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SERPENT -  LIBERTAIRE

anarchiste individualiste

NESTOR POTKINE Twayil Abu Jarwal

Une des caractéristiques les plus bizarres de l’être humain est sa capacité à s’attacher, souvent jusqu’à la mort s’il le faut, à un lieu. Et ce, quels que soient les charmes, ou l’absence de charme, du lieu en question. Nul besoin de recourir à l’histoire pour prouver cette assertion, il suffit d’une des nombreuses infamies commises par l’État d’Israël.


Celle-ci a lieu dans le désert du Néguev. Comme tous les déserts, le Néguev n’a rien de particulièrement commode. Pourtant, comme tant de déserts, il n’est pas dépourvu d’habitants. Des Bédouins du Néguev, j’avoue ne rien savoir. Des Bédouins d’autres lieux, je ne sais pas grand-chose de plus, et je suppose que la vérité en ce qui concerne leurs mœurs, leurs coutumes et leurs idées se situe entre d’une part le Noble Seigneur du Désert, l’ascète qui se contente de vivre entre trois dattes et deux bouses de chameau pour mieux écouter la Voix d’Allah d’une part, d’autre part le chacal crasseux, menteur, trompeur, avide, cruel. Les deux visions monopolisent, ou presque, la littérature occidentale sur le sujet.

D’autres Bédouins que ceux du Néguev ont eu la chance de régner sur des terres à pétrole : nul besoin de s’inquiéter du sort de la famille Al-Saoud. En revanche, les Bédouins du Néguev ont vu leurs étendues de cailloux envahies par Israël. Avant Israël, bien sûr, les Bédouins du Néguev nomadisaient. À partir de 1963, Israël a tenté, avec la légèreté et la subtilité qui font sa renommée, de les sédentariser. Rapidement, entre la clochardisation urbaine et la pauvreté désertique mais libre, la plupart des Bédouins ont choisi. Entre-temps cependant, le mode de vie purement nomade est devenu à peu près impossible à préserver. Alors, ils se sont sédentarisés, mais dans le désert, donnant naissance à une quarantaine d’implantations (oui, le mot même utilisé par les colons sionistes). Celle qui s’appelle Twayil Abu Jarwal se créa autour d’un ancien cimetière tribal. On ne voit guère ce qui pourrait gêner un Etat moderne dans un village pouilleux, construit de bric et de broc en plein désert. Pourtant, Israël déteste Twayil Abu Jarwal avec tant de zèle que les bulldozers l’ont détruit… Allez, lectrice avisée, combien de fois ?


Non, sérieusement, combien de fois ?


« Trois fois » crie-t-on au fond de la classe.


« Cinq » rétorque-t-on à gauche.


« Six », mais « six » est dit d’un ton sceptique, on offre ce nombre par pure plaisanterie.


Vous n’y êtes pas.


Pas du tout.


25 fois au minimum.


50 fois si vous comptez les démolitions partielles. 450 habitants. Depuis longtemps, ils ne construisent plus rien de solide. Ils érigent des tentes et des baraques de tôle ondulée. Qui inquiètent tant Tsahal et la Knesset que les bulldozers viennent et reviennent. Dès que les bulldozers sont partis, les habitants reconstruisent, si ce grand mot convient à décrire le fait de se procurer à nouveau de la toile de tente et des perches, de la toile ondulée et des plaques, de vieilles fenêtres et de vieilles portes, les ingrédients de ce qu’en France on appelle, avec réalisme et précision, un bidonville.


À propos de ce terrifiant bidonville, Monsieur Ilan Yesherun, directeur local de ce qui serait en France la direction de l’aménagement du territoire a déclaré, dans une interview au Jerusalem Report : « Ce n’est pas un village. Ca n’existe pas sur les cartes, ni sur le cadastre. Ca n’est un village que du point de vue des Bédouins. » Ô utile naïveté ! Cher Monsieur Yesherun, ne savez-vous donc pas qu’en 1943, les Juifs d’Auschwitz n’étaient humains « que du point de vue » des Juifs ? Qu’en 1832, les Noirs de l’Alabama n’étaient humains « que du point de vue » des Nègres ? Qu’en 1786, le roturier français n’est digne de respect que de son propre « point de vue » ? Que jusqu’il y a peu, en bien des pays, les femmes n’avaient une âme que de leur propre « point de vue » ?


Les quarante villages bédouins ne sont marqués sur aucune carte israélienne officielle. Et même si Korzybski, dans son célèbre ouvrage sur la Sémantique Générale s’est époumoné à rappeler que « la carte n’est pas le territoire », du point de vue d’un État, ce qui n’est pas délimité, enregistré, noté sur du papier n’existe pas. Donc les quarante villages bédouins n’existent pas . Mais alors, s’ils n’existent pas, pourquoi faut-il envoyer des machines pesamment existantes, des bulldozers, pour les détruire ? Comment peut-on détruire ce qui n’existe pas ?


L’État d’Israël doit son existence en grande partie à la réaction effarée de Théodore Herzl devant l’explosion en France de l’affaire Dreyfus. Comment le pays qui avait inventé les Droits humains pouvait-il nier la vérité à ce point ? Si même la France pouvait mentir, alors Il fallait aux Juifs un pays où nul ne pourrait mentir à leur égard, où nul ne pourrait nier leur droit à l’existence. Mais c’est bien, hélas, l’État d’Israël qui, à son tour, nie la vérité.

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