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SERPENT -  LIBERTAIRE

anarchiste individualiste

La montée de l'Etat islamique, ou la nouvelle fin de la fin de l'Histoire

omme face à al-Qaida il y a treize ans, les experts, aveuglés par leur rationalisme, ont été pris de court par l’apparition en Syrie et en Irak de l’organisation. Elle montre que le pouvoir des idées, même les plus archaïques, est une réalité, et le sens de l’histoire une notion à manier avec précaution.


Une fois encore, les experts occidentaux, militaires, politiques et religieux, ont été pris de court par l’apparition en Syrie et en Irak de l’organisation Etat islamique ou Daech, par son expansion rapide et par sa capacité à fasciner et tétaniser tout à la fois le monde musulman. La découverte, il y a un peu plus de treize ans, de la capacité d’al-Qaida à frapper sur le sol américain avait produit un choc semblable. Comme si nous restions aveuglés par notre rationalisme.
Les religions, les idéologies, les identités ne sont pas seulement le produit de rapports de force politiques, économiques et sociaux. «Entre la raison et les passions, les peuples choisissent toujours les secondes», expliquait déjà Raymond Aron au siècle dernier. Et l’organisation Etat islamique est la partie extrême d’une idéologie qui fait de la religion le centre de la vie publique et est dominante dans la majeure partie du monde arabo-musulman, sunnite comme chiite.
Le sens de l’histoire
Le pouvoir des idées, même les plus archaïques, est une réalité. Nous l’avions oublié. L’historien américain néoconservateur Robert Kagan rappelle dans le Wall Street Journal que «pendant un quart de siècle, on a dit aux Américains que le sens de l’histoire nous [conduisait] vers la tranquillité et la disparition des conflits militaires…». Une croyance encore plus marquée en Europe où la plupart des pays, à l’exception de la France, ont tout simplement renoncé à conserver des moyens militaires significatifs. L’ascension de Daech suffit à démontrer que le sens de l’histoire est une notion à manier avec précaution et qu’elle ne nous conduit pas forcément vers un avenir pacifique et harmonieux. Les dernières années au Moyen-Orient sont exactement à l’opposé de ce monde idéal.
À lire aussi
Notre dossier sur l'organisation État islamique

LIRE LE DOSSIER
Bien sûr, la grande majorité des musulmans ne partage pas l’interprétation extrême de leur religion de l’organisation Etat islamique. Pour autant, on ne peut nier que son ascension ait quelque chose à voir avec l’Islam. Peut-être une forme dévoyée de cette religion, mais une forme qui exerce un pouvoir d’attraction indéniable, y compris auprès de nombreux jeunes musulmans en Occident. Daech et son Islam, qui se veut celui des origines, fascinent au même titre que les totalitarismes européens du siècle dernier ont envoûté les foules en promettant par la violence de créer un homme nouveau ou d’instaurer le règne de la race des seigneurs.
Dans une déclaration interminable et décousue faite en septembre, le porte-parole de l’organisation, Abou Muhammad al-Adnani, a donné en partie les clés de son pouvoir d’attraction. Irrationnel d’abord, avec une forme de nihilisme et un désir absolu de «pureté», et plus rationnel aussi, avec l’ambition de redonner vie au califat, un fantasme qui agite le monde arabe depuis la disparition de ce dernier en 1924, il y a juste 90 ans, avec le démantèlement de l'empire ottoman.
L’effondrement d’une civilisation
Sur l’aspect irrationnel, Daech considère qu’il ne peut tout simplement pas être vaincu. «Etre tué est une victoire. Vous combattez un peuple qui ne peut connaître la défaite. Il remporte la victoire ou il est tué», affirme Abou Muhammad al-Adni. Les combattants de l’organisation Etat islamique ne se sacrifient pas seulement par conviction religieuse: ils ont le culte de cette mort en martyr, car ils iront directement au paradis. Et ils y croient.
Sur un plan plus rationnel cette fois, l’organisation incarne «enfin» une tentative de renaissance du califat. La résurrection d’une entité politique gouvernée par la loi et la tradition islamique est un fantasme puissant, même auprès des musulmans qui rejettent les islamistes. Le califat est le symbole d’une civilisation longtemps dominatrice qui a connu un des déclins les plus rapides de l’histoire humaine. Le souvenir de ce qu’était la puissance arabo-musulmane et le constat de ce qu’elle est aujourd’hui sont une source permanente de colère et d’humiliation.
Il faut dire que depuis 1924, le monde arabo-musulman a été incapable de se doter d’un modèle politique accepté et acceptable. Des Etats-nations souvent artificiels, dont les frontières ont été dessinées sans réflexion par les Occidentaux, se sont retrouvés entre les mains de régimes monarchiques ou dits «progressistes», mais toujours autoritaires, brutaux, inefficaces et corrompus.
Des autorités religieuses discréditées
Comme l’écrit le chroniqueur d’al-Arabiya Hisham Melhem dans un article pour Politico qui a eu un important retentissement, titré «The barbarians within our gates» («Les barbares dans nos murs»):
«La civilisation arabe s’est effondrée, elle ne se redressera pas de mon vivant… Le monde arabe est aujourd’hui plus violent, instable, fragmenté et mené par l’extrémisme –l’extrémisme des pouvoirs et des opposants– qu’à aucun autre moment depuis l’effondrement de l’empire ottoman il y a un siècle. Tous les espoirs d’une histoire arabe moderne ont été trahis. La promesse d’une émancipation politique, le retour de la politique, la restauration de la dignité humaine proclamée par les révolutions arabes, tout cela a débouché sur des guerres civiles, ethniques, religieuses, des divisions régionales et la réaffirmation de l’absolutisme à la fois sous ses formes militaires et répressives.»
Face à cette réalité, revenir à un califat idéalisé semble être un désir rationnel.
En écho, Dennis Ross, spécialiste du Moyen-Orient, conseiller d’Henri Kissinger et de Barack Obama, souligne que «ce que les islamistes ont tous en commun est de subordonner leurs identités nationales à leur identité islamique». C’est une des clés de leur succès. Le problème, c’est qu’il n’y a aucune définition commune de cette identité islamique et que les autorités religieuses qui auraient dû la définir sont discréditées par leur proximité et leur complicité avec les pouvoirs en place.
Les salafistes, qui prônent sur le seul plan de la doctrine religieuse le retour à l’Islam des origines, et tous les islamistes du monde sunnite, des Frères musulmans à al-Qaida en passant par Daech, sont nés du rejet des pouvoirs religieux en place. Le mouvement égyptien des Frères musulmans, né en 1918, qui est le précurseur et l’inspirateur de la plupart des mouvements dits islamistes «modérés» et indirectement (via une dissidence) de la doctrine d’al-Qaida, a été chercher ses dirigeants parmi des médecins, des ingénieurs, des juristes…
Mohammed Morsi, issu des Frères musulmans, élu président en Egypte en juin 2012 et chassé par un coup d’Etat militaire en juillet 2013, est un ingénieur. Oussama ben Laden, fondateur d’Al-Qaida, abattu en 2011, était aussi un ingénieur de formation. Ayman al-Wazahiri, qui a succédé à Ben Laden à la tête d’al-Qaida, est un chirurgien.
Islam et politique sont indissociables
Le procès fait par les islamistes aux religieux est comparable sur certains points à celui fait par la Réforme protestante à l’Eglise catholique au XVe et XVIe siècles, qui a conduit à… une interminable guerre de religion. Les salafistes affirment que des siècles d’enseignement perverti de l’Islam ont masqué la pureté du message du prophète Mohammed et de ses compagnons. Pour eux, il suffit de lire le Coran et de suivre à la lettre l’exemple du prophète.
Ainsi, même si les Frères musulmans sont des islamistes très différents de ceux de l’organisation Etat islamique et n’entendent pas utiliser les mêmes moyens pour parvenir à leur fins, ils ont eux aussi une vision de la société qui met l’Islam et la loi islamique au centre de la vie publique. Une conception d’un système légal et social construit autour de la religion qui correspond, à en croire certains sondages, à la façon de penser aujourd’hui de la majorité des populations arabes. C’est le cas notamment des Egyptiens et des Jordaniens, qui pourtant ne vivent pas dans un pays où le pouvoir est aux mains des islamistes comme la Turquie, l’Arabie Saoudite ou le Qatar.
Cela n’empêche pas 88% des Egyptiens musulmans et 83% des Jordaniens musulmans de soutenir la peine de mort pour les apostats (ceux qui rejettent la religion), selon un sondage réalisé en 2011 par Pew Research. Dans la même étude d’opinion, 80% des Egyptiens étaient favorables à la lapidation des auteurs d’adultère et 70% à couper la main aux voleurs.
La tentation politique de l'Islam est permanente. La question n’est pas de savoir si c’est une bonne chose ou une mauvaise, c’est une réalité. Le prophète Mohammed était tout à la fois un théologien, un prophète, un chef d’Etat, un chef de guerre, un prêcheur et un marchand. Ce n’était pas le cas de Moïse, et encore moins de Jésus. Une «confusion» des pouvoirs en contradiction avec les exigences de la modernité et d’un monde ouvert que les régimes arabes ne parviennent pas à surmonter.
Même les pouvoirs modérés, alliés des occidentaux et anti-islamistes, sont de nature religieuse. C’est le cas des monarchies marocaine et jordanienne et même du président égyptien Abdel Fattah al-Sissi qui, dans sa thèse écrite au collège de guerre américain, expliquait que «la démocratie ne peut pas se comprendre au Moyen-Orient sans comprendre le concept de l’Etat idéal du califat…».
Confusion et chaos
La tentation de se trouver un avenir dans un passé mythique est d’autant plus forte que le chaos n’a cessé de grandir dans la région au cours des dernières années. La volonté confuse de liberté exprimée pour la première fois dans la rue lors des printemps arabes de 2011 a fini de discréditer et déstabiliser les régimes en place.
La polarisation –religieuse, politique, ethnique– est devenue telle en Syrie et en Irak qu’il est difficile de voir ces deux Etats renaître un jour. En Libye, les 42 années de règne de terreur de Mouammar Kadhafi ont fait place à un pays disloqué. Le Yémen est un Etat défaillant miné par les divisions tribales. Bahreïn survit grâce au soutien militaire de son voisin saoudien.
L’intervention armée occidentale, à reculons, contre Daech ajoute à la confusion. Il suffit de voir les réticences des «alliés» sunnites de l’occident (Turquie, Arabie Saoudite, Qatar), qui ont un temps financé et armé l’Etat islamique. Tout aussi perturbante est l’alliance de fait contre l’Etat islamique des Etats-Unis avec l’axe chiite: la République islamique d’Iran, son affidé syrien Bachar el-Assad et le Hezbollah libanais


Eric Leser

Les enfants du califat: comment l’Etat islamique est en train de soulever une armée de petits soldats

Et pourquoi l'Occident pourrait bien avoir à les combattre pendant plusieurs générations.


A Racca, le fief syrien de l’Etat islamique, ils sont aux premiers rangs lors des crucifixions et des décapitations publiques. On se sert de leur sang pour transfuser les combattants de l'EI blessés. On les paye pour dénoncer les infidèles ou ceux qui critiquent l'EI. On les forme à devenir des kamikazes. Ce sont des enfants, âgés pour certains d'à peine 6 ans, que l’Etat islamique transforme en soldats du futur.
Pour recruter des enfants, l’Etat islamique a mis au point un système complet et extrêmement bien organisé, qui vise à les endoctriner avec les croyances extrémistes du groupe, avant de leur apprendre des techniques rudimentaires de combat. Les djihadistes se préparent à une longue guerre contre l'Occident et espèrent que les jeunes soldats formés aujourd'hui seront toujours au front dans plusieurs années.
Des maltraitances infantiles à échelle industrielle
Si aucun chiffre ne permet de dire avec précision combien d'enfants sont concernés, des témoignages de réfugiés et des données collectées par les Nations unies, des groupes de défense des droits de l'Homme et des journalistes laissent entendre que l'endoctrinement et l'entraînement militaire des enfants est un phénomène considérable.
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Sur les bancs des écoles de l'Etat islamique
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Les enfants soldats n'ont rien d'une nouveauté en temps de guerre. Des dizaines d'armées et de milices africaines intègrent de jeunes garçons dans leurs rangs, notamment parce que, selon ce qu'ont pu montrer des recherches, les repères moraux ne sont pas encore bien formés chez les enfants, qui peuvent dès lors être facilement incités à commettre des actes de cruauté et de violence.
A long terme, les jeunes combattants de l'EI pourraient représenter un problème particulièrement dangereux, tant ils sont arrachés à une scolarité normale, remplacée par une propagande islamiste facile à digérer, conçue pour déshumaniser autrui et les persuader de la noblesse qu'il y a à combattre et mourir pour leur foi.
Les enfants servent aussi de boucliers humains sur les champs de bataille, ou comme réserve de sang pour les blessés

«[L’Etat islamique] dénie délibérément toute éducation à ceux qui se trouvent sur son territoire, sans compter qu'ils leur lavent aussi le cerveau», affirme le lieutenant général H.R. McMaster, militaire chargé de réfléchir aux menaces futures et de planifier l'avenir de l'Armée américaine.
«Il s'agit de maltraitances infantiles à une échelle industrielle. Ils brutalisent et déshumanisent systématiquement les jeunes populations. Cela va générer un problème multi-générationnel.»
Ivan Šimonović, le Secrétaire général adjoint aux droits de l'Homme de l'ONU, vient de rentrer d'un voyage en Irak, où il s'est entretenu avec des déplacés irakiens de Bagdad, Dahuk et Erbil. Il parle d'un programme «de recrutement considérable et redoutablement efficace».
Des camps d'entraînement
A l'ONU, devant un petit parterre de journalistes, Šimonović a expliqué que les djihadistes «séduisaient» les plus jeunes et qu'ils étaient passés maîtres dans la «manipulation des jeunes hommes et des enfants». Avant d'ajouter qu'«ils donnent une impression de puissance et de triomphe», tout en promettant à ceux qui tomberont au combat un «accès direct au paradis».
«Pour moi, a-t-il poursuivi, le plus saisissant est de rencontrer des mères [qui nous disent] “nous ne savons pas quoi faire. Nos fils se portent volontaires et nous ne pouvons pas les en empêcher”.»
En Irak ou en Syrie, les garçons qui, sur les lignes de front, sont enlevés par l'EI ou le rejoignent volontairement, sont envoyés dans divers camps d'entraînement religieux ou militaire en fonction de leur âge. Dans ces camps, tout leur est inculqué, de l'interprétation que fait l'EI de la charia au maniement d'une arme à feu. On leur apprend même à décapiter un autre être humain en leur donnant des poupées sur lesquelles s'exercer, selon les informations que révélait en septembre Syria Deeply, un site dédié à la guerre civile syrienne.
Les enfants sont aussi directement envoyés sur les champs de bataille, où ils sont utilisés comme boucliers humains ou comme réserves de sang pour les transfusions des blessés de l'EI, selon Shelly Whitman, directrice exécutive de la Roméo Dallaire Child Soldiers Initiative, une association qui se bat pour mettre fin au phénomène des enfants soldats.
Un nombre en augmentation
Des témoignages venant des villes irakiennes de Mossoul et de Tall Afar, et recueillis par des enquêteurs des Nations unies, font part de jeunes enfants armés de fusils qu'ils peuvent à peine porter et vêtus de l'uniforme de l’Etat islamique. Des enfants menant des patrouilles de rue et arrêtant les habitants.
Au sein de l'ONU, des experts des droits de l'Homme ont aussi «reçu des informations confirmées faisant part d'enfants d'à peine 12 ou 13 ans suivant des entraînements militaires organisés par l'EI à Mossoul», peut-on lire dans un rapport conjoint du Bureau du haut commissariat aux droits de l'Homme et du Bureau des droits de l'Homme de la Mission d'assistance des Nations unies en Irak.
Selon le rapport, le nombre de jeunes garçons tenant des barrages routiers a «dramatiquement augmenté» durant la dernière semaine d'août autour d'al-Sharqat, dans la province de Salâh ad-Dîn. Et dans les plaines de Ninive et de Makhmour, un grand nombre d'adolescents a été recruté en août par des soldats de l'EI. Certains de ces garçons auraient été «forcés à se mettre en première ligne pour protéger les soldats de l'EI pendant l'offensive, et obligés de donner leur sang pour soigner les blessés», toujours selon le rapport.
Abou Ibrahim Raccaoui, le pseudonyme d'un homme de 22 ans qui vivait encore en Syrie il y a un mois, est le fondateur de Racca se fait massacrer en silence. Sur Twitter et Facebook, son collectif rend compte de la violence de la vie quotidienne à Racca, la ville où il a grandi. En plus de Raccaoui et de trois autres personnes qui ont désormais quitté la Syrie, 12 individus vivant toujours à Racca collaborent régulièrement au site, en envoyant des images et des informations sur ce qui se passe dans la ville.
Des garçons de 8 ans à l'entraînement
Interviewé par Skype, Raccaoui nous explique que l’Etat islamique est monté d'un cran dans son programme de recrutement des jeunes et dispose désormais d'un camp d'entraînement spécifiquement conçu pour les enfants et les adolescents, où on leur apprend des techniques de combat.
Il explique que des jeunes de Racca sont rapidement formés, puis envoyés sur le front de Kobané, la ville de la frontière turco-syrienne où l’Etat islamique se heurte depuis maintenant plusieurs semaines aux soldats kurdes, dans des combats d'une extrême violence. Autour de la ville, les Etats-Unis et la coalition ont mené plus de 135 frappes aériennes contre les combattants de l’Etat islamique, tuant des centaines de djihadistes.
A Racca, où la misère est endémique après plus de trois ans de guerre, le groupe persuade souvent les parents d'envoyer leurs enfants dans ses camps d'entraînement en échange d'argent, explique Raccaoui. Parfois, l'EI attire directement les enfants en organisant des fêtes ou des démonstrations militaires, et leur donne de l'argent pour qu'ils participent aux entraînements. A Racca, avec toutes les écoles fermées, les enfants n'ont pas grand-chose d'autre à faire, commente Raccaoui.
Dans la province de Racca, on dénombre plusieurs camps d'entraînement de jeunes –le camp al-Zarqaoui, le camp Oussama ben Laden, le camp al-Cherkrak, le camp al-Taleea et le camp al-Sharea. Dans le le camp al-Sharea, Raccaoui estime entre 250 et 300 le nombre d'enfants à être enrôlés, sachant que ce camp ne reçoit que des jeunes de moins de 16 ans.
Raccaoui nous a montré des images de ces enfants. On peut y voir de jeunes garçons assis en train de manger. Sur une autre photo, un jeune sourit: il vient de terminer une course d'obstacles.
Quand il y a une grande bataille à mener, comme celle de Kobané, explique Raccaoui, l'entraînement s'intensifie. En Irak, plusieurs faits attestent d'enfants obligés de suivre un entraînement militaire. Fred Abrahams, conseiller spécial pour l'ONG Human Rights Watch, a interviewé des Yazidis d'Irak qui ont réussi à s'enfuir des prisons de l’Etat islamique. Ils disent avoir vu des combattants de l'EI enlever des enfants à leurs parents pour les emmener dans des camps d'endoctrinement religieux ou d'entraînement militaire.
Dans une base militaire de Sinjar conquise par l'EI, un de ces Yazidis dit avoir vu ses geôliers isoler 14 garçons, âgés de 8 ans à 12 ans, pour les emmener se former au djihadisme.
Cet été, Vice News publiait un extraordinaire reportage sur l’Etat islamique, sous la forme d'un documentaire en cinq parties détaillant le quotidien des villes tombées dans l’escarcelle du groupe. La seconde partie est spécifiquement dédiée à la manière dont l'EI prépare son avenir avec le dressage des enfants.
Les enfants servent de propagande sur les réseaux
«Nous croyons que cette génération d'enfants est la génération du califat, si Dieu le veut, cette génération combattra les infidèles et les apostats, les Américains et leurs alliés», disait un homme dans la vidéo de Vice. Le reportage montre aussi un garçon de 9 ans affirmer qu'il ira dans un camp après le Ramadan pour y apprendre comment utiliser une Kalachnikov.
Un porte-parole de l’Etat islamique a précisé aux journalistes de Vice que les enfants de moins de 15 ans vont dans les camps de charia pour apprendre la religion, mais que ceux au-dessus de 16 ans vont dans les camps militaires.
Les officiers de l’Etat islamique chargés de la communication sur les réseaux sociaux recrutent aussi des gens du monde entier et les persuadent de faire le voyage jusqu'en Syrie ou en Irak pour rejoindre le groupe.
Une partie de cette stratégie implique d'utiliser des enfants comme outils de propagande, en postant des photos sur les réseaux sociaux, où on en voit porter les uniformes de l’Etat islamique et marcher aux côtés de combattants adultes. «A la mi-août, l'EI a fait irruption dans un centre d'oncologie pédiatrique d'un hôpital de Mossoul et a forcé au moins deux enfants malades à brandir le drapeau de l'organisation, avant de poster les photos sur Internet», détaille le rapport de l'ONU.
L’Etat islamique a détruit leur enfance, il a détruit leur cœur.
Raccaoui
Sur Internet, le recrutement de l’Etat islamique a été des plus efficaces, avec plus de 3.000 Européens partis faire le djihad. Selon le FBI, seule une petite dizaine d’Américains aurait rejoint le groupe, mais l'agence admet qu'ils pourraient être plus nombreux.
Fin octobre, trois lycéennes originaires du Colorado ont été arrêtées à Francfort, alors qu'elles cherchaient visiblement à rejoindre l’Etat islamique en Syrie. Les jeunes filles se seraient radicalisées sur Internet.
La vidéo de Vice News montre un Belge arrivé à Racca avec son fils, qui semble avoir entre 6 et 7 ans.
Le père pousse son fils à dire à la caméra qu'il est de l’Etat islamique, et pas de Belgique. Il lui demande ensuite s'il veut être djihadiste ou kamikaze, le garçonnet répond «djihadiste».
Raccaoui explique que lorsqu'il vivait encore à Racca, il lui est arrivé de croiser une famille composée d'une femme américaine, d'un mari algérien et de leur fille, qui semblait avoir dans les 4 ans.
Il dit avoir aussi vu un combattant français avec deux enfants: un garçon aux cheveux blonds, qui avait sans doute 6 ans, et une fille encore bébé, d'environ 1 an.
«Dans la ville, nous croisons beaucoup de combattants étrangers, c'est très choquant», commente-t-il.
En Syrie et en Irak, les enfants ne sont pas simplement radicalisés, mais ils sont aussi quotidiennement exposés à un niveau de violence extrême.
Raccaoui nous a fournit des photos prises quand il habitait encore la ville. On y voit des enfants assistant à des crucifixions publiques. Selon lui, les enfants sont tellement habitués à regarder de telles exécutions, que la vue d'une tête se détachant d'un corps humain ne leur fait plus aucun effet.
«L’Etat islamique a détruit leur enfance, il a détruit leur cœur.»
Misty Buswell, officier de plaidoyer pour la région Moyen-Orient de l'ONG Save the Children et basée en Jordanie, déclare:
«Ce n'est pas exagéré de dire que nous pourrions perdre toute une génération d'enfants au profit du traumatisme.»
Selon Buswell, les enfants réfugiés qu'elle a rencontrés sont sujets à des cauchemars, ils évitent les contacts avec leurs camarades et manifestent des signes d’agressivité à l'encontre d'autres enfants.
«J'ai vu des enfants qui avaient arrêté de parler, ou qui ne parlaient plus depuis des mois à cause des choses terribles dont ils ont été témoins, ajoute Buswell. Et là, il s'agit des plus chanceux, ceux qui ont réussi à traverser la frontière.»
Elle poursuit:
«Avec du temps et des interventions adéquates, on peut aider ces enfants à recouvrer quelque chose s'apparentant à une vie normale. Mais pour les enfants qui sont toujours sur le terrain, et qui assistent quotidiennement à de telles atrocités, les effets à long terme seront bien plus conséquents.»
Buswell précise que les réfugiés envisagent presque toujours de revenir chez eux une fois la situation stabilisée et la paix revenue.
Mais, il y a quelques semaines, quand elle a posé la question du retour à des réfugiés de Sinjar, leur réponse l'a stupéfiée.
«C'est l'une des premières fois dans ma carrière où j'ai entendu des gens me dire que ce qu'ils avaient vu et vécu était si horrible et traumatisant –autant de choses dont leurs enfants ont aussi été les témoins– qu'ils ne voulaient pas retourner chez eux. Ils y ont trop de mauvais souvenirs.»


Kate Brannen

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