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SERPENT -  LIBERTAIRE

anarchiste individualiste

Malades du travail en chine : chronique d'un désastre

En Chine, les conditions de travail sont très mauvaises dans un grand nombre d’entreprises : un nombre d’heures qui dépasse de beaucoup la réglementation, pas d’équipements de sécurité, le non-respect des consignes élémentaires de sécurité. Dans les mines, par exemple, les accidents ou les maladies professionnelles sont extrêmement fréquents. Lors d’accidents miniers, qui sont nombreux, les patrons de mines achètent le silence des familles des victimes, pour que les autorités de la province ne soient pas averties et qu’ils puissent continuer leur activité. Quand le salarié est victime d’un accident ou d’une maladie professionnelle, il doit surmonter un grand nombre de difficultés pour faire reconnaître ses droits, car les potentats locaux sont très souvent de connivence et se soutiennent les uns les autres.

C’est ce que montre le cas de Zhang Haichao. En 2007, ce jeune homme qui travaille dans une entreprise de polissage de pierres contracte une maladie respiratoire qu’il tente de faire reconnaître comme maladie professionnelle. Il consulte un médecin qui le déclare atteint de pneumoconiose. Mais ce diagnostic est invalidé par les autorités sanitaires de la province, au motif que le médecin consulté ne se trouve pas dans la juridiction de l’entreprise. Zhang Haichao consulte alors un médecin du cru qui le déclare atteint de tuberculose, maladie infectieuse qui ne peut être reconnue dans le système des maladies professionnelles. Il s’avère que ce médecin est un ami du patron du jeune homme et suit ses directives à la lettre.

En désespoir de cause, Zhang Haichao se rend dans un hôpital où un médecin consent à l’aider. Il souhaite prouver que sa maladie a bel et bien été contractée après l’inhalation permanente de poussières de silice sur le lieu de travail. Sur les conseils du médecin, il se fait ouvrir le thorax et le diagnostic tombe, après examen des tissus pulmonaires : le travailleur est atteint de silicose et n’a plus que six années à vivre environ. Grâce à l’aide d’une célèbre ONG située à Hong-Kong, leChina Labour Bulletin, la diffusion de son témoignage sur internet a ému tout le pays (sur le cas Zhang Haichao, voir les actualités plus bas).

Une invisibilité organisée

La Chine a pourtant des lois et une constitution dont un article stipule que tout travailleur a droit à la protection dans le travail et à un dédommagement en cas de maladie professionnelle.

Or les travailleurs malades ne sont pas assez « visibles », et sans la reconnaissance de leur statut, ils sont d’autant plus vulnérables. En Chine, les victimes du travail sont très nombreuses et, à quelques exceptions près, elles restent dans l’ombre et se battent avec leurs propres armes. Les autorités sabotent les processus de reconnaissance et multiplient les échelons de diagnostic et de reconnaissance de la maladie. Il s’ensuit que, du fait de la complexité du processus et de l’allongement du délai, les plaignants décèdent souvent avant d’arriver à l’étape ultime de reconnaissance et leur famille n’obtient aucun dédommagement.

Les chiffres officiels sur les travailleurs touchés par la maladie sont loin de refléter la réalité. Pour l’année 2013, le nombre de nouveaux cas de maladie professionnelle recensés se chiffre à 26 393, dont 23 152 cas de pneumoconiose. D’après les chiffres officiels, depuis la création de la République populaire (1949) jusqu’à l’année 2009, le nombre de maladies professionnelles enregistrées atteindrait 749 970 cas, dont 675 541 cas de pneumoconiose, soit 90% du total. A l’échelle de la Chine, le chiffre paraît dérisoire.

Pour rectifier le tir, les cadres du ministère de la Santé ont, en 2009, reconnu que, du fait de la faiblesse de la couverture des contrôles et du manque de remontée des données, ce chiffre devrait être multiplié au moins par 10. En 2013, le ministère est revenu sur ses estimations : le chiffre devrait être multiplié plutôt par 20. Ce qui porterait le total aujourd’hui à entre 6 et 12 millions de victimes, la plupart étant des paysans-ouvriers sans aucune protection sociale.

De nouvelles ONG au chevet des malades du travail

Pendant la réforme économique de Deng Xiapoing (à partir de la fin des années 1970), la politique d’ouverture a autorisé la création d’un grand nombre d’organisations sociales dont la mission est de pallier l’abandon par l’Etat en matière sociale. Aujourd’hui, les autorités chinoises reconnaissent de plus en plus souvent leur utilité et leur délèguent toutes les questions sociales concernant certaines catégories de la population (malades du sida, porteurs du virus de l’hépatite, homosexuels, migrants), tout en continuant de les surveiller. En 2010, le nombre d’organisations sociales, tous types confondus, se chiffrait à près de 500 000.

C’est dans ce contexte que, depuis quelques années, des volontaires toujours plus nombreux se regroupent pour venir en aide à ces malades. Ils les accompagnent lors des consultations à l’hôpital, les aident dans les formalités, organisent la collecte de dons pour que leur famille puisse continuer à subsister alors que le chef de famille ne peut plus travailler. La marge de manœuvre des ONG est très limitée car les autorités les surveillent étroitement, et peuvent, au moindre écart, les fermer.

Ce travail de mise en visibilité commence à porter ses fruits et les appuis extérieurs se font de plus en plus nombreux. Ainsi, des cinéastes, des vedettes du showbiz donnent de leur temps et de leur notoriété pour faire connaître les actions de l’une de ces ONG. Certaines émissions audiovisuelles à thème social dévoilent la situation des malades qui se trouvent dans le dénuement total. La souffrance des malades en phase terminale est mise en lumière, et amène une partie de la population à douter du système de prise en charge.

La médiatisation est primordiale dans la prise de conscience de telles injustices. Elle représente l’espoir de pouvoir infléchir les autorités pour moins d’injustice. L’indignation provoquée par des situations injustes infligées aux plus faibles d’entre les citoyens se traduit lentement mais sûrement par la formation d’une opinion publique, qui s’exprime de plus en plus sur la Toile. Les décisions des autorités – provinciales ou centrales – sont souvent discutées, avec un sens critique aiguisé. Dans certains cas, la décision prise pour régler un cas de maladie professionnelle est remise en question et révisée, ce qui illustre bien que le poids de l’opinion publique pourrait à l’avenir former le terreau d’une contestation politique.

Ludan

– – –

Traduction partielle d’une interview de Zhang Haichao réalisée pour le China Labor Bulletin en 2012 :

Q : Haichao, à part élever ta fille, y a-t-il d’autres choses importantes que tu aimerais faire dans les prochaines années ?
R : Si je peux bien m’occuper de ma fille, je mourrai sans regrets. Je continuerai à faire des efforts pour aider d’autres travailleurs migrants à défendre leurs droits.
Q : Si tu pouvais remonter le temps, te soumettrais-tu à nouveau à la chirurgie à thorax ouvert ? As-tu des regrets ?
R : Si je pouvais choisir à nouveau, je choisirai toujours la chirurgie à thorax ouvert, sans hésitation. C’était la seule issue pour moi si je voulais rester vivant.
[…]
Q : Que fais-tu aujourd’hui ? Peux-tu toujours travailler à des travaux physiques légers ?
R : Je ne vais pas bien. Plus de 20 travailleurs de mon ancienne entreprise sont déjà morts. Donc mon état est meilleur relativement au leur. […] Je ne peux pas faire de travail physique ; je m’essouffle simplement en marchant vite.
[…]
Q : Sincèrement, ta foi dans la société a-t-elle été ébranlée ? Ressens-tu de la haine envers la société ?
R : Tout comme d’autres travailleurs atteints de pneumoconiose, je sens de la haine envers les responsables politiques et les riches, parce que nous avons sacrifié notre santé et même notre vie et notre famille pour construire ce pays, et pourtant nous sommes exclus. Plus mon état s’aggrave, et plus je suis renforcé dans cette pensée.
[…]
Q : Quels sont tes plans pour élever ton enfant ?
R : Mes parents ont déjà plus de soixante, soixante-dix ans, et ma condition physique s’empire de jour en jour. Mais ma fille n’a que six ans. J’en suis venu à accepter que ma famille et moi nous ne sommes plus capables d’élever ma fille. La pneumoconiose a bouleversé ma vie et a privé toute ma famille de bonheur. Tout ce que je peux espérer aujourd’hui, c’est de minimiser son impact sur ma fille, et que je pourrai trouver une famille au bon cœur pour aider à élever ma fille.

– – –

Rebondissements. En 2013, Zhang Haichao a pu bénéficier d’une double greffe des poumons, une opération extrêmement rare et dangereuse qui représentait pour lui la seule chance de rester vivant, et qui ne peut évidemment pas être généralisée comme un « remède » à la silicose. La même année, il a révélé que quelques années plus tôt, il avait été poussé par l’Etat à signer un accord secret d’indemnisation, qui prévoyait qu’il renonce à un certain nombre de procédures en justice. À l’époque, il avait accepté l’accord (qui contenait une clause de confidentialité), ayant appris qu’un certain nombre de ses collègues en avaient bénéficié également. Cependant, s’étant rendu compte du fait que le secret sur ces transactions avait permis à l’entreprise d’échapper au paiement d’indemnisations conséquentes à d’autres travailleurs ayant déposé des plaintes plus tard, Zhang Haichao a décidé de révéler le contenu de son accord à un journal au moment de son opération.

En savoir plus :

http://www.collegiumramazzini.org/download/langard06.pdf

http://www.clb.org.hk/en/content/survey-details-hard-road-travelled-china%E2%80%99s-victims-pneumoconiosis

http://www.asso-henri-pezerat.org/repression-zhang-haichao-travailleur-chine-militant-victimes-de-pneumoconiose/

http://www.clb.org.hk/en/content/pneumoconiosis-activist-zhang-haich

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