7 Avril 2015
Ni l'un ni l'autre ! Ceci est illustré par le fait que les érudits et universitaires libéraux dénoncent des anarchistes comme Bakounine d'être collectivistes quand dans le même temps, lesmarxistes accusent Bakounine, et les anarchistes en général, d'être des individualistes.
Sans surprise, les anarchistes rejettent ces deux idéologies absurdes. Qu'ils le veuillent ou non, individualistes et collectivistes non-anarchistes sont les deux côtés de la même médaillecapitaliste. Cela peut être mieux cerné en considérant le capitalisme moderne, dans lequel les tendances « individualiste » et « collectiviste » sont en interaction constante, avec le plus souvent la structure politique et économique qui oscille d'un pôle à l'autre. Le collectivisme et l'individualisme capitalistes ne sont que deux aspects d'un même côté de l'existence humaine, et sont, comme toutes les manifestations de déséquilibre, profondément viciés.
Pour les anarchistes, l'idée que les individus devraient se sacrifier pour le « groupe » ou pour « le plus grand bien » est absurde. Les groupes sont constitués d'individus, et si les gens ne pensent qu'à ce qui est mieux pour le groupe, le groupe ne sera qu'une coquille sans vie. Ce n'est que la dynamique de l'interaction humaine au sein des groupes qui leur donne vie. Les « groupes » ne peuvent pas penser, seuls les individus le peuvent. Paradoxalement, cela conduit les autoritaires « collectivistes » à un type très particulier d'« individualisme », à savoir le « culte de la personnalité » et le culte du chef. Cela est à prévoir, étant donné que le collectivisme réunit les individus dans des groupes abstraits, nie leur individualité, et finit par nécessiter une personne ayant assez de personnalité pour prendre des décisions — un problème qui est « résolu » par le principe de chef de file. Le stalinisme et le nazisme sont d'excellents exemples de ce phénomène.
Par conséquent, les anarchistes admettent que l'individu est l'unité de base de la société et que seuls les individus peuvent avoir des intérêts et des sentiments. Cela veut dire qu'ils opposent le « collectivisme » et la glorification du groupe. Selon la théorie anarchiste, le groupe n'existe que pour aider et pour développer les individus qui y sont impliqués. C'est pourquoi nous tenons tant à ce que les groupes soient structurés de manière libertaire — seule une organisation libertaire permettant aux individus d'un groupe de pleinement s'exprimer, de gérer directement leurs propres intérêts et de créer les relations sociales qui encouragent l'individualité et la liberté individuelle. Donc bien que la société et les groupes modèlent les individus, ces-derniers sont la vraie base de la société. Ainsi, Errico Malatesta dit :
Ces considérations ne signifient pas que l'« individualisme » trouve grâce aux yeux des anarchistes. Comme le montre Emma Goldman :
Tandis que les groupes ne peuvent pas penser, les individus peuvent vivre ou discuter par eux-mêmes. Les groupes et les associations sont des aspects essentiels de la vie individuelle. En fait, comme les groupes génèrent les relations sociales selon leur vraie nature, ils aident à façonner l'individu. En d'autres termes, les groupes structurés d'une manière autoritaire auront un impact négatif sur la liberté et l'individualité des individus qui les composent. Toutefois, à cause de la nature abstraite de leur « individualisme », les individualistes capitalistes ne peuvent pas voir les différences entre les groupes structurés de manière libertaire et ceux structurés de manière autoritaire — pour eux/elles, ce ne sont que des « groupes ». Ironiquement, à cause de leur vision unilatérale du problème, les « individualistes » en arrivent à soutenir des institutions parmi les plus « collectivistes » — les entreprises capitalistes — et, de plus, éprouvent toujours le besoin de l'État en dépit de leurs fréquentes dénonciations de son existence. Ces contradictions proviennent de la dépendance de l'individualisme capitaliste au contrat individuel dans une société inégale, c'est-à-dire à l'individualisme abstrait.
En revanche, les anarchistes soutiennent l'« individualisme » social (un synonyme, peut-être plus fidèle, pourrait être « individualité communautaire »). L'anarchisme « insiste sur le fait le centre de gravité de la société est l'individu — qui doit penser par lui-même [ou elle-même], agir librement, et vivre pleinement. [...] S'il [ou Si elle] doit se développer librement et pleinement, il [ou elle] doit être libéré[e] des interférences et de l'oppression d'autrui. [...] Cela n'a rien à voir avec [...] l'"individualisme acharné". Un tel individualisme prédateur est en réalité plus flasque qu'acharné. Au moindre danger qui menace sa sécurité, il se réfugie à l'abri de l'État et implore sa protection. [...] Leur "individualisme acharné" n'est rien d'autre qu'un des faux-semblant que la classe dirigeante fabrique pour masquer le business débridé et l'extorsion politique. »[3]
Les anarchistes rejettent l'individualisme abstrait ou capitalisme, et ses idées de liberté « absolue » des individus contraints par autrui. Cette théorie fait abstraction du contexte social où la liberté existe et se développe. « La liberté que nous voulons », dit Malatesta, « pour nous-mêmes et pour les autres, n'est pas une liberté absolue, métaphysique et abstraite qui, en pratique, se transforme inévitablement en oppression des plus faibles ; mais la vraie liberté, la liberté possible, qui est la communauté consciente de ses intérêts, la solidarité volontaire. »[4]
Une société basée sur l'individualisme entraîne une inégalité de pouvoir entre les individus contractants et implique par conséquent le besoin d'une autorité basée sur des lois au-dessus d'eux/elles et d'une coercition organisée pour faire respecter les contrats qu'ils/elles ont pris entre eux/elles. Cette conséquence est évidente pour le capitalisme et, encore plus, dans la théorie du « contrat social » qui régit le développement de l'État. Dans cette théorie, on suppose que les individus sont « libres » quand ils/elles sont isolé(e)s les un(e)s des autres, puisqu'ils/elles étaient originellement dans l'« état de nature. » Une fois qu'ils/elles ont rejoint la société, ils/elles créent prétendument un « contrat » et un État pour administrer ces contrats. Toutefois, outre le fait qu'il ne s'agisse que d'une fantaisie sans base réelle (les êtres humains ont toujours été des animaux sociaux), cette « théorie » n'est en réalité qu'une justification de l'État pour obtenir de plus grands pouvoirs sur la société ; et n'est en fait qu'une justification du système capitaliste, qui requiert un État fort. Cette théorie imite aussi les résultats des relations économiques capitalistes sur lesquelles elle repose. Dans le capitalisme, les individus contractent « librement » des accords entre eux/elles, mais, en pratique, le propriétaire domine l'ouvrier tant que le contrat est en place (voir les sections A.2.14 et B.4 pour plus de précisions).
Ainsi les anarchistes rejettent l'« individualisme » capitaliste car c'est, pour reprendre Piotr Kropotkine, « un individualisme étroit et égoïste, un égoïsme stupide qui rabaisse les individus [et qui n'est] pas du tout un individualisme. Il ne mènera pas à ce qui était établi comme but, c'est-à-dire le développement complet le plus large et le plus parfaitement atteignable de l'individualité. » La hiérarchie du capitalisme résulte de l'« appauvrissement de l'individualité » plutôt que de son développement. À cela les anarchistes opposent « l'individualité qui atteint le meilleur développement individuel grâce à la plus haute sociabilité communiste dans ce qui concerne à la fois les besoins primordiaux et les relations avec les autres. »[5] Pour les anarchistes, notre liberté est enrichie par ceux qui nous entourent quand nous avons avec eux une relation d'égal à égal et non de maître à esclave.
En pratique, l'individualisme et le collectivisme mènent à un déni de la liberté individuelle et de l'autonomie et dynamique de groupe. De plus, chacun entraîne l'autre, le collectivisme menant à une forme particulière d'individualisme et l'individualisme à une forme particulière de collectivisme.
Le collectivisme, qui est la suppression implicite de l'individu, revient finalement à appauvrir la communauté, puisque les groupes n'existent que grâce aux individus qui les composent. L'individualisme, qui est la suppression explicite de la communauté (c'est-à-dire les gens avec qui vous vivez), revient finalement à appauvrir l'individu, puisque les individus ne peuvent pas exister pas en dehors la société. De plus, l'individualisme finit par nier les idées et habilités des individus qui composent le reste de la société, et donc est une source de sacrifice de soi. C'est le défaut fatal — et la contradiction — de l'individualisme, précisément « l'impossibilité pour l'individu d'atteindre un développement complet dans des conditions d'oppression des masses par les "aristocrates magnifiques". Son développement demeurera unilatéral. »[6]
Les vraies liberté et communauté existent autre part.