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SERPENT -  LIBERTAIRE

anarchiste individualiste

Des Émiriennes au front - Kyra Dupont Journaliste basée aux Émirats Arabes Unis

Le major Mariam Al Mansouri, 35 ans, pilote de F-16, dirige les attaques aériennes des Emirats arabes unis contre l'état islamique depuis un mois. Hautement qualifiée, ultra diplômée, elle est prête au combat. À l'image de tant d'autres de ses compatriotes, elle est à sa façon l'ambassadrice d'un autre modèle de développement pour les femmes des pays arabo-musulmans. Dans ce contexte de guerre contre l'obscurantisme et la barbarie de daesh, où les femmes sont les premières victimes de la brutalité de ses partisans, les Emiriennes sont un exemple d'autant plus prégnant d'alternative possible. Depuis la création de leur pays en 1971, leurs dirigeants leur ont donné la possibilité de se hisser au sommet de l'Etat, dans les conseils d'administration de grandes entreprises et à se rendre indispensables.


La présence du major Mariam Al Mansouri et son engagement contre le fanatisme à ses frontières témoigne du fait que les Emiriennes sur le devant de la scène ne peuvent plus être vues comme une opération marketing de Dubaï, se complaisant régulièrement dans les superlatifs, mais une tendance réelle à l'autonomisation des femmes aux Emirats arabes unis. Force est de constater qu'elles peuvent tout à la fois incarner les valeurs traditionnelles de l'Islam, préserver l'ordre social et être actives dans tous les secteurs, y compris les plus connotés au niveau du genre, comme l'armée. Institution fondamentale dont le but est la procréation, au cœur de la transmission des valeurs, les femmes des Emirats arabes unis n'en sont pas moins des agents de la modernisation par excellence.


Car oui, c'est à peine croyable, mais en moins de 50 ans, ces femmes ont bel et bien été parachutées du Moyen Âge à l'ultra modernité, d'une vie de village à la globalisation. Prises en étau entre wahhabisme saoudien et chiisme iranien, elles sont devenues ministres, députées, femmes d'affaires, ingénieures, médecins, juges, avocates, officiers de police et..., comme en témoigne Mariam Al Mansouri, pilotes dans l'armée de l'air. Leurs grand-mères ont été élevées sans eau courante, ni électricité. Elles se verraient volontiers à la conquête de l'espace.


Elevées à penser qu'elles devaient se sacrifier, les Emiriennes en ont fait du chemin avant de réussir à s'imposer dans un monde d'hommes issus d'une société patriarcale, bédouine et musulmane. Il leur en a fallu du courage pour imposer leurs idées dans une société où leurs pères, leurs frères, leurs maris ou leurs oncles se complaisaient dans leur bon droit à régir leur existence. Et pourtant, les voilà, au front, en première ligne. Un modèle pour toutes les femmes du monde qui souffrent du simple fait d'être des femmes. Sans jamais se déclarer féministes, sans jamais se heurter frontalement aux éléments les plus conservateurs de leur société, mais harmonieusement, au sein d'une culture où toujours prime la consultation, elles avancent dignement et font émerger dans la sphère publique des débats sur leurs droits, intègrent peu à peu les processus de décision, l'appareil législatif.


Alors, oui, on peut arguer que ce n'est pas encore assez, que « peut mieux faire », qu'elles sont encore discriminées dans le droit, que leur voix vaut la moitié de celle d'un homme, qu'elles ont encore pas mal de défis à relever. Mais n'en avons-nous pas ? En comparant nos statistiques aux leurs, on ne peut que constater l'invraisemblable évidence : il existe des secteurs où les Emiriennes font mieux que nous, en Occident ! Elles ont gagné des combats en 20 ans que nous avons mis plus d'un siècle à voir se concrétiser. Les Françaises n'obtinrent le droit de vote qu'en 1945, plus de 150 ans après qu'Olympe de Gouge ne réclame l'égalité politique en 1791 et se fasse guillotiner pour son audace. Les Emiriennes mènent, de plus, tous ces combats de front : l'accès au travail, à l'égalité de salaire, la participation politique, le droit d'épouser des étrangers ainsi que celui de leurs enfants nés de telles unions à la nationalité émirienne, le divorce... Et tout ceci sans manifestation, sans grève, sans droit de vote ou rébellion d'aucune sorte.


En trente ans, elles sont passées d'invisibles au devant de la scène. Pas un jour ne s'écoule sans que les médias se fassent l'écho de leurs exploits : 72% d'étudiantes sur les bancs de l'université - record mondial-, complète inversion des genres dans le choix des matières -70% optent pour l'ingénierie, les mathématiques, les sciences ou la technique-, 22,5% de présence au Conseil national fédéral, sorte de Parlement - nous en avons 26,8%... Contrairement aux stéréotypes souvent véhiculés par manque d'information ou de connaissances, le droit ne les oblige pas à se voiler, elles peuvent se déplacer librement, choisissent de plus en plus fréquemment leurs époux, et surtout, maîtrisent leur fécondité : sans nul doute, leur principale conquête. En passant de dix à deux enfants en moyenne, elles se sont données la possibilité de mieux contrôler leur vie personnelle et professionnelle.


Elles savent mieux que quiconque que chacun de leur pas en avant reste chèrement payé dans le monde arabe, chaque jour un défi et leur présence pas toujours une évidence. Faisons leur l'honneur d'aller à leur rencontre et de mieux les connaître avant de juger qu'elles n'en ont pas fait assez avec toute l'arrogance de nos points de vue ethno centrés. Elles savent mieux que quiconque ce qu'elles auraient à perdre si l'idéologie malveillante de daesh venait à se répandre. Les Emiriennes peuvent se targuer d'insuffler espérance et dignité à toutes celles qui payent si durement le fait d'être femmes dans une région du monde que nous ne pouvons plus nous donner le luxe d'ignorer ou méconnaître tant ses frontières se sont subitement rapprochées des nôtres.

Des Émiriennes au front   -   Kyra Dupont  Journaliste basée aux Émirats Arabes Unis
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