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SERPENT -  LIBERTAIRE

anarchiste individualiste

« La religion comme gage de morale ? »

Enseignant l’histoire géographie en Alsace-Moselle depuis 10 ans, Nestor a tenu à réagir à l’article de Warda Roja qui abordait les spécificités de l’Alsace-Moselle en matière de religion et rappelait – entre autres choses – l’existence d’un enseignement religieux dans les établissements scolaires publics. Ayant travaillé dans 8 établissements aussi bien en centre-ville de Strasbourg qu’en banlieue ou en couronne périurbaine pavillonnaire ou à la campagne, Nestor nous fait part de son expérience d’enseignant, par ailleurs militant libertaire. Selon lui, l’influence de l’enseignement religieux est plus complexe et diffuse qu’on ne pourrait le croire.

Terrains de Luttes (TdL) : Cher Nestor, vous avez réagi à l’article de Warda Roja en insistant sur le profil pluriel des enseignants de religion dans les établissements scolaires d’Alsace-Moselle, pourriez-vous nous en dire un peu plus à ce sujet ?

Les enseignants de religion que j’ai croisés étaient en quasi totalité des femmes. Je n’ai croisé qu’un seul homme, qui en plus de cette originalité de genre, était aussi un ancien militant d’extrême-gauche. De façon générale, ce sont avant tout des enseignantes, avec une formation universitaire qui n’est pas forcément théologique. Ils ou elles n’affichent pas souvent leur engagement religieux dans les discussions que l’on peut avoir. Leur discours est le même que pour n’importe quel prof : on parle des élèves, de leur travail, de leur comportement ou des parents…

TdL : Ils se fondent « dans le paysage » ?

Sur ce plan, l’enseignement religieux fonctionne comme n’importe quelle matière. D’ailleurs la plupart des collègues semblent préférer ne pas parler de religion (surtout en leur présence), comme si c’était un sujet sensible ou qu’on préférait ignorer cette « matière » et faire comme si elle n’avait rien de particulier. Le caractère particulier de cette « matière » semble au premier abord se limiter à une sorte d’engagement personnel qui pousse ces profs à s’investir beaucoup dans les établissements, en participant au conseil pédagogique, au comité d’éducation à la santé et à la citoyenneté (CESC), à des actions de « solidarité » (ou plutôt de charité) avec des associations humanitaires, etc. Leur présence et leur comportement en conseil de classe est assez proche des autres matières prétendument « secondaires » (musique, arts plastique…) : il leur est impossible d’assister à tous les conseils, leur temps de parole y est assez réduit, leur discours se limite aux questions ayant trait au comportement des élèves, de l’attitude en classe…

J’ai même connu une prof de religion protestante, partie en retraite il y a 2 ans, qui m’avait avoué quelle n’était plus croyante, ou une autre qui était coutumière des blagues paillardes, comme pour bien indiquer à tout le monde qu’il ne fallait pas la prendre pour une bigote. Par contre, s’il est vrai que le judaïsme profite aussi du statut particulier de l’Alsace Moselle, je n’ai jamais croisé de prof de religion juive. La religion catholique est largement majoritaire, c’était notamment le cas lorsque j’ai travaillé sur l’agglomération strasbourgeoise. Lorsque j’ai travaille dans des établissements de la campagne ou de la couronne périurbaine, il y avait bien plus d’élèves inscrits en religion, et notamment protestante. Les profs de religion protestante étaient donc plus présents en zone rurale.

TdL : Et ces enseignants ont quels statuts ?

La grande majorité des profs de religion que j’ai croisés étaient assimilés[1]à des fonctionnaires, mais il existe aussi des contractuels ou vacataires, qui semblent en augmentation (comme pour les autres matières d’ailleurs). Ce comportement que j’ai pu observer ne correspond pas vraiment à celui de « hussards noirs » du cléricalisme comme on le décrit parfois dans la « France de l’intérieur » (comme on dit chez nous). J’imagine qu’il n’est pas impossible qu’un comportement plus « militant » existe mais je n’en ai pas croisé en 10 ans de carrière dans le Bas Rhin.

Je ne sais pas s’ils ont des consignes pour faire oublier le caractère particulier de leur matière ou s’il s’agit de comportements individuels. Mais vraiment ce n’est que lorsque l’on connaît assez bien ces collègues, qu’on sympathise un peu, que l’on peut parler franchement de religion. Ayant pris l’habitude de les taquiner gentiment, en me moquant de certaines superstitions chrétiennes par exemple, certaines collègues de religion me répondent en expliquant qu’elles ne sont pas dogmatiques, que leur religion n’est plus celle du Moyen-âge… Et certaines laissent parfois même planer le doute sur leurs véritables convictions spirituelles. Les profs de religion semblent donc des profs comme les autres, avec simplement ce petit « supplément d’âme » qui les pousse à s’investir, à s’engager plus dans la vie de l’établissement, au nom de leur bonté, de leur souhait d’aider son prochain.

TdL : Vous diriez que la présence d’un enseignement religieux n’a donc que peu d’effets au final ?

Loin d’un cléricalisme militant, le problème que je vois avec cet enseignement religieux est plus sournois. La place « normale » de ces collègues et leur engagement important dans différentes activités leur permettent d’occuper une place. Ce sont souvent elles qui impulsent des actions dites de « solidarité » comme la course contre la faim, le soutien à des associations comme Action contre la faim, le Secours catholique, ou d’autres associations non confessionnelles (aide aux personnes handicapées, aides aux enfants de pays pauvres…).

Bien entendu ces actions concernent tout l’établissement ou au moins plusieurs classes et pas seulement les élèves qui suivent l’enseignement religieux. Les chefs d’établissements en sont souvent demandeurs car cela permet de démontrer une activité débordante du CESC (ce qu’apprécie le rectorat). De fait, la « solidarité » ou la « citoyenneté » que l’on doit transmettre aux enfants se réduit souvent à de la charité chrétienne, avec ce que cela comprend de paternalisme ou de vision colonialiste.

J’ai observé en cours d’histoire et surtout de géographie combien il était difficile de sortir les enfants des préjugés sur l’Afrique ou les pays pauvres en général, surtout dans les établissements ruraux ou périurbains (avec un métissage moins important et plus d’assiduité aux cours de religion). Jusqu’en 3ème certains élèves continuent à s’étonner quand on leur montre des images de villes en Afrique car ils croient que les Africains vivent dans des cases dans la brousse, sans électricité, etc. Je ne veux pas faire un lien trop direct, mais, à force de tenir des discours misérabilistes pour inciter à donner, cette charité chrétienne qu’on exige d’eux contribue à les maintenir dans ce genre de vision. Je me rappelle de cet intervenant associatif venu à la demande de profs de religion qui disait : « Au Cambodge, les enfants n’ont pas l’eau courante, pas l’électricité, et pourtant ils aimeraient par dessus tout aller à l’école, être éduqués. Ce n’est pas comme en France où tout le monde râle pour un rien, où on ne peut jamais prendre le train car ils trouvent toujours une raison de râler ».

D’autre part, ce rôle joué par les profs de religion laisse entendre que c’est la fonction normale de la religion dans la société de chercher à améliorer la situation des misérables, à changer les comportements des gens. Lors d’une réunion du CESC, je me rappelle de ce principal à la recherche de profs volontaires pour travailler sur la question de l’égalité garçons/filles, qui s’est « naturellement » tourné vers les profs de religion en disant : « bon, l’égalité garçons / filles, c’est pour vous ça » !!! Et personne n’a rien trouvé à y redire. Là aussi, que l’on soit croyant ou non, la présence des profs de religion sert surtout à perpétuer une vision colonialiste selon laquelle l’égalité homme/femme serait le produit de la société occidentale chrétienne par opposition au monde musulman (ou autre).

Et puis, le plus important c’est que la religion, comme le prétendait Sarkozy, semble un gage de « morale ». D’ailleurs à l’école primaire, les enfants qui sont dispensés d’enseignement religieux, doivent suivre un cours de morale (sous entendu « laïque ») avec leur prof. Comme si l’absence de religion créait un manquement moral.

J’ai l’impression que cet aspect moral est d’ailleurs la première motivation des parents qui inscrivent (ou plutôt ne désinscrivent pas) leurs enfants en cours de religion (la conviction spirituelle ou le désir d’avoir des connaissances de culture religieuse viennent ensuite). Là aussi, je me rappelle d’un principal, dans un établissement rural où je venais d’arriver qui réunissait les nouveaux enseignants pour leur présenter l’établissement en disant : « ici, c’est calme, il n’y a pas de problèmes de comportement, d’ailleurs les trois quart des élèves font religion ». La simple présence de cette « matière » permet donc, à mon avis, de perpétuer une vision inégalitaire et paternaliste dans la ligne de la tradition colonialiste (occident chrétien civilisé qui doit aider les pauvres petits noirs et asiatiques) grâce à l’engagement « citoyen » des ces profs.

TdL : L’islam n’étant pas reconnu comme une religion concordataire, il n’y a pas de cours de religion musulmane. Concrètement que tend à produire cette « discrimination de fait » ?

Je n’ai jamais vraiment eu l’impression que l’absence de l’Islam soit vécue comme un problème car dans les établissements où j’ai vu que la majorité des élèves suivaient ce cours, il n’y avait quasiment pas d’élèves musulmans alors que là où il y a une réelle diversité d’origines et de croyance la majorité des élèves ne suit de toute façon pas cet enseignement. Et du fait que le problème de l’enseignement religieux ne soit que rarement évoqué entre collègues, ne me permet pas de savoir si beaucoup souhaiteraient l’extension à l’Islam.

N’enseignant pas à l’école primaire, je ne sais pas comment les élèves musulmans ou athées subissent les cours de morale… ni comment les profs des écoles font ces cours. Par contre, j’ai l’impression qu’il y a une réelle ouverture sur l’Islam venant de certains profs de religion au moins. Plusieurs ont fait des sorties à la grande mosquée de Strasbourg qui vient d’ouvrir l’année dernière. Leur enseignement ne se limite pas à la Bible, c’est d’ailleurs, je pense, une façon pour eux de justifier leur existence que de s’ouvrir sur d’autres religions, sur des aspects culturels et non pas théologiques, ce qui permet d’éviter les reproches de prosélytisme, de justifier l’utilité de leur cours même pour les non-croyants qui voudraient juste acquérir une culture religieuse… Cela n’empêche de toute façon pas que l’image de l’Islam qu’ont les enfants est plus construite par les médias que par leurs cours de religion (qui évitent souvent les sujets sensibles) et leurs cours d’histoire (qui ne se limitent à l’Islam médiéval).

Mais encore une fois, j’ai l’impression que le fait de traiter des autres religions sur le mode culturel, en parlant des traditions, ne fait que renforcer l’aspect identitaire. On regarde les coutumes des autres avec bienveillance, mais cela permet surtout de bien les différencier des nôtres. Le caractère exotique de la mode orientaliste du bon vieux temps des colonies persiste dans cette approche culturelle.

Par exemple, je ne sais pas si beaucoup de profs de religion catholique mentionnent le fait que cacher les cheveux des femmes est aussi une consigne chrétienne (le voile des nonnes en est une trace) ou juive (les femmes orthodoxes se rasant la tête). Je ne crois pas non plus que
beaucoup fassent le lien entre le ramadan et le carême… Insister sur ces traditions presque oubliées du christianisme ne correspondrait pas trop à l’image moderne que le catholicisme actuel veut donner.

Donc s’il est vrai qu’il ne faut pas chercher d’attitude antimusulmane chez les profs de religion, cela n’empêche que cet œcuménisme gentillet ne rentre pas en contradiction avec ce que je disais auparavant.

***

[1] Certains sont fonctionnaires car ont eu le CAPES ouvert pendant quelques années (à ce propos cf l’article de Warda Roja.)

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