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SERPENT -  LIBERTAIRE

anarchiste individualiste

Vers un anarchisme écologique

Article paru dans La Mauvaise Herbe au printemps 2014.

petit compte-rendu des travaux de Knowing the Land is Resistance.
http://knowingtheland.com/

Il n’y a pas longtemps, je discutais avec un-e ami-e de la perspective négative qu’on véhicule, les anars-écolos-primitivistes, taggés « on veut toute faire sauter ». C’est vrai qu’on est un ti-peu pessimistes. Alors j’ai creusé pour trouver de quoi qui propose des perspectives de luttes réjouissantes. Le collectif Knowing the land is Resistance (KLR) a des réflexions très pertinentes sur le sujet!

Dans sa série d’ateliers « Towards an Anarchist Ecology », ce groupe réussit à parler d’anarchie verte de manière positive, sans se prendre les pieds dans les plats. Leurs travaux des dernières années sont synthétisés en 6 ateliers, résumés ici. Le but de cet article est d’adapter leurs réflexions à Montréal et à rendre leurs idées accessibles en français. Si une lecture plus approfondie vous intéresse, allez donc sur leur site web, pendant que la civilisation existe encore, et téléchargez leurs zines.

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1. Pourquoi « Vers l’anarcho-écologie »?

« We are settlers on this land, raised in cities, rootless, and alienated from the ecosystems we can’t help but be part of. But we want to unlearn what we have been taught by the dominant culture, and in the process, we want to re-learn joy, connection, and wonder, while embracing grief and loss in order to heal. We want to decolonize, and to do this, we need to build a new kind of relationship with the land. We want to take steps towards an anarchist ecology, towards a knowledge of the land that is anti-colonial and anti-authoritarian ».

L’objet ici est une pratique de décolonisation, pour construire une relation antiautoritaire avec la terre sur laquelle nous vivons. Dans ce mouvement, nous abordons plusieurs concepts.

L’écologie, c’est l’étude de ce qui lie les écosystèmes, des relations entre tous les aspects de la vie sur terre, que ce soit les animaux, les plantes, etc. Pour nous rapprocher de la terre que nous habitons, nous utilisons l’écologie, car nous étudions les dépendances entre nous, les créatures qui nous entourent et la terre.

L’anarchie, c’est le rejet de toute forme d’autorité, ce qui implique de rejeter les formes d’autorités qui alimentent l’écologie actuelle, ou écologie dominatrice. La pertinence de l’anarchisme pour l’écologie est donc de contester les aspects dominateurs et destructeurs du mouvement vert actuel. Comme le disait Mel Bazil, des nations Gixsan et Wet’su’weten, au Salon du livre anarchiste de Victoria, les anarchistes se sont éloignés des construits coloniaux en affirmant que personne n’est plus qualifié que nous-mêmes pour gérer nos propres vies. C’est cette pratique antiautoritaire qui fait la pertinence de l’anarchie dans la déconstruction des modèles dominants.

Finalement, le mot « towards », vers, est le plus important des trois. Car il met l’emphase sur le processus personnel, et surtout collectif, qui permet de bâtir des perceptions et des pratiques qui forment nos connaissances. Ce processus nous rappelle que nos buts ne peuvent être atteints rapidement : tant que la société coloniale, capitaliste, patriarcale, etc., existera, nous ne pourrons réellement être et vivre dans un monde libre. Pour l’abattre, il nous faut donc mettre des pratiques de luttes en place, et identifier nos ennemis…

2. L’écologie dominante

« Dominator ecology is the ecology of management from a distance, and of remote expertise, that sees itself as fundamentally separate from the land, inhabiting a present without a past or future ».

Cette forme de pratique est problématique, non pas principalement pour les connaissances qu’elle produit sur l’environnement, mais pour les raisons sociales qui la dissocient de la terre. Enracinée dans les institutions, elle perpétue les schèmes de domination que nous combattons; nous ne voulons pas délégitimer les connaissances, mais les pratiques écologistes. Il est préférable d’apprendre à propos des habitats et des niches environnementales des plantes, insectes et oiseaux à travers les livres et les académies que de rester ignorant-e-s. Puisque nous n’avons pour la plupart pas accès à des connaissances traditionnelles, comme celles des peuples autochtones, de nos grands-parents, etc., vaut mieux s’éduquer comme on peut.

Mais il faut parler honnêtement : peut-être pouvons-nous parler d’une « révolution des connaissances » quand les travaux des biologistes sont intégrés aux décisions politiques des gouvernements, mais nous ne pourrons jamais parler de révolution politique. La principale fonction de l’écologie, au sein de l’économie actuelle, est de gérer les crises pour les intégrer au modèle dominant. Cette récupération peut s’expliquer ainsi : en prenant en charge une situation qui échappe au contrôle des institutions, comme les changements climatiques ou la disparition des milieux humides, et en les intégrant dans le discours démocratique, la lutte est pacifiée. Au lieu protester contre le Wall-mart qui se bâti sur un milieu humide, détruisant économie locale et biodiversité, les habitantes du coin vont se dire que leur marais va être préservé à 22%, comme elles se diraient qu’au moins ça créera de l’emploi. Au lieu de comprendre que la civilisation du pétrole nous tue et brise nos localités, on va écouter la fondation « Sauvons la planète » nous raconter comment leurs actions ont réussi à influencer l’opinion publique. Au lieu de s’insurger contre les condos qui se construisent sur les bords des rivières, on va écouter l’agent-e de communications nous expliquer comment la compagnie va aménager un beau sentier forestier pour rendre les berges accessibles. C’est une forme de gestion du risque qui nous empêche d’agir.

« Modern industrial techno-civilisation is the assumption behind the question it asks, and the wild then becomes a variable to be managed. Often, even if an ecological study’s questions are well intentioned, their findings will be used to justify certain levels of destruction anyways ».

On n’a qu’à regarde qui finance l’écologie pour comprendre son biais et sa fonction : les gouvernements, les compagnies, ou les universités, dont les labos de recherche sont subventionnés… par les compagnies et les gouvernements!

En plus de ses problèmes politiques, l’écologie dominante se base sur le savoir scientifique : ses outils sont la génétique, les données satellites, les tests en laboratoires… L’usage de la technologie de pointe demeure non questionnée. Dans cette perspective, l’écologie enlève le pouvoir d’agir à qui n’a pas la légitimité de l’expertise ni l’accès à la technologie. L’écologie dominante vise la réduction des problèmes à des paramètres scientifiques et leur impact social à des plans de gestion des risques environnementaux. Les solutions, dès lors, passent par le management à distance : création de zones protégées, de parcs, filtres pour diminuer les émanations polluantes, etc., autant de façons de séparer le vivant du vivant et de classifier la nature en ressources exploitables ou à préserver, en attendant le prochain projet de développement durable. Ce qui revient à dire que pour ceux et celles qui ressentent la destruction de l’environnement, les autochtones en premier lieu, leurs objections sont rejetées, car elles seraient « culturelles », passionnelles ou encore simplement non scientifiques. Même si les organismes environnementaux « indépendants », comme Greenpeace, incluent parfois des voix non expertes, le jeu est biaisé, car l’écologie dominante se base sur la prémisse que la civilisation et la science sont nécessaires, car sans elles, l’écologie dominante cesserait d’exister.

De plus, ce mode d’action empêche d’avoir une vision à long terme. En cherchant à résoudre des problèmes à court terme, l’écologie dominatrice perd la perspective historique, qui compile des siècles de destruction environnementale. Par exemple, on tend à perdre de vue la qualité des habitats. Il y a quelque temps, l’île des Sœurs, à Montréal, était le nichoir principal des canards noirs au Canada. Maintenant, c’est un nichoir à maisons de riches, et les canards se sont dispersés dans d’autres habitats, considérés comme leurs « meilleurs nichoirs ». L’écologie dominante ne peut s’attaquer à ce genre de problème, car cela impliquerait de remettre en cause la relation entre l’économie, les villes et les écosystèmes, de remettre en question l’idée du progrès civilisationnel… ce qui emmène le mouvement vert d’aujourd’hui à se déconnecter du monde dans lequel nous vivons pour se replier sur son savoir, biaisé par la science et le pouvoir politique.

« For one thing, indigenous people don’t share that view of progress. For us really, it’s about maintaining a relationship of reciprocity, with all creation. So if we move away from that balance […] then our goal as a society is to move back towards that balance as quickly as possible. So, if you don’t assume progress, then those notions about going backward fall apart ».
– Waziyatawin

3. S’enraciner dans les relations.

Le fait de bâtir des relations avec notre environnement nous enracine dans le concept de l’« interconnectivité », ce qui est la base de l’écologie, comme nous l’avons vu. Alors, si l’écologie dominante est déconnectée du monde, comment bâtissons-nous des relations solides avec ce qui nous entoure? La première étape est de se fier à sa propre autorité et expérience plutôt qu’à celle des experts! De se baser sur nos expériences nous renforce, et nous emmène à poser des gestes plus assurés pour bâtir nos propres bases d’actions, de savoirs. En prenant le temps d’observer l’environnement et d’interagir avec le vivant, nous commençons à apercevoir les détails du monde nous entourant, et à réaliser notre pouvoir d’action, si petit soit-il, sur notre environnement. Cet apprentissage doit aussi confronter notre bagage de colonialistes : l’histoire de la terre est écrite dans le paysage, et prendre conscience de cette histoire est réaliser la profondeur de la blessure.

« Building a relationship with the land involves embracing pain and discomfort, it involves grieving. It means opening our eyes to the on-going violence of this culture and situating ourselves within it ».

Plus qu’apposer des noms sur les plantes, les animaux et les insectes, bâtir une relation veut dire d’apprendre à reconnaître le vivant selon son comportement. Aucun arbre n’est identique à un autre, aucun chat de ruelle ne se ressemble, aucun raton laveur n’incarne le concept de raton laveur… au-delà du savoir théorique, la relation veut dire d’entrer en interaction avec les individualités qui peuplent le vivant. C’est un travail difficile intellectuellement, car quasiment opposé aux modes d’apprentissages académiques dans lesquels nous sommes élevés, et dur émotionnellement, car la première étape est bien souvent de prendre conscience de notre aliénation. Il est pourtant enrichissant, car il permet de contourner le monde du savoir théorique et de la déconnexion d’avec la nature, d’avec nous-mêmes, qui nous mine petit à petit.

4. L’écoute profonde.

« Like any kind of healthy relationship, building a relationship with the land starts with listening ».

Jusqu’à un certain point, avant même de commencer le travail de bâtir une relation, il faut apprendre à écouter. Ça peut passer par plusieurs méthodes. KLR propose une série d’outils sur leur site web. On peut aussi penser au dessin, au jardinage, à la cuisine, à l’observation statique, aux longues randonnées, etc. L’essentiel est de trouver ce qui nous plaît pour approcher le vivant sans utiliser de conceptualisation et en développant nos capacités.

Cette étape peut sembler anodine, mais ce n’est jamais qu’en l’appliquant pendant un certain temps que l’on peut se déconnecter de nos apprentissages coloniaux, qui nous conditionnent à dédaigner nos sens au profit de l’apprentissage académique. Au lieu d’écouter et de partager la réalité du vivant qui nous entoure, nous avons appris à médiatiser, à dépersonnaliser. Cette relation est problématique, car si l’on ne peut jamais savoir ce que ça fait de passer du temps dans une cellule de prison avant d’avoir été arrêté, on ne peut non plus savoir ce que ça fait de passer du temps à observer un marais ou même une ruelle, qui présentent des écosystèmes complexes, avant d’y avoir consacré plusieurs heures.

Dans ce processus, il est facile de se réfugier dans une attitude spirituelle, de parler de « l’énergie » de la terre, ou de se préoccuper de comment l’arbre se sentirait plutôt que d’apprendre à en connaître les traits. Nous encourageons les personnes venant d’un milieu colonialiste à ne pas se laisser aller à de telles pratiques, qui résultent souvent en une relation d’abus avec le vivant. Prétendre à une relation spirituelle avec la terre sans vivre au sein d’une culture autochtone ne mène qu’à développer une prétendue expertise « fake » et abusive. Les peuples autochtones basent leurs pratiques spirituelles sur des générations d’observateurs-trices attentives. Elles se sont consacrées à tirer le meilleur parti du vivant qui les entoure et possèdent des mécanismes de passation de ces savoirs, des aîné-e-s et guides qui tiennent des rôles clés. Ce type de relation culturelle et sociale avec l’environnement ne peut être remplacé ou acquis en quelques mois par des coloniaux, qui prétendent simplement être en phase avec la nature.

Aussi, dans le processus d’écoute de notre environnement, nous ressentons souvent un désespoir ou une douleur. Par exemple, quand nous réalisons que les champs et les boisés dans lesquels nous avons joués enfants (donc avec lesquels nous avons développé une relation) sont ensevelis sous un centre commercial ou des résidences de luxe. Dans ces moments, nous pouvons utiliser nos réflexions pour laisser derrière nous des illusions douloureuses, comme celle que d’autres personnes que nous pourraient être mieux placées pour gérer la situation. Nous avons besoin du courage que la situation doit inspirer pour aller de l’avant et croire en nos expériences.

5. L’écologie urbaine.

« It becomes clear that even in the most polluted industrial wasteland or in the centre of the largest cities, the wild is already rising to these challenges in thousands of small ways ».

Trop souvent, la connexion avec la nature semble nécessiter un espace éloigné. Comme si le sauvage, l’incivilité, avait besoin d’exister dans une retraite quasiment inaccessible, sauf après plusieurs heures de transport motorisé. Non seulement les villes sont-elles des lieux de résistance à la destruction civilisée, mais la ségrégation de la nature dans quelques espaces confinés, parcs, réserves, etc., contribue à nous aliéner. Les écosystèmes bâtis par les humain-e-s au cours des siècles sont autant de lieux à réclamer, essentiels à la santé globale des écosystèmes. Les six rivières de Montréal, maintenant bétonnées, se déversent dans le fleuve, et chaque arbre de cette île contribue à leur santé, filtrant l’eau, craquant le bitume et la croûte de la ville.

« No matter where you are, the land under your feet is worth getting to know and fighting for ».

Même si les perceptions que nous avons de nos premières expériences d’écoute de notre environnement peuvent être négatives, il ne faut jamais oublier à quel point la découverte d’une tale de fraises sauvages en plein centre-ville (et il y en a!) peut être libératrice, que chaque nuit de l’été nous pouvons suivre des bandes de ratons laveurs, descendues du Mont-Royal, qui saccagent les pelouses synthétiques d’Outremont en quête de larves, et que si nous observons bien, il y a des bandes de canards qui s’arrêtent migrer dans tous les étangs de l’île.

En suivant ces traces de l’écologie urbaine, nous constatons aussi à quel point l’environnement est une question sociale. Les raffineries bordent les quartiers pauvres, qui n’ont pas accès aux berges… Qui profite des dernières forêts urbaines, des rivières, et comment les parcs sont-ils répartis? Qui y contrôle les services de location de canots, de raquette, de skis? Les quartiers les plus pauvres ont les plus hauts taux de maladies respiratoires, et le moins de grands arbres. Quand l’accès au sauvage ou à la nature devient un privilège, la beauté et la santé deviennent définies par les classes dominantes. Cette définition ne doit pas leur appartenir.

En rétablissant notre relation avec notre environnement, nous pourrions lier les luttes contre l’embourgeoisement avec l’écologie. La création de parcs bien entretenus n’offre bien souvent aucun abri aux insectes et animaux, qui peuplent les coins peu civilisés de la ville, et n’offrent non plus aucune nourriture ni plante médicinale.

« Looking at cities in terms of ecology opens up new strategic and tactical opportunities for our struggles against the systems of domination, but it also just makes our lives better ».

Au lieu de développer un « leadership environnemental » bidon, qui ne profite qu’à une minorité privilégiée, l’action anarchiste en environnement appelle à restaurer les relations individuelles et collectives qui nous permettent de (re)lier nos vies à l’environnement. Plutôt que de bâtir des programmes d’expertise, nous voulons abolir le privilège de la connaissance de la nature en rétablissant le lien avec l’environnement, et établir un réel rapport de force avec la culture coloniale et la société capitaliste.

6. Réenchanter.

La société dans laquelle nous vivons est l’antipode de l’enchantement. Au mieux, son substrat pour ce sentiment se résume à Disney pour les enfants et le culte des objets pour les adultes.
En apprenant par nous-mêmes de la terre, des relations que nous vivons avec notre environnement, nous apprenons des vérités concrètes et ancrées dans le présent, dans nos luttes, utiles et belles.

« these truths are filled with a passionate and irresistible urgency. They are not just abstracted fact to be either memorized or forgotten –they become a part of who we are as living creatures in the world. From these places, we are guided to act in a way that is rooted in anarchist ideas ».

Dans la démarche de combattre les institutions et les formes de domination, nous oublions souvent de prendre le temps d’aller jouer au parc avec la neige et le vent. D’aller récolter quelques fleurs comestibles pour égayer un peu nos bouffes. De voler quelques pancartes de condos à vendre pour construire une cabane à oiseaux. De pèter de quoi pour le plaisir. D’aimer celles et ceux qu’on aime, d’arrêter de s’haïr un peu… De (re)découvrir la joie de l’infraction commise, de se récréer des liens avec l’environnement autrement qu’en faisant du recyclage selon les normes. Il nous faut réenchanter nos pratiques.

« It’s about curiosity, enthusiasm, play, and a desire to share it all with others. We strive to have our thoughts and actions grow from this re-enchantment, and we think it’s contagious. Because it wants to spread and be shared, re-enchantment is not a retreat. There is not enough wild space left for retreat to be an option and attempts at personally escaping risk leave the needs of the land and of those most hurt by colonial society for last. We feel an urgency to fight back[…] ».

La répression personnelle, la peur, tout comme l’aliénation de la terre sur laquelle nous vivons, sont des mécanismes actifs et incroyablement puissants de la civilisation. Activement, nous sommes éduqués à l’industrie, aux médias de masse, à la haine de soi, à la production, à l’autorégulation et à institutionnaliser nos possibilités de vie. Mais nous pouvons apprendre de notre environnement et sur nos vies en combattant pour abolir cette société, allumant un feu d’une joie contagieuse sur notre passage.

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