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SERPENT -  LIBERTAIRE

anarchiste individualiste

Ce qu’il faut retenir de la grève de six mois des déménageurs de Chicago

En février, au terme de près de deux ans de préparation à la mobilisation syndicale, puis de six mois d’une grève dure, les employés de l’entreprise de déménagement et de stockage Golan’s, à Skokie (Illinois) ont ratifié leur premier contrat syndical.

Les employés se sont rassemblés avec le soutien du worker center Arise Chicago, et ont voté en décembre 2013 l’union syndicale avec la section 705 du syndicat des conducteurs routiers. Ils en avaient assez des abus journaliers, de la stagnation des rémunérations et du vol salarial incessant.

Les travailleurs étaient sommés d’arriver avant 6h30 pour charger les camions de l’entreprise – mais payés uniquement pour les heures de travail consécutives à l’arrivée chez le client. L’entreprise avait pour habitude de déduire 500 dollars de « coûts de formation » du salaire des travailleurs promus au rang de contremaître ou de conducteur. Plusieurs amendes dues à des infractions mineures venaient encore réduire le montant du chèque de fin de mois.

Après le vote pour la création du syndicat, Golan’s a adopté une stratégie bien connue : l’entreprise a cherché à étouffer les revendications syndicales en proposant des augmentations inédites et de nouveaux avantages, tout en s’efforçant de faire traîner les négociations. S’il s’écoule une année sans signature de contrat, il est à nouveau possible pour l’entreprise de contester la légitimité du syndicat et de convoquer de nouvelles élections.

Mais au lieu d’entrer dans la guerre d’usure menée par l’entreprise, le jeune syndicat a appelé à la grève le 28 juillet 2014, au cœur de la période la plus chargée de l’année. 82 employés sur 100 ont rejoint le piquet de grève.

Six mois plus tard, les employés de Golan sont sortis de la grève avec leur premier contrat syndical en main, et une longue liste d’enseignements pour de futures campagnes de mobilisation syndicale. En voici quelques-uns.

Faire une grève stratégique

Les grèves sont devenues rares dans le mouvement ouvrier, et les grèves longues plus rares encore. Les employés de Golan sont passés à l’offensive ; mais ils l’ont fait en fins stratèges.

Avant de se mettre en grève, ils ont préparé contre l’entreprise une série de chefs d’inculpation pour pratiques déloyales de travail, s’offrant ainsi une protection légale contre les remplacements permanents[1].

Pour étayer leurs revendications auprès de l’administration du travail, les négociateurs syndicaux ont choisir de maintenir avec l’entreprise et l’administration une correspondance écrite systématique. Ils ont parié sur le fait que le porte-parole de l’entreprise – plus accoutumé à briser les élans syndicaux qu’à négocier – aurait recours à des tactiques dures, ce qui s’est avéré être le cas.

Serrer les rangs

Même dans les cas où un syndicat sort victorieux d’une grève prolongée, la victoire se fait souvent à la Pyrrhus : seule une minorité de grévistes reprennent leur poste, car la plupart ont déjà été forcés de trouver du travail ailleurs – d’autant plus que la majorité des travailleurs n’est plus seulement à court d’argent, mais également très endettée. Dans de telles situations, le syndicat doit presque tout recommencer à zéro.

Mais ça n’a pas été le cas à Golan’s. Sur les 65 votes en faveur de la formation d’un syndicat, 50 employés ont réintégré l’entreprise à la fin de la grève. Une stratégie du syndicat pour assurer la cohésion entre les travailleurs au fil de la mobilisation était de constituer un fonds de grève.

La section 705 du syndicat des conducteurs routiers a son propre fonds pour la grève, mis en place au début des années 2000 après une décennie de mouvements de grève dans les secteurs clés du syndicat, notamment le transport de marchandises et de colis. Le fonds est consacré à soutenir les grèves qui ont pour but la reconnaissance syndicale et la signature du premier contrat. Les grévistes de Golan’s ne risquaient donc pas d’épuiser leurs ressources après quelques semaines sur le piquet de grève.

L’allocation d’un salaire journalier pour la grève – de 50 à 100$ selon la nature du poste occupé dans l’entreprise – se faisait sur présentation de rapports détaillés des activités sur le piquet de grève, 6 heures par jour au minimum. Les grévistes devaient tenir consciencieusement ces rapports et veiller à ce que chacun d’entre eux participe et se tienne à une certaine discipline sur le piquet de grève.

Les travailleurs de Golan’s ont même pu recruter certains des briseurs de grève grâce à une clause autorisant leur section syndicale, avec l’approbation du conseil exécutif, à mettre à profit le fonds de grève pour rémunérer les travailleurs extérieurs au syndicat souhaitant soutenir le mouvement.

Autant de conditions qui ont permis au syndicat de ne pas faire du piquet de grève une triste façade soutenue par une poignée de partisans symboliques. Au contraire, les grévistes étaient toujours nombreux, si bien que parmi toutes les stratégies déployées pour faire inlassablement pression sur Golan’s, ils pouvaient notamment avoir recours à des piquets mobiles et perturber des négociations avec les clients. (Une tactique amusante était d’utiliser le rat gonflable[2], ou « gros chat », pour agacer les clients les plus chics de l’entreprise de déménagement).

Choisir ses alliés

Arise Chicago a été un allié fondamental tout au long de la grève. Le worker center a par exemple contribué à la mobilisation de centaines de soutiens locaux pour des manifestations le week-end. Il a témoigné devant le Conseil d’administration de Skokie des pratiques récurrentes de vol salarial chez Golan’s et initié l’élan vers l’élaboration d’un décret du comté de Cook contre le vol de salaire[3], adopté en février.

En tant qu’organisation confessionnelle, Arise Chicago a contribué à une prise de conscience chez les dirigeants religieux de la région, qui ont apporté leur soutien au mouvement. On comptait parmi eux des rabbins et des organisations civiles juives, ce qui n’a fait qu’accroître la pression sur les propriétaires de l’entreprise, eux-mêmes membres de la communauté juive locale.

Le worker center a aussi secondé les efforts du syndicat pour impliquer dans le mouvement des figures politiques locales, comme la députée Jan Schakowsky, qui est venue sur le piquet de grève et a incité les dirigeants à trouver une issue à la grève.

Se renseigner

La collaboration avec leur députée a également permis aux grévistes de faire échouer la stratégie de l’entreprise de recruter des briseurs de grèves à bon marché.

Golan’s avait recruté des étudiants internationaux pour la haute saison des déménagements, avec le visa J-1 d’ « échange culturel ». Après le début de la grève, l’entreprise a fait venir de tout le pays des travailleurs étudiants J-1 supplémentaires, briseurs de grève sans le savoir.

Il s’est avéré que lorsque ces étudiants internationaux ont découvert l’écart entre les promesses de Golan’s et les conditions de travail réelles, les grévistes n’ont eu aucun mal à les recruter en grand nombre pour rejoindre le piquet de grève.

Mais les négociateurs syndicaux avaient également pris soin de se renseigner en amont de la grève, en se servant de formulaires de demande d’informations pour obtenir des copies de tous les contrats des travailleurs avec visa. Parmi les clauses imprimées en petits caractères, ils ont trouvé un paragraphe stipulant que les travailleurs étudiants J-1 ne pouvaient pas être mobilisés en cas de grève ou de lock-out.

Des travailleurs étudiants soutenant le mouvement ont fait pression sur leurs organisations de tutelle, dont plusieurs ont rompu leurs partenariats avec Golan’s, tandis que la députée Schakowsky exposait inlassablement au ministère des Affaires Etrangères les pratiques douteuses liées à l’exploitation du visa J-1 dans sa région.

Anticiper les plans adverses

A l’origine, l’entreprise semblait décidée à faire traîner les négociations au-delà du délai d’un an pour mener ensuite une campagne de révocation de l’accréditation du syndicat.

Quand l’entrée en grève des travailleurs est venue bousculer ces plans, Golan’s a changé de stratégie. Sa tactique principale consistait désormais à retarder les audiences devant l’administration du travail où le syndicat pourrait exposer ses plaintes contre l’entreprise.

En déposant ses propres plaintes contre le syndicat toutes les deux semaines environ, souvent pour les mêmes infractions, Golan’s a retardé la procédure de plusieurs mois. Les accusations en question étaient souvent inventées de toutes pièces. Par exemple, un des meneurs de la grève a été accusé d’avoir tenté de renverser des briseurs de grève – au moment même où il rendait visite à sa famille en Equateur.

Le dessein de l’entreprise était clair : forcer les grévistes à endurer le rude hiver de Chicago sur le piquet de grève, en espérant que le froid suffise à briser la grève.

Il est indéniable que l’hiver rendait le piquet de grève moins convivial qu’au fil de l’été, rythmé par des matches de football improvisés et des concours du meilleur chili con carne. Mais les travailleurs se sont rendus sur le piquet de grève avec des pelles à neige et du bois de chauffage pour tenir les rangs.

Poursuivre la lutte en interne

Le syndicat a mené sa dernière action en février, après un jugement de l’administration du travail en faveur des employés de Golan’s et une négociation pour mettre un terme aux pratiques déloyales de travail de l’entreprise.

La section syndicale a proposé un retour au travail immédiat et inconditionnel. Ses membres étaient prêts à se présenter le lendemain matin à 6h.

Golan’s avait l’obligation légale de réintégrer tous ces employés, et plus encore, l’entreprise devait renvoyer tous les briseurs de grève dans un délai de cinq jours.

Les dirigeants s’attendaient à voir les grévistes revenir la queue entre les jambes. Mais le message du syndicat était clair : les travailleurs seraient prêts à entrer de nouveau en grève dès l’ouverture de la haute saison.

Armés de bon sens, les leaders du mouvement ont prévenu les cadres de Golan’s qu’en l’absence de contrat syndical, les déménageurs auraient le droit de faire grève pour chacune de leurs doléances. Et avec le départ des briseurs de grève, l’entreprise, privée d’une force de travail semi-permanente, se savait vulnérable aux agitations et à d’autres tactiques de lutte interne.

Le lendemain du départ des derniers briseurs de grève, le syndicat a annoncé la signature d’un premier contrat avec Golan’s.

Mark Brenner

Traduit de l’anglais par Diane Gagneret

Article initialement publié par Labor Notes

[1] Dans le droit du travail étastunien, des salariés en grève pour des motifs purement économiques peuvent être légalement remplacés (NDT).

[2] Symbole de protestation contre les patrons antisyndicaux dans les conflits du travail aux États-Unis (NDT).

[3] Le « vol de salaire » (wage theft) désigne une pratique patronale courante aux États-Unis qui consiste à ne pas payer l’intégralité des heures de travail ou certains avantages sociaux dûs aux salariés (NDT).

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