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SERPENT -  LIBERTAIRE

anarchiste individualiste

La Famille Vue par l’Anarchiste

En dehors de toute considération d’ordre matériel ou patriotique, l’alibi le plus à la mode, pour provoquer ou justifier la frénésie procréatrice, est celui qui consiste à présenter l’esprit de famille et l’amour de son prochain comme inséparables du désir d’avoir de nombreux enfants. La procréation désordonnée deviendrait alors une marque d’élévation morale, chez ceux qui s’y livrent, tandis que les autres, qui conçoivent l’acte de procréation comme une chose extrêmement grave à laquelle on ne doit procéder que consciemment, seront traités en inutiles. On ira même, de ce train, jusqu’à leur attribuer un manque de cœur et de sensibilité (voire de sens social), puisque rien ne les incite à engendrer cette source inépuisable des joies les plus douces qu’est l’enfant.

Dans la mesure ou elle s’élève contre une surnatalité malfaisante, la propagande anarchiste tournerait le dos à la nature humaine, du fait qu’elle négligerait les liens affectifs, les satisfactions du cœur pouvant résulter d’une vie familiale qui, sans la présence de l’enfant, serait incomplète. Mais qui donc plus que les anarchistes peut appeler de ses vœux l’édification de véritables foyers au sein desquels, l’enfant occupant une large place, les liens affectifs les plus solides constituent l’armature essentielle ? La famille, telle qu’elle résulte de notre monde absurde, repose surtout sur la reconnaissance légale d’un état de fait que ses membres, même s’ils en souffrent, n’ont pas toujours le courage de déclarer contre nature.

La seule famille qui puisse compter pour nous est ce petit groupe d’humains dans lequel, l’esprit d’entraide réchauffant les cœurs, chacun donne une bonne part de ce qu’en lui il y a de possibilités affectives et récolte, en échange, une partie de ce que les autres membres de ce même groupe sont capables de donner. Les membres de cette famille-là ne sont pas forcément les fruits d’un même arbre, les « liens du sang » peuvent exister ou ne pas exister. Ce qui importe, c’est que l’harmonie y règne. Et là ou règnera l’harmonie, de quelque horizon que puissent provenir ses membres, la famille, improvisée ou non, existera dans sa plénitude. Au lieu que des préjugés « familiaux » aient contraints ceux qui la composent à végéter dans son sein au nom d’une entente artificielle, c’est en fonction du libre choix qu’ils auront fait de leur entourage, c’est-à-dire dans la liberté, qu’ils pourront alors vivre à la recherche d’un bonheur commun, si tel est leur désir.

Mais cette conception réaliste de la famille et le prix des joies que non seulement peut donner, mais doit connaître l’enfant, nous interdisent de prendre à la légère ce qui donne la vie à ce dernier. N’aimer dans l’enfant que les joies qu’il procure est le pire des égoïsmes. L’amour le plus total que nous puissions avoir pour lui nous fera un devoir de tout mettre en œuvre pour qu’il soit heureux et que ses souffrances soient réduites au minimum. Nous ne confondons pas nos plaisirs personnels avec une fécondation dont nous mesurons les conséquences. L’enfant ne devra résulter de nos actes que si nous sommes assurés qu’en venant au monde il trouvera les conditions susceptibles de lui assurer bien-être et affection. L’homme devient un véritable malfaiteur, lorsqu’il porte la responsabilité de souffrances qu’il aurait évitées en n’engendrant pas une progéniture qu’il se sait incapable d’armer pour la vie. Le problème de la natalité, considéré sous cet angle – le plus humain – nous montre l’inconscience ou la culpabilité masculine ou féminine que l’on rencontre trop souvent chez les amateurs de la maternité à tout prix.

Un autre aspect de ce problème met en lumière la manque de respect, pour la femme, chez l’homme ne voulant voir en elle, en dehors des plaisirs personnels qu’elle lui donne, que l’instrument destiné à mettre des enfants au monde. Celui-là tentera de se justifier en démontrant que s’il a contribué à donner le jour à une nombreuse progéniture, il ne néglige rien pour lui assurer, autant que faire se peut, subsistance et affection, Mais la femme, dans tout cela, que devient-elle… Non plus la compagne dont l’existence est embellie par les joies de la maternité mais l’esclave d’un foyer à l’entretien duquel elle doit se consacrer totalement (ceci ne concerne point les riches foyers, ou toute une valetaille « libère » la mère de ses soucis domestiques). Et si même se sentant prédisposée pour ce genre de vie, elle déclare y trouver son compte, nous répondrons qu’il n’en est rien, car elle n’a plus du tout le libre choix de ses occupations, son sens des responsabilités ne lui laissant plus le loisir d’en choisir d’autres que celles s’imposant à elle dans son foyer (l’homme a toujours la partie belle dans ce genre de partage). C’est inférioriser la femme que de la ravaler au rang d’une poule couveuse. C’est aussi se faire une piètre idée de la noble tâche à laquelle la mère se consacre avec tant d’amour et de désintéressement.

Georges Vincey
L'Anarchiste n°1, avril 1952

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