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SERPENT -  LIBERTAIRE

anarchiste individualiste

Le nouveau PKK a déclenché une révolution sociale au Kurdistan

En guise d’introduction

Les positions et références politiques du parti de libération nationale kurde PKK, en guerre ouverte avec la Turquie, ont commencé à changer à la fin des années 1990, lorsque son leader Abdullah Öcalan, emprisonné à vie, dans le contexte post-soviétique de l’écroulement du « socialisme réellement existant », découvrit les réflexions théoriques de l’écologie sociale développées par le militant et intellectuel anarchiste-communiste étatsunien Murray Bookchin.

Le PKK a fait siennes et adapté les idées de l’influent et controversé théoricien anarchiste, ainsi que celles d’autres intellectuels et mouvements (comme les zapatistes) et les a intégré à sa propre proposition, le confédéralisme démocratique. Ce dernier a commencé à être mis en application dans les structures organisationnelles du mouvement de libération kurde et dans les territoires dans lesquels il a une présence, en fondant la Confédération des peuples du Kurdistan (KCK) et en impulsant une nouvelle dynamique : un mouvement de transformation sociale de type assembléiste et fédéraliste, prenant en charge la « question nationale » et essayant d’y apporter une réponse politique tournant le dos au schéma de l’État-nation et à ses impasses.
Dynamique singulière au regard du contexte régional dans la mesure où elle s’oppose frontalement à toutes les tendances dominantes en concurrence ou en conflit ; en défendant la laïcité, l’égalité, la libération des femmes et la lutte contre le patriarcat, en expérimentant une économie (de guerre) en rupture avec le capitalisme et le productivisme, en réinventant et mettant en pratique une réappropriation de la politique par l’instauration d’un embryon d’autonomie politique territoriale, la mise en place d’un pouvoir des assemblées locales et communales et le dépassement des séparations et des enfermements identitaires en prenant en compte l’existence des minorités et des singularités et la pluralité des sujets sociaux… Vaste chantier.

Ces derniers mois, les guérilleros – hommes et femmes – du PKK turcs se sont déplacés d’abord en Syrie puis récemment en Irak pour combattre les forces djihadistes de l’État islamique aux côtés de leurs camarades des autres branches du mouvement de libération nationale et sociale kurde. Ces combattant-e-s sont aujourd’hui les seuls à tenir tête aux djihadistes, en Syrie comme en Irak, les seuls qui encouragent et aident concrètement les populations à créer leur propres unités d’auto-défense (notamment en ce moment même les réfugiés yézidis chassés de la région de Sindjar) et parviennent à faire reculer les islamistes, à les mettre en déroute, malgré le déséquilibre des forces, notamment sur le plan matériel de l’équipement militaire.

Nous avons déjà largement abordé les enjeux à plusieurs niveaux de la « révolution kurde » en cours, sur ce site ou dans Courant Alternatif et nous continuerons à le faire. Parce qu’aujourd’hui, la proposition politique du mouvement kurde dépasse le cadre du seul Kurdistan et de ses conflits internes. Il commence à apparaître – et cela est à replacer dans le contexte du bilan, de l’échec des processus révolutionnaires initiés en 2011-2012 appelés ‟printemps arabe”, et des questions ouvertes alors par cette séquence et restées depuis sans réponse – comme une proposition tangible qui rouvre une perspective, comme une réponse valide pour l’ensemble de la macro-région méditerranéenne et moyen-orientale : une véritable alternative à tous les régimes d’oppression, sans exception, issus des découpages territoriaux de l’époque coloniale et de la 1ère guerre mondiale, aussi bien les oripeaux du « nationalisme arabe » à parti unique et aux dictatures militaires apparentées, les différentes variantes de l’islamisme politique, les diverses pétromonarchies de la péninsule arabique et du golfe persique, les pseudo-démocraties des oligarchies capitalistes/impérialistes à la mode occidentale.

Nous publions ici la traduction d’un texte récemment édité en anglais qui présente, à nouveau, les contenus des propositions avancées et appliquées par les mouvements de la gauche kurde et les actualise.

Il va de soi que, comme d’autres textes et documents que nous publions régulièrement, il ne reflète que le point de vue de son auteur. Si nous en assumons la publication, c’est, d’une part, parce que nous y retrouvons des problématiques et des préoccupations qui nous sont proches, mais aussi d’autre part et surtout par ce qu’il apporte comme éléments d’information, de compréhension et d’analyse sur les conflits, sur les guerres, les processus de transformation sociale en cours qui ne nous sont pas étrangers et qui dessinent grandement aujourd’hui une carte du monde (géographique, sociale, politique...) qui nous concerne, tout simplement, parce qu’elle nous y inclut et nous détermine.

31 août 2014 - XYZ / OCLibertaire

Le nouveau PKK a déclenché une révolution sociale au Kurdistan

Par Rafael Taylor, 17 août 2014

[ROARmag - Reflections on a Revolution].

À mesure que la perspective de l’indépendance kurde devenait de plus en plus imminente, le Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK) s’est transformé en une force luttant pour la démocratie radicale.

Exclus des négociations et trahis par le Traité de Lausanne de 1923 par les Alliés de la Première Guerre mondiale qui leur avaient promis leur propre État après la partition de l’Empire ottoman, les Kurdes sont la plus grande minorité sans État dans le monde. Mais aujourd’hui, à l’exception d’un Iran têtu, il ne reste plus que quelques obstacles à l’indépendance kurde de jure dans le nord de l’Irak. La Turquie et Israël ont promis leur soutien, tandis que les mains de la Syrie et de l’Irak sont liées par les progrès rapides de l’État islamique (anciennement EIIL).

Avec le drapeau kurde flottant sur tous les bâtiments officiels et les peshmergas [forces armées du Gouvernement régional du Kurdistan dans le Kurdistan irakien. NdT] maintenant les islamistes à la porte du Kurdistan grâce à une aide militaire américaine attendue depuis longtemps, le sud du Kurdistan (Irak) rejoint leurs camarades du Kurdistan occidental (Syrie) en tant que deuxième région autonome de facto du nouveau Kurdistan. Ils ont déjà commencé à exporter leur propre pétrole et ont repris la région riche en pétrole de Kirkouk, ils ont leur propre parlement élu et laïc et leur société pluraliste. Ils ont fait leur demande de reconnaissance comme État à l’ONU et il n’y a rien que le gouvernement irakien puisse faire –ou que les États-Unis veuillent faire sans le soutien d’Israël – pour l’arrêter.

La lutte des Kurdes, cependant, est loin d’être étroitement nationaliste. Dans les montagnes au-dessus d’Erbil, dans le cœur historique du Kurdistan qui serpente à travers les frontières de la Turquie, de l’Iran, de l’Irak et de la Syrie, une révolution sociale est née.

Image : Carte actuelle de la Syrie et de l’Irak. En jaune dans le nord de la Syrie sont les zones contrôlées par les Kurdes de Syrie, en vert dans le nord de l’Irak sont les zones contrôlées par les Kurdes irakiens (source : Wikimedia Commons).

La théorie du confédéralisme démocratique

Au tournant du siècle, alors que le radical étatsunien Murray Bookchin avait échoué dans sa tentative de revitaliser le mouvement anarchiste contemporain avec sa philosophie de l’écologie sociale, Abdullah Öcalan, le fondateur et dirigeant du PKK, était arrêté au Kenya par les autorités turques et condamné à mort pour trahison. Dans les années qui suivirent, le vieil anarchiste gagnait un improbable adepte chez le militant endurci, dont l’organisation paramilitaire – le Parti des travailleurs du Kurdistan – est largement considérée comme une organisation terroriste pour mener une guerre violente de libération nationale contre la Turquie.

Dans ses années de confinement solitaire – le leader du PKK se trouve derrière les barreaux depuis que sa peine a été commuée en réclusion à perpétuité – Öcalan a adopté une forme de socialisme libertaire si obscure que bien peu d’anarchistes en avaient entendu parler : le municipalisme libertaire de Bookchin. Öcalan a ensuite modifié, atténué et rebaptisé la vision de Bookchin sous le nom de « confédéralisme démocratique » avec le résultat que l’Union des Communautés du Kurdistan (Koma Civakên Kurdistan ou KCK), l’expérience territoriale du PKK d’une société libre basée sur la démocratie directe, est restée largement un secret pour la plupart des anarchistes, et plus encore, pour le grand public.

Bien que la conversion d’Öcalan a été le point décisif, la renaissance plus large d’une littérature de gauche libertaire et indépendante a commencé à souffler dans les montagnes et à passer de main en main parmi la base du mouvement après l’effondrement de l’Union soviétique dans les années 1990. « (Ils) ont analysé des livres et des articles de philosophes, de féministes, de (néo)anarchistes, communistes libertaires, communalistes et écologistes sociaux. C’est ainsi que des écrivains comme Murray Bookchin (et d’autres) ont attiré leur attention », nous dit le militant kurde Ercan Ayboga.

Öcalan s’est lancé, dans ses écrits de prison, dans un profond réexamen et une autocritique de la terrible violence, du dogmatisme, du culte de la personnalité et de l’autoritarisme qu’il avait favorisé : « Il est devenu clair que notre théorie, notre programme et notre praxis des années 1970 n’a rien produit d’autre qu’un séparatisme et une violence vaines, et, ce qui est pire encore, que le nationalisme auquel nous aurions dû nous opposer, nous a tous infestés. Même si nous étions opposés à ses principes et à sa rhétorique, nous l’avons néanmoins accepté comme inévitable ». Une fois que le leader incontesté, Öcalan a estimé que le« dogmatisme prospère sur des vérités abstraites qui deviennent des façons courantes de penser. Dès que vous mettez ces vérités générales en mots, vous vous sentez comme un grand prêtre au service de son dieu. C’est l’erreur que j’ai commise. »

Öcalan, athée, a en fin de compte écrit comme un libre penseur, libéré de la mythologie marxiste-léniniste. Il a indiqué qu’il était à la recherche d’une « alternative au capitalisme » et d’un « remplacement du modèle en ruine du...‟socialisme réellement existant” » quand il a rencontré Bookchin. Sa théorie du confédéralisme démocratique s’est développée à partir d’une combinaison d’inspiration intellectuelle communaliste, de« mouvements comme les zapatistes » et d’autres facteurs historiques issus de la lutte au Kurdistan du Nord (Turquie). Öcalan a proclamé lui-même qu’il était un étudiant de Bookchin, et après l’échec d’une correspondance électronique avec le vieux théoricien, qui était à son grand regret trop malade en 2004 pour poursuivre un échange épistolaire depuis son lit de mort, le PKK lui a rendu hommage en déclarant qu’il était« l’un des plus grands chercheurs en sciences sociales du XXe siècle » à l’occasion du deuxième anniversaire de sa mort.

La pratique du confédéralisme démocratique

Le PKK a apparemment suivi son chef, non seulement en adoptant l’étiquette spécifique de Bookchin de l’éco-anarchisme, mais aussi en intériorisant activement cette nouvelle philosophie dans sa stratégie et sa tactique. Le mouvement a abandonné sa guerre sanglante pour la révolution stalinienne/maoïste et les méthodes de terreur qui l’accompagnaient, et a commencé à examiner une stratégie largement non-violente visant à une plus grande autonomie régionale.

Après des décennies de trahisons fratricides, de cesser le feu manqués et sans lendemains, de détentions arbitraires et de reprises des hostilités, le 25 avril de cette année, le PKK a annoncé un retrait immédiat de ses forces de Turquie et leur redéploiement dans le nord de l’Irak, mettant ainsi fin à un conflit de 30 ans avec l’État turc. Le gouvernement turc s’est engagé simultanément dans un processus de réforme constitutionnelle et juridique devant consacrer les droits humains et culturels de la minorité kurde à l’intérieur de ses frontières. C’est là le dernier volet d’une négociation tant attendue entre Öcalan et le Premier ministre turc Erdogan, faisant partie d’un processus de paix qui a commencé en 2012. Il n’y a pas eu de violence de la part du PKK pendant une année et des appels raisonnables ont été lancés pour que le PKK soit retiré de la liste mondiale des organisations terroristes.

Il reste, cependant, une sombre histoire attachée au PKK : des pratiques autoritaires qui ne cadrent pas avec sa nouvelle rhétorique libertaire. À divers moments, ses branches ont été accusées ou soupçonnées de collecte de fonds par le trafic d’héroïne, d’extorsion, de recrutement forcé et de racket à grande échelle. Si cela est vrai, il n’y a aucune excuse pour ce genre d’opportunisme mafieux, malgré l’ironie évidente que l’État turc génocidaire était lui-même en grande partie financé par le monopole lucratif sur l’exportation légale vers l’Occident de produits opiacés ‟médicaux” cultivés par l’État, et rendu possible par le service militaire obligatoire et par les impôts pour un énorme budget anti-terroriste et ses forces armées surdimensionnées (la Turquie possède la deuxième armée de l’OTAN après les États-Unis).

Il en est ainsi de l’hypocrisie habituelle dans la guerre contre le terrorisme : lorsque les mouvements de libération nationale imitent la brutalité de l’État, ce sont invariablement les non représentés qui sont désignés comme terroristes. Öcalan lui-même décrit cette période honteuse comme celle des « gangs au sein de notre organisation et des pratiques ouvertement de banditisme, [qui] organisaient des opérations dangereuses, inutiles, en envoyant en masse des jeunes gens à la mort ».

Des courants anarchistes dans la lutte

Comme signe supplémentaire qu’il abandonne ses orientations marxistes-léninistes, le PKK a commencé à faire des ouvertures explicites à l’anarchisme international, accueillant même un atelier lors de la Rencontre internationale anarchiste de Saint-Imier, en Suisse en 2012, qui a provoqué confusion, désarroi et discussions en ligne, mais qui est passé largement inaperçu dans la presse anarchiste au sens large.

Janet Biehl, veuve de Bookchin, est l’une des rares anarchistes occidentales qui a étudié le KCK sur le terrain et a beaucoup écrit au sujet de ses expériences sur le site Internet New Compass, partageant également des entretiens avec des radicaux kurdes impliqués dans les opérations au jour le jour des assemblées démocratiques et des structures fédérales, ainsi que la traduction en anglais et la publication de la première étude anarchiste d’envergure sous la forme d’un livre sur le thème : L’autonomie démocratique dans le Nord du Kurdistan : Mouvement des Conseils, Libération de Genre et Écologie (2013) [Democratic Autonomy in North Kurdistan : The Council Movement, Gender Liberation, and Ecology].

La seule autre voix anarchiste anglophone est le Forum anarchiste du Kurdistan (KAF), un groupe pacifiste de Kurdes irakiens vivant en Europe et qui revendiquent ne pas avoir « de lien avec d’autres groupes de gauche ». Tout en soutenant un Kurdistan fédéral, le KAF déclare qu’il « ne soutiendra le PKK que lorsqu’il aura abandonné complètement la lutte armée, participera à l’organisation des mouvements populaires de base pour la satisfaction des exigences sociales de la population, dénoncera et démantèlera ses modes de lutte centralisés et hiérarchiques et deviendra plutôt une fédération de groupes locaux autonomes, coupera tous liens et relations avec les États du Moyen-Orient et de l’Occident, dénoncera la politique du pouvoir charismatique, et se convertira à l’anti-étatisme et l’anti-autoritarisme, alors seulement nous serons heureux de coopérer pleinement avec eux. »

En suivant Bookchin dans le texte

Ce jour-là (excepté le pacifisme) pourrait ne pas être loin. Le PKK/KCK semble suivre l’écologie sociale de Bookchin à la lettre, avec presque tout, jusque et y compris sa participation contradictoire à l’appareil d’État par les élections, tel que l’a prescrit l’anarchiste américain dans ses écrits.

Comme l’écrivent Joost Jongerden et Ahmed Akkaya, « le travail de Bookchin fait la distinction entre deux conceptions de la politique, le modèle grec et le modèle romain », c’est-à-dire la démocratie directe et la démocratie représentative. Bookchin voit sa forme de néo-anarchisme comme une renaissance pratique de l’ancienne révolution athénienne. « Le modèle d’Athènes existe comme un contre-courant et un courant souterrain, trouvant son expression dans la Commune de Paris de 1871, les conseils (soviets) dans les débuts de la révolution de 1917 en Russie et la révolution espagnole de 1936 ».

Le communalisme de Bookchin contient une approche en cinq étapes :

  • Autonomiser les municipalités existantes par le biais de la loi afin de localiser le pouvoir décisionnel.
  • Démocratiser ces municipalités à travers des assemblées de base.
  • Unir les municipalités « dans des réseaux régionaux et des confédérations plus larges [...] travailler à remplacer progressivement les États-nations par les confédérations municipales », tout en s’assurant que « les niveaux les plus élevés de la confédération soient principalement des fonctions de coordination et d’administration ».
  • « Unir les mouvements sociaux progressistes » pour renforcer la société civile et établir « un point focal commun pour les initiatives et les mouvements de tous les citoyens » : les assemblées. Cette coopération n’est pas conçue « parce que nous nous attendrions à trouver toujours un consensus harmonieux mais, au contraire, parce que nous croyons au désaccord et à la délibération. Une société se développe par les débats et les conflits ». En outre, les assemblées doivent être laïques, lutter« contre les influences religieuses sur la politique et le gouvernement » et doivent devenir « une arène de la lutte des classes. »

Afin de réaliser sa vision d’une « société sans classes basée sur le contrôle politique collectif des moyens socialement importants de la production », il est fait appel à la « municipalisation de l’économie » et à la mise en place d’une « allocation confédérale des ressources pour assurer l’équilibre entre les régions ». En termes simples, cela équivaut à une combinaison de l’autogestion et de la planification participative afin de répondre aux besoins sociaux : une économie anarchiste classique.

Comme l’a dit Eirik Eiglad, ancien éditeur de Bookchin et analyste de la KCK :

Une importance particulière est la nécessité de combiner les idées des mouvements féministes et écologistes progressistes avec les nouveaux mouvements urbains et les initiatives de citoyens, ainsi que celles des syndicats, des coopératives et des collectifs locaux...
Nous pensons que les idées communalistes d’une démocratie basée sur les assemblées peuvent contribuer à rendre possible cet échange progressif des idées sur une base plus permanente, et avec des conséquences politiques plus directes. Pourtant, le communalisme n’est pas seulement un moyen tactique pour unir ces mouvements radicaux. Notre appel à la démocratie municipale est une tentative de mettre de la raison et de l’éthique à l’avant-poste des débats publi
cs.

Pour Öcalan, le confédéralisme démocratique signifie une « société démocratique, écologique et libérée en matière de genre », ou simplement « la démocratie sans l’État ». Il oppose explicitement la « modernité capitaliste » et la « modernité démocratique », dans laquelle « les trois anciens éléments de base : le capitalisme, l’État-nation et l’industrialisme » sont remplacés par « une nation démocratique, une économie communale et une industrie écologique ». Cela implique « trois projets : un pour la république démocratique, un pour le confédéralisme démocratique et un pour l’autonomie démocratique » ;

Le concept de ‟république démocratique” se réfère essentiellement à l’obtention, longtemps niée, de la citoyenneté et des droits civils des Kurdes, y compris la capacité de parler et d’enseigner librement dans leur langue. L’autonomie démocratique et le confédéralisme démocratique font à la fois référence aux « capacités autonomes des personnes et à une forme de structure politique plus directe, moins représentative ».

Pendant ce temps, Jongerden et Akkaya soulignent que « le modèle du municipalisme libre vise à réaliser l’approche de bas en haut (‟bottom-up”) dans la conception et le fonctionnement d’un organe administratif participatif, du local au provincial ». Le « concept de citoyen libre (ozgur yarttas) [est] un point de départ »qui « comprend les libertés civiles fondamentales comme la liberté d’expression et d’organisation ». Les unités de base du modèle sont les assemblées de quartier ou ‟conseils” comme on les appelle indifféremment.

Il y une participation populaire dans les conseils, y compris de la part de personnes non-kurdes, et tandis que les assemblées de quartier sont fortes dans plusieurs provinces, « à Diyarbakir, la plus grande ville du Kurdistan turc, il y a des assemblées presque partout. » Par ailleurs, « dans les provinces d’Hakkari et de Sirnak... il y a deux autorités parallèles [le KCK et l’État], parmi lesquelles la structure confédérale démocratique est la plus puissante dans la pratique. » La KCK en Turquie « est organisé au niveau du village(köy), du quartier urbain (mahalle), du district (ilçe), de la ville (kent), et de la région (bölge), qui est appelée « Kurdistan du Nord ».

Le niveau le ‟plus élevé” de la fédération au Kurdistan du nord, le DTK (Congrès de la Société Démocratique) est un mélange de délégués de base élus par leurs pairs avec mandats révocables, qui constituent 60% de l’ensemble et des représentants de « plus de cinq cents organisations de la société civile, syndicats et partis politiques », qui composent les 40% restants, dont environ 6% sont « réservés aux représentants des minorités religieuses, des universitaires ou autres spécialistes et d’autres personnes ayant un point de vue particulier. »

La proportion au sein des 40% de ceux qui sont pareillement délégués directement des groupes de la société civile démocratique et non-étatiste comparé à ceux qui n’ont pas été élus ou sont choisis par les bureaucraties des partis politiques n’est pas claire. Le chevauchement d’individus entre mouvements kurdes indépendants et partis politiques kurdes, ainsi que l’intériorisation de nombreux aspects de la procédure de démocratie directe par ces partis, compliquent encore plus la situation. Toutefois, le consensus informel qui se dégage parmi les observateurs est que la majorité des prises de décision correspond à des procédures de démocratie directe d’une manière ou d’une autre ; que la plupart de ces décisions sont prises au niveau local ; et que les décisions sont prises à partir de la base, selon la structure fédérale.

Du fait que les assemblées et le DTK sont coordonnées par la KCK illégale, dont fait partie le PKK, ils sont désignés comme ‟terroristes” par la Turquie et la soi-disant communauté internationale (UE, États-Unis et autres). Le DTK sélectionne aussi les candidats du BDP, le parti pro-kurde (Parti pour la paix et de la démocratie), pour le Parlement turc, qui propose « l’autonomie démocratique » pour la Turquie, une combinaison de démocratie représentative et de démocratie directe. Conformément au modèle fédéral, il propose la création d’environ 20 régions qui autogouverneraient directement (selon le schéma anarchiste, pas la Suisse) « l’éducation, la santé, la culture, l’agriculture, l’industrie, les services sociaux et de sécurité, les questions des femmes, de la jeunesse et des sports », avec l’État continuant de conduire « les affaires étrangères, les finances et la défense. »

La révolution sociale prend son envol

Pendant ce temps, sur le terrain, la révolution a déjà commencé. Dans le Kurdistan turc, il y a un mouvement éducatif indépendant des ‟académies” qui organise des forums de discussion et des séminaires dans les quartiers. Dans la municipalité de Sûr à Amed [nom kurde de Diyarbakır, NdT], où une avenue s’appelle ‟Rue de la Culture”, le maire Abdullah Demirbas se félicite de la « diversité des religions et de systèmes de croyance » et déclare que « nous avons commencé à restaurer une mosquée, une église catholique chaldéo-araméenne-, une église orthodoxe arménienne et une synagogue juive ».
Jongerden et Akkaya signalent ailleurs que « les municipalités DTP ont lancé un ‟service municipal multilingue”, qui a suscité des débats houleux. Des panneaux indicateurs municipaux ont été érigés en kurde et en turc, et des commerçants locaux ont suivi le mouvement ».

La libération des femmes se poursuit par les femmes elles-mêmes à travers les initiatives du Conseil des femmes du DTK, qui établit de nouvelles règles de « quotas de femmes de quarante pour cent » dans les assemblées. Si un fonctionnaire bat sa femme, son salaire est reversé directement à la femme battue afin de maintenir sa sécurité financière et son usage comme bon lui semble. « À Gewer, si le mari prend une deuxième épouse, la moitié de sa succession ira à la première. »

Il existe des « Villages de la Paix », des communautés de coopératives, nouvelles ou transformées, appliquant leur propre programme complètement en dehors des contraintes logistiques de la guerre kurdo-turque. La première de ces communautés a été construite dans la province d’Hakkari, limitrophe de l’Irak et de l’Iran, où« plusieurs villages » ont rejoint l’expérience. Dans la province de Van, « un village écologique de femmes »est en construction pour abriter les victimes de la violence domestique, auto-suffisant « pour toute ou presque toute l’électricité nécessaire. »

La KCK tient des réunions deux fois par an dans les montagnes avec des centaines de délégués de chacun des quatre pays, avec comme priorité à son agenda, la menace de l’État islamique envers l’autonomie du Kurdistan du sud et de l’ouest. Les partis iraniens et syriens affiliés à la KCK, le PJAK (Parti pour une vie libre au Kurdistan) et le PYD (Parti de l’union démocratique) mettent en avant également le confédéralisme démocratique. Le parti irakien de la KCK, le PÇDK (Parti pour une solution démocratique du Kurdistan) est relativement peu important car le Parti démocratique du Kurdistan (PDK, centriste) au pouvoir et son chef Massoud Barzani, président du Kurdistan irakien, n’a que récemment cessé de le harceler et commencé à le tolérer.

Mais, dans les régions montagneuses du Kurdistan irakien plus au nord, là où se trouvent la plupart des guérilleros et guérilleras du PKK et du PJAK, la littérature radicale et les assemblées s’épanouissent, avec l’intégration de nombreux Kurdes de la montagne après des décennies de déplacements. Au cours des dernières semaines, ces militant-e-s sont descendus des montagnes du nord pour combattre aux côtés des peshmergasirakiens contre l’EIIL, sauvant 20 000 yézidis et chrétiens dans les montagnes de Sindjar et ont reçu la visite de Barzani dans un affichage public de gratitude et de solidarité, mais surtout pour mettre la Turquie et les États-Unis dans l’embarras.

Le PYD syrien a suivi l’exemple du Kurdistan turc dans la transformation révolutionnaire de la région autonome sous son contrôle depuis l’éclatement de la guerre civile. Après les « vagues d’arrestations » de la répression baasiste, avec « 10.000 prisonniers, dont des maires, des chefs locaux du parti, des élus, cadres et militants [...] les forces du PYD kurde ont renversé le régime du parti Baas dans le nord de la Syrie, ou Kurdistan occidental, [et] des conseils locaux ont éclos partout. » Des Comités d’auto-défense ont été improvisés pour fournir « la sécurité après la chute du régime baasiste » et « la première école enseignant la langue kurde »a été établie en même temps que les conseils intervenaient dans la distribution équitable du pain et de l’essence.

Dans le Kurdistan de Turquie, de Syrie, et dans une moindre mesure dans le Kurdistan irakien, les femmes sont désormais libres de se dévoiler et fortement encouragées à participer à la vie sociale. Les anciens liens féodaux sont brisés, les gens sont libres de suivre une religion ou aucune et les minorités ethniques et religieuses coexistent pacifiquement. S’ils sont capables de contenir le nouveau califat, l’autonomie du PYD dans le Kurdistan syrien et l’influence de la KCK au Kurdistan irakien pourrait bien servir de ferment pour une explosion encore plus profonde de culture et de valeurs révolutionnaires.

Le 30 juin 2012, le Comité national de coordination pour le changement démocratique (NCB), la plus grande coalition de la gauche révolutionnaire en Syrie, dont le PYD est le groupe principal, a adopté « le projet d’autonomie démocratique et le confédéralisme démocratique comme un modèle possible pour la Syrie ».

Défendre la révolution kurde face à l’État islamique

La Turquie, quant à elle, a menacé d’envahir les régions kurdes si « des bases terroristes étaient installées en Syrie », au moment où des centaines de combattants de la KCK (y compris du PKK) de tout le Kurdistan traversaient la frontière pour défendre Rojava (l’ouest) face à l’avancée de l’État islamique. Le PYD affirme que le gouvernement islamiste modéré de la Turquie est déjà engagé dans une guerre par procuration contre eux, en facilitant le transit des djihadistes internationaux à travers la frontière pour qu’ils combattent aux côtés des islamistes.

Au Kurdistan irakien, Massoud Barzani, dont la guérilla a combattu aux côtés de la Turquie contre le PKK dans les années 1990 en échange de l’accès aux marchés occidentaux, a appelé à un « front uni kurde » en Syrie à travers une alliance avec le PYD. Barzani avait signé en 2012 avec Salih Muslim, leader du PYD, l’‟Accord d’Erbil” formant le Conseil National Kurde et reconnaissant que « toutes les parties sont sérieuses et déterminées à continuer à travailler ensemble ».

Pourtant, alors que l’étude et la pratique des idées socialistes libertaires parmi la direction et les bases de la KCK est assurément un développement positif, il reste à voir dans quelle mesure cette influence est suffisamment sérieuse pour qu’ils abandonnent leur passé autoritaire sanglant. Le combat kurde pour l’autodétermination et la souveraineté culturelle est une lueur d’espoir au milieu des sombres nuages qui s’amoncellent au-dessus de l’État Islamique et des guerres sanglantes inter-fascistes entre l’islamisme, le baasisme et le sectarisme religieux qui leur a donné naissance.

Une révolution pan-kurde socialement progressiste et laïque, avec des éléments socialistes libertaires, unifiant les Kurdes irakiens et syriens et revitalisant les luttes en Turquie et en Iran peut encore être une perspective. Pendant ce temps, ceux d’entre nous qui apprécient l’idée de civilisation doivent reconnaître leur gratitude aux Kurdes, qui combattent en première ligne jour et nuit contre les djihadistes du fascisme islamiste en Syrie et en Irak, en défendant de leur vie les valeurs de la démocratie radicale.

« Les Kurdes n’ont pas d’amis sauf les montagnes »
- Proverbe kurde

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Rafael Taylor est un militant socialiste libertaire et un journaliste indépendant résidant à Melbourne. Il est également animateur de l’émission de radio “Floodgates Of Anarchy”, membre de l’ASF-IWA (AIT) et coordinateur de l’Alliance de la gauche libertaire à Melbourne.

Source : http://roarmag.org/2014/08/pkk-kurd...

Traduction : XYZ / OCLibertaire

La nouvelle guerre en Irak : Kurdes contre djihadistes

Le rôle décisif des forces de la gauche révolutionnaire kurde

jeudi 14 août 2014, par WXYZ

Largement passé sous silence par la presque totalité de la presse, le fait politico-militaire le plus important de ces derniers jours a été l’intervention décisive des combattants, hommes et femmes, des différents mouvements kurdes de Syrie et de Turquie, c’est-à-dire de la gauche révolutionnaire kurde, sur le territoire irakien et à l’intérieur même du Kurdistan autonome pour briser l’offensive djihadiste.

La guerre des Kurdes contre les djihadistes en Irak : une introduction

La situation au nord de l’Irak et au Kurdistan évolue très rapidement. La poussée des djihadistes de l’État islamique (EI) lié à l’effondrement du régime d’Al-Maliki à Bagdad (et à l’hégémonie progressive de ce courant dans le camp militaire des opposants syriens), s’étend aujourd’hui sur le front kurde d’Irak. Si dans un premier temps, les peshmergas (nom donné aux combattants kurdes d’Irak) ont profité de l’offensive de l’EI et de la débandade de l’armée irakienne pour s’emparer de territoires assez vastes et riches en pétrole (dont la grande ville de Kirkouk) et proclamer le caractère irréversible de l’indépendance du Kurdistan, depuis le 2 août, les djihadistes ont lancé une seconde vague d’attaques et d’offensives dans tout le nord de l’Irak et contre les Kurdes. Offensive qui a rencontré… la retraite des peshmergas en moins de 24 heures et qui s’est traduite par le début d’un nettoyage ethnique de grande ampleur contre les minorités nombreuses de cette région, avec notamment la fuite éperdue de dizaines de milliers de yézidis dans les montagnes arides de Sinjar.

Le fait politico-militaire le plus important de ces derniers jours est sans conteste l’intervention remarquée des combattants, hommes et femmes, des différents mouvements kurdes de Syrie et de Turquie, sur le territoire irakien et à l’intérieur même du Kurdistan autonome. Notable parce qu’il ne s’agit pas seulement de la simple arrivée de renforts particulièrement aguerris, mais le signe d’une modification substantielle des rapports politiques (rapport de force) à l’intérieur du mouvement de libération kurde dans son ensemble.

Un rappel

Les milices kurdes de Syrie se battent depuis fin 2011 contre les bandes djihadistes et autres mouvements islamistes sans que le Parti Démocratique du Kurdistan (PDK) de Barzani ne lève le petit doigt pour leur venir en aide. Pire, le parti dominant dans le Kurdistan d’Irak a tout fait pour saboter le processus de mobilisation autonome des Kurdes dans le cadre de la guerre en Syrie, instaurant même un embargo économique contre le Rojava (Kurdistan de Syrie), creusant même une tranchée ( !) pour empêcher le franchissement de la frontière entre les deux Kurdistan.

Le PDK qui contrôle le gouvernement régional du Kurdistan (KRG) joue en effet à fond la carte d’une alliance stratégique avec la Turquie d’Erdoğan qui, non seulement est l’ennemi déclaré du PKK et de la gauche kurde, mais officiellement soutient l’Armée syrienne libre et le Front islamique (dominé par les Frères musulmans) et en sous-main, aide tous les groupes salafistes et intégristes qui donneront naissance au Front al-Nosra (al-Qaïda) fin 2011 et à l’EIIL (État islamique en Irak et au Levant) dont la création formelle date d’avril 2013. Axe politique doublé comme il se doit d’une coopération économique : exportation directe de pétrole kurde (sans passer par Bagdad) contre facilités accordées aux investisseurs turcs.

Face à la poussé djihadiste du mois de juin 2014 dans le nord de l’Irak, avec la prise de Mossoul par l’EI, lespeshmergas dirigés par le gouvernement de Barzani (KRG) prennent Kirkouk et une large bande de territoire en Irak. En quelques jours à peine, les “forces armées” kurdes se retrouvent à devoir contrôler la surface d’un territoire qui a augmenté d’environ 40%, avec une ligne de front (des confins frontaliers syro-turcs à la frontière iranienne) longue de 1500 km, ce qui est bien au-delà des capacités de ces forces armées, moyennement équipées, sans logistique, ni aviation, ni moyens de surveillance et de toute façon pas assez nombreuses.

La retraite des peshmergas

Début août 2014, l’EI lance une attaque sur les territoires tenus par les peshmergas qui battent en retraite le 3 août, sans combattre, laissant du jour au lendemain des centaines de milliers de civils sans protection. Parmi eux, toute une gamme de minorités vivant là depuis des siècles au milieu de cantons de peuplements arabes sunnites créés par le régime de Saddam Hussein dans les années 1980 : chrétiens de différentes rites, yézidis (kurdes pratiquant une confession monothéiste singulière d’origine multimillénaire), Turkmènes (sunnites et surtout chiites), shabaks (apparentés aux Kurdes pratiquant diverses religions hétérodoxes : alévisme, yârsâmisme…).

Officiellement, les peshmergas ont reçu l’ordre de la retraite en raison de leur manque de munitions et d’armes lourdes : au même moment, on apprend qu’une délégation du KRG est aux États-Unis pour réclamer des armes. Alors, moyen de pression ? Ou symptôme de l’impéritie et de la désorganisation d’un régime corrompu ? Pourquoi cette retraite au lieu d’envoyer des renforts et de mener des attaques de diversion, de guérilla ? Car cette retraite, surtout dans la zone de Sinjar limitrophe de la Syrie (là où environ 200.000 yézidis ont dû fuir, dont 50.000 dans des montagnes presque désertiques situées au nord de la ville), est tout de même étrange : en laissant le terrain à l’EI (qui au passage s’est emparé de nouveaux champs pétroliers et du barrage de Mossoul), cette offensive permet de couper la continuité territoriale entre les Kurdistan irakien et syrien et d’isoler un peu plus les Kurdes de Syrie qui font face, eux aussi, à une redoutable offensive djihadiste dans le canton de Kobanê. Le gouvernement de Barzani a critiqué la débandade de l’armée irakienne à Mossoul laissant le champ libre à l’EI mais ses propres forces armées ont fait, sur ordre, exactement la même chose à Sinjar.

Le risque de génocide et l’intervention des unités combattantes kurdes de Syrie et de Turquie

Finalement, le risque bien réel d’un véritable génocide et d’un nettoyage ethnique à grande échelle va totalement bouleverser la situation, d’autant que la retraite des peshmergas et l’avance des djihadistes menace maintenant Erbil, la capitale du Kurdistan. Appel – bien tardif – à la mobilisation côté kurde d’Irak, entrée des forces kurdes de Syrie et de Turquie (PKK) sur le « front irakien » le 6 août après avoir repris aux djihadistes la ville frontalière avec la Syrie de Rabia, ainsi que la mobilisation des divers mouvements kurdes d’Iran (PDK-I, PJAK…), premières frappes américaines le 8 août et livraison d’armes (légères) directement auxpeshmergas, contournant ainsi l’‟unité” de plus en plus fictive de l’Irak.

A Sinjar comme à Makhmur, ce sont les centaines de combattants hommes et femmes des PYD-PKK (on parle d’un premier contingent de 1500 combattant-e-s) qui ont stoppé l’avancée des djihadistes, mis en place un camp pour les fugitifs, organisé un couloir humanitaire dans les montagnes de Sinjar, accueilli plusieurs milliers de réfugiés dans les zones libérées de Rojava, lancé un début de contre-offensive notamment dans la région de Makhmur et en reprenant des villages aux alentours de Sinjar, alors que les peshmergas du PDK continuaient à déserter dans la plus grande confusion.

Colonne de miliciens des HPG, l’aile militaire du PKK, en route vers Kirkouk

Les forces militaires des Kurdes de Syrie, de Turquie et d’Iran ont également été envoyées dans un troisième endroit, la grande ville de Kirkouk prise par les peshmergas pour renforcer sa défense aux côté des peshmergas, notamment de l’UPK et de Gorran, ainsi que le 12 août dans une quatrième zone, à Lalesh, ville sainte des yézidis située au Nord-Ouest de Mossoul. De leur côté, des Unités combattantes de Rojhelat – l’Est du Kurdistan ou Kurdistan iranien – (les Yekîneyên Parastina Rojhilatê Kurdistanê, YRK) et les unités féminines HPJ ont pris la route de Jalawla, ville du nord-est irakien prise lundi 11 août par l’EI.

Une nouvelle situation politique

Trop tôt pour ébaucher des bilans politiques. Au-delà du drame humanitaire qu’il faut prendre aussi comme une donnée politique produisant des effets à ce niveau-là, notons tout de même que les forces de la gauche kurde (liées toutes plus ou moins au PKK) ont une fois de plus marqué des points, en intervenant efficacement et opportunément dans le conflit, pour stopper l’offensive djihadiste, sauver des milliers de vie, pousser les populations à se défendre, à s’organiser, à se coordonner, à se battre, à reprendre le terrain perdu. Les conséquences sont imprévisibles à ce stade, mais d’ores et déjà, on peut affirmer que les relations politiques, les contradictions et oppositions qui traversent la réalité kurde vont s’en trouver fortement affectées et il n’est pas certain que les forces les plus traditionnelles n’en sortiront pas sans dommages, car dans la résistance kurde actuelle, en Turquie, en Syrie, en Irak et en Iran, on assiste aussi à une dynamique de transformations sociales et de ruptures politiques.

Dire que la carte régionale des États et des frontières est totalement chamboulée est devenu un truisme aujourd’hui. Il y a quelques semaines encore, tout le monde ou presque raisonnaient en termes nationaux : guerre en Syrie, crise en Irak, processus de paix au point mort en Turquie, etc.

La montée en puissance des djihadistes de l’EI ou Califat de Mossoul est une des conséquences de l’effondrement simultané des régimes syrien et irakien et de l’absence ou faiblesse des autres oppositions (civiles ou armées). L’autre conséquence de cette crise est l’affirmation grandissante des Kurdes comme peuple, au-delà des différences de nationalité, de leur dispersion territoriale, des séparations produites par l’histoire et des oppositions très dures et très marquées à l’intérieur de cette réalité sociale-politique. Comme peuple, comme nation, mais pas au sens ethnique du terme : peuple et nation comme réalités politiques en construction et en devenir, comme pluralité. La défense et l’appel à l’autodéfense et à la coopération des ‟minorités” vivant dans l’espace territorial kurde ainsi qu’une relative laïcité (plus ou moins prononcée selon les courants politiques) est une indication de toute première importance sur la nature du projet politique en train d’émerger dans les confins de quatre grands États-nations de la région. En outre, la volonté de la gauche révolutionnaire kurde de transformer la société, les formes de gouvernement (communalisme), de questionner le paradigme étatiste-national de la politique et de la communauté humaine, de remettre en cause les relations sociales de production, de classes, de genres… est lourde de menaces pour tous les pouvoirs établis.

Bien sûr, l’intervention des États-Unis ne va pas favoriser cette évolution, au contraire. Militairement, les frappes aériennes peuvent porter quelques coups réels aux djihadistes, les affaiblir momentanément ici ou là et permettre aux combattants kurdes de mieux résister. Mais aussi de s’approprier le mérite des victoires remportées sur le terrain. La fourniture d’armes et de munitions aux peshmergas ainsi que l’envoi de « conseillers militaires » au Kurdistan est autant une aide militaire et politique envers leurs principaux alliés dans la région : les forces institutionnelles de gouvernement régional kurde, et singulièrement du clan Barzani. Clan qui en retour, compte sur cet appui international pour survivre, se maintenir aux commandes, pour poursuivre et développer le business de la rente pétrolière au service d’une petite classe bourgeoise traditionnelle reconvertie dans les bienfaits très lucratifs du capitalisme et de l’affairisme, pour maintenir en l’état les rapports sociaux et politiques dans une société kurde qu’il souhaiterait inchangée et figée à jamais dans la tradition.

On assiste aujourd’hui à une mobilisation dans toute la diaspora kurde à travers le monde, de l’Allemagne à l’Australie, du Canada à la France et aux pays scandinaves, avec des initiatives tous azimuts, sur Internet, appels aux dons, manifestations de rues, rassemblement permanents avec tentes dressées... Une pétition internationale vient d’être lancée pour que la Maison Blanche retire le PKK de la liste des organisations terroristes (15.000 signatures en 48 heures), le Mouvement européen des femmes kurdes appelle à des rassemblements le 16 août dans une douzaine de pays… tandis qu’aux élections présidentielles du 10 août en Turquie, en dépit de la réélection d’Erdoğan, le véritable gagnant est de toute évidence le candidat kurde proposé conjointement par le parti « légal » du PKK et par la gauche “alternative” turque liée aux mouvements sociaux, écolos, féministes, LGBT, etc...

L’histoire est en cours… avec parfois ses accélérations subites, et ce sont bien les hommes et les femmes qui se dressent, qui luttent et qui transforment le réel qui la font… et pas un ‟sujet” abstrait, prédéterminé et quelque peu transhistorique.

le 12 août 2014

J.F (OCL)

L’arrivée de la guérilla du PKK à Kirkouk

Les Kurdes de Turquie, d’Iran, d’Irak et de Syrie se battent ensemble
pour empêcher un nouveau génocide

Manuel Martorell

Cuarto Poder

Ce n’est pas la première fois, mais c’est vraiment celle qui arrive de la manière la plus claire, nette et franche de toute l’histoire du peuple kurde. Toutes les principales forces kurdes, qu’elles soient de Turquie, de Syrie, d’Iran et d’Irak, se battent ensemble pour arrêter le génocide lancé par l’État islamique.

Malheureusement, comme dans d’autres crises similaires pas très éloignés dans le temps (campagnes génocidaires ou de nettoyage ethnique en Syrie dans les années 60 du siècle dernier, en Iran et en Irak au cours des années 80 et en Turquie pendant les années 90), il aura fallu que la catastrophe se produise pour que la communauté internationale et les médias y prêtent attention.

Mais ce qui est sûr, c’est que les Kurdes de Syrie, dirigés par le Parti de l’unité démocratique (PYD), soutenus par les forces de Turquie (PKK), de l’Iran (PJAK) et de l’Irak (PUK et Gorran), combattent depuis déjà plus d’une année contre l’État islamique en Irak et en Syrie (ISIS) et d’autres organisations intégristes radicales comme le Front al-Nosra dans l’indifférence internationale la plus totale.

Périodiquement, ponctuellement et presque quotidiennement nous parviennent des rapports des services de presse du PYD, basés en Europe, dénonçant ce qui se passe dans les régions syriennes de Afrin, d’Hasakah (Jazira) ou de Kobanê : bombardements aveugles, offensives djihadistes continuelles, blocus alimentaire et sanitaire, exécutions sommaires, destructions de villages, vols de cultures et de bétail, exode et surpopulation de réfugiés...

Mais, en dépit de ces dénonciations internationales, personne n’a rien fait tout au long de ces derniers mois. Au contraire, les djihadistes continuaient de recevoir l’appui de la Turquie et des monarchies pétrolières du Golfe quand ces régimes ne leur envoyaient pas des approvisionnements et des armes des États-Unis, de la France et de la Grande-Bretagne.

Depuis des mois, l’objectif de l’ancien ISIS a été d’occuper la région de Kobanê, géographiquement située au milieu des deux autres zones contrôlées par le PYD dans le nord de la Syrie (Afrin près de la côte méditerranéenne et la Jazira, limitrophe de l’Irak) pour, ainsi, briser la continuité territoriale du Kurdistan syrien, et ensuite, se lancer à l’assaut des deux autres cantons autonomes.

Les offensives se sont intensifiée lorsque l’ISIS a mis la main sur d’énormes quantités d’armes sophistiquées, des mortiers, des pièces d’artillerie, des chars et des véhicules blindés de toutes sortes quand ils se sont emparé des bases de l’armée irakienne au cours du mois de juin. Mais, même de cette façon, les forces du Califat avec sa capitale à Mossoul, n’ont pas réussi à vaincre la résistance des YPG à Kobanê, qui, à leur tour, ont reçu l’appui de groupes kurdes d’Irak et de Turquie.

C’est peut-être pour cette raison que l’État islamique, au début du mois d’août, a décidé de changer de tactique et d’occuper la zone du Kurdistan où les frontières de la Turquie, de la Syrie et de l’Irak se rejoignent, une région stratégique habitée par de nombreux peuples et où vivent différentes minorités religieuses, mais surtout des yézidis et des chrétiens, communautés également ciblées par les islamistes. L’EI essayait ainsi d’isoler les Kurdes syriens de leurs renforts irakiens.

Et c’est alors que la catastrophe s’est produite. Les peshmergas du gouvernement autonome d’Erbil incapables de freiner les djihadistes, plus de 300.000 yézidis ont tenté de fuir, conscients que pour eux il n’y aurait pas de pitié. Á mesure que les jours passent et que parviennent les témoignages, les premiers rapports dénonçant des exécutions sommaires, la disparition de milliers de personnes et l’enlèvement de centaines de femmes pour les utiliser comme esclaves sexuelles se voient confirmés ; selon certains rapports, certaines familles ont été enterrées vivantes.

Ce nouveau génocide contre une partie de son peuple et la menace des djihadistes d’occuper les autres régions kurdes de l’Irak ont provoqué l’union de forces qui, jusqu’à récemment, étaient opposées. C’est pourquoi on voit combattre ensemble les partis irakiens comme l’Union patriotique (UPK), le Parti démocratique (PDK) ou Gorran (Changement), avec les guérilleros du PKK de Turquie, les Unités de Défense du Peuple (YPG), dépendantes du PYD syrien et les miliciens iraniens du PJAK [parti-frère du PKK], du PDK-I ou Parti de la liberté du Kurdistan (PAK).

Ils ont tous des caractéristiques communes : bien que leur base sociale soit fondamentalement musulmane, ils placent en priorité les valeurs nationales kurdes devant les considérations religieuses, raison pour laquelle il est fréquent de trouver des chrétiens, des yézidis ou des athées parmi leurs membres. De plus, en général, ils recherchent des alliances avec les pays occidentaux et reconnaissent le rôle politique et social des femmes, offrant un cadre à de nombreuses femmes dans leurs unités de combat. Politiquement, cependant, d’importantes différences subsistent entre eux qui, maintes fois dans le passé, ont déclenché de véritables guerres civiles.

L’Union patriotique (UPK) dirigée par Jalal Talabani, a une origine de gauche, défend le droit à l’autodétermination et fait partie de l’Internationale Socialiste. Son principal rival, le PDK de Massoud Barzani, est plus traditionnel et nationaliste. Les deux se sont partagés depuis dix ans l’administration du Kurdistan irakien.

Pour leur part, le PKK, le PYD et le PJAK sont dirigés par Abdullah Öcalan, ancien dirigeant marxiste, aujourd’hui emprisonné à vie dans la prison de l’île d’Imrali, et préconisent une régénération des sociétés du Moyen-Orient sur la base de l’autogestion des communautés locales.

Enfin, les deux branches du Parti démocratique du Kurdistan d’Iran défendent la création d’un État fédéral démocratique en Iran. Celui-ci fut le premier parti ‟moderne” parmi les Kurdes. Il est né en 1946 et a créé, avec le soutien soviétique, la République de Mahabad. Défendant cette première expérience d’auto-gouvernement, entre 1946 et 1947, les Kurdes de Turquie, d’Iran et d’Irak se sont déjà battus ensemble contre l’armée du Shah Reza Pahlavi. Ensuite, au début des années 1980, les combattants du PDK-I, dirigé par le professeur Abdulrahman Ghassemlu, de l’UPK irakienne et du Parti socialiste Kurde de Turquie se sont rassemblé dans la formation d’un seul front. Ensemble, ils ont essayé d’arrêter l’offensive des pasdadans(Gardiens de la Révolution) khomeinistes qui ravagèrent le Kurdistan iranien en détruisant des villages entiers.

Alors, comme cela s’est passé au cours du génocide en Irak des années 1980 et du nettoyage ethnique des années1990 en Turquie, la communauté internationale est restée les bras croisés, exactement comme cela s’est produit depuis un an dans le Kurdistan syrien face aux offensives djihadistes.

Il aura fallu que se présente la menace d’un nouveau génocide, maintenant des mains de l’État islamique ou Califat de Mossoul, pour qu’il y ait une réponse internationale visant à venir en aide à un peuple qui, avec plus de quarante millions de personnes, est considéré comme le peuple sans État le plus important de la planète

Source : ici

Traduction : XYZ / OCLibertaire

Les frappes aériennes américaines ont aidé,
mais les Kurdes de Syrie ont fait reculer l’État islamique

Par Mitchell Prothero

McClatchy - Service étranger

11 août 2014

Un pick-up détruit qui aurait été utilisé par l’État islamique est abandonné à l’entrée de la ville de Gweir alors que les feux continuent de brûler à l’intérieur de la ville. Les combattants peshmergas contrôlent désormais la ville kurde de Gweir après une semaine de violents combats qui ont vu la ville changer de mains à plusieurs reprises avant que les frappes aériennes américains aient poussé les militants de l’État islamique de l’autre côté de la rivière située tout près. (Mitchell Prothero / McClatchy

GWER, Irak – Le victoire, disent-ils, a beaucoup de pères, et alors que la milice kurde des peshmergasrepoussait les forces de l’État islamique d’une série de villes proches d’Erbil dimanche et lundi, il était facile d’en citer deux : les frappes aériennes précises réalisées par des avions américains qui ont éliminé des positions d’artillerie et des convois et des livraisons opportunes d’armes légères et de munitions par la CIA.

Mais un troisième a bien pu jouer un rôle aussi important, bien que moins médiatisé : l’addition de centaines de combattants d’un groupe turc désigné par le gouvernement des États-Unis comme une organisation terroriste.

Les visites effectuées à des postes de la ligne de front lundi [11 août] a clairement indiqué que l’afflux de combattants liés au Parti des travailleurs du Kurdistan, connue par son sigle kurde PKK, avait joué un rôle majeur dans l’expulsion de l’État islamique de zones clés situées à 30 minutes de route d’Erbil, la capitale du gouvernement régional du Kurdistan d’Irak. La chute d’Erbil était possible la semaine dernière, qui a mis fin à des semaines d’inaction de l’administration d’Obama sur l’Irak.

« Le PKK a pris Makhmour » reconnait un combattant peshmerga à un checkpoint situé à l’extérieur de Makhmour en secouant la tête d’admiration. Puis, en utilisant l’acronyme arabe pour l’État islamique, il livre une explication : « Ils sont très expérimentés dans la lutte contre Daesh en Syrie et ce sont de vrais combattants de la guérilla depuis l’époque où ils se battent en Turquie. Ils ont plus d’expérience et de formation que nous ».

Il y a eu beaucoup de gratitude pour l’intervention des États-Unis qui, depuis vendredi, ont annoncé au moins sept frappes aériennes sur des objectifs de l’État islamique à proximité d’Erbil.

« Les frappes sont intervenues à la dernière seconde, mais, Dieu merci, elles ont eu lieu » a déclaré un responsable de la défense kurde à Kalak, où les peshmergas ont mis en place une ligne de défense qui, comparée avec leur aspect loqueteux de la semaine dernière, a réussi à aligner une formidable rangée de mitrailleuses montées sur des pickups avec un approvisionnement conséquent en munitions légères.

Un responsable du Département américain de la Défense a confirmé qu’une série de missions d’approvisionnement secrètes de la CIA utilisant des avions battant pavillon irakien avait livré des munitions et des armes nécessaires pour faire face à la hauteur de la crise à Erbil. Les déclarations publiques des responsables de l’administration indiquent que l’aide pourrait se poursuivre.

Des responsables kurdes ont cependant déclaré ne pas s’attendre à des livraisons d’armes lourdes dont ils ont besoin pour vaincre l’État islamique mieux armé, en particulier avec des véhicules blindés Humvee fournis par les États-Unis que les extrémistes ont pillé à l’armée irakienne. Le problème, a déclaré un responsable, est que l’administration Obama reconnaît toujours le gouvernement à Bagdad comme le seul destinataire légitime de l’aide de gouvernement à gouvernement.

« Les armes légères ne vont pas les arrêter », a déclaré un responsable kurde, qui a requis l’anonymat en raison du caractère sensible de la question. « Vous ne pouvez pas percer un Humvee blindé avec des munitions légères. Ce n’est pas ce que nous recherchons ».

Et c’est ce qui fait que l’introduction de combattants kurdes de Syrie et de Turquie a été d’autant plus importante pour les récentes victoires des peshmergas.

Les responsables kurdes sont réticents à discuter de la présence de centaines de combattants du PKK et confirment seulement que certaines unités étaient composées de « nos frères kurdes des forces d’auto-défense de Syrie. »

Mais les combattants ne faisaient aucun effort, lundi, pour se cacher dans et autour de Makhmour, et leur présence a également été confirmée à Gweir.

L’entrée des forces du PKK dans les combats au nord de l’Irak, en particulier si près d’Erbil, que l’administration Obama a déclaré comme particulièrement sensible en raison du grand consulat américain et du centre d’opérations conjointes qui y sont implantés, pourrait s’avérer un peu embarrassante.

Le PKK opère sous la dénomination de ‟Forces locales d’autodéfense”, ou YPG en kurde, dans le nord de la Syrie où il livre d’intenses combats contre l’État islamique pour le contrôle des zones clés le long de la frontière turque. La désignation YPG, selon les membres du PKK, a été conçue, au moins superficiellement, pour occulter le rôle du PKK, qui a été désigné par les Etats-Unis, l’Union européenne et la Turquie comme un groupe terroriste. L’Irak, la Turquie et les États-Unis, en revanche, semblent avoir accepté la nécessité de permettre à un groupe terroriste – le PKK – de lutter contre un groupe désigné comme bien pire que lui, l’État islamique.

Selon un commandant du PKK actuellement à Erbil, les forces du PKK sont arrivées vendredi et dans un premier temps ont adopté des positions défensives pour aider à protéger la capitale, y compris dans le plus grand espace ouvert d’Erbil, le parc Sami Rahman, visibles de la ville avec leurs uniformes distinctifs et leurs femmes combattantes, quelque chose que n’ont pas les peshmergas.

« Nous avons d’abord établi une base dans le parc », a déclaré le commandant, qui a demandé à être appelé Ali. « Mais ce n’était pas une bonne situation d’être aussi visibles dans le centre de la ville. Et une fois que les Américains ont commencé les bombardements, on nous a demandé de sortir et d’aller à l’offensive pour reprendre Makhmour. Il existe des tensions entre notre parti et (le président kurde Massoud) Barzani à cause de ses relations étroites avec la Turquie, mais nous avons mis cela de côté pour faire face ensemble à la menace de Daesh ».

Quant à l’ironie d’être considérés comme des terroristes par les États-Unis alors même qu’ils jouent un rôle essentiel dans la protection des actifs américains à Erbil menacés par d’autres radicaux, Ali éclate de rire.

« C’est une situation particulière, et tout le monde est assez intelligent pour savoir que nous n’avons rien de commun avec Daesh », ajoute-t-il. « Nous nous battons seulement pour une patrie kurde et la liberté de notre peuple. Nous ne sommes pas comme ces animaux. Notre dénomination est uniquement politique maintenant ».

Ce dimanche 10 août, les combattants du PKK ont participé ouvertement à l’attaque sur Makhmour, tandis que les combattants peshmergas les ont soutenus et se sont concentrés sur la ville de Gweir tenue par l’État islamique. Avec les frappes aériennes américaines et l’afflux de munitions et de combattants expérimentés, les deux villes étaient fermement sous le contrôle des Kurdes dimanche soir.

À un checkpoint, lundi, les combattants du PKK, dont plusieurs femmes, contrôlaient les voitures et plaisantaient avec la poignée de gens du pays qui était revenue dans le secteur. Mais, des combattantspeshmergas à proximité ont poliment mis un terme à une interview avec un journaliste, en plaisantant qu’ils étaient trop fatigués pour parler aux reporters.

Lundi, Gweir était complètement déserte à l’exception des peshmergas épuisés et d’une poignée de bergers qui sont revenus pour rassembler des dizaines de vaches perdues qui erraient autour des décombres du champ de bataille dans une certaine confusion.

« Nous devons retrouver le plus grand nombre possible de nos vaches. », a déclaré Yassin, un berger local qui a ignoré les avertissements des snippers. « Au moins ceux de Daesh n’ont pas mangé », a-t-il ajouté, un peu irrité.

« Les Américains sont descendus et les ont frappé, et alors nous avons attaqué », a déclaré un combattant affecté à un checkpoint dans le centre de la ville. « Ils ont fait sauter le pont en partant et comme ça nous n’avons pas pu les pourchasser. »

À l’extrémité du village, la destruction a été plus intense. Là, des frappes aériennes ont détruit les positions de l’État islamiques, et des combattants peshmergas faisaient la sieste dans un bunker partiellement détruit qui avait changé de mains trois fois en une semaine.

Placés au bord du pont détruit, ils ont déclaré que, bien que les combattants de l’État islamique ne se sont enfoncés qu’à environ 300 mètres de là, la journée avait été calme, sauf pour un snipper, qui a tirait régulièrement sur des véhicules et des combattants kurdes exposés.

« Vous devriez être prudent en partant, et la prochaine fois apportez la sécurité » plaisante un combattant.« Il n’est pas très bon, mais nous ne voulons pas lui permettre d’avoir de la chance et de toucher notre invité d’honneur. »

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Les évènements de Sinjar et en Irak ces derniers jours

dimanche 10 août 2014

Le 10 août 2014

Les événements de ces derniers jours dans le Kurdistan irakien ont déplacé l’épicentre de la guerre entre les intégristes et la nation kurde. Si jusqu’à présent le front était centré en Syrie, celui-ci se concentre maintenant en Irak.
Avec pour la première fois, l’entrée en scène des milices kurdes de Syrie (YPG-PYD) et de Turquie (HPG-PKK) venues épauler
les peshmergas (du PDK et de l’UPK) en difficulté devant l’offensive djihadiste, on assiste à une redéfinition rapide des rapports politiques sur le terrain entre les différentes forces militantes organisées dans laquelle une nouvelle situation s’ouvre pour la lutte de libération kurde.

Tout a commencé le 2 août quand l’Islamic State of Iraq and Syria (Etat islamique en Irak et en Syrie, ISIS, ou État Islamique, EI) a occupé la ville de Sinjar, se rapprochant de la frontière avec la Syrie et permettant la connexion avec ses troupes situées là-bas. La région de Sinjar (Şengal en kurde) est aussi la plus importante zone où résident encore des Kurdes yézidis, une ancienne confession religieuse [*]. L’ISIS a pris le contrôle de Mossoul, dans la province de Ninive, le 10 juin dans sa tentative de se rapprocher de Bagdad et de détruire les sanctuaires chiites du pays.

Fugitifs de Sinjar en direction des montagnes entre le 3 et le 8 août, la plupart des Yézidis avec plusieurs dizaines d’enfants morts déshydratés

Sinjar, située une centaine de kilomètres à l’ouest de la ville de Mossoul, est tombée après de violents combats entre l’ISIS et les forces peshmergas kurdes du PDK [d’Irak]. Ce sont les commandants de ces unités qui ont donné un ordre de retraite désordonnée, laissant des dizaines de milliers de civils sans protection. Tandis que les miliciens du PDK fuyaient, les familles yézidies abandonnaient leurs foyers, fuyant la ville de peur en direction des montagnes. Peur qui s’est immédiatement confirmée en constatant que les membres de l’ISIS tuaient des centaines de Yézidis dans les rues en toute impunité et procédaient à des exactions et à des enlèvements par centaines, peut-être par milliers. Les bilans précis sont encore à faire.

Le total des fugitifs est de la ville est 200 000. Beaucoup ont pu atteindre Erbil, la capitale de la région autonome kurde en Irak. D’autres, environ 7 000, ont été accueillis par des Kurdes syriens dès les premiers jours. Le paradoxe est que le gouvernement kurde du PDK avait bloqué la frontière avec le Kurdistan syrien en creusant un fossé et en ordonnant un embargo contre le Rojava (Kurdistan syrien). Maintenant, ceux qui avaient été bloqués ont accueillis ceux qui les bloquaient.

L’un des camps qui a accueilli des réfugiés fut Maxmur (Makhmour) situé au sud de Mossoul et à 40 km à l’ouest d’Erbil. Eh bien, l’ISIS a lancé une offensive brutale contre ce camp, ce qui a obligé la milice kurde à l’évacuer (cette fois en bon ordre). L’ISIS s’est emparé de toutes les villes environnantes, mais l’alliance despeshmergas [nom donné aux combattants kurdes d’Irak] et des deux milices liés au PKK-KCK, les Yekîneyên Parastinê Gel (les Unité de défense du peuple, YPG) de Syrie et les Hêzên Parastina Gel (les Forces de défense du peuple, HPG) de Turquie ont empêché que Maxmur tombe aux mains des djihadistes. Par contre, les intégristes se sont emparés et contrôlent des zones comme Zemar, localité qu’ils ont pris aux Kurdes au nord-ouest de Mossoul, le camp de Tamarat al-Kabir et les villages d’Al Hanka, Bardia, Ein al Fars, Nazra , Tel Muz, Kerfer et Dumiz, les champs de pétrole de l’Ain Zala et Batma, limitrophes du Kurdistan. Au total, ils se sont emparés de sept champs pétroliers et de deux raffineries.

Là où elles sont arrivées (montagnes de Sinjar, Maxmur), les milices kurdes de Syrie et de Turquie, ont aidé à mettre en place des unités d’autodéfense locales (Şengal’s Resistance Units) parmi les fugitifs et les habitants yézidis de la région de Sinjar, avec la formation d’un premier contingent de 700 volontaires le 6 août et la création d’un commandement militaire conjoint pour la région considérée.

La guérilla kurde de Turquie, HPG, arrive à Sinjar en apportant de l’aide humanitaire

L’apparition des milices HPG et YPG a été providentielle. Considéré comme des adversaires par le gouvernement irakien kurde de Massoud Barzani, ce dernier a dû accepter leur implication. Les Kurdes de Syrie des YPG ont organisé une opération de grande envergure pour sauver des personnes yézidies dans les montagnes de Sinjar en apportant des vivres et de l’eau et en créant un corridor humanitaire. De son côté, les HPG, la branche armée du Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK) en Turquie, a envoyé ses colonnes de combattants à Maxmur où elles ont joué un rôle crucial pour éviter une nouvelle défaite.

La milice kurde de Syrie ouvre un couloir humanitaire et apporte des vivres et de l’eau aux fugitifs de Sinjar

Le 8 août, les États-Unis ont commencé à lancer des vivres à 40.000 fugitifs de Sinjar, mais beaucoup n’ont pas atteint leur destination par manque de gestion terrestre de l’opération que Barack Obama a refusé d’autoriser. Pendant ce temps, l’aviation américaine a lancé deux frappes aériennes dites chirurgicales assurant avoir tué une centaine de membres de l’ISIS, ce qui n’a pas été confirmé.

Le 9 août, des unités combattantes du PKK (HPG et YJA Star) ont fait leur entrée dans la grande ville de Kirkouk, en provenance de leurs refuges des montagnes de Qandill. Ils et elles ont fraternisé avec lespeshmergas de l’UPK (Union patriotique du Kurdistan, second parti du Kurdistan irakien) déployés dans la grande métropole revendiquée par les Kurdes.

Le 10 août, le Commandement des forces de défense conjointe (YPG-HPG-Unités de résistance de Sinjar) annoncent que « notre peuple a trouvé refuge dans les montagnes face aux attaques inhumaines. Dès le début, nous avons défendu notre peuple dans les collines.
Maintenant, la montagne de Sinjar et tous les villages situés sur les pentes et dans les contreforts sont sous le contrôle des Forces de défense conjointes de la région de Sinjar. Nous sommes en train de défendre cette région. Tous nos gens qui se trouvent dans les montagnes de Sinjar sont maintenant en sécurité ». Le même jour, les unités de la résistance conjointe de Maxmur auraient commencé à reprendre l’offensive contre les djihadistes en s’emparant victorieusement d’un premier village, Giyera (Guwer), en direction d’Erbil, après avoir repris la ville de Maxmur.

Le corridor créé par les milicien-ne-s kurdes et sécurisé sur une longueur de 10 km en direction du Kurdistan syrien (sous contrôle des YPG) et la ville de Duhok (Kurdistan irakien, proche de la frontière turque), serait maintenant en place et entre 5 et 10.000 fugitifs seraient en cours d’évacuation. Selon des sources sur place, il resterait encore au moins 40.000 personnes en fuite dans la montagne à sauver/évacuer.

Tous les yézidis ne fuient pas. Même les anciens ont pris les armes

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[*] Sur les Yézidis, on peut se reporter utilement à cet article : Les yézidis du Sinjar, oubliés du chaos irakien, Orient XXI

Sources : Kurdiscat (Comitè català de solidaritat amb Kurdistan) et agences d’informations kurdes (Anha-hawarnews, Firatnews, DIHA-Dicle News Agency…)

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