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SERPENT -  LIBERTAIRE

anarchiste individualiste

Le massacre de Marakina et les grèves sans relâche des mineurs en Afrique du Sud

Le massacre de Marakina et les grèves sans relâche des mineurs en Afrique du Sud

Afrique du Sud, 16 août 2012 : la police ouvre le feu sur des mineurs en grève, faisant 34 morts et 78 blessés. L’évènement est connu maintenant comme « le massacre de Marikana », mais on n’en a pas parlé plus que ça dans les grands médias. C’était l’été et les vacances ! L’Afrique du Sud est plus connue désormais pour son équipe de rugby, les Springboks, que pour ses milliers de travailleurs noirs qui vivent dans des bidonvilles et risquent leur vie dans ses mines.

D’emblée nous reviennent en mémoire d’autres évènements semblables au cours desquels on a vu la police tirer sur des manifestations d’ouvriers : Chicago en 1886, Fourmies en 1891, Adalen en 1931… mais aussi le massacre du township de Sharpeville en 1960, le massacre des enfants de Soweto en 1976 : c’était au temps de l’apartheid. Celui-ci n’a-t-il pas été aboli en 1991 ?

Si la journée du 16 août marque par sa violence et peut être considérée comme un tournant ou une rupture, elle a un « avant » et un « après » et cela nous amène à cette question : où en est donc l’Afrique du Sud ?

Les mines : des profits énormes pour les uns, la crainte de la mort pour d’autres

L’Afrique du Sud tire une grande partie de sa richesse de son industrie minière. Elle possède d’abondantes ressources de platine, d’or, de diamants, de chrome, de manganèse, de fer, de charbon… Ses mines sont la propriété de grands groupes mondiaux tels Anglo American Platinum, Impala Platinum, Lonmin (pour le platine), Gold Fields, AngloGold Ashanti (pour l’or), De Beers (pour les diamants)… souvent d’origine sud-africaine ou anglaise mais la plupart basées au Royaume-Uni. Leur nationalisation, désirée par la branche jeunesse de l’ANC, n’est pas mise à l’ordre du jour par la coalition au pouvoir (le congrès national africain l’ANC, le parti communiste SACP et le syndicat Cosatu, congrès des syndicats sud-africains) qui invoque le risque de faire fuir les investisseurs. Désireux de s’adresser les bonnes grâces du monde des affaires, l’ANC a oublié que la nationalisation faisait partie de ses promesses avant d’accéder au pouvoir.

Qui travaille au fond de ces mines ? Des noirs dont un grand nombre sont des migrants venus de régions rurales très pauvres, mais on y trouve aussi des émigrés venus de pays voisins (le Zimbabwe, le Mozambique, le Botswana) : à noter que certains de ces émigrés africains sont des clandestins qui risquent leur vie dans des mines abandonnées pour grappiller un peu de poussière d’or ou de diamants. Les mineurs habitent, loin de leurs familles souvent, dans des logements concédés par les compagnies minières, dans des bidonvilles (appelés villages informels), des taudis sans eau courante, ou sans électricité, entourés de détritus, des déchets des mines, ceux provenant des mines d’or sont particulièrement dangereux car radioactifs (voir l’article du Monde du 24 octobre 2012). L’OIT (organisation internationale du travail) s’est récemment émue des conditions de travail dans les mines sud africaines, mines très profondes, où la chaleur est intenable, le sol glissant et où une abondante poussière s’accroche aux poumons. Les mineurs souffrent de terribles maladies, comme la silicose et la tuberculose qui s’ajoutent au fléau du sida. Mais les habitants des townships ne peuvent compter que sur des dispensaires bondés et payants !

Et les accidents ? Ils sont légion et souvent mortels. On réalise alors combien on a peu progressé en matière de sécurité par rapport à l’époque de Germinal. Coups de grison, glissements de terrain, effondrement de tunnels, chute de pierres… c’est le risque quotidien des mineurs. Et tout ça pour 4000 rands par mois, soit moins de 400 euros. En 2011, en Afrique du Sud, 120 mineurs ont trouvé la mort au fond de leurs mines; pour l’année 2012 on comptabilise déjà 10 morts en janvier, 22 en mars dans une mine abandonnée, et en mai c’est encore 10 mineurs clandestins qui sont tués par l’effondrement d’un tunnel dans une mine de diamants désaffectée. En France les mines de charbon ont fermé, certaines sont devenues des musées que les ex-mineurs font visiter aux jeunes en voyage scolaire. On leur raconte combien la vie des mineurs était dure avant… mais partout dans le monde il y a encore des prolétaires pour qui ce n’est pas du passé, qui continuent à travailler dans des conditions épouvantables et à risquer leur vie à tout instant : la mine tue encore et encore ! (voir encadré).

Voilà bien des raisons pour expliquer les grèves fréquentes des mineurs sud-africains. En général les grèves marquent le début de l’hiver austral, en mai, juin et juillet et ne concernent d’ailleurs pas que les mineurs. En 2011 les manifestations de plusieurs dizaines de milliers de salariés de différents secteurs industriels, armés de bâtons et de cravaches, leur ont permis d’obtenir des augmentations de salaires (10 % en moyenne) alors que le chômage fait rage dans le pays ( 25 % de la population active d’après les chiffres « officiels »). En mai 2011 9000 mineurs de Marikana ont été licenciés pour fait de grèves. Le 15 février 2012 les mineurs du groupe Impala Platinum à Rustenburg sont en grève depuis un mois et 17 000 d’entre eux viennent d’être licenciés. Les affrontements qui ont lieu avec les forces de police à l’entrée d’une mine font un mort. En juin 2012 des mineurs de Gold One à Molden sont licenciés pour avoir organisé une grève sauvage contre le syndicat NUM (Union nationale des mineurs, majoritaire dans les mines, il fait partie de la Cosatu). Ils voulaient obtenir la reconnaissance d’un autre syndicat plus petit, le Professional Transport and Allied Workers Union (PTAWU). La violence policière n’est pas un fait exceptionnel : en 2010, 850 personnes sont mortes lors d’opérations de police ou en détention dans les commissariats (d’après un article publié sur le site SlateAfrique).

Juin 2012 : la crise en toile de fond : L’Afrique du Sud est le plus gros producteur de platine au monde (87 % des réserves mondiales) dont le principal débouché est l’industrie automobile. Mais depuis la crise de 2008 les cours du platine ont chuté et les fermetures de mines se sont succédé. Le 11 juin 2012 Anglo-American et Aquarius Platinum co-propriétaires d’un site à Marikana qui emploie 1528 salariés annoncent la mise en maintenance de leur mine et de l’usine de concentration (communiqués ici). Le 21 juin Aquarius Platinum annonce la suspension de l’exploitation de la mine Everest située à Lydenburg, le groupe s’en justifie dans un communiqué en invoquant « de mauvaises conditions d’exploitation, un climat social allant en se dégradant et une faiblesse des cours du platine ». Le 26 juin l’ANC réunit ses délégués pour débattre pendante 4 jours de sa ligne politique pour les années à venir : au programme les questions épineuses de la redistribution des terres et des profits miniers.

Marikana : un massacre planifié et prémédité

À la mi-juillet, le cours du platine rebondit, permettant aux mineurs d’espérer à nouveau des augmentations de salaires. Début août Hilary Clinton, en tournée sur le continent africain, arrive en Afrique du Sud, rencontre Nelson Mandela et danse avec lui pour le grand plaisir des journalistes. Tout semble aller pour le mieux à Johannesburg, mais pas à Marikana, une petite ville minière à 100 km de là. Le 10 août les 3000 foreurs du groupe britannique Lonmin se mettent en grève. Les foreurs sont ceux qui risquent le plus au fond de la mine, toujours au contact de la paroi, avec des foreuses de 25 kilos au bout des bras. Ils réclament des augmentations de salaires. La direction, forte de l’accord salarial signé avec l’Union nationale des Mineurs (NUM), le plus important des syndicats du COSATU (congrès des syndicats sud africains), fait la sourde oreille. L’ACMU (Association of Mineworkers and Construction Union), petit syndicat dissident du NUM, les soutient. Des bagarres éclatent entre grévistes et non-grévistes et entre partisans des deux syndicats faisant 10 morts dont 2 policiers et 2 agents de sécurité. Le NUM qui a condamné la grève comme illégale, selon le code du travail, lance le 13 août un appel à l’armée pour « rétablir l’ordre ».

Lonmin lance un ultimatum aux grévistes : la reprise du travail ou le licenciement. Les grévistes se sont installés sur une colline surnommée « wonderkop » (la colline des merveilles) et refusent d’en bouger. Le 16 août ils se rendent à leur assemblée en emportant ce qui leur tombe sous la main : bâtons, machettes, lances, (depuis ces armes de fortune ont été remplacées par les grands parapluies multicolores comme on peut le voir sur les photos et vidéos). Pendant ce temps les policiers lourdement armés et appuyés par des véhicules blindés, dressent des barrages de fils barbelés. Des représentants du NUM, conduits dans des voitures de police, exhortent les grévistes à se disperser. Ils sont hués. Un article publié par Lutte Ouvrière le 20 septembre 2012 nous relate ce qui se passe ensuite : « En milieu d’après-midi, une fois partis tous les responsables syndicaux extérieurs à la mine, la police et l’armée reçurent des renforts en hommes et en blindés. Le porte-parole national de la police expliqua aux journalistes présents sur les lieux que celle-ci entrait en « phase tactique » et que leur sécurité ne serait désormais plus assurée. La police encercla alors les 3 000 grévistes toujours regroupés sur Wonderkop et déploya un barrage de barbelés entre la colline et le bidonville voisin d’Enkanini, qui aurait été la seule voie possible pour que les grévistes se dispersent. Elle ne laissa qu’un tout petit passage par lequel les ouvriers durent se faufiler un par un, sous les balles en caoutchouc et autre grenades lacrymogènes et offensives dont ils étaient bombardés, mais aussi sous les tirs à balles réelles. » Des rafales d’arme automatique fauchent les mineurs. Même ceux qui tentent de se rendre sont abattus. La police justifie son acte comme un acte de légitime défense, les policiers se sentant menacés par des manifestants se seraient affolés. Mais plusieurs témoignages (Télérama en livre encore un dans son édition du 24 octobre) prouvent le contraire. Des chercheurs de l’université de Johannesburg ont révélé que seulement une dizaine de grévistes ont été tués lors de la fusillade. Les autres l’ont été d’une balle dans le dos alors qu’ils couraient pour fuir. Il y a eu aussi des tirs destinés à tuer d’autres travailleurs en fuite depuis des hélicoptères. Certains grévistes auraient été écrasés par les blindés. Le bilan est lourd : en plus des 34 morts, la fusillade a fait 78 blessés. Il est fort probable que le chiffre des victimes soit plus lourd encore. Il y a 259 arrestations. 200 mineurs seront même accusés, un court laps de temps, du meurtre de leurs camarades en vertu d’une ancienne loi datant de l’apartheid, loi dite de « l’intention commune » (common purpose). D’autres témoignages montrent que le massacre a bel et bien été prémédité. Le jour du massacre, un porte-parole de la police a déclaré : « Malheureusement ce jour est le jour-j ». (Business Report, 17 août 2012, cité par A l’encontre)

Le 18 août un groupe de femmes et de mères dansent, chantent, crient leur chagrin et leur colère. « Qu'avez-vous fait ? Pourquoi avez-vous tué nos maris et nos fils ? » Certaines d'entre elles ne savent toujours pas si leurs proches portés disparus sont blessés ou morts. Des mineurs grévistes entament une danse traditionnelle et, malgré le sang qui a coulé, refusent de retourner travailler. C’est l’émotion dans tout le pays, la présidence appelle à une semaine de deuil national et fait pression sur la direction de Lonmin pour qu’elle suspende son ultimatum. Celle-ci ne le repousse que d’un jour.

Le 30 août l’Internationale Socialiste, présidée par George Papandréou, se retrouve pour son 24ème congrès au Cap. Celui-ci débute par une minute de silence… en l’honneur des travailleurs tués à Marikana ? Pas du tout, c’est en mémoire de John Atta Mills, le président du Ghana, décédé quelques semaines auparavant. Les comptes-rendus relatant cette première journée de réunion ne font état d’aucune mention du drame vécu par les mineurs sud-africains.

Le mouvement de grèves dure et s’étend à tout le secteur minier

Une vague de fond impressionnante par son ampleur et sa durée

Si le gouvernement sud-africain comptait mettre un coup d’arrêt définitif au mouvement de grève des mineurs en utilisant la force, il s’est lourdement trompé car c’est l’effet inverse qui se produit. En effet non seulement les 3000 mineurs de Lonmin vont tenir bon 5 semaines encore malgré le sang versé et les menaces de licenciement mais les autres mineurs du complexe de Marikana (qui compte 28 000 salariés) les rejoignent. Une semaine après le massacre c’est au tour d’une mine d’Anglo Platinum dans le bassin de Rustenburg d’être touchée par la grève d’un millier de mineurs qui réclament eux aussi de fortes augmentations de salaires. Puis le mouvement s’étend à toute la « ceinture de platine » avant de gagner le secteur de l’or. Lorsque les mineurs de Gold Fields se mettent en grève, c’est le 4ème producteur mondial de lingots d’or qui est frappé. Si, à partir du 19 septembre, le travail reprend peu à peu à Marikana où la direction a concédé des augmentations de salaire de 11 à 22 % (les foreurs toucheront désormais 11 000 rands, environ 1000 euros bruts), d’autres mines restent en grève ou s’y mettent à leur tour. Il serait trop long d’en faire la liste, quasiment toutes les grandes compagnies minières sont touchées. Début octobre, le mouvement déborde vers les mines de charbon, de fer, de chrome et même de diamants. Le mouvement revendicatif s’étend même à d’autres secteurs. En effet, fin septembre, dans la foulée des mineurs, ce sont 28 000 transporteurs routiers qui se sont mis en grève pour réclamer eux aussi des augmentations de salaire. La contestation touche aussi une usine Toyota à Durban, où les travailleurs demandent une augmentation de 3,22 rands de l’heure. La grève a éclaté après qu’une augmentation importante ait été offerte aux chefs d’équipe. « L’effet Marikana pose problème car les gens ne comprennent pas que chaque circonstance est différente », a déclaré le secrétaire local du syndicat de la métallurgie (cité par Usine Nouvelle). Le NUM estime à plus de 100 000 le nombre de grévistes début octobre, chiffre sans aucun doute sous-estimé quand on sait que les compagnies ont annoncé elles-mêmes 50 000 grévistes rien que dans le secteur de l’or. Les grèves durent plusieurs semaines. Si les ouvriers de Toyota reprennent le travail au bout de 5 jours, les transporteurs routiers au bout de deux semaines, dans le secteur des mines cela dure bien plus longtemps, souvent plus d’un mois.

À la date du 7 novembre, où nous finissons cet article, le travail n’a d’ailleurs pas encore repris partout : les mineurs d’Amplats (Anglo American Platinum) entament leur 9ème semaine de grève ; ceux de la mine de charbon de Dannhauser poursuivent eux aussi leur grève alors que deux d’entre eux ont été tués par des vigiles ; des employés de la mine d’or de Buffelsfontein se sont mis en grève à leur tour ; vendredi 2 novembre 300 mineurs de l’équipe de nuit du groupe d’AngloGold Ashanti refusaient de remonter à la surface : ils réclament le paiement de la prime de 1500 rands promise dans le cadre de la fin de la grève.

Des « grèves sauvages » au cours desquelles s’expriment le rejet voire la haine du « grand » syndicat

À l’exception des transporteurs routiers entrés en grève à l’appel de leurs syndicats (SATAWU), c’est un phénomène qui a été constaté par tous les commentateurs : les grèves des mineurs sont des grèves sauvages et, qui plus est, elles se sont déclenchées en bravant les dirigeants syndicaux du NUM qui les ont explicitement condamnées. La confédération Cosatu ira même jusqu’à reprocher aux compagnies minières qui accordent des augmentations de salaire en dehors des conventions collectives de favoriser les grèves sauvages. Ces grèves ont toutes, en effet, comme revendication essentielle l’augmentation des salaires mais on a vu s’exprimer une autre revendication d’importance avec la demande de n’être plus représentés par des dirigeants syndicaux alliés du pouvoir (Le Cosatu compte 2,2 millions de membres dont 300 000 mineurs affiliés au NUM). On ne manque pas d’exemples de cette rupture entre la grande masse des mineurs et le sommet du syndicat. L’article de Lutte Ouvrière (déjà cité) nous en relate un : « Le 30 août, 12 000 des 26 000 ouvriers du complexe Goldfields de Kloof Driefontein […] déclenchaient une grève sauvage sur les mêmes revendications que ceux de Marikana. Là aussi, les mineurs se lançaient consciemment dans la lutte contre l’appareil du NUM, très largement majoritaire dans le complexe. Lorsque des responsables du NUM vinrent les haranguer du haut de l’un des véhicules blindés de la compagnie, les grévistes leur rétorquèrent « Hamba ! » (« Partez ! ») ou, moins poliment, « Voetsek ! Fokof ! » (« Du vent, va te faire voir ! »).»

Autre exemple cité le 2 septembre sur le site A l’Encontre : « À Marikana, les membres de la NUM ont déchiré et jeté leurs tee-shirts. Lors du meeting de protestation du 22 août à Johannesburg, un orateur de la NUM a été jeté dehors par les mineurs de Marikana ».

Le 10 octobre plusieurs milliers de grévistes d’Amplats qui viennent d’être licenciés manifestent pacifiquement à Rustenburg : ils veulent résilier leur adhésion au NUM. « Nous ne voulons pas que le NUM nous représente, Ils sont ceux qui empêchent la réouverture de négociations salariales. Ils doivent reculer », a indiqué Gaddafhi Mdoda, l'un des meneurs du mouvement. Réponse à la radio d’un porte-parole du NUM : « Vous ne pouvez pas résilier votre adhésion (au syndicat) quand vous avez été licencié, parce que vous êtes alors chômeur » (cité par l’AFP).

Le 18 octobre, dans un communiqué, le NUM félicite ses membres qui ont repris le travail mais le 19 octobre l’AFP nous signale que le patron de la Cosatu a essuyé des jets de pierres près d’une mine. Il était en déplacement pour essayer de convaincre les grévistes de reprendre le travail et d’accepter les promotions et primes à la reprise proposées lors des négociations avec la chambre des mines. Le secrétaire général de la confédération, Z. Vavi, a aussitôt appelé la police à mettre fin aux violences accompagnant la vague de grèves et à protéger ses membres dont certains ont été tués « Nous avons appelé le ministre de la Sécurité pour qu'il s'assure que la police améliore ses services de renseignements, afin d'aller au fond de cette vague de violence, d'intimidations et de meurtres des délégués syndicaux », a déclaré M. Vavi, qui s'exprimait en marge d'une réunion… de banquiers ! « Quatre permanents du Syndicat national des mineurs (NUM), principale composante du Cosatu, ont été assassinés depuis le début des grèves dans les mines, début août », a-t-il déploré. Quant aux grévistes lanceurs de pierres, ils sont traités de hooligans par un coordinateur régional du NUM.

Des grèves où les travailleurs ne peuvent compter que sur eux-mêmes

Les mineurs grévistes ont donc eu nettement conscience qu’ils ne pouvaient compter que sur eux-mêmes. C’est ce qu’ils expriment dans des vidéos diffusées par You Tube. Même le syndicat dissident, l’ACMU, ne semble avoir joué qu’un rôle secondaire, en prenant le train en marche mais soutenant les grèves et les revendications salariales (peut-être avec une certaine surenchère dit-on). Son président, Joseph Mathunjwa, est venu voir les foreurs de Marikana le 16 août et s’est adressé à eux en ces termes : « […] la situation est maintenant entre les mains de la police. La police fera ce qu’elle voudra. En fait, pour dire les choses comme elles sont, il faut que le sang coule aujourd’hui. C’est ce qu’ils veulent. Ceci est un rassemblement où le sang doit couler. » Puis, d’après un témoin, Mathunjwa s’agenouilla et supplia les grévistes de se disperser calmement […]. Il « cita alors la Bible et partit rapidement ». En fait, il décampa aussi vite que possible ; il devait déclarer plus tard qu’il lui fallait préserver sa propre vie « pour les travailleurs » ! (ces faits sont relatés dans l’article de Lutte Ouvrière du 20 septembre).

Comment s’étonner du rejet du NUM quand on sait qu’un de ses fondateurs, Cyril Ramaphosa, est devenu membre du conseil d’administration de Lonmin. Lors des audiences de la commission d’enquête qui s’est réunie à partir du 22 octobre, un avocat des victimes a cité un échange d'e-mails la veille du massacre entre la direction de Lonmin, les ministres des Mines et de la Police, et M. Ramaphosa estimant que les événements prenaient une tournure criminelle, et méritaient un réponse appropriée (lu sur le site de SlateAfrique le 24 octobre).

Le 27 octobre le meeting organisé par le NUM et la Cosatu au stade de Rustenburg ne peut se tenir sans l’appui de la police. Des centaines de mineurs manifestent leur colère contre un syndicat accusé de trahir leurs intérêts, en particulier après l’accord signé avec Amplats. La police tire des balles en caoutchouc pour les disperser, fait usage de grenades assourdissantes et de gaz lacrymogènes tandis qu’un hélicoptère effectue des rondes au-dessus du stade. « Nous sommes ici pour manifester. Nous, les mineurs grévistes, nous sommes fatigués du NUM » expliquait à l'AFP un employé d'Amplats, alors que des mineurs en colère avaient mis le feu à des tee-shirts syndicaux. « Ils prennent leurs propres décisions de leur côté, ils ne consultent pas les travailleurs. Alors qu'ils sont là pour nous représenter, nous, les mineurs », déclarait un autre gréviste de la firme ajoutant: « Ils gagnent beaucoup d'argent (...) et nous, trois fois rien. »

Tout cela explique que les mineurs se soient dotés de comités de grève, et qu’ils aient exigé que lors des négociations il y ait des délégués des grévistes en plus des représentants syndicaux. Nous ne savons pas grand-chose sur l’importance de ces comités de grève : y en a-t-il eu partout ? Ont-ils tenté et réussi à se coordonner ? D’après Lutte Ouvrière (article du 20 septembre) ces comités baptisés en général comités ouvriers provisoires ont joué le rôle de direction informelle, « ce furent eux qui, en s’appuyant sur les grévistes les plus déterminés, semblent avoir réussi à étendre réellement le mouvement ; et ce furent également eux qui lancèrent l’appel à la grève dans l’ensemble du bassin de Rustenburg, le 12 septembre, avant de commencer à envisager un appel à la grève générale dans l’ensemble du secteur minier. »

Un mouvement de grèves particulièrement violent qui a fait plus de 60 morts

Si la tuerie du 16 août est le summum de cette violence on s’aperçoit vite que les morts durant les conflits sociaux en Afrique du Sud ne représentent pas un fait exceptionnel. Le 16 août n’a pas non plus apaisé les esprits ni freiné la police. Les médias ont relaté plusieurs bagarres entre grévistes et non-grévistes qui auraient fait des blessés et des morts. Un chauffeur routier est mort après avoir reçu dans la nuque une pierre lancée par un gréviste, des véhicules ont été caillassés ou incendiés. Vers le 10 octobre, deux hommes ont été tués dans le bidonville de Nkaneng près d’une mine d’Anglo Platinum, on ne sait pas encore dans quelles circonstances mais la police a procédé à une quarantaine d’arrestations pour violences publiques.

Sans nier qu’il y ait eu des accrochages entre travailleurs, ce sont les affrontements avec les forces de l’ordre qui ont été les plus réguliers et les plus sanglants et les habitants des townships redoutent les descentes de police la nuit. Des femmes, des hommes portent les traces douloureuses laissées par les balles en caoutchouc.

Le 3 septembre la police blesse gravement 4 personnes en tirant sur une manifestation de mineurs de Gold One, à Molden, qui réclament la réintégration de ceux d’entre eux qui ont été licenciés, certains il y a 2 ans, d’autres en juin dernier.

Le 15 septembre, à 2 heures du matin, alors que 150 militaires ont été positionnés en renfort dans la région, 500 policiers envahissent le bidonville où vivent les grévistes de Marikana. Ils perquisitionnent sans ménagement les foyers d’hébergement et les baraquements où dorment les familles des mineurs. Ils se saisissent des machettes et bâtons traditionnels. Il y a plusieurs blessés, dont des femmes, une conseillère locale de l’ANC touchée par une balle en caoutchouc décèdera plus tard de ses blessures.

Le 19 septembre à la mine d'Anglo American Platinum (Amplats), à Rustenburg, à côté de Marikana, il y a eu de nouveaux incidents. La police disperse des manifestants et procède à des arrestations. Le lendemain c’est au tour du bidonville de Sondela, juste à côté, de voir surgir les véhicules de police. Les habitants, furieux de voir les policiers en sortir les armes à la main, bloquent les routes avec des pierres et brûlent des pneus.

En octobre les forces de l’ordre interviennent à plusieurs reprises pour disperser des rassemblements de grévistes et n’hésitent pas à utiliser gaz lacrymogènes et balles en caoutchouc. Les heurts sont violents, des grévistes sont arrêtés. Le 16 octobre la police charge un rassemblement pacifique de 3000 mineurs d’une mine de chrome près de Marikana, 26 hommes sont arrêtés.

Après plusieurs semaines de grève, les gens sont à bout. Le 21 octobre les habitants du bidonville de Mfidikwe, près d’un des puits de la mine de platine Amplats à l’arrêt, mettent le feu à une petite épicerie puis se ruent à l’intérieur pour piller ce qu’ils peuvent encore récupérer. N’a-t-on pas l’impression de relire des pages de Germinal ?

Le 30 octobre des mineurs d’Amplats érigent des barricades sur la route qui mène à une station électrique en flammes, la police intervient violemment : « On dirait que c’est la guerre entre les ouvriers et la police » confie un gréviste à un journaliste de l’AFP.

Les travailleurs seuls face aux compagnies minières

Les compagnies minières ne bénéficient pas seulement du soutien sans faille du syndicat majorité, mais aussi de l’ANC au gouvernement et également du Parti communiste. Forts de ce triple appui les compagnies n’ont eu aucun scrupule à lancer des ultimatums : le retour à la mine ou le licenciement. Devant le nombre impressionnant de licenciements annoncés, nous avons vérifié : eh oui, le droit de grève est bien inscrit dans la constitution sud-africaine… mais il ne peut s’appliquer que selon des procédures précises, en ce qui concerne par exemple les préavis. Les grèves sauvages, non appelées par les syndicats, sont donc considérées comme illégales et officiellement interdites par la justice.

C’est ainsi que Gold One licencie le 9 octobre plus de 1400 employés (sur 1900), Atlatsa (petit producteur d’uranium) 2161, le 10 Amplats annonce le licenciement de 12 000 mineurs (40 % de ses effectifs), le 23 octobre Gold Fields annonce celui de 8500 grévistes… Ces ultimatums n’ont pas l’effet immédiat escompté et la plupart des grévistes tiennent bon.

Les compagnies, inquiètes de la chute de leur production et de la baisse de leurs profits, sachant qu’en plus il ne leur sera pas si facile que ça de trouver des remplaçants aux mineurs licenciés, lâchent du lest et acceptent de négocier. Dans le platine cela se fait entreprise par entreprise. Pour le secteur de l’or cela se fait entre la chambre des mines qui représente le patronat et le NUM. Le 25 octobre un accord est signé qui relève le salaire des mineurs à travers des primes ou des promotions à une catégorie mieux payée. Tous ces ajustements s’ajoutent aux augmentations de salaires entrées en vigueur le 1er juillet 2012 et allant de 8,5 % à 11 % selon la chambre des mines. Le NUM se montre encore plus satisfait que le patronat, selon ses calculs l’augmentation des salaires cumulés perçus cette année irait de 11 à 20,8 %.

Dans le détail, a expliqué la Chambre, les mineurs rémunérés au plus bas de l'échelle gagneraient 200 rands de plus avec un salaire d'entrée de grille porté à 5000 Rands (442 euros). Ce chiffre patronal n'inclut pas les bonus et autres éléments de rémunération, comme les allocations logement, maladie et retraite. Les autres mineurs gagneraient eux 300 rands de plus par mois à 5300 rands, sauf les foreurs, davantage augmentés avec une prime mensuelle de 400 rands.

Il est clair cependant que les grévistes n’ont pas obtenu les salaires qu’ils revendiquaient même s’il y a un peu d’augmentation. Les compagnies ont fait, avec les primes, un chantage à la reprise du travail mais les primes ne donnent pas un salaire constant. Les grévistes des mines d’or ont d’abord refusé, dès le 11 octobre, les propositions qu’on leur faisait. Puis, peu à peu, à partir de la mi-octobre, le travail a repris mais avec des poches de résistance. Le 23 octobre selon un décompte de l'AFP, environ 60 % des 56 000 salariés qui étaient en grève au début de la semaine dernière dans les mines d'or du pays n’étaient pas revenus au travail. Mais fin octobre avec la crainte des licenciements qui s’accompagnent de la perte des logements prêtés par les compagnies, avec les difficultés de la vie quotidienne au bout de presque 2 mois de grève, le travail reprend un peu partout, les compagnies promettent de rembaucher des travailleurs licenciés.

Mais à Amplats, une mine de platine filiale du groupe Anglo American, à Rustenburg, malgré l’accord signé avec le NUM pour que les 12 000 grévistes licenciés début octobre soient réembauchés, la tension reste vive. La direction fait miroiter une indemnité exceptionnelle de mobilité de 2 000 rands (178 euros) en signe d’encouragement. Il faut dire que l’accord signé par le NUM est suspendu à plusieurs conditions : que les grévistes aient repris le travail mardi 30 octobre et qu'ils acceptent par écrit de ne pas faire grève illégalement durant un an ! Quant aux non-grévistes, ils auront droit aussi à une prime unique de 2000 euros dite prime de loyauté : un comble !

Le double langage de l’ANC et de ses alliés

Tous les commentateurs s’accordent pour dire que le mouvement revendicatif qui a débuté à Marikana va avoir et a déjà des répercussions politiques. Il a fait la lumière sur le fossé qui sépare la majorité de la population noire et de ses travailleurs les plus exploités et le pouvoir tripartite en place, l’ANC et ses alliés.

On a vu combien la Cosatu et le NUM avaient été rejetés par la grande masse des grévistes. Après avoir appelé à l’utilisation de la force armée, ils ont versé quelques larmes sur les victimes de Marikana. Après avoir protesté mollement contre les licenciements ils ont signé des accords honteux. Ils n’ont eu de cesse de condamner les grèves sauvages et de s’en prendre à leurs meneurs.

En ce qui concerne le parti communiste, le SACP, quelques extraits d’un de ses communiqués publié le 14 août 2012 suffiront : « Le SACP est choqué et consterné par les violences dans la région minière de Lonmin. […] Les patrons des mines doivent assumer la responsabilité et leur complicité dans les efforts pour saper le NUM et fournissent un terrain fertile pour faire régner l'anarchie dans les mines[…] Il est devenu clair pour le SACP que ceux qui tentent de saper le pouvoir politique et la négociation avec le syndicat des mineurs NUM ont maintenant recours à la violence, y compris le meurtre, afin de diminuer la force de l'union.[…] Le SACP appelle la police à agir rapidement et frapper les voyous qui ont substitué la raison et le dialogue pour des balles. »

L’ANC a mené un double jeu qui ne trompe plus grand monde. Le président Jacob Zuma a appelé à une semaine de deuil national après le massacre mais dans le même temps il a autorisé le déploiement sur le territoire national de la Force de défense nationale d'Afrique du Sud (SANDF) c'est-à-dire de l’armée. Ce qui inquiète surtout l’ANC, c’est la dégradation de la note sud-africaine par les agences de notation et les pertes enregistrées par les compagnies minières (900 millions d’euros d’après la chambre des mines). Elle essaie de minimiser la portée d’un mouvement dont l’ampleur l’a complètement dépassée. Voici ce qu’a déclaré le 29 octobre le président Jacob Zuma en réponse aux questions de journalistes de la presse étrangère (lu sur le site SlateAfrique) : « L'Afrique du Sud n'est pas dans une situation critique[…] L'Afrique du Sud est un pays au travail. Nous ne sommes pas à un point de basculement, (dire cela) est un incompréhension totale de notre situation ».

Novembre 2012.

Nadine Floury

La mine tue !

En Afrique du Sud mais aussi…

En Chine qui détient le triste record de mortalité dans la mine : 2631 personnes en 2009, 2433 en 2010, 1973 en 2011 dans les mines de charbon, le 30 août 2012 19 mineurs sont tués et 28 autres sont portés disparus après une explosion due au gaz dans une mine du Sichuan. En Ukraine : 4 accidents successifs dans le bassin houiller à l’Est tuent une quarantaine de mineurs ; en Slovaquie : en 2009 20 personnes périssent dans un incendie dans une mine de lignite ; au Mexique : c’est par dizaines qu’on compte le nombre de morts chaque année (52 en 2011), le 25 juillet 2012 7 morts à la suite d’un coup de grisou, le 4 août 6 morts dans une mine de charbon ; au Pérou : la remontée des 9 mineurs en avril 2012 a été très médiatisée mais c’est aussi par dizaines qu’on chiffre le nombre de mineurs tués chaque année, en particulier dans les mines de cuivre artisanales voire illégales ; en Russie, 27 juillet 2012 un accident coûte la vie à 3 mineurs dans une mine charbon de Sibérie occidentale, les accidents sont monnaie courante en Russie en raison de la vétusté des installations et du non-respect des règles de sécurité ; et même aux USA : les conditions de travail des mineurs américains se sont à peine améliorées depuis que Tennessee Ernie Ford a chanté « Sixteen tons », en 2010 29 mineurs ont péri dans une mine de charbon de Virginie occidentale ; enfin République démocratique du Congo le 13 août 2012 : 60 morts dans une mine d’or à la suite d’un glissement de terrain, des creuseurs illégaux, parmi eux des enfants sans doute : le drame est passé quasiment inaperçu…

URL d'origine de cette page http://culture.revolution.free.fr/travailleurs21/2012-11-28-

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