parler de produits et se poser la question de leur circulation, de leur répartition ou de leur « cession », c’est-à-dire concevoir un moment de l’appropriation, présuppose des lieux de rupture, de « coagulation » de l’activité humaine : le marché dans les sociétés marchandes, la dépose et la prise au tas dans certaines visions du communisme. Le produit n’est pas une chose simple. Parler de produit, c’est supposer qu’un résultat de l’activité humaine apparaît comme fini face à un autre résultat ou au milieu d’autres résultats. Ce n’est pas du produit qu’il faut partir mais de l’activité.

Dans le communisme, c’est l’activité humaine qui est infinie parce qu’insécable. Elle a des résultats concrets ou abstraits, mais ces résultats ne sont jamais des « produits » pour lesquels se poserait la question de leur appropriation ou de leur cession sous quelque modalité que cela soit. Si nous pouvons parler d’activité humaine infinie pour le communisme, c’est que déjà le mode de production capitaliste nous donne à voir, bien que contradictoirement, et non comme un « bon côté », l’activité humaine comme flux social global continu et le « general intellect » ou le « travailleur collectif » comme force dominante de la production. Ce caractère social de la production ne préfigure rien, il ne fait que rendre la base de la valeur contradictoire.

La destruction de l’échange ce sont des ouvriers attaquant les banques ou se trouvent leurs comptes et ceux des autres ouvriers, s’obligeant ainsi à se débrouiller sans, ce sont les travailleurs se communiquant et communiquant à la communauté leurs « produits » directement et sans marché et s’abolissant par là comme travailleurs, c’est l’obligation pour toute la classe à s’organiser pour aller chercher la nourriture dans les secteurs à communiser, etc. Il n’y a aucune mesure qui, en elle-même, prise isolément, soit le « communisme ». Ce qui est communiste, ce n’est pas la « violence » en soi, ni la « distribution » de la merde que nous lègue la société de classes, ni la « collectivisation » des machines à sucer de la plus-value, c’est la nature du mouvement qui relie ces actions, les sous-tend, en fait des moments d’un processus qui ne peut que communiser toujours plus ou être écrasé.

On ne peut mener une révolution sans prendre de mesures communistes, sans dissoudre le travail salarié, communiser l’alimentation, le vêtement, le logement, se procurer toutes les armes (destructrices, mais aussi les télécommunications, la nourriture, etc.), intégrer les sans-réserves (y compris ceux que nous aurons réduits nous-mêmes à cet état), les chômeurs, les paysans ruinés, les étudiants paumés.

A partir du moment où on commence à consommer gratuitement, il faut reproduire ce qui est consommé, il faut s’emparer des moyens de transport, des télécommunications et entrer en contact avec les autres secteurs ; ce faisant on se heurte aux bandes armées adverses. L’affrontement avec l’Etat pose immédiatement le problème de l’armement, qui ne peut se résoudre qu’en mettant sur pied un réseau de distribution pour soutenir les combats sur une multiplicité de lieux quasiment infinie. Les activités militaires et sociales sont indissolubles, simultanées et s’interpénètrent, la constitution d’un front ou de zones de combat délimitées c’est la mort de la révolution. A partir du moment où les prolétaires défont les lois marchandes, ils ne peuvent plus s’arrêter. Chaque approfondissement social, chaque extension donnent chair et sang aux nouveaux rapports, permettent d’intégrer toujours plus de non-prolétaires à la classe communisatrice en train de se constituer et de se dissoudre simultanément, d’abolir toujours plus toute concurrence et division entre les prolétaires et de faire de cela le contenu et le déroulement de son affrontement armée contre ceux que la classe capitaliste peut encore mobiliser, intégrer et reproduire dans ses rapports sociaux.

Toutes les mesures de communisation devront être une action énergique pour le démantèlement des liens qui unissent nos ennemis et leurs supports matériels, destruction rapide, sans possibilité de retour. La communisation n’est pas la paisible organisation de la gratuité et d’un mode de vie agréable entre prolétaires. La dictature du mouvement social de communisation est le processus d’intégration de l’humanité au prolétariat en train de disparaître. La stricte délimitation du prolétariat par rapport aux autres classes, sa lutte contre toute production marchande sont en même temps un processus qui contraint les couches de la petite bourgeoisie salariée, de la « classe de l’encadrement social » à rejoindre la classe communisatrice. Les prolétaires ne « sont » pas révolutionnaires comme le ciel « est » bleu, parce qu’ils « sont » salariés, exploités, ni même la dissolution des conditions existantes. En s’autotransformant, à partir de ce qu’ils sont, ils se constituent eux-mêmes en classe révolutionnaire. Le mouvement où le prolétariat se définit dans la pratique comme le mouvement de constitution de la communauté humaine est la réalité de l’abolition des clases. Le mouvement social en Argentine, parce qu’il y a été confronté, a posé la question des rapports entre prolétaires en activité, chômeurs, exclus et couches moyennes. Il n’a apporté que des réponses extrêmement parcellaires dont la plus intéressante est sans doute son organisation territoriale. La révolution qui ne peut plus être dans ce cycle de luttes que communisation dépasse le dilemme entre les alliances de classes léninistes ou démocratiques et « le prolétariat seul » de Gorter : deux types de défaites.

La seule façon de dépasser les conflits entre les chômeurs et les « avec-emploi », entre les qualifiés et les non-qualifiés est d’effectuer d’emblée, au cours de la lutte armée, des mesures de communisation qui suppriment la base même de cette division (ce que, confrontées à la question, les entreprises récupérées en Argentine n’ont tenté que très marginalement, se contentant le plus souvent – cf. Zanon – de quelques redistributions charitable aux groupes de piqueteros). Faute de cela, le capital jouera tout au long du mouvement sur cette fragmentation et trouvera chez les auto-organisés ses Noske et Schiedemann.

En fait, ce que déjà avait montré la révolution allemande c’est qu’il s’agit de dissoudre les couches moyennes en prenant des mesures communistes concrètes qui les contraignent à commencer à entrer dans le prolétariat, c’est-à-dire d’achever leur « prolétarisation ». De nos jours, dans les pays développés, la question est à la fois plus simple et plus dangereuse, d’un côté l’immense majorité de ces couches moyennes est salariée et n’a donc plus de fondement matériel à sa position sociale, son rôle d’encadrement et de direction de la coopération capitaliste est essentiel mais précarisé en permanence, sa position sociale dépend de mécanisme de prélèvement de fractions de la plus-value très fragile, mais d’un autre côté, pour ces mêmes raisons, sa proximité formelle avec le prolétariat la pousse à présenter dans les luttes de celui-ci des « solutions » gestionnaires alternatives, nationales ou démocratiques qui préserveraient ses propres positions.

La question essentielle que nous aurons à résoudre est de savoir comment on étend le communisme, avant qu’il soit étouffé dans les tenailles de la marchandise ; comment on intègre l’agriculture pour ne pas avoir à échanger avec les paysans ; comment on défait les liens échangistes de l’adversaire pour lui imposer la logique de la communisation des rapports et de l’emparement des biens, comment on dissout par la révolution le bloc de la trouille.

En conclusion, on n’abolit pas le capital pour le communisme mais par le communisme, plus précisément par sa production. En effet, les mesures communistes doivent être distinguées du communisme : ce ne sont pas des embryons de communisme, c’est sa production. Ce n’est pas une période de transition, c’est la révolution, la communisation n’est que la production communiste du communisme. La lutte contre le capital est bien ce qui différencie les mesures communistes du communisme. L’activité révolutionnaire du prolétariat a toujours pour contenu de médier l’abolition du capital par son rapport au capital, ce n’est ni une branche d’une alternative en concurrence avec une autre, ni un immédiatisme du communisme.

Théorie Communiste

[1] Que la Chine ou l’Inde parviennent à se constituer pour elles-mêmes en tant que marché intérieur dépend d’une véritable révolution dans les campagnes (privatisation de la terre en Chine ; disparition de la petite propriété et des formes de métayages en Inde) mais aussi et surtout d’une reconfiguration du cycle mondial du capital supplantant la globalisation actuelle (une renationalisation des économies dépassant / conservant la globalisation, une définanciarisation du capital productif). C’est-à-dire que cette hypothèse est hors de notre portée conceptuelle actuelle car hors de ce cycle de luttes, elle suppose la révolution telle que ce cycle la porte battue et, dans cette défaite, une restructuration du mode de production capitaliste.

[2] Ces exemples sont en majorité français, la publication de ce texte aux Etats-Unis peut être une mise à l’épreuve des thèses qui y sont défendues.

[3] Il s’agit d’une crise où s’affirme l’identité de la suraccumulation et de la sous-consommation.

English translation

Communization in the Present Tense

Théorie Communiste (trans. Endnotes)

In the course of revolutionary struggle, the abolition of the state, of exchange, of the division of labour, of all forms of property, the extension of the situation where everything is freely available as the unification of human activity – in a word, the abolition of classes – are ‘measures’ that abolish capital, imposed by the very necessities of struggle against the capitalist class. The revolution is communization; it does not have communism as a project and result, but as its very content.

Communization and communism are things of the future, but it is in the present that we must speak about them. This is the content of the revolution to come that these struggles signal – in this cycle of struggles – each time that the very fact of acting as a class appears as an external constraint, a limit to overcome. Within itself, to struggle as a class has become the problem – it has become its own limit. Hence the struggle of the proletariat as a class signals and produces the revolution as its own supersession, as communization.

« C’est au présent que nous parlons de communisation »
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