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SERPENT -  LIBERTAIRE

anarchiste individualiste

L’accaparement des femmes

Down is the new Up

par Andree O. Fobb

Alors que cette chronique avait plutôt en tête de montrer le renversement des valeurs à l’œuvre dans notre monde où l’abjection parée de nouveaux habits peut apparaître comme désirable, je vais plutôt m’attaquer ici à une réalité qui a des airs immémoriaux (1). Colette Guillaumin, dans un article sans complaisance (2), parle de l’accaparement des femmes par les hommes dans l’idée de bénéficier de services sexuels, domestiques ou reproductifs. Vous aurez reconnu la putain, la servante et la maman. Le texte date de 1978, à peine treize ans après que les femmes ont conquis le droit de travailler ou d’ouvrir un compte bancaire sans demander à leur mari et alors que le viol conjugal n’est pas encore reconnu comme tel. Quand on dit oui un jour, on doit dire oui tous les jours… Seules des violences « graves et répétées » (c’est moi qui souligne) peuvent être considérées comme des torts. Pour le reste, on aura compris que le mariage était un système de mise à disposition de l’un·e à l’autre, soit dans la pratique des femmes aux hommes.

Cette logique patriarcale où un homme profite de sa relation avec une ou plusieurs femmes, quel qu’en soit le mode (conjugal, filial, amical, etc.) fait partie d’un droit plus diffus que tous les hommes peuvent être tentés de s’arroger sur toutes les femmes. Un droit que les féministes nord-américaines, jamais contentes, ont théorisé sous l’expression male entitlement. Qui est le récipiendaire de ces droits ? Est-ce le père de famille qui bat son épouse et viole sa fille ? L’homme qui attend sa proie dans une ruelle sombre ? Non non, le bénéficiaire de ce « dû » est un homme comme les autres qui a grandi dans une société sexiste. C’est aussi bien le compagnon qui est si maladroit et a besoin d’un coup de main pour effectuer les tâches considérées comme « féminines » (trouver un objet dans un frigo ?) que le gros réac qui met les pieds sous la table à 11 h 59. C’est aussi bien le garçon quitté qui chouine sur le fait que les filles ne l’aiment pas, malgré sa gentillesse, que celui de 19 ans, toujours puceau, qui se plaint que « c’est injuste » comme Elliot Rodger, auteur d’un meurtre de masse en mai 2014 (3). Et c’est aussi bien le copain qui essaie de me convaincre que tout va bien quand je me plains de la répartition des tâches dans une association que l’homme qui coupe une à une les relations sociales de sa compagne pour la faire graviter autour de sa seule personne. Tous ont en commun de considérer que ne pas recevoir d’une femme ce qu’on en espère est problématique et mérite correction ou négociation. Alors que non, ça n’appelle que le respect de nos refus, même quand ils ne sont pas exprimés avec conviction.

Car dire non n’est pas si simple. Les représentations genrées nous montrent douces et complaisantes, toujours là pour écouter ou soigner. Et nous sommes les premières à nous flageller les unes les autres quand nous ne nous rendons pas disponibles pour les autres : « égoïste », « tu ne penses qu’à toi », ce sont des reproches que l’on adresse plus souvent aux filles. La peur de déplaire et de vivre seule le restant de ses jours, la peur de l’hostilité et de la montée en agressivité font le reste chez beaucoup d’entre nous et nous rendent difficile de poser des limites. Quand nous osons l’ouvrir, il arrive que ça entre par une oreille pour sortir par l’autre. Bavardage de femelle qui ne veut rien dire, la preuve, elle est toujours là après avoir dit qu’il ne fallait pas la prendre pour acquise. Être un allié du féminisme dans ces conditions, ce n’est pas monter sur ses grands chevaux en entendant la énième sortie d’Eric Zemmour, c’est se mettre en mesure d’écouter nos hésitations, nos répugnances, nos « non » quand nous arrivons à les exprimer… Car, même si elles nous empêchent de protéger notre intégrité, nous avons besoin d’aide pour refuser les assignations genrées.

(1) Airs qui sont peut-être trompeurs, voir la lecture de Caliban et la sorcière dans ce numéro.
(2) « Pratique du pouvoir et idée de Nature (1). L’appropriation des femmes », Questions féministes, n°2, 1978.
(3) E. Rodger dans une vidéo expliquant son geste : « Vous, les filles, vous n’avez pas été attirées par moi. Je ne sais pas pourquoi […]. Mais je vais vous punir pour ça. C’est une injustice, je ne sais pas ce que vous n’avez pas vu en moi. » A noter, que quand une femme est dans cette situation, elle se demande plutôt ce qui ne va pas… chez elle.

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