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SERPENT -  LIBERTAIRE

anarchiste individualiste

La mémoire trafiquée, mon amour, ma déchirure dans l’Histoire ou le chant des marais

je suis une fois de plus désespérée devant l’oubli de l’histoire… une amie communiste sort le chant des Marais, un chant désormais approprié par des boys scouts avec fleur de lys. Et elle explique naïvement qu’elle s’est faite accuser de négationnisme pour avoir aimé la version féministe, tout cela me submerge, nous sommes en pleine confusion … Pourquoi ont-ils oublié que ce chant des marais était celui de Dachau? Mais ils ne savent pas plus ce qu’était Dachau, tout cela a glissé dans la « Shoah », il y a même des salopards qui font de la Shoah un instrument de l’anticommunisme, un autre négationnisme… Comment dire mon écoeurement devant toutes ces manipulations…

Dachau fut le premier camp de concentration important construit en Allemagne, l’un des rares construits avant la mort du président Paul von Hindenburg en 1934. N’oubliez pas que celui-ci fut choisi y compris par la social-démocratie comme rempart contre le nazisme mais surtout les communistes, il nomma Hitler comme chancelier. Et si Hitler attaqua les juifs les premiers emprisonnés furent les communistes. La nuit de cristal dont c’est aujourd’hui l’anniversaire eut lieu en 1938 et la solution finale debuta avec l’envahissement de la Pologne en 1939, mais l’incendie du Reichtag, l’arrestation massive des communistes commença dès la prise de pouvoir en 1933, les nazis devaient cela au patronat, leur bailleur de fond et ils peuplèrent les premiers Dachau… C’est pourquoi Dachau fut tout d’abord le lieu d’internement des opposants politiques, mais il accueillit également par la suite des juifs de Bavière, des prisonniers de guerre soviétiques et des femmes ainsi que des homosexuels1 et Tsiganes. Chacun y connut la souffrance, la faim et y côtoya la mort. Dachau compta plus de 100 kommandos qui, avec le camp central, regroupèrent 75 000 détenus. Son existence était connue en dehors des frontières dès 1933 (le magazine VU y consacre son numéro du 3 mai 1933, ainsi qu’au camp d’Orianenburg).

Mon mari me racontait ce camp dans lequel il fut déporté pour faits de Résistance et comme communiste en 1944, il y avait là des communistes allemands internés depuis 11 ans, ces communistes tenaient on ne sait comment, ils se faisaient violence dans leur corps et leur âme, exerçant comme une nécessité la discipline, jusqu’à la folie pour certains, comme la seule chance de survie. Les communistes français partageaient cette volonté, cette discipline et cette solidarité. Ainsi quand pour s’amuser un nazi sadique supprimait à un détenu la tranche de pain sans laquelle il ne pouvait survivre tous les communistes prenaient des miettes sur leur propre tranche et reconstitutaient une tranche pour celui à qui on l’avait supprimée. Mon mari me racontait aussi comment les soldats soviétiques prisonniers acceptaient le sacrifice collectif, quand le repas des chefs arrivait, ils se mettaient en tortue et volaient le pain. Les nazis en prenaient un ou deux dans la mêlée et les condamnaient à la pendaison. Cela se faisait en public, les détenus tournaient en rangs autour du gibet derrière un orchestre. Les soldats russes, me racontait mon mari, se jetaient dans le licol en criant « VIVE L’URSS, VIVE STALINE »(1).

Ce camp était au milieu de la coquette ville de Dachau avec ses balcons fleuris et ses boiseries peintes, » les enfants nous jetaient des pierres alors que nous ressemblions à des squelettes » me disait-il. J’y suis allée avec lui et j’ai vu, la colère m’a étreinte. Dans le camp se trouvaient en garnison un corps de SS ainsi que des agents de la Gestapo. Les prisonniers étaient entassés dans 34 baraques, chacune devant en principe contenir 208 prisonniers ; au moment de l’arrivée des soldats américains, certains baraquements contenaient cependant 1.600 détenus dont la plupart dans un état cadavérique, n’ayant plus que la peau sur les os qui saillaient. Le camp reçut ainsi plus de 200 000 prisonniers venus de plus de 30 pays. Ils étaient confrontés à des conditions de vie extrêmement difficiles : travaux forcés, froid, chaleur, sévices, manque de nourriture, manque d’hygiène, maladies (typhus).

Mon mari avait conservé de longues cicatrices noires sur ses jambes. La trace des fers de la prison d’Eysses où après la révolte qu’il avait déclanché il avait fait partie des 24 condamnés à mort et seuls douze avaient été exécutés, les autres comme lui enchaînés avaient été gardés au secret. Les plaies mal soignées ne s’étaient pas totalement refermées, à Dachau, mon mari m’expliquait que tous les matins il arrachait à ses plaies les gros poux blancs du typhus.

En juin 1944, un premier convoi de plusieurs centaines de Français arriva à Dachau. Le 2 juillet 1944, un convoi partit de Compiègne avec plus de 2 000 détenus : plusieurs centaines étaient morts à son arrivée. Mon mari faisait partie de cet abominable train, train de la soif et train de la mort. Il m’a raconté : on leur avait donné une tranche de pain et de saucisson, pas d’eau, ils étaient dans des wagons à bestiau à plus de cent, c’était une fournaise. Dans certains wagons ils buvaient leur urine, ils se tuaient entre eux, le soleil dardait , il n’y avait qu’une toute petite ouverture, ils étouffaient dans cet espace chauffé à blanc et ils sont restés huit heures là-dedans. Dans son wagon, ils étaient communistes et ils s’étaient organisés pour sauver les autres, les plus malades, s’asseyant à tour de rôle, voir couchant les plus mal en point. A un moment il y a eu un orage et mon mari qui était grand a tendu sa chemise pour la tremper et il l’a passé aux plus malades sans même humecter ses lèvres.

Il me disait toujours : « Si tu veux survivre dans de telles conditions, il faut t’oublier ». Le parti était pour lui la mise en œuvre collective de ce principe.

Selon les enregistrements répertoriés, plus de 30 000 personnes périrent dans ce camp même. En 1945, une épidémie de typhus se déclarale 25 janvier 1945. Les malades et les inutiles étaient transférés au château de Hartheim, où des milliers furent assassinés au gaz. À l’intérieur du camp, se trouvait une station expérimentale dirigée par le docteur Sigmund Rascher où des médicaments furent expérimentés sur les prisonniers, notamment pour tester leur résistance à la maladie.

Mon mari lors de son arrestation avait été torturé par la gestapo et il n’avait pas parlé. Il me disait que c’était par erreur puisqu’alors qu’il avait tenu le temps nécessaire pour que le réseau se disperse et se planque, il allait parler, il n’en pouvait plus de souffrance, ses tortionnaires l’ont cru évanoui et ont dit « il ne parlera pas!On le travaille encore quelques minutes et on le laisse » Il a eu la force de tenir, mais il me disait « c’est le hasard, tu finis toujours par parler, le tout est de le faire le plus tard possible ». Après il avait été interné dans la centrale d’Eysse dont les reponsables politiques avaient refusé de sortir seuls et avaient voulu une révolte collective. Là encore mon mari privilégiait la solidarité sur tout le reste et je n’ai su que très tard, après sa mort, que s’il avait déclenché la révolte en ceinturant le milicien c’était parce que celui qui devait le faire avait eu peur. jamais mon mari n’aurait vendu un compagnon d’arme, il comprenait toutes les défaillances et il s’amusait à citer TolstoÏ: « Je connais la conscience d’un honnête homme c’est un abime! »

Quand je lis dans Wikipédia que la discipline était faite par les kapos, j’ai honte, Marcel Dassault et tant d’autres qui furent sauvés savent que la discipline était faite par les communistes au profit de tous pour tenter d’en sauver un maximum, le nom de Marcel Paul reste attaché à cette solidarité et discipline communiste.

Mon mari se sacrifia même et fut un des derniers à quitter le camp pour aider à son évacuation… Ils avaient l’impression et c’est ce que dit le chant des marais qu’un monde totalement nouveau pourrait naître. Il y eut un bombardement, un train fut éventré et avec un campagnon ils ont trouvé une cassette avec des pièces d’or: « laisse cela dit mon mari, le monde ne va plus s’intéresser à ça! Nous sommes différents! »

Et effectivement toute sa vie l’homme que j’ai aimé a été différent et le parti représentait ce moment de fusion vers un autre avenir où l’on s’oubliait pour mieux survivre. Tous ceux qui ont connu Pascal Fieschi, c’était son nom, savent ce que l’on ressentait en sa présence, il était comme le feu dans la cheminée ou la mer que l’on contemple et dont le spectacle vous nourrit.

Comment vous dire alors mon désarroi quand je vois toutes les manipulations autour de ce chant des marais qu’il me chantait de sa voix juste mais rauque cassée par la cigarette mais aussi le cachot, le froid dans les baraquements et les marais. Le travail dans les marais, dans son kommando d’ Allard il était attelé avec Pierre Doize parce qu’ils dépassaient tous les deux le mètre quatre-vingt et ont fini en pesant 50 kilos, dans le brouillard et le froid en simple pijama rayé avec des sabots… A Dachau qui était le premier camp de concentration ils ont retrouvé des communistes allemands mis là depuis 11 ans et tous ne tenaient que par la discipline, l’oubli de soi… cela me fait mal de voir ce symbole réactionnaire scout sur ce chant… Des scouts avec fleur de lys, d’autres qui ne voient que les juifs alors que les communistes étaient là majoritaires et sauvaient y compris les juifs.

Mon dieu que faire pour empêcher ce trafic, ces rumeurs véhiculées y compris par les nôtres qui ont tout oublié.
Danielle Bleitrach

(1) si je vous raconte notre premier voyage à Moscou, la manière dont il est descendu de l’avion en contemplant la terre russe et en disant « la patrie de Lénine », puis il s’est penché vers moi et a murmuré « celle de Staline aussi », il pensait à ces soldats russes… vous verrez en lui un « stalinien » alors que je n’ai jamais rencontré quelqu’un de plus respectueux des autres que lui, plus indulgent aux fautes humaines…

Quand le mépris m’envahit, je pense à lui et à sa manière de contempler amusé les petites ruses humaines, lui le romantique chevaleresque, je tente de faire comme lui et de sourire… Alors quand quelqu’un dit c’est une stalinienne, je pense à lui et je me serre contre l’homme aimé qui avait trente ans de plus que moi et ressemblait à Lino Ventura mais aussi au musicien noir Dexter Gordon, dans Autour de Minuit de Tavernier, avec sa manière de chalouper en silence en serrant contre ses hanche étroites les pans de son veston comme s’il s’agissait du pyjama rayé de Dachau… Je me serre contre lui en pensant qui vous donne le droit de juger de gens tels que nous… Lui qui fut et moi qu’il aima…

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