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SERPENT -  LIBERTAIRE

anarchiste individualiste

1981 - 1990 : les années Mitterrac - Chirand

Increvables anarchistes


Les années Mitterrand

Ici, on s'en doutait. Là, on le redoutait. Ailleurs, on l'espérait. Mais... Depuis des mois, en effet, il distillait le doute. Un jour, il laissait entendre que... Et, le lendemain, le contraire. Était-il hésitant ? Partagé entre l'ambition et la peur de louper sa sortie ? Tiraillé entre le sentiment d'être investi d'une mission et celui, lancinant, de n'avoir plus vraiment l'âge de se lancer dans une telle aventure ? Entretenait-il sciemment le suspense ? Pour faire monter la pression... et les sondages ? Pour laisser le lièvre et la tortue occuper le terrain de la bagarre fratricide entre chiffonniers ?

Personne ne savait. Tout le monde attendait. L'attendait. Chaque jour qui passait égrenait la même petite note lancinante : à J moins 90, 80, 60, 50... le candidat Mitterrand n'a toujours pas été libéré ! Le non-événement était devenu l'événement jusqu'à ce qu'enfin... Simple hasard ou clin d'œil malicieux à l'Histoire, c'est le 22 mars 1988, soit 20 ans après la naissance d'une dynamique qui allait être à l'origine d'un des plus grands mouvements sociaux de ce siècle, que François Mitterrand a choisi d'annoncer sa candidature à la prochaine élection présidentielle. Tout un symbole !

La main d'Attila dans le gant de Machiavel

À bien des égards, le personnage du président-candidat est fascinant. Parti de rien, engoncé dans un costume de looser, étiqueté comme has been de la IVème république, il a réussi à force d'obstination et de ruse à sauter tous les obstacles, à défaire tous ses adversaires et à s'imposer comme l'homme de l'espoir.

Premier temps de cette longue marche, il s'est attaché, en surfant sur la vague de l'union de la gauche, à reconstruire la social-démocratie et à lui faire dévorer, tout cru, le loup communiste. Il fallait le faire.

Ensuite, porté au pouvoir par la vague rose, il n'a eu de cesse, conscient de l'inanité de l'union entre socialistes et communistes, de créer les conditions d'un rassemblement majoritaire englobant le centre gauche et le centre droit. Pour ce faire, il a favorisé l'émergeance d'une extrême droite, confinée jusqu'alors dans la marginalité, en pariant sur sa capacité à fracturer l'union de la droite et du centre. Et il a réussi. Comme il a réussi, en optant pour la cohabitation, à se refaire une santé politique et à attiser encore un peu plus les clivages à droite.

Bref, c'est peu dire qu'il y a du Machiavel dans cet homme-là. Du Machiavel et de l'Attila, car de la destruction de la gauche à l'éclatement de la droite, en passant par l'OPA sur une constitution de 1958, qui, instaurée pour cantonner les partis et le Parlement dans un rôle de godillots, parvient à redorer le blason de la fonction du Parlement et du Premier ministre.

François Mitterrand n'a vraiment semé que la dévastation sur son passage. Quoi qu'il en soit, le président-candidat, alias docteur Machiavel et mister Attila, semble, si on en croit les sondages, en passe de récidiver. Et, de ce fait, force est bien de constater que son entreprise de démolition en tous genre doit sûrement s'appuyer sur un mouvement d'opinion. Comme quoi notre killer est peut-être en train de se forger un nouveau look : celui d'architecte de l'avenir. Dur !

Le nouveau paysage politique français

Actuellement, et la réélection de Mitterrand ne ferait bien sûr qu'accélérer le processus, nous nous trouvons sur les rails d'une recomposition politique impensable il y a seulement quelques années.

Le parti communiste est réduit à l'état de groupuscule, la gauche extrême regroupée derrière Juquin l'empêchant de céder à la tentation isolationniste. Le Parti socialiste occupe la plus grande partie de l'espace à gauche. La droite conservatrice est condamnée à s'allier avec le diable Le Pen ou à s'étendre du côté des libéraux. Le centre droit est effrayé aussi bien par un flirt avec l'extrême droite que par le mariage avec Chirac. L'extrême-droite empêche la droite et le centre d'être majoritaires... Tous les éléments sont réunis pour la mise sur orbite d'un rassemblement comprenant le PS et le centre droit et soutenu électoralement par le PCF et l'extrême-gauche.

Le terrain a été labouré dans cette optique. Le PS a mis de l'eau dans son vin et recentré sa politique, en se posant en gestionnaire modéré du capitalisme. Il a fait son deuil d'un gouvernement socialo-communiste. François Mitterrand, pendant les deux années de la cohabitation, s'est attaché, via le personnage d'un Tonton arbitre, à peaufiner l'image d'un président modérateur...

Bref, tout est prêt pour accueillir le centre droit au sein d'une nouvelle constellation politique, agglomérant sociaux-démocrates et démocrates-sociaux, qui gouvernerait le pays en bon père de famille. Un peu de réformisme ici, beaucoup d'austérité là, une gestion rigoureuse mais conviviale du capitalisme, un équilibre des pouvoirs entre le Parlement et le président... Quel est le centriste qui pourrait résister à un tel programme ?

Comme on le voit, tant en politique générale qu'institutionnel, le paysage politique francais risque, dans les années à venir, d'être complètement chamboulé. Et le chef d'orchestre de cette restructuration n'est personne d'autre que Mitterrand. Mais aurions-nous, pour autant, en l'absence de Mitterrand, échappé à cette modification du paysage politique français ? Rien n'est moins sûr...

Restructuration du capitalisme

Depuis déjà quelques années, le capitalisme est entré dans une phase de crise qui plonge profondément ses racines dans la mise en place d'une nouvelle division internationale du travail et de la production.

Aiguillonnés par l'émergence de pays nouvellement industrialisés, les pays occidentaux sont engagés, aujourd'hui, dans un processus de mutation directe, direction la post-industrialité. À grands renforts d'investissements, de développement des techniques de pointes et des industries dites de l'avenir, ces pays abandonnent, peu à peu, leur vieux costume industriel traditionnel pour s'habiller aux couleurs de la robotique, de l'informatique, de la biologie, de la communication... avec la double préoccupation de faire encore plus de profits qu'avant et de creuser un écart technologique avec le reste du monde.

Évidemment, cette mutation s'accompagne de destructions en tous genres. Car, en ce qui concerne l'emploi, la restructuration est d'autant plus douloureuse, qu'à terme, chacun sait bien que le post-industriel à la mode capitaliste signifie la mise en place d'une société duale, avec des hordes de laissés pour compte et une petite minorité de nantis.

Aussi, tout le problème pour le capitalisme consiste à ce que sa restructuration crée le moins de vagues possibles. Et, de ce point de vue, le projet politique de Mitterrand est, sans nul doute, le meilleur qui soit. Le consensus face à la crise dont il est porteur, son sens de la mesure aux plans politique et social... permettent mieux qu'une politique de gauche ou de droite, au sens traditionnel du terme, de faire avaler en douceur, à la population, la pillule de l'austérité. Dans ces conditions, si Mitterrand n'avait pas existé, nul doute que le capitalisme l'aurait inventé.

Pour l'heure, les révolutionnaires, et, parmi eux, les anarchistes, peuvent toujours se satisfaire de cette analyse de la situation présente.

Révolution dans la révolution

Après tout, le discours de plus en plus dominant de la génération Mitterrand sur le consensus, la fin des idéologies, le déclin de la classe ouvrière, l'agonie de la lutte des classes, l'horizon indépassable du capitalisme et de la démocratie bourgeoise... ne manquera pas, un jour ou l'autre, de se heurter à la réalité d'une exploitation et d'une oppression de l'homme par l'homme toujours plus rigoureuses et meurtrières. Et donc à quoi bon se faire du mouron ! Après la pluie viendra le beau temps, et après le creux de la vague, demain ne manquera pas d'être émaillé de mouvements sociaux qui mettront de nouveau la révolution à l'ordre du jour.

Alors, il suffit de serrer les dents, de laisser passer l'orage et de garder bien au chaud nos principes et nos outils en attendant que... Or, qu'on ne s'y trompe pas, si le discours de la génération Mitterrand a aujourd'hui le vent en poupe, ce n'est pas seulement du fait de l'habileté du candidat-président ou de la situation engendrée par la restructuration du capitalisme. Ce serait trop simple.

À l'évidence, si aujourd'hui la révolution se retrouve remisée au magasin des archaïsmes, c'est également du fait des révolutionnaires eux-mêmes.

La langue de bois, le sectarisme, le prêchi-prêcha rabâcheur, l'absence de projet sociétaire et social alternatif clair, une impuissance crasse à saisir les mutations sociétaires qui affectent le corps social, l'enfermement dans un discours coupé de toute pratique un tant soit peu alternative... ce ne sont pas les autres ou dieu ou le diable : c'est nous !

De cela, de notre responsabilité dans la crise de légitimité et de crédibilité qui affecte et ronge la révolution, il convient de bien avoir conscience. Non pour se lamenter. Ou pour se renier. Mais pour se rénover, se ressourcer. Et remettre nos espoirs et le monde nouveau que nous avons dans le cœur sur les rails d'un désirable qu'ils ont quitté peu à peu. Tout un programme donc. Et, peut-être, le sens profond de l'enjeu des années à venir !

Le Monde libertaire (mars 1988)

Gestion Directe

En 1981, la "gauche" porteuse d'espoir d'amélioration des conditions d'existence s'emparait des commandes de l'État. Cette expérience a fait la preuve de l'efficacité du clan des polititiens à laisser le chômage et les inégalités se développer. Belles promesses et projets généreux ont été rangés aux oubliettes du "réalisme" socialiste.

Face à la déception et à la grogne, tous les gouvernements tentent de nous faire croire que notre avenir de travailleurs est lié au sauvetage de l'économie des profiteurs. Mais qui peut avaler cela ?

Les dirigeants syndicaux peut-être, qui bradent leur indépendance, trompent leurs mandataires, dévoient leurs syndicats au nom de la "solidarité nationale" entre exploiteurs et exploités, et tous ceux qui prêchent encore les bienfaits de l'austérité aux travailleurs désabusés.

Le revirement brutal de ceux qui, hier encore, mangeaient à la gamelle gouvernementale n'y changera rien. Le monde politique traditionnel est à bout de souffle.

Attention

Plus vite que nous le pensons, nous aurons à choisir. Dans la plupart des pays occidentaux, nous assistons au même phénomène. Au gré des élections, gauche et droite se succèdent sans que de véritables solutions soient apportées. Partout, le patronat durcit ses positions, les travailleurs paient la "crise" de leurs maîtres. Combien de temps encore ce jeu d'alternance durera-t-il avant qu'une droite totalitaire ou une gauche "musclée" balaie les derniers semblants de démocratie ?

Oublier l'histoire, c'est se condamner à la revivre. Devrons-nous attendre, en moutons résignés, l'avènement d'une dictature souhaitée par certains aujourd'hui, ou choisirons-nous la voie de la responsabilité et de l'égalité ?

La lutte pour la gestion directe

Que personne ne décide à notre place ! Organisons la solidarité et l'entraide entre les travailleurs contre les patrons et bureaucrates.

Préparons-nous à remplacer l'État, institution parasite et étouffante, par une organisation fédéraliste des différents secteurs de la société.

Demain, gérons nous-mêmes, directement, notre travail et nos cités. Supprimons les inégalités économiques et sociales.

Après l'échec à l'Ouest et à l'Est de toutes les doctrines autoritaires (démocratiques ou dictatoriales), luttons pour une société libertaire ; débarrassons-nous des patrons et des politiciens.

Les principes

Les principes de l'économie libertaire tels que les anarchistes les conçoivent sont clairs. Ils supposent ! le fédéralisme, agent de coordination en remplacement de l'État, agent de coercition du système capitaliste ! l'abolition d'un système économique basé sur le profit, la plus-value et l'accumulation du capital ! la collectivisation des moyens de production et d'échanges ! l'égalité économique et sociale.

La limitation de l'autorité aux accords librement passés entre les participants à l'élaboration d'une économie directement gérée par les travailleurs.

Nous nous démarquons de cette autogestion mise à la mode par les chrétiens progressistes et les marxistes modernistes dont les thèses débouchent toujours sur des projets clairement cogestionnaires. L'utilisation du terme gestion directe, pour définir notre proposition, semble plus appropriée.

La gestion directe, pour quoi faire ?

La participation à la gestion d'une entreprise n'a d'intérêt, pour un travailleur, que si elle transforme ses conditions d'existence. Gérer une entreprise en commun, alors que cette entreprise conserve ses structures de classes, consisterait, pour les travailleurs, à gérer leur propre misère, leur propre exploitation. Ce qui confère à l'entreprise ses structures de classes, ce sont : la propriété privée de l'entreprise ; l'appropriation par le capital d'une plus-value que le travail de tous à créée ; les différences de rémunérations ; le maintien d'une autorité qui excède le cadre de la tâche à accomplir ; les privilèges de l'encadrement.

Demain, si dans l'entreprise autogérée, il reste des différences économiques, il se reconstituera une nouvelle classe dirigeante qui défendra, par tous les moyens, ses privilèges.

Les anarchistes pensent contrairement aux marxistes avec leur période intermédiaire, qu'il faut supprimer immédiatement tous les privilèges de classe sans exception.

Les travailleurs se demandent ce qu'ils peuvent gagner à la gestion de l'outil de production. Ils pèsent les avantages et les inconvénients qui en résulteront pour eux, et dont le principal est la responsabilité : c'est celui qui le fait le plus réfléchir, car celle qu'ils assureront sur le lieu de travail engagera celle de leur condition économique.

Nous touchons ici au problème humain, celui de l'Homme devant la responsabilité, celui de la quiétude qui résulte d'une certaine servilité, surtout lorsqu'elle s'assortit de conditions d'existence économiques et morales acceptables. Mais une autre série de questions se pose au monde du travail. Elles ont trait à la maîtrise des moyens technologiques et des modalités de gestion. Quelles seront les conditions de production et de distribution ? Il est possible d'avancer deux raisons solides qui peuvent nous convaincre que les salariés auraient avantage à gérer la production. La première, c'est qu'ils répartiraient mieux le fruit de leur travail, ce qui est une raison purement économique, matérielle.

La deuxième raison est que cette prise en main concourt à l'épanouissement individuel. Mais pour que la gestion directe se traduise en actes, il faut que l'Homme se débarrasse des coutumes consacrées par les siècles, il faut qu'il s'émancipe des préjugés.

La production devra être conditionnée par les besoins et non par le profit. La gestion directe implique, de fait, l'abolition du salariat et reste sous-tendue par une gestion globale et rigoureuse du système productif.

Il est important de souligner que si l'égalité économique est une condition nécessaire à la suppression des classes, elle n'est pas suffisante ; la suppression de l'État doit l'accompagner sous peine de voir se recréer une classe dominante.

Cette société sans classe et sans État que nous proposons justifie la prise en main, par les travailleurs, des moyens de production et d'échange, par la population entière la prise en main de la distribution des affaires communales, régionales nationales et internationales par une organisation fédérale adaptée à toutes les situations. Bien évidemment, la gestion directe dépasse ici le cadre strict de l'économie et se généralise à tous les domaines de la vie (cadre et conditions de vie, culture, ect.). Le but du fédéralisme libertaire est de coordonner, d'organiser la vie en société en supprimant tout pouvoir. C'est pour cela que les théoriciens anarchistes, et, à leur suite ceux qui se réclament de l'anarchisme, ont toujours justifié la nécessité de l'organisation.

La coordination sans État

C'est souvent le manque d'organisation structurée qui permet au premier quidam venu d'imposer son autorité et d'être proclamé, suivant les époques : roi, ayatollah ou président. Le fédéralisme libertaire reconnaît, dans toute société, une multitude d'individus et collectivités ayant chacun des aspirations particulières et un rôle propre. C'est pourquoi, l'autonomie la plus large doit être reconnue à chacun, ainsi que la possibilité de s'organiser, de se gérer et de s'administrer comme bon lui semble sans qu'un organe supérieur lui dicte ce qui est bon ou juste. L'autonomie a, bien sûr, ses limites, qui sont le respect de la cohésion de l'ensemble de la société et le non-exercice du pouvoir d'un groupe sur un autre.

Nous voyons donc que contrairement à l'organisation étatique, l'autonomie ou la liberté d'autrui n'est nullement une borne. Mais cette autonomie n'est pas suffisante ; l'entraide est nécessaire. Elle exige de chacun que le contrat librement consenti d'égal à égal remplace la loi édictée et imposée par un seul. Elle exige également que chacun (collectivité et individualité) participe aux décisions communes. Ces différents facteurs combinés transformeraient notre vie de façon radicale en remplaçant le pouvoir de quelques uns sur tous par une organisation qui, seule, est à même de composer la société sans la paralyser.

La grève expropriatrice gestionnaire

C'est pendant la période où l'État, les directions syndicales et politiques, sont désemparés par un mouvement social de grande ampleur, que l'action décisive est possible. C'est l'instant où, d'une grève revendicatrice, de refus, la grève doit devenir expropriatrice et gestionnaire. Expropriatrice, en refusant de céder les profits aux patrons. Gestionnaire : une fois la patron mis à la porte, il faut continuer la production, trouver les débouchés, repenser une économie dont le moteur n'est plus le profit, mais la satisfaction des besoins.

C'est l'instant de la chance révolutionnaire ; ce qui est rejeté et le but à atteindre doivent être clairement définis. Entre ces deux pôles de la réflexion, quelques idées-forces qui s'inspirent de la conjoncture, et qui varieront avec elle, détermineront les choix.

Parce que nous sommes pour la maîtrise totale de l'économie par les travailleurs, nous refusons les systèmes capitaliste, libéral et étatique. Nous voulons établir l'égalité économique et bâtir une organisation de la société débarrassée de l'État.

La grève gestionnaire nous semble, dans l'état de complexité de l'économie moderne, un des moyens les plus efficaces pour arracher aux classes dirigeantes et à l'État les instruments de production et d'échange. C'est donc, à partir des réalités de notre temps que nous poursuivrons notre œuvre de libération sociale, ce qui confère à l'anarchisme son originalité, car, contraire à tous les dogmes, il est une adaptation constante de la proposition théorique aux conditions sociales d'aujourd'hui.

Fédération Anarchiste (1986)

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