11 Octobre 2014
« L’histoire de toute société jusqu’à nos jours (ou plus exactement l’histoire écrite) n’a été que l’histoire de la lutte des classes. (...) Toutes les sociétés antérieures, nous l’avons vu, ont reposé sur l’antagonisme de classes oppressives et de classes opprimées. (...) Le but immédiat des communistes est (...) : constitution des prolétaires en classe, renversement de la domination bourgeoise, conquête du pouvoir politique par le prolétariat. Les conceptions théoriques des communistes ne reposent nullement sur des idées, des principes inventés ou découverts par tel ou tel réformateur du monde. Elles ne sont que l’expression générale des conditions réelles d’une lutte de classes existante, d’un mouvement historique qui s’opère sous nos yeux. » Karl Marx et Friedrich Engels Dans « Le Manifeste du Parti communiste » (1848)
Les révolutions de 1848 et le prolétariat K. Marx
« Les révolutions de 1848 furent des épisodes, de tout petits craquements, de toutes petites déchirures dans l’écorce solide de la société bourgeoise. Mais elles dévoilèrent l’abîme que recouvrait cette écorce, sous laquelle bouillonnait un océan sans fin capable, une fois déchaîné, d’emporter des continents entiers. Elles annoncèrent à grand fracas l’émancipation du prolétariat, secret du XIXème siècle et de sa révolution. Cette révolution, il est vrai, ne fut pas une trouvaille de l’année 1848. La vapeur, l’électricité et les inventions diverses avaient un caractère révolutionnaire autrement dangereux que les bourgeois Barbès, Raspail et Blanqui. Mais sentons-nous l’atmosphère que nous respirons et qui pourtant pèse sur nous d’un poids de 10.000 kilos ? La société européenne de 1848 ne sentait pas davantage l’atmosphère révolutionnaire qui la baignait et pesait sur elle de toutes parts. Il est un fait important qui caractérise le XIXème siècle et qu’aucun parti ne saurait nier. D’un côté, ce siècle a vu naître des forces industrielles et scientifiques qu’on n’aurait pas même pu imaginer à une époque antérieure. D’autre part, les signes se multiplient d’une déchéance telle qu’elle éclipsera même la fameuse décadence des dernières années de l’empire romain. De notre temps, toute chose parait grosse de son contraire. La machine qui possède le don prodigieux d’agréger et de féconder le travail humain, entraîne la faim et l’excès de travail. Les nouvelles forces de richesse que l’homme vient d’acquérir se transforment, par un caprice étrange du sort, en sources de misère. On dirait que chaque victoire de l’art se paie par une perte de caractère. L’humanité acquiert la maîtrise de la nature, mais, en même temps, l’homme devient l’esclave des hommes et de sa propre infamie. La pure lumière de la science elle-même semble avoir besoin, pour resplendir, du contraste de l’ignorance. Toutes nos découvertes et tout notre progrès ont pour résultat, semble-t-il, de doter les forces matérielles d’une vie intelligente et de ravaler l’homme au niveau d’une simple force matérielle. Cet antagonisme entre la science et l’industrie modernes d’une part, la misère et la décadence modernes de l’autre, cette contradiction entre les forces productives et les conditions sociales de notre époque est un fait, un fait paient, indéniable, écrasant. Certains partis peuvent en gémir, d’autres souhaiter l’anéantissement des découvertes modernes pour se délivrer par là-même des conflits actuels. Libre à eux d’imaginer qu’un progrès aussi marqué en économie doit, pour être complet, s’accompagner d’une régression non moins marquée en politique. Quant à nous, nous ne voulons pas méconnaître l’esprit solide qui travaille activement à dénouer toutes ces contradictions. Nous savons que les nouvelles forces de la société n’ont besoin, pour faire œuvre utile, que de nouveaux hommes. Ces hommes, ce sont les ouvriers. Les ouvriers sont le produit de l’époque actuelle en même temps que la machine elle-même. Aux signes qui mettent en émoi la bourgeoisie, l’aristocratie et les malheureux prophètes de la réaction, nous reconnaissons notre vieil ami, notre Robin Hood à nous, notre vieille taupe qui sait si bien travailler sous terre pour apparaître brusquement : la Révolution. Les ouvriers anglais sont les premiers-nés de l’industrie moderne. Ils ne seront sûrement pas les derniers à appeler la révolution sociale, elle aussi fille de cette même industrie, révolution qui sera la libération de toute leur classe dans le monde entier et qui sera aussi internationale que l’est la domination du capital et l’esclavage du salariat. Je sais que la lutte héroïque soutenue par les ouvriers d’Angleterre depuis le milieu du siècle dernier, lutte qui n’a pas eu l’auréole de la gloire, car les historiens bourgeois l’ont laissée dans l’ombre et passée sous silence. Au moyen âge, il y avait en Allemagne un tribunal secret, la " Sainte-Vehme ", qui vengeait tous les méfaits commis par des puissants. Quand on voyait une croix rouge sur une maison, on savait que son propriétaire aurait affaire à la Sainte-Vehme. Aujourd’hui, la croix rouge mystérieuse marque toutes les maisons d’Europe. L’histoire elle-même rend la justice, et le prolétariat exécutera la sentence. »
Leçon de la révolution de 1848 : l’indépendance indispensable du prolétariat « (...) Tandis que les petits bourgeois démocratiques veulent terminer la révolution au plus vite (...), il est de notre intérêt et de notre devoir de rendre la révolution permanente, jusqu’à ce que toutes les classes plus ou moins possédantes aient été écartées du pouvoir, que le prolétariat ait conquis le pouvoir et que non seulement dans un pays, mais dans tous les pays régnants du monde l’association des prolétaires ait fait assez de progrès pour faire cesser dans ces pays la concurrence des prolétaires et concentrer dans leurs mains au moins les forces productives décisives. Il ne peut s’agir pour nous de transformer la propriété privée, mais Seulement de 1’anéantir ; ni de masquer les antagonismes de classes, mais d’abolir les classes ; ni d’améliorer la société existante, mais d’en fonder une nouvelle. (...) « Leurs efforts doivent tendre à ce que l’effervescence révolutionnaire directe ne soit pas une nouvelle fois réprimée aussitôt après la victoire. Il faut, au contraire, qu’ils la maintiennent le plus longtemps possible. Bien loin de s’opposer aux prétendus excès, aux exemples de vengeance populaire contre des individus haïs ou des édifices publics auxquels ne se rattachent que des souvenirs odieux, il faut non seulement tolérer ces exemples, mais encore en assumer soi-même la direction. Pendant et après la lutte, les ouvriers doivent en toute occasion formuler leurs propres revendications à côté de celles des démocrates bourgeois. Ils doivent exiger des garanties pour les ouvriers, dès que les bourgeois démocratiques se disposent à prendre le gouvernement en main. Il faut au besoin qu’ils obtiennent ces garanties de haute lutte et s’arrangent en somme pour obliger les nouveaux gouvernants à toutes les concessions et promesses possibles ; c’est le plus sûr moyen de les compromettre. Il faut qu’ils s’efforcent, par tous les moyens et autant que faire se peut, de contenir la jubilation suscitée par le nouvel état de choses et l’état d’ivresse, conséquence de toute victoire remportée dans une bataille de rue, en jugeant avec calme et sang-froid la situation et en affectant à l’égard du nouveau gouvernement une méfiance non déguisée. Il faut qu’à côté des nouveaux gouvernements officiels ils établissent aussitôt leurs propres gouvernements ouvriers révolutionnaires, soit sous forme d’autonomies administratives locales ou de conseils municipaux, soit sous forme de clubs ou comités ouvriers, de façon que les gouvernements démocratiques bourgeois non seulement s’aliènent aussitôt l’appui des ouvriers, mais se voient, dès le début, surveillés et menacés par des autorités qui ont derrière elles toute la masse des ouvriers. En un mot, dès les premiers instants de la victoire, on ne doit plus tant se défier des partis réactionnaires vaincus que des anciens alliés des ouvriers, que du parti qui cherche à exploiter la victoire pour lui seul. (...) » « Les ouvriers doivent se placer non sous la tutelle de l’autorité de l’Etat mais sous celle des conseils révolutionnaires de communautés que les ouvriers auront pu faire adopter. Les armes et les munitions ne devront être rendues sous aucun prétexte. (...) » « Ils doivent pousser à l’extrême les propositions des démocrates qui, en tout cas, ne se montreront pas révolutionnaires, mais simplement réformistes, et transformer ces propositions en attaques directes contre la propriété privée. Si, par exemple, les petits bourgeois proposent de racheter les chemins de fer et les usines, les ouvriers doivent exiger que ces chemins de fer et ces usines soient simplement et sans indemnité confisqués par l’Etat en tant que propriété de réactionnaires. Si les démocrates proposent l’impôt proportionnel, les ouvriers réclament l’impôt progressif. Si les démocrates proposent eux-mêmes un impôt progressif modéré, les ouvriers exigent un impôt dont les échelons montent assez vite pour que le gros capital s’en trouve compromis. Si les démocrates réclament la régularisation de la dette publique, les ouvriers réclament la faillite de l’Etat. Les revendications des ouvriers devront donc se régler partout sur les concessions et les mesures des démocrates. » « Ils (les ouvriers) contribueront eux-mêmes à leur victoire définitive bien plus par le fait qu’ils prendront conscience de leurs intérêts de classe, se poseront dès que possible en parti indépendant et ne se laisseront pas un instant détourner—par les phrases hypocrites des petits bourgeois démocratiques—de l’organisation autonome du parti du prolétariat. Leur cri de guerre doit être : La révolution en permanence ! » Karl Marx et Friedrich Engels dans « Adresse du Comité Central à la Ligue des communistes » (1850)
La guerre civile en France de 1871 « La classe ouvrière n’espérait pas de miracle de la Commune. Elle n’a pas d’utopie toute faite à introduire par décret du peuple. Elle sait que pour réaliser sa propre émancipation, et avec elle, cette forme de vie plus haute à laquelle tend irrésistiblement la société actuelle en vertu de son propre développement économique, elle aura à passer par de longues luttes, par toute une série de processus historiques, qui transformeront complètement les circonstances et les hommes. Elle n’a pas à réaliser d’idéal mais seulement à libérer les éléments de la société nouvelle que porte dans ses flancs la vielle société bourgeoise qui s’effondre. (...) Quand la Commune de Paris prit la direction de la révolution entre ses propres mains ; quand de simples ouvriers, pour la première fois, osèrent toucher au privilège gouvernemental de leurs « supérieurs naturels », les possédants, et, dans des circonstances d’une difficulté sans exemple, accomplir leur ouvre modestement, consciencieusement, et efficacement (...) le vieux monde se tendit dans des convulsions de rage à la vue du drapeau rouge, symbole de la république du travail, flottant sur l’Hôtel de ville. Et pourtant, c’était la première révolution dans laquelle la classe ouvrière était ouvertement reconnue comme la seule qui fût encore capable d’initiative sociale, même par la grande masse de la classe moyenne de Paris (...) Cette fraction de la classe moyenne sentait qu’il n’y avait plus qu’une alternative, la Commune ou l’empire, sous quelque nom qu’il pu reparaître. (...) La grande mesure sociale de la Commune, ce fût son existence et son action. » Karl Marx dans « La guerre civile en France de 1871 »
LA COMMUNE DE PARIS (1871)
retracée par Karl Marx dans "La guerre civile en France" :
1
Le 4 septembre 1870, quand les ouvriers de Paris proclamèrent la république, qui fut presque instantanément acclamée d’un bout à l’autre de la France, sans une seule voix discordante, une cabale d’avocats en quête de places, avec Thiers pour homme d’État et Trochu pour général, s’empara de l’Hôtel de Ville. Ces gens étaient alors imbus d’une foi si fanatique dans la mission dévolue à Paris de représenter la France à toutes les époques de crise historique que, pour légitimer leurs titres usurpés au gouvernement de la France, ils crurent suffisant de produire leurs mandats périmés de représentants de Paris. Dans notre seconde Adresse sur la récente guerre, cinq jours après l’avènement de ces hommes, nous vous disions qui ils étaient. Toutefois, les véritables dirigeants de la classe ouvrière étant encore bouclés dans les prisons bonapartistes et les Prussiens déjà en marche sur la ville, Paris, pris à l’improviste, toléra cette prise du pouvoir, à la condition expresse qu’il ne serait exercé qu’aux seules fins de défense nationale. Cependant, comment défendre Paris sans armer sa classe ouvrière, sans l’organiser en une force effective et instruire ses rangs par la guerre elle-même ? Mais Paris armé, c’était la révolution armée. Une victoire de Paris sur l’agresseur prussien aurait été une victoire de l’ouvrier français sur le capitaliste français et ses parasites d’État. Dans ce conflit entre le devoir national et l’intérêt de classe, le gouvernement de la Défense nationale n’hésita pas un instant : il se transforma en un gouvernement de la Défection nationale.
La première mesure qu’il prit fut d’envoyer Thiers en tournée par toutes les cours d’Europe pour y implorer médiation, moyennant le troc de la république contre un roi. Quatre mois après le début du siège, quand on crut venu le moment opportun de lâcher pour la première fois le mot de capitulation, Trochu, en présence de Jules Favre et de quelques-uns de ses collègues, harangua en ces termes les maires de Paris assemblés :
La première question que m’adressèrent mes collègues le soir même du 4 septembre fut celle-ci : Paris peut-il, avec quelque chance de succès, soutenir un siège et résister à l’armée prussienne ? Je n’hésitai pas à répondre négativement. Quelques-uns de mes collègues qui m’écoutent peuvent certifier que je dis la vérité et que je n’ai pas changé d’opinion. Je leur expliquai, en ces mêmes termes, que, dans l’état actuel des choses, tenter de soutenir un siège contre l’armée prussienne serait une folie. Sans doute, ajoutai-je, ce serait une folie héroïque, mais voilà tout... Les événements [qu’il avait lui-même conduits (K. M.)] n’ont pas démenti mes prévisions.
Ce charmant petit discours de Trochu fut publié dans la suite par M. Corbon, un des maires présents.
Ainsi, au soir même de la proclamation de la république, le « plan » de Trochu, ses collègues le savaient, c’était la capitulation de Paris. Si la défense nationale avait été quelque chose de plus qu’un prétexte pour le gouvernement personnel de Thiers, Favre et Ciel les parvenus du 4 septembre auraient abdiqué le 5, ils auraient mis le peuple de Paris au courant du « plan » de Trochu ; ils l’auraient mis en demeure de se rendre sur l’heure, ou je prendre en main son propre sort. Mais au lieu de cela, les infâmes imposteurs résolurent de guérir la folie héroïque des Parisiens : on leur ferait subir un régime de famine, on leur ferait casser la tête et on les bernerait entre-temps par des manifestes tapageurs : « Trochu, le gouverneur de Paris, ne capitulera jamais » ; Jules Favre, ministre des Affaires étrangères, ne cédera « pas un pouce de notre territoire ! Pas une pierre de nos forteresses ! » Dans une lettre à Gambetta, ce même Jules Favre, précisément, avoue que ce contre quoi ils se « défendaient », ce n’étaient pas les soldats prussiens, mais les travailleurs de Paris. Pendant toute la durée du siège, les coupe-jarrets bonapartistes, à qui Trochu avait sagement confié le commandement de l’armée de Paris, échangèrent, dans leur correspondance intime, de grasses plaisanteries sur cette bonne farce de la défense. (Voir, par exemple, la correspondance d’Alphonse Simon-Guiod, commandant en chef de l’artillerie de l’Armée de la défense de Paris et grand-croix de la Légion d’honneur, avec Suzanne, général de division d’artillerie, correspondance publiée par le Journal officiel de la Commune [1].)
Le masque d’imposture fut enfin jeté le 28 janvier 1871. Mettant un véritable héroïsme à s’avilir jusqu’au bout, le gouvernement de la Défense nationale apparut dans la capitulation de. Paris comme le gouvernement de la France par la permission de Bismarck, rôle si vil, que Louis Bonaparte lui-même, à Sedan, s’y était refusé avec horreur. Après les événements du 18 mars, dans leur fuite éperdue à Versailles, les capitulards abandonnèrent à Paris les preuves écrites de leur trahison, et, pour anéantir ces preuves, comme le dit la Commune dans son adresse aux départements, « ces hommes ne devaient pas hésiter à faire de Paris un monceau de ruines dans une mer de sang ».
Mais, pour s’acharner avec une telle ardeur à atteindre ce but, quelques-uns des membres dirigeants du gouvernement de la Défense avaient en outre des raisons à eux, des raisons bien particulières.
Peu après la conclusion de l’armistice, M. Millière, un des représentants de Paris à l’Assemblée nationale, fusillé depuis sur l’ordre exprès de Jules Favre, publiait une série de documents juridiques authentiques prouvant que Jules Favre, qui vivait en concubinage avec la femme d’un ivrogne résidant à Alger, était, grâce à l’élaboration de faux des plus audacieux échelonnés sur de nombreuses années, parvenu à s’emparer, au nom de ses enfants adultérins, d’une succession importante qui avait fait de lui un homme riche et que, dans un procès intenté par les héritiers légitimes, il n’avait échappé au scandale que grâce à la connivence des tribunaux bonapartistes. Comme de ces documents juridiques pleins de sécheresse on ne pouvait se débarrasser, même à grands renforts de rhétorique, Jules Favre, pour la première fois de sa vie, tint sa langue, attendant silencieusement l’explosion de la guerre civile, pour alors dénoncer avec frénésie le peuple de Paris comme une bande de forçats échappés, en pleine révolte contre la famille, la religion, l’ordre et la propriété. Ce même faussaire avait à peine accédé au pouvoir après le 4 septembre, que par sympathie il mettait en liberté Pic et Taillefer condamnés pour faux, même sous l’Empire, dans la scandaleuse affaire de l’Étendard. Un de ces hommes, Taillefer, ayant osé retourner à Paris sous la Commune, fut sur-le-champ remis en prison ; et là-dessus Jules Favre de s’exclamer à la tribune de l’Assemblée nationale que Paris mettait en liberté tout son gibier de potence.
Ernest Picard, ce Falstaff du gouvernement de la Défense nationale, qui se nomma lui-même ministre de l’intérieur de la République, après s’être vainement évertué à devenir ministre de l’intérieur de l’Empire, est le frère d’un certain Arthur Picard, individu chassé de la Bourse de Paris comme escroc (voir le rapport de la préfecture de police en date du 13 juillet 1867), et convaincu, sur son propre aveu, d’un vol de 300 000 francs alors qu’il était directeur d’une des succursales de la Société générale, 5, rue Palestro (voir le rapport de la préfecture de police du 11 décembre 1868). Cet Arthur Picard fut fait, par Ernest Picard, directeur de son journal L’Électeur libre. Tandis que le commun des courtiers en bourse était égaré par les mensonges officiels du journal du ministre, Arthur faisait la navette entre l’intérieur et la Bourse pour y escompter les désastres des armées françaises. Toute la correspondance financière de ce digne couple de frères tomba entre les mains de la Commune.
Jules Ferry, avocat sans le sou avant le 4 septembre, réussit comme maire de Paris pendant le siège, à tirer par escroquerie une fortune de la famine. Le jour où il aurait à rendre compte de sa mauvaise administration serait aussi celui de sa condamnation.
Ces hommes, donc, ne pouvaient trouver que dans les ruines de Paris leur billet d’élargissement conditionnel [2], ils étaient bien les hommes mêmes qu’il fallait à Bismarck. Quelques tours de passe-passe, et Thiers, jusque-là le conseiller secret du gouvernement, apparut à sa tête avec ses élargis pour ministres.
Thiers, ce nabot monstrueux, a tenu sous le charme la bourgeoisie française pendant plus d’un demi-siècle, parce qu’il est l’expression intellectuelle la plus achevée de sa propre corruption de classe. Avant de devenir homme d’État il avait déjà fait la preuve, comme historien, de sa maîtrise dans le mensonge. La chronique de sa vie publique est l’histoire des malheurs de la France. Allié des républicains avant 1830, il se faufile au ministère sous Louis-Philippe, en trahissant son protecteur, Laffitte. Il s’insinue dans les bonnes grâces du roi en provoquant des émeutes contre le clergé, au cours desquelles l’église Saint-Germain-l’Auxerrois et l’archevêché furent pillés, et en se faisant l’espion-ministre, puis l’accoucheur-geôlier de la duchesse de Berry. Le massacre des républicains, rue Transnonain [3], et les infâmes lois de septembre contre la presse et le droit d’association, qui l’ont suivi, furent tous deux son oeuvre. Quand il reparut comme président du Conseil en mars 1840, il étonna la France par son plan de fortifications de Paris. Aux républicains, qui dénonçaient ce plan comme un complot perfide contre la liberté de Paris, il répliqua, de la tribune de la Chambre des députés :
Eh quoi ! s’imaginer que des fortifications puissent jamais mettre la liberté en péril ! Et d’abord, on calomnie un gouvernement, quel qu’il soit, quand on suppose qu’il puisse un jour tenter de se maintenir en bombardant la capitale... Mais ce gouvernement-là serait cent fois plus impossible après sa victoire.
Certes, aucun gouvernement n’aurait jamais osé tourner contre Paris le feu de ses forts, si ce n’est le gouvernement même qui avait au préalable livré ces forts aux Prussiens.
Quand le roi Bomba se fit la main sur Palerme en janvier 1848, Thiers, depuis longtemps sans portefeuille, surgit à nouveau à la Chambre des députés.
Vous savez, Messieurs, ce qui se passe à Palerme : vous avez tous tressailli d’horreur [parlementairement parlant] en apprenant que, pendant quarante-huit heures, une grande ville a été bombardée. Par qui ? Était-ce par un ennemi étranger, exerçant les droits de la guerre ? Non, Messieurs, par son propre gouvernement. Et pourquoi ? Parce que cette ville infortunée réclamait ses droits. Eh bien, pour avoir réclamé ses droits, Palerme eut quarante-huit heures de bombardement ! Permettez-moi d’en appeler à l’opinion européenne. C’est rendre un service à l’humanité que de venir, du haut de la plus grande tribune peut-être de l’Europe, faire retentir des paroles [des paroles en effet] d’indignation contre de tels actes... Quand le régent Espartero, qui avait rendu des services à son pays [ce que M. Thiers, lui, n’a jamais fait], prétendit, pour réprimer l’insurrection, bombarder Barcelone, il s’éleva de toutes les parties du monde un grand cri d’indignation.
Dix-huit mois plus tard, M. Thiers était parmi les plus farouches défenseurs du bombardement de Rome par une armée française [4]. En fait, le roi Bomba ne semble avoir eu d’autre tort que de limiter son bombardement à quarante-huit heures.
Quelques jours avant la Révolution de février, irrité du long exil loin du pouvoir et de ses bénéfices, auquel l’avait condamné Guizot, et flairant dans l’air l’odeur d’un soulèvement populaire prochain, Thiers, dans ce style pseudo-héroïque qui lui a valu le surnom de Mirabeau-mouche, déclara à la Chambre des députés :
Je suis du parti de la révolution, non seulement en France, mais en Europe. Je souhaite que le gouvernement de la révolution reste entre les mains des modérés ; mais si le gouvernement tombait entre les mains des ardents, fût-ce des radicaux, malgré cela je n’abandonnerais pas ma cause. Je serais toujours du parti de la révolution.
Survint la Révolution de février. Au lieu de remplacer le cabinet Guizot par un cabinet Thiers, comme le petit homme l’avait rêvé, elle remplaça Louis-Philippe par la république. Au premier jour de la victoire populaire, il se cacha soigneusement, oubliant que le mépris des travailleurs le mettait à l’abri de leur haine. Pourtant, avec son courage légendaire, il continua de fuir la scène publique, jusqu’à ce que les massacres de juin l’eussent nettoyée pour son genre d’activité. Alors, il devint le cerveau dirigeant du « parti de l’ordre » et de la République parlementaire, cet inter-règne anonyme pendant lequel toutes les factions rivales de la classe dirigeante conspiraient ensemble pour écraser le peuple, et l’une contre l’autre pour restaurer chacune la monarchie de son choix. Alors, comme aujourd’hui, Thiers dénonçait les républicains comme le seul obstacle à la consolidation de la république ; alors, comme aujourd’hui, il parlait à la république comme le bourreau à Don Carlos : « Je vais te tuer, mais c’est pour ton bien ». Aujourd’hui, comme alors, il pourra s’écrier au lendemain de sa victoire : « L’empire est fait ! » En dépit de ses hypocrites homélies sur les « libertés nécessaires » et de sa rancune personnelle contre Louis Bonaparte qui avait fait de lui sa dupe et flanqué dehors le parlementarisme, - et hors de son atmosphère factice, ce petit homme, il le sait bien, se ratatine et rentre dans le néant, - Thiers a trempé dans toutes les infamies du Second Empire, de l’occupation de Rome par les troupes françaises, jusqu’à la guerre avec la Prusse, à laquelle il poussa par ses farouches invectives contre l’unité allemande, - non pas parce qu’elle servirait de façade au despotisme prussien, mais parce qu’elle serait une atteinte au droit traditionnel de la France au morcellement de l’Allemagne. Aimant à brandir à la face de l’Europe, avec ses bras de nain, l’épée de Napoléon 1er dont il était devenu le cireur de bottes historique [5], sa politique étrangère a toujours eu pour couronnement l’humiliation totale de la France, depuis la Convention de Londres en 1841 jusqu’à la capitulation de Paris en 1871 et à la guerre civile actuelle où il lance contre Paris les prisonniers de Sedan et de Metz avec la haute autorisation de Bismarck. Malgré la souplesse de son talent et l’inconstance des desseins qu’il poursuit, cet homme a été enchaîné sa vie entière à la routine la plus fossile. Il est évident que les courants profonds de la société moderne devaient lui demeurer à jamais cachés ; mais même les changements les plus manifestes à sa surface répugnaient à une cervelle dont toute la vitalité s’était réfugiée dans la langue. Aussi ne se lassa-t-il jamais de dénoncer comme un sacrilège tout écart du désuet système du protectionnisme français [6]. Ministre de Louis-Philippe, il dénigra les chemins de fer comme une folle chimère ; et, plus tard, dans l’opposition sous Louis Bonaparte, il stigmatisa comme une profanation toute tentative pour réformer le système pourri de l’armée française. Jamais, au cours de sa longue carrière politique, il ne s’est rendu coupable d’une seule mesure, si minime fût-elle, de quelque utilité pratique. Thiers n’a été conséquent que dans son avidité de richesse, et dans sa haine des hommes qui la produisent. Entré pauvre comme Job dans son premier ministère sous Louis-Philippe, il le quitta millionnaire. Son dernier ministère sous le môme roi (celui du 1er mars 1840) l’exposa à des accusations publiques de concussion à la Chambre des députés, auxquelles il se contenta de répondre par des larmes, denrée qu’il prodigue avec autant de facilité que Jules Favre ou tout autre crocodile. A Bordeaux, sa première mesure pour sauver la France d’une ruine financière imminente fut de se doter lui-même de trois millions par an, premier et dernier mot de la « république économe », qu’il avait fait miroiter à ses électeurs de Paris en 1869. Un de ses anciens collègues à la Chambre des députés de 1830, capitaliste lui-même et néanmoins membre dévoué de la Commune, M. Beslay, apostrophait dernièrement Thiers dans une affiche publique :
L’asservissement du travail au capital a toujours été la pierre angulaire de votre politique, et depuis le jour où vous avez vu la république du travail installée à l’Hôtel de Ville, vous n’avez jamais cessé de crier à la France : Ce sont des criminels !
Passé maître dans la petite fripouillerie politique, virtuose du parjure et de la trahison, rompu à tous les bas stratagèmes, aux expédients sournois et aux viles perfidies de la lutte des partis au parlement, toujours prêt, une fois chassé du ministère, à allumer une révolution, pour l’étouffer dans le sang une fois qu’il y est revenu avec des préjugés de classe en guise d’idées, de la vanité en guise de coeur menant une vie privée aussi abjecte que sa vie publique est méprisable, - il ne peut s’empêcher, même maintenant où il joue le rôle d’un Sylla français, de rehausser l’abomination de ses actes par le ridicule de ses fanfaronnades.
La capitulation de Paris, en livrant à la Prusse non seulement Paris, mais la France entière, a clos la longue série d’intrigues et de trahisons avec l’ennemi que les usurpateurs du 4 septembre avaient inaugurée, comme Trochu en personne l’avait dit, le soir même. D’autre part, elle ouvrait la guerre civile qu’ils allaient maintenant engager avec l’aide de la Prusse contre la république et Paris. Le traquenard était tendu dans les clauses mêmes de la capitulation. A ce moment, plus d’un tiers du territoire était aux mains de l’ennemi, la capitale était coupée des départements, toutes les communications étaient désorganisées. Élire dans de telles circonstances une véritable représentation de la France était impossible sans prendre largement le temps nécessaire aux préparatifs. C’est précisément pourquoi la capitulation stipula qu’une Assemblée nationale devait être élue dans les huit jours, de sorte qu’en bien des parties de la France la nouvelle des élections à faire n’arriva qu’à la veille du scrutin. En outre, cette assemblée, selon une clause expresse de la capitulation, ne devait être élue que dans le seul but de décider de la paix ou de la guerre, et, éventuellement, de conclure un traité de paix. La population ne pouvait pas ne pas sentir que les termes mêmes de l’armistice rendaient la continuation de la guerre impossible, et que, pour ratifier la paix imposée par Bismarck, les pires hommes de France étaient les meilleurs. Mais, non content de toutes ces précautions, Thiers, avant même que le secret de l’armistice ait été divulgué dans Paris, était parti en tournée électorale à travers les départements pour y galvaniser et y rappeler à la vie le Parti légitimiste, qui devait désormais, à côté des orléanistes, prendre la place des bonapartistes, que l’on n’eût pas tolérés. Il n’en avait pas peur. Impossibles comme gouvernants de la France moderne, et par suite, rivaux méprisables, pouvait-il y avoir, comme instrument de la réaction, un parti préférable à celui dont l’action, suivant les paroles de Thiers lui-même (Chambre des députés, 5 janvier 1833) « s’était toujours confinée aux trois ressources de l’invasion étrangère, de la guerre civile et de l’anarchie ? ». Ils croyaient vraiment, ces légitimistes, à l’avènement de ce millénaire rétrospectif si longtemps attendu. Il y avait la France sous la botte de l’invasion étrangère ; il y avait la chute d’un empire, et la captivité d’un Bonaparte ; enfin, il y avait eux-mêmes. La roue de l’histoire avait visiblement tourné à l’envers pour s’arrêter à la « Chambre introuvable » de 1816. Dans les Assemblées de la République, de 1848 à 1851, ils avaient été représentés par leurs champions parlementaires, instruits et exercés ; c’étaient les simples soldats du parti qui s’y ruaient maintenant : tous les Pourceaugnacs de France.
Dès que cette Assemblée de « ruraux » [7] se fut réunie à Bordeaux, Thiers lui fit entendre nettement que les préliminaires de paix devaient être agréés sur-le-champ, sans même avoir les honneurs d’un débat parlementaire ; à cette condition seulement la Prusse leur permettrait d’ouvrir les hostilités contre la république et Paris, sa place forte. La contre-révolution, en effet, n’avait pas de temps à perdre. Le second Empire avait plus que doublé la dette nationale et lourdement endetté toutes les grandes villes. La guerre avait enflé les charges d’une manière effrayante et ravagé sans pitié les ressources de la nation. Pour compléter la ruine, le Shylock prussien était là, exigeant l’entretien d’un demi-million de ses soldats sur le sol français, son indemnité de cinq milliards et l’intérêt à 5 % des échéances en retard. Qui allait payer la note ? Ce n’est qu’en renversant la république par la violence, que ceux qui s’appropriaient la richesse pouvaient espérer faire supporter aux producteurs de cette richesse les frais d’une guerre qu’ils avaient eux-mêmes provoquée. Ainsi, c’est précisément l’immense ruine de la France qui poussait ces patriotiques représentants de la propriété terrienne et du capital, sous les yeux mêmes et sous la haute protection de l’envahisseur, à greffer sur la guerre étrangère une guerre civile, une rébellion de négriers.
Barrant la route au complot, il y avait un grand obstacle : Paris. Désarmer Paris était la première condition du succès. Paris fut donc sommé par Thiers de rendre ses armes. Puis Paris fut harcelé par les frénétiques manifestations anti-républicaines de l’Assemblée « des ruraux » et par les déclarations équivoques de Thiers lui-même sur le statut légal de la république ; parla menace de décapiter et de décapitaliser Paris ; la nomination d’ambassadeurs orléanistes ; les lois de Dufaure sur les échéances commerciales et les loyers, qui menaçaient de ruine le commerce et l’industrie parisiens ; la taxe de Pouyer-Quertier, de deux centimes sur chaque exemplaire de toutes les publications quelles qu’elles soient ; les sentences de mort contre Blanqui et Flourens ; la suppression des journaux républicains ; le transfert de l’Assemblée nationale à Versailles ; le renouvellement de l’état de siège proclamé par Palikao, et aboli le 4 septembre ; la nomination de Vinoy, le décembriseur, comme gouverneur de Paris, celle de Valentin, le gendarme de l’empire, comme préfet de police, enfin celle de d’Aurelle de Paladines, le général jésuite, comme commandant en chef de la garde nationale.
Et maintenant, nous avons une question à poser à M. Thiers et aux hommes de la Défense nationale, ses sous-ordres. On sait que, par l’entremise de M. Pouyer-Quertier, son ministre des Finances, Thiers avait contracté un emprunt de deux milliards, payable immédiatement. Eh bien, est-il vrai ou non :
1º Que l’affaire était arrangée de telle sorte qu’un pot-de-vin de plusieurs centaines de millions tombât dans les poches de Thiers, Jules Favre, Ernest Picard, Pouyer-Quertier et Jules Simon ?
2º Qu’il ne serait fait de versement, qu’après la « pacification » de Paris ?
En tout cas il faut que la chose ait été très urgente, car Thiers et Jules Favre, au nom de la majorité de l’Assemblée de Bordeaux, sollicitèrent sans vergogne l’occupation de Paris par les troupes prussiennes. Mais cela n’entrait pas dans le jeu de Bismarck, comme il le dit publiquement et en ricanant, aux philistins admiratifs de Francfort, à son retour en Allemagne.
Notes
[1] Voici cette lettre, en date du 12 décembre 1870 : Mon cher Suzanne, Je n’ai pas trouvé, au nombre des jeunes auxiliaires, votre protégé Hetzel, mais seulement un M. Hessel. Est-ce de celui-là qu’il s’agit ? Dites-moi franchement ce que vous désirez, et je le ferai. Je le prendrai à mon état-major, où il s’embêtera, n’ayant rien à faire, ou bien je l’enverrai au Mont Valérien, où il courra moins de danger qu’à Paris (ceci pour les parents) et où il aura l’air de tirer le canon, parce qu’il le tirera en l’air, selon la méthode Noël. Déboutonnez-vous, la bouche, bien entendu. GUIOD. Le Noël, qui avait l’air de tirer le canon parce qu’il le tirait en l’air, commandait, pendant le siège, le mont Valérien.
[2] Leur billet d’élargissement conditionnel. Le texte anglais porte : tickets-of leave, expression qui désigne des sortes de permis de séjour que les prisonniers libérés avant terme reçoivent en Angleterre et qu’ils doivent périodiquement présenter à la police. Cette expression est reprise plusieurs fois par Marx dans la suite. De plus, il désigne plusieurs fois les ministres de Thiers par la formule : tickets-of leave men, que nous traduisons en conséquence par les « élargis ».
[3] Répression féroce du soulèvement des républicains-démocrates en 1834, à Paris, suivie d’un massacre de la population sans armes, femmes et enfants compris.
[4] Une armée française fut envoyée en avril 1849 pour protéger le pape contre la Révolution italienne. Le bombardement de Rome fut une violation scandaleuse de la Constitution française qui stipulait que la république n’emploierait jamais la force à l’écrasement de la liberté d’un peuple quel qu’il soit.
[5] Les principaux ouvrages historiques de Thiers sont l’Histoire de la Révolution française et l’Histoire du Consulat et de l’Empire.
[6] En France, le système protectionniste était caractérisé par des taxes élevées sur les marchandises (par exemple, la fonte anglaise était grevée d’une taxe de 70 p. 100, le fer, de 105 p. 100 de son prix). Il en est résulté que nombre de marchandises, que l’on ne savait pas fabriquer en France, avaient complètement disparu du marché.
[7] L’Assemblée nationale inaugurée à Bordeaux le 13 février était composée, en majeure partie, de monarchistes avérés (sur 750 députés, 450 monarchistes), représentants des grands propriétaires terriens et des couches réactionnaires des villes et surtout des campagnes. De là, l’appellation d’ « Assemblée de ruraux ».
2
Paris en armes était le seul obstacle sérieux sur la route du complot contre-révolutionnaire. Il fallait donc désarmer Paris. Sur ce point, l’Assemblée de Bordeaux était la sincérité même. Si la rugissante clameur de ses ruraux n’avait pas suffi à se faire entendre, la remise par Thiers de Paris à la tendre sollicitude du triumvirat - Vinoy, le décembriseur, Valentin, le gendarme bonapartiste, et d’Aurelle de Paladines, le général jésuite - aurait dissipé jusqu’au dernier doute. Alors même qu’ils affichaient insolemment le véritable but du désarmement de Paris, les conspirateurs lui demandèrent de déposer ses armes sous un prétexte qui était le plus criant, le plus effronté des mensonges. L’artillerie de la garde nationale, disait Thiers, appartient à l’État, et c’est à l’État qu’elle doit faire retour. La vérité, la voici : du jour de la capitulation, par laquelle les prisonniers de Bismarck avaient livré la France au chancelier prussien, en se réservant une garde nombreuse dans le dessein exprès de mater la capitale, Paris se tenait sur le qui-vive. La garde nationale se réorganisa et confia le commandement suprême à un Comité central élu par l’ensemble du corps, à l’exception de quelques débris de l’ancienne formation bonapartiste. A la veille de l’entrée des Prussiens dans Paris, le Comité central assura le transport à Montmartre, Belleville et La Villette, des canons et mitrailleuses traîtreusement abandonnés par les capitulards dans les quartiers que les Prussiens allaient occuper et leurs abords. Cette artillerie provenait des souscriptions de la garde nationale. Elle avait été officiellement reconnue comme sa propriété privée dans la capitulation du 28 janvier, et à ce titre elle avait été exceptée de la reddition générale, entre les mains du vainqueur, des armes appartenant au gouvernement. Et Thiers était si entièrement dépourvu de tout prétexte, si léger fût-il, pour engager la guerre contre Paris, qu’il lui fallut recourir au mensonge flagrant : l’artillerie de la garde nationale était, disait-il, propriété de l’État !
La saisie de son artillerie ne devait que servir de prélude au désarmement général de Paris. Du même coup, devait être désarmée la révolution du 4 septembre. Mais cette révolution était devenue le régime légal de la France. La république, son œuvre, était reconnue par le vainqueur dans les termes mêmes de la capitulation. Après la capitulation, elle avait été reconnue par toutes les puissances étrangères, et c’est en son nom que l’Assemblée nationale avait été convoquée. La révolution des travailleurs de Paris du 4 septembre était le seul titre légal de l’Assemblée nationale, siégeant à Bordeaux et de son exécutif. Sans le 4 septembre, l’Assemblée nationale, aurait dû sur-le-champ laisser la place au Corps législatif élu en 1869 au suffrage universel sous un régime français et non prussien, et dispersé de force par la révolution. Thiers et ses « élargis » auraient dû capituler devant Louis Bonaparte, afin d’obtenir de lui des sauf-conduits leur épargnant un voyage à Cayenne. Les pouvoirs de l’Assemblée nationale n’étaient que ceux d’un notaire chargé d’arrêter les termes de la paix avec la Prusse. Elle n’était qu’un incident dans cette révolution, dont la véritable incarnation était toujours le Paris armé, Paris qui l’avait faite, Paris qui avait subi pour elle un siège de cinq mois, avec les horreurs de la famine, et qui, en prolongeant sa résistance, en dépit du « plan » de Trochu, avait fait d’elle la base d’une guerre de défense acharnée en province. Et maintenant, ou bien Paris devait déposer ses armes sur l’outrageante injonction des négriers rebelles de Bordeaux, et reconnaître que sa révolution du 4 septembre ne signifiait rien d’autre qu’un simple transfert de pouvoir de Louis Bonaparte à ses concurrents royaux ; ou bien il devait s’affirmer le champion dévoué jusqu’au sacrifice de la France, qu’il était impossible de sauver de la ruine et de régénérer, sans un renversement révolutionnaire des conditions politiques et sociales qui avaient engendré le second Empire et qui, sous sa tutelle protectrice, avaient mûri jusqu’au complet pourrissement. Paris, encore amaigri par une famine de cinq mois, n’hésita pas un instant. Il résolut héroïquement de courir tous les dangers d’une résistance aux conspirateurs français, bravant jusqu’à la menace des canons prussiens braqués sur lui dans ses propres forts. Toutefois, dans son horreur de la guerre civile où Paris allait être entraîné, le Comité central garda la même attitude purement défensive, en dépit des provocations de l’Assemblée, des usurpations de l’exécutif, et d’une menaçante concentration de troupes dans Paris et ses environs.
C’est Thiers qui ouvrit donc la guerre civile en envoyant Vinoy à la tête d’une foule de sergents de ville et de quelques régiments de ligne, en expédition nocturne contre Montmartre, pour y saisir par surprise l’artillerie de la garde nationale. On sait comment cette tentative échoua devant la résistance de la garde nationale et la fraternisation de la ligne avec le peuple. D’Aurelle de Paladines avait fait imprimer d’avance son bulletin de victoire, et Thiers tenait toutes prêtes les affiches annonçant ses mesures de coup d’État. Tout cela dut être remplacé par des appels de Thiers, proclamant sa décision magnanime de laisser la garde nationale en possession de ses armes ; il se tenait pour certain, disait-il, qu’elle les utiliserait pour se rallier au gouvernement contre les rebelles. Sur les 300.000 gardes nationaux, 300 seulement répondirent à cet appel les invitant à s’allier au petit Thiers contre eux-mêmes. La glorieuse révolution ouvrière du 18 mars établit sa domination incontestée sur Paris. Le Comité central fut son gouvernement provisoire. L’Europe sembla pour un moment se demander si ses récents et sensationnels hauts faits en politique et dans la guerre avaient l’ombre d’une réalité, ou s’ils n’étaient que les rêves d’un passé depuis longtemps révolu.
Du 18 mars à l’entrée des troupes de Versailles à Paris, la révolution prolétarienne resta si exempte des actes de violence qui abondent dans les révolutions, et bien plus encore dans les contre-révolutions des « classes supérieures », que ses adversaires ne trouvent pas matière à exhaler leur indignation, si ce n’est l’exécution des généraux Lecomte et Clément Thomas, et l’affaire de la place Vendôme.
L’un des officiers bonapartistes engagés dans l’attaque nocturne contre Montmartre, le général Lecomte, avait, par quatre fois, ordonné au 81e régiment de ligne de faire feu sur des civils sans armes, place Pigalle, et, sur le refus de ses hommes, les avait furieusement insultés. Au lieu de fusiller femmes et enfants, ses hommes le fusillèrent, lui. Les habitudes invétérées acquises par les soldats à l’école des ennemis de la classe ouvrière ne vont pas, sans doute, changer à l’instant même où ces soldats passent aux côtés de celle-ci. Les mêmes hommes exécutèrent aussi Clément Thomas.
Le « général » Clément Thomas, un ex-maréchal des logis mécontent, s’était, dans les derniers temps du règne de Louis-Philippe, fait enrôler à la rédaction du journal républicain Le National pour y servir au double titre d’homme de paille (gérant responsable) et de duelliste commissionné de ce journal très batailleur. Après la Révolution de février, les hommes du National, ayant accédé au pouvoir, métamorphosèrent cet ancien maréchal des logis en général. C’était à la veille de la boucherie de juin, dont, comme Jules Favre, il fut un des sinistres instigateurs et dont il devint un des plus lâches bourreaux. Puis, ils disparurent, lui et son titre de général, pendant longtemps, pour revenir sur l’eau le 1er novembre 1870. La veille [1], le « gouvernement de la Défense », fait prisonnier à l’Hôtel de Ville, avait solennellement donné sa parole à Blanqui, à Flourens et à d’autres représentants de la classe ouvrière, d’abdiquer son pouvoir usurpé entre les mains d’une commune qui serait librement élue à Paris. Au lieu de tenir sa promesse, il lâcha sur Paris les Bretons de Trochu, qui remplaçaient maintenant les Corses de Bonaparte. Seul, le général Tamisier, refusant de souiller son nom par un tel parjure, se démit du commandement en chef de la garde nationale et, à sa place, Clément Thomas redevint général. Pendant toute la durée de son commandement, il fit la guerre non aux Prussiens, mais à la garde nationale de Paris. Il en empêcha l’armement général, excita les bataillons bourgeois contre les bataillons ouvriers, élimina les officiers hostiles au « plan » de Trochu et licencia, sous l’accusation infamante de lâcheté, ces mêmes bataillons prolétariens dont l’héroïsme a maintenant forcé l’admiration de leurs ennemis les plus acharnés. Clément Thomas se sentait tout fier d’avoir reconquis ses galons de juin 1848, comme ennemi personnel de la classe ouvrière de Paris. Quelques jours encore avant le 18 mars, il soumettait au ministre de la Guerre, Le Flô, un plan de son cru pour « en finir avec la fine fleur de la canaille parisienne ». Après la déroute de Vinoy, il ne put se défendre d’entrer en lice en qualité d’espion amateur. Le Comité central et les travailleurs de Paris furent tout juste aussi responsables de l’exécution de Clément Thomas et de Lecomte, que la princesse de Galles du sort des gens écrasés dans la foule le jour de son entrée à Londres.
Le prétendu massacre de citoyens sans armes place Vendôme est un mythe dont M. Thiers et les ruraux n’ont absolument pas voulu dire un mot à l’Assemblée, s’en remettant exclusivement pour le diffuser à la valetaille du journalisme européen. Les « hommes d’ordre », les réactionnaires de Paris, tremblèrent à la victoire du 18 mars. Pour eux, c’était le signal du châtiment populaire qui arrivait enfin. Les spectres des victimes, assassinées sur leur, ordre, depuis les jours de juin 1848 jusqu’au 22 janvier 1871 [2], se dressaient devant eux. Leur panique fut leur seule punition. Même les sergents de ville, au lieu d’être désarmés et mis sous les verrous comme on aurait dû le faire, trouvèrent les portes de Paris grandes ouvertes pour aller se mettre en sûreté à Versailles. Les hommes d’ordre non seulement ne furent pas molestés, mais ils eurent la faculté de se rassembler et d’occuper plus d’une position forte au centre même de Paris. Cette indulgence du Comité central, cette magnanimité des ouvriers armés, contrastant si singulièrement avec les habitudes du « parti de l’ordre », celui-ci les interpréta à tort comme des symptômes d’un sentiment de faiblesse. D’où son plan stupide d’essayer, sous le couvert d’une manifestation sans armes, ce que Vinoy n’avait pas réussi avec ses canons et ses mitrailleuses. Le 22 mars, un cortège séditieux de messieurs « du beau monde » quitta les quartiers élégants avec dans ses rangs tous les « petits crevés » et à sa tête les familiers notoires de l’Empire, les Hockeren, les Coëtlogon, les Henry de Pène, etc. Sous le lâche prétexte d’une manifestation pacifique, mais portant en secret des armes meurtrières, cette bande se forma en ordre de marche, maltraita et désarma les sentinelles et les patrouilles de la garde nationale qu’elle rencontra sur son passage, et, débouchant de la rue de la Paix sur la place Vendôme aux cris de : « A bas le Comité central ! A bas les assassins ! Vive l’Assemblée nationale ! », elle tenta de forcer les postes de garde en faction et d’enlever par surprise le quartier général de la garde nationale, qu’ils protégeaient. En réponse aux coups de revolver de la bande, les sommations régulières furent faites, et, comme elles se montraient sans effet, le général de la garde nationale commanda le feu. Une seule salve dispersa, en une fuite éperdue, les stupides freluquets qui espéraient que la simple exhibition de leur « honorable société » aurait le même effet sur la révolution de Paris que les trompettes de Josué sur les murs de Jéricho. Les fuyards laissaient derrière eux deux gardes nationaux tués, neuf grièvement blessés (parmi lesquels un membre du Comité central), et tout le théâtre de leurs exploits jonché de revolvers, de poignards et de cannes-épées, qui prouvaient bien le caractère « pacifique » de leur manifestation « sans armes ». Quand le 13 juin 1849, la garde nationale parisienne avait fait une manifestation réellement pacifique pour protester contre la félonie de l’assaut donné à Rome par les troupes françaises, Changarnier, alors général du parti de l’ordre, fut acclamé par l’Assemblée nationale, et particulièrement par M. Thiers, comme le sauveur de la société, pour avoir lancé ses troupes de tous côtés sur ces hommes sans armes, avec l’ordre de les abattre et de les sabrer, et de les fouler sous les pieds des chevaux. Paris, alors, fut mis en état de siège ; Dufaure fit voter en toute hâte par l’Assemblée de nouvelles lois de répression. De nouvelles arrestations, de nouvelles proscriptions, une nouvelle Terreur s’instaurèrent. Mais les « classes inférieures » s’y prennent autrement en ces matières. Le Comité central de 1871 ignora tout simplement la « manifestation pacifique », si bien que deux jours après seulement, ils furent en état de se rassembler sous les ordres de l’amiral Saisset, pour cette démonstration armée, que couronna le fameux sauve-qui-peut à Versailles. Dans sa répugnance à accepter la guerre civile engagée par Thiers avec sa tentative d’effraction nocturne à Montmartre, le Comité central commit, cette fois, une faute décisive en ne marchant pas aussitôt sur Versailles, alors entièrement sans défense, et en mettant ainsi fin aux complots de Thiers et de ses ruraux. Au lieu de cela, on permit encore au parti de l’ordre d’essayer sa force aux urnes, le 26 mars, jour de l’élection de la Commune. Ce jour-là, dans les mairies de Paris, ses membres échangèrent de douces paroles de réconciliation avec leurs trop généreux vainqueurs, en grommelant du fond du cœur le serment de les exterminer en temps et lieu.
Maintenant, considérez le revers de la médaille. Thiers ouvrit sa seconde campagne contre Paris au commencement d’avril. Le premier convoi de prisonniers parisiens amené à Versailles fut l’objet d’atrocités révoltantes, tandis qu’Ernest Picard, les mains dans les poches, rôdait autour d’eux en se gaussant et que Mmes Thiers et Favre, au milieu de leurs dames d’honneur, applaudissaient, de leur balcon, aux infamies de la tourbe versaillaise. Les hommes de ligne capturés furent froidement exécutés ; notre vaillant ami, le général Duval, le fondeur en fer, fut fusillé sans autre forme de procès. Galliffet, le souteneur de sa femme, si célèbre par ses exhibitions éhontées dans les orgies du second Empire, s’est vanté dans une proclamation d’avoir ordonné le meurtre d’une petite troupe de gardes nationaux avec leur capitaine et leur lieutenant, surpris et désarmés par ses chasseurs. Vinoy, le fuyard, fut nommé grand-croix de la Légion d’honneur par Thiers, pour son ordre du jour enjoignant d’abattre tout soldat de la ligne pris dans les rangs des fédérés. Desmarets, le gendarme, fut décoré pour avoir traîtreusement, comme un boucher, mis en pièces le chevaleresque et généreux Flourens qui avait sauvé les têtes du gouvernement de la Défense le 31 octobre 1870. Les « détails réconfortants » de cet assassinat furent complaisamment développés par Thiers à l’Assemblée nationale. Avec la vanité suffisante d’un Tom Pouce parlementaire, admis à jouer le rôle d’un Tamerlan, il refusa aux rebelles à Sa Petitesse toutes les garanties de la guerre entre civilisés et jusqu’au droit de neutralité pour les ambulances. Rien de plus horrible que ce singe, déjà pressenti par Voltaire, autorisé pour un moment à donner libre cours à ses instincts de tigre.
Après le décret de la Commune du 7 avril, ordonnant des représailles et déclarant qu’il était de son devoir « de protéger Paris contre les exploits de cannibales des bandits de Versailles et de rendre oeil pour oeil et dent pour dent », Thiers n’arrêta pas pour autant le traitement barbare des prisonniers. Il les insulta, de surcroît, dans ses bulletins - « Jamais, écrit-il, figures plus dégradées d’une démocratie avilie n’affligèrent les regards des honnêtes gens » - honnêtes comme Thiers lui-même et ses « élargis » ministériels. Toutefois, pendant quelque temps, les exécutions de prisonniers furent suspendues. Mais à peine Thiers et ses généraux décembriseurs furent-ils avisés que même leurs espions de la gendarmerie pris dans Paris sous le déguisement de gardes nationaux, même les sergents de ville pris avec des bombes incendiaires sur eux, étaient épargnés [3], à peine s’aperçurent-ils que le décret de la Commune sur les représailles n’était qu’une menace vaine, que les exécutions en masse de prisonniers furent reprises et poursuivies sans interruption jusqu’à la fin. Des maisons où des gardes nationaux s’étaient réfugiés furent entourées de gendarmes, arrosées avec du pétrole (lequel apparaît ici pour la première fois) et incendiées ; les cadavres à demi carbonisés étaient enlevés ensuite par l’ambulance de la Presse, établie aux Ternes. Quatre gardes nationaux qui s’étaient rendus à une troupe de chasseurs à cheval à la Belle-Épine, le 25 avril, furent abattus après coup, l’un après l’autre, par le capitaine, digne émule de Galliffet. Une de ses quatre victimes, Scheffer, laissée pour morte, revint en rampant aux avant-postes parisiens et déposa sur ce fait devant une commission de la Commune. Quand Tolain interpella le ministre de la Guerre sur le rapport de cette commission, les ruraux couvrirent sa voix de leurs cris et interdirent à Le Flô de répondre. C’eût été une insulte à leur « glorieuse » armée que de parler de ses hauts faits. Le ton désinvolte sur lequel les bulletins de Thiers annonçaient le massacre à la baïonnette des fédérés surpris dans leur sommeil au Moulin-Saquet et les exécutions en masse de Clamart irrita même les nerfs du Times de Londres, qui n’est vraiment pas hypersensible. Mais il serait ridicule aujourd’hui d’essayer d’énumérer les atrocités, simples préliminaires, commises par ceux qui ont bombardé Paris et fomenté une rébellion de négriers sous la protection du conquérant étranger. Au milieu de toutes ces horreurs, Thiers, oubliant ses jérémiades parlementaires sur la terrible responsabilité qui pèse sur ses épaules de nain, se vante que « l’Assemblée siège paisiblement » et démontre par ses perpétuelles orgies, tantôt avec les généraux décembriseurs, tantôt avec les princes allemands, que sa digestion n’est pas le moins du monde troublée, pas même par les spectres de Lecomte et de Clément Thomas.
Notes
[1] Le 31 octobre 1870, une tentative fut faite pour renverser le gouvernement de la Défense nationale et s’emparer du pouvoir. L’impulsion fut donnée au mouvement par les bruits d’armistice avec les Prussiens, de défaite de la garde nationale au Bourget (30 octobre) et de reddition de Metz. Guidés par les blanquistes, les gardes nationaux envahirent l’Hôtel de Ville, proclamèrent la destitution de l’ancien gouvernement et la formation d’un nouveau, qui devait organiser les élections à la Commune. Mais le nouveau gouvernement, qui ne s’appuyait pas sur les masses, se montra irrésolu et hésitant. Il entra en pourparlers avec les membres arrêtés du gouvernement de la Défense nationale et en obtint un accord verbal pour la fixation des élections à la Commune (au 1er novembre) et pour une amnistie générale. Sur ces entrefaites, des bataillons de gardes bourgeois arrivèrent, qui au matin du 1er novembre envahirent l’Hôtel de Ville et rétablirent le pouvoir du gouvernement de la Défense nationale.
[2] Le 22 janvier 1871, une nouvelle tentative fut faite pour renverser le gouvernement de la Défense nationale. La cause immédiate du soulèvement fut la défaite infligée à la garde nationale sous Buzenval (19 janvier 1871). A la suite de cette défaite, des bruits coururent sur l’armistice prochain et la nomination du général Vinoy comme gouverneur militaire de Paris. De même que l’insurrection du 31 octobre le soulèvement du 22 janvier se distingua par le manque de résolution, de cohésion et de liaison organique avec les masses. Pendant la répression du mouvement, il y eut 80 morts et blessés, parmi lesquels des femmes et des enfants.
[3] Déjà dans sa lettre à Kugelmann, du 12 avril 1871 Marx parle de ces erreurs fatales du Comité central.
3
À l’aube du 18 mars, Paris fut réveillé par ce cri de tonnerre : Vive la Commune ! Qu’est-ce donc que la Commune, ce sphinx qui met l’entendement bourgeois à si dure épreuve ?
Les prolétaires de la capitale, disait le Comité central dans son manifeste du 18 mars, au milieu des défaillances et des trahisons des classes gouvernantes, ont compris que l’heure était arrivée pour eux de sauver la situation en prenant en main la direction des affaires publiques... Le prolétariat... a compris qu’il était de son devoir impérieux et de son droit absolu de prendre en main ses destinées, et d’en assurer le triomphe en s’emparant du pouvoir.
Mais la classe ouvrière ne peut pas se contenter de prendre tel quel l’appareil d’État [1] et de le faire fonctionner pour son propre compte.
Le pouvoir centralisé de l’État, avec ses organes, partout présents : armée permanente, police, bureaucratie, clergé et magistrature, organes façonnés selon un plan de division systématique et hiérarchique du travail, date de l’époque de la monarchie absolue, où il servait à la société bourgeoise naissante d’arme puissante dans ses luttes contre le féodalisme. Cependant, son développement restait entravé par toutes sortes de décombres moyenâgeux, prérogatives des seigneurs et des nobles, privilèges locaux, monopoles municipaux et corporatifs et Constitutions provinciales. Le gigantesque coup de balai de la Révolution française du XVIIIe siècle emporta tous ces restes des temps révolus, débarrassant ainsi, du même coup, le substrat social des derniers obstacles s’opposant à la superstructure de l’édifice de l’État moderne. Celui-ci fut édifié sous le premier Empire, qui était lui-même le fruit des guerres de coalition [2] de la vieille Europe semi-féodale contre la France moderne. Sous les régimes qui suivirent, le gouvernement, placé sous contrôle parlementaire, c’est-à-dire sous le contrôle direct des classes possédantes, ne devint pas seulement la pépinière d’énormes dettes nationales et d’impôts écrasants ; avec ses irrésistibles attraits, autorité, profits, places, d’une part il devint la pomme de discorde entre les factions rivales et les aventuriers des classes dirigeantes, et d’autre part son caractère politique changea conjointement aux changements économiques de la société. Au fur et à mesure que le progrès de l’industrie moderne développait, élargissait, intensifiait l’antagonisme de classe entre le capital et le travail, le pouvoir d’État prenait de plus en plus le caractère d’un pouvoir publie organisé aux fins d’asservissement social, d’un appareil de domination d’une classe. Après chaque révolution, qui marque un progrès de la lutte des classes, le caractère purement répressif du pouvoir d’État apparaît façon de plus en plus ouverte. La Révolution de 1830 transféra le gouvernement des propriétaires terriens aux capitalistes, des adversaires les plus éloignés des ouvriers à leurs adversaires les plus directs. Les républicains bourgeois qui, au nom de la Révolution de février, s’emparèrent du pouvoir d’État, s’en servirent pour provoquer les massacres de juin, afin de convaincre la classe ouvrière que la république « sociale », cela signifiait la république qui assurait la sujétion sociale, et afin de prouver à la masse royaliste des bourgeois et des propriétaires terriens qu’ils pouvaient en toute sécurité abandonner les soucis et les avantages financiers du gouvernement aux « républicains » bourgeois. Toutefois, après leur unique exploit héroïque de juin, il ne restait plus aux républicains bourgeois qu’à passer des premiers rangs à l’arrière-garde du « parti de l’ordre », coalition formée par toutes les fractions et factions rivales de la classe des appropriateurs dans leur antagonisme maintenant ouvertement déclaré avec les classes des producteurs. La forme adéquate de leur gouvernement en société par actions fut la « république parlementaire », avec Louis Bonaparte pour président, régime de terrorisme de classe avoué et d’outrage délibéré à la « vile multitude ». Si la république parlementaire, comme disait M. Thiers, était celle qui « les divisait [les diverses fractions de la classe dirigeante] le moins », elle accusait par contre un abîme entre cette classe et le corps entier de la société qui vivait en dehors de leurs rangs clairsemés. Leur union brisait les entraves que, sous les gouvernements précédents, leurs propres dissensions avaient encore mises au pouvoir d’État. En présence de la menace de soulèvement du prolétariat, la classe possédante unie utilisa alors le pouvoir de l’État, sans ménagement et avec ostentation comme l’engin de guerre national du capital contre le travail. Dans leur croisade permanente contre les masses productrices, ils furent forcés non seulement d’investir l’exécutif de pouvoirs de répression sans cesse accrus, mais aussi de dépouiller peu à peu leur propre forteresse parlementaire, l’Assemblée nationale, de tous ses moyens de défense contre l’exécutif. L’exécutif, en la personne de Louis Bonaparte, les chassa. Le fruit naturel de la république du « parti de l’ordre » fut le Second Empire.
L’empire, avec le coup d’État pour acte de naissance, le suffrage universel pour visa et le sabre pour sceptre, prétendait s’appuyer sur la paysannerie, cette large masse de producteurs qui n’était pas directement engagée dans la lutte du capital et du travail. Il prétendait sauver la classe ouvrière en en finissant avec le parlementarisme, et par là avec la soumission non déguisée du gouvernement aux classes possédantes. Il prétendait sauver les classes possédantes en maintenant leur suprématie économique sur la classe ouvrière ; et finalement il se targuait de faire l’unité de toutes les classes en faisant revivre pour tous l’illusion mensongère de la gloire nationale. En réalité, c’était la seule forme de gouvernement possible, à une époque où la bourgeoisie avait déjà perdu, - et la classe ouvrière n’avait pas encore acquis, - la capacité de gouverner la nation. Il fut acclamé dans le monde entier comme le sauveur de la société. Sous l’empire, la société bourgeoise libérée de tous soucis politiques atteignit un développement dont elle n’avait elle-même jamais eu idée. Son industrie et son commerce atteignirent des proportions colossales ; la spéculation financière célébra des orgies cosmopolites ; la misère des masses faisait un contraste criant avec l’étalage éhonté d’un luxe somptueux, factice et crapuleux. Le pouvoir d’État, qui semblait planer bien haut au-dessus de la société, était cependant lui-même le plus grand scandale de cette société et en même temps le foyer de toutes ses corruptions. Sa propre pourriture et celle de la société qu’il avait sauvée furent mises à nu par la baïonnette de la Prusse, elle-même avide de transférer le centre de gravité de ce régime de Paris à Berlin. Le régime impérial est la forme la plus prostituée et en même temps la forme ultime de ce pouvoir d’État, que la société bourgeoise naissante a fait naître, comme l’outil de sa propre émancipation du féodalisme, et que la société bourgeoise parvenue à son plein épanouissement avait finalement transformé en un moyen d’asservir le travail au capital.
L’antithèse directe de l’Empire fut la Commune. Si le prolétariat de Paris avait fait la révolution de Février au cri de « Vive la République sociale », ce cri n’exprimait guère qu’une vague aspiration à une république qui ne devait pas seulement abolir la forme monarchique de la domination de classe, mais la domination de classe elle-même. La Commune fut la forme positive de cette république.
Paris, siège central de l’ancien pouvoir gouvernemental, et, en même temps, forteresse sociale de la classe ouvrière française, avait pris les armes contre la tentative faite par Thiers et ses ruraux pour restaurer et perpétuer cet ancien pouvoir gouvernemental que leur avait légué l’empire. Paris pouvait seulement résister parce que, du fait du siège, il s’était débarrassé de l’armée et l’avait remplacée par une garde nationale, dont la masse était constituée par des ouvriers. C’est cet état de fait qu’il s’agissait maintenant de transformer en une institution durable. Le premier décret de la Commune fut donc la suppression de l’armée permanente, et son remplacement par le peuple en armes.
La Commune fut composée des conseillers municipaux, élus au suffrage universel dans les divers arrondissements de la ville. Ils étaient responsables et révocables à tout moment. La majorité de ses membres était naturellement des ouvriers ou des représentants reconnus de la classe ouvrière. La Commune devait être non pas un organisme parlementaire, mais un corps agissant, exécutif et législatif à la fois[3]. Au lieu de continuer d’être l’instrument du gouvernement central, la police fut immédiatement dépouillée de ses attributs politiques et transformée en un instrument de la Commune, responsable et à tout instant révocable. Il en fut de même pour les fonctionnaires de toutes les autres branches de l’administration. Depuis les membres de la Commune jusqu’au bas de l’échelle, la fonction publique devait être assurée pour un salaire d’ouvrier. Les bénéfices d’usage et les indemnités de représentation des hauts dignitaires de l’État disparurent avec ces hauts dignitaires eux-mêmes. Les services publics cessèrent d’être la propriété privée des créatures du gouvernement central. Non seulement l’administration municipale, mais toute l’initiative jusqu’alors exercée par l’État fut remise aux mains de la Commune.
Une fois abolies l’armée permanente et la police, instruments du pouvoir matériel de l’ancien gouvernement, la Commune se donna pour tâche de briser l’outil spirituel de l’oppression, le pouvoir des prêtres ; elle décréta la dissolution et l’expropriation de toutes les Églises dans la mesure où elles constituaient des corps possédants. Les prêtres furent renvoyés à la calme retraite de la vie privée, pour y vivre des aumônes des fidèles, à l’instar de leurs prédécesseurs, les apôtres. La totalité des établissements d’instruction furent ouverts au peuple gratuitement, et, en même temps, débarrassés de toute ingérence de l’Église et de l’État. Ainsi, non seulement l’instruction était rendue accessible à tous, mais la science elle-même était libérée des fers dont les préjugés de classe et le pouvoir gouvernemental l’avaient chargée.
Les fonctionnaires de la justice furent dépouillés de cette feinte indépendance qui n’avait servi qu’à masquer leur vile soumission à tous les gouvernements successifs auxquels, tour à tour, ils avaient prêté serment de fidélité, pour le violer ensuite. Comme le reste des fonctionnaires publics, magistrats et juges devaient être élus, responsables et révocables.
La Commune de Paris devait, bien entendu, servir de modèle à tous les grands centres industriels de France. Le régime de la Commune une fois établi à Paris et dans les centres secondaires, l’ancien gouvernement centralisé aurait, dans les provinces aussi, dû faire place au gouvernement des producteurs par eux-mêmes. Dans une brève esquisse d’organisation nationale que la Commune n’eut pas le temps de développer, il est dit expressément que la Commune devait être la forme politique même des plus petits hameaux de campagne et que dans les régions rurales l’armée permanente devait être remplacée par une milice populaire à temps de service extrêmement court. Les communes rurales de chaque département devaient administrer leurs affaires communes par une assemblée de délégués au chef-lieu du département, et ces assemblées de département devaient à leur tour envoyer des députés à la délégation nationale à Paris ; les délégués devaient être à tout moment révocables et liés par le mandat impératif de leurs électeurs. Les fonctions, peu nombreuses, mais importantes, qui restaient encore à un gouvernement central, ne devaient pas être supprimées, comme on l’a dit faussement, de propos délibéré, mais devaient être assurées par des fonctionnaires de la Commune, autrement dit strictement responsables. L’unité de la nation ne devait pas être brisée, mais au contraire organisée par la Constitution communale ; elle devait devenir une réalité par la destruction du pouvoir d’État qui prétendait être l’incarnation de cette unité, mais voulait être indépendant de la nation même, et supérieur à elle, alors qu’il n’en était qu’une excroissance parasitaire. Tandis qu’il importait d’amputer les organes purement répressifs de l’ancien pouvoir gouvernemental, ses fonctions légitimes devaient être arrachées à une autorité qui revendiquait une prééminence au-dessus de la société elle-même, et rendues aux serviteurs responsables de la société. Au lieu de décider une fois tous les trois ou six ans quel membre de la classe dirigeante devait « représenter » et fouler aux pieds le peuple au Parlement [4], le suffrage universel devait servir au peuple constitué en communes, comme le suffrage individuel sert à tout autre employeur en quête d’ouvriers, de contrôleurs et de comptables pour son affaire. Et c’est un fait bien connu que les sociétés, comme les individus, en matière d’affaires véritables, savent généralement mettre chacun à sa place et, si elles font une fois une erreur, elles savent la redresser promptement. D’autre part, rien ne pouvait être plus étranger à l’esprit de la Commune que de remplacer le suffrage universel par une investiture hiérarchique.
C’est en général le sort des formations historiques entièrement nouvelles d’être prises à tort pour la réplique de formes plus anciennes, et même éteintes, de la vie sociale, avec lesquelles elles peuvent offrir une certaine ressemblance. Ainsi, dans cette nouvelle Commune, qui brise le pouvoir d’État moderne, on a voulu voir un rappel à la vie des communes médiévales, qui d’abord précédèrent ce pouvoir d’État, et ensuite en devinrent le fondement. - La Constitution communale a été prise à tort pour une tentative de rompre en une fédération de petits États, conforme au rêve de Montesquieu et des Girondins, cette unité des grandes nations, qui, bien qu’engendrée à l’origine par la violence, est maintenant devenue un puissant facteur de la production sociale. - L’antagonisme de la Commune et du pouvoir d’État a été pris à tort pour une forme excessive de la vieille lutte contre l’excès de centralisation. Des circonstances historiques particulières peuvent avoir empêché dans d’autres pays le développement classique de la forme bourgeoise de gouvernement, tel qu’il s’est produit en France, et peuvent avoir permis, comme en Angleterre, de compléter les grands organes centraux de l’État par des vestries [5] corrompues, des conseillers municipaux affairistes et de féroces administrateurs du Bureau de bienfaisance dans les villes et dans les comtés, par des juges de paix effectivement héréditaires. La Constitution communale aurait restitué au corps social toutes les forces jusqu’alors absorbées par l’État parasite qui se nourrit sur la société et en paralyse le libre mouvement. Par ce seul fait, elle eût été le point de départ de la régénération de la France. La classe moyenne des villes de province vit dans la Commune une tentative de restaurer la domination que cette classe avait exercée sur la campagne sous Louis-Philippe, et qui, sous Louis-Napoléon, avait été supplantée par la prétendue domination de la campagne sur les villes. En réalité, la Constitution communale aurait soumis les producteurs ruraux à la direction intellectuelle des chefs-lieux de département et leur y eût assuré des représentants naturels de leurs intérêts en la personne des ouvriers des villes. L’existence même de la Commune impliquait, comme quelque chose d’évident, l’autonomie municipale ; mais elle n’était plus dorénavant un contre-poids au pouvoir d’État, désormais superflu. Il ne pouvait venir qu’au cerveau d’un Bismarck, qui, s’il n’était pas engagé dans ses intrigues de sang et de fer, reviendrait volontiers à son ancien métier, si bien adapté à son calibre mental, de collaborateur du Kladderadatsch [6], il ne pouvait venir qu’à un tel cerveau l’idée de prêter à la Commune de Paris des aspirations à cette caricature de la vieille organisation municipale française de 1791 qu’est le régime municipal prussien, qui rabaisse l’administration des vil à n’être que de simples rouages de second ordre dans la machine policière de l’État prussien. La Commune a réalisé ce mot d’ordre de toutes les révolutions bourgeoises, le gouvernement à bon marché, en abolissant ces deux grandes sources de dépenses : l’armée et le fonctionnarisme d’État. Son existence même supposait la non-existence de la monarchie qui, en Europe du moins, est le fardeau normal et l’indispensable masque de la domination de classe. Elle fournissait à la république la base d’institutions réellement démocratiques. Mais ni le « gouvernement à bon marché », ni la « vraie république » n’étaient son but dernier ; tous deux furent un résultat secondaire et allant de soi de la Commune.
La multiplicité des interprétations auxquelles la Commune a été soumise, et la multiplicité des intérêts qu’elle a exprimés montrent que c’était une forme politique tout à fait susceptible d’expansion, tandis que toutes les formes antérieures de gouvernement avaient été essentiellement répressives. Son véritable secret, le voici : c’était essentiellement un gouvernement de la classe ouvrière, le résultat de la lutte de la classe des producteurs contre la classe des appropriateurs, la forme politique enfin trouvée qui permettait de réaliser l’émancipation économique du travail [7].
Sans cette dernière condition, la Constitution communale eût été une impossibilité et un leurre. La domination politique du producteur ne peut coexister avec la pérennisation de son esclavage social. La Commune devait donc servir de levier pour renverser les bases économiques sur lesquelles se fonde l’existence des classes, donc, la domination de classe. Une fois le travail émancipé, tout homme devient un travailleur, et le travail productif cesse d’être l’attribut d’une classe.
C’est une chose étrange. Malgré tous les discours grandiloquents, et toute l’immense littérature des soixante dernières années sur l’émancipation des travailleurs, les ouvriers n’ont pas plutôt pris, où que ce soit, leur propre cause en main, que, sur-le-champ, on entend retentir toute la phraséologie apologétique des porte-parole de la société actuelle avec ses deux pôles, capital et esclavage salarié (le propriétaire foncier n’est plus que le commanditaire du capitaliste), comme si la société capitaliste était encore dans son plus pur état d’innocence virginale, sans qu’aient été encore développées toutes ses contradictions, sans qu’aient été encore dévoilés tous ses mensonges, sans qu’ait été encore mise à nu son infâme réalité. La Commune, s’exclament-ils, entend abolir la propriété, base de toute civilisation. Oui, messieurs, la Commune entendait abolir cette propriété de classe, qui fait du travail du grand nombre la richesse de quelques-uns. Elle visait à l’expropriation des expropriateurs. Elle voulait faire de la propriété individuelle une réalité, en transformant les moyens de production, la terre et le capital, aujourd’hui essentiellement moyens d’asservissement et d’exploitation du travail, en simples instruments d’un travail libre et associé. Mais c’est du communisme, c’est l’ « impossible » communisme ! Eh quoi, ceux des membres des classes dominantes qui sont assez intelligents pour comprendre l’impossibilité de perpétuer le système actuel - et ils sont nombreux - sont devenus les apôtres importuns et bruyants de la production coopérative. Mais si la production coopérative ne doit pas rester un leurre et une duperie ; si elle doit évincer le système capitaliste ; si l’ensemble des associations coopératives doit régler la production nationale selon un plan commun, la prenant ainsi sous son propre contrôle et mettant fin à l’anarchie constante et aux convulsions périodiques qui sont le destin inéluctable de la production capitaliste, que serait-ce, messieurs, sinon du communisme, du très « possible » communisme ?
La classe ouvrière n’espérait pas des miracles de la Commune. Elle n’a pas d’utopies toutes faites à introduire par décret du peuple. Elle sait que pour réaliser sa propre émancipation, et avec elle cette forme de vie plus haute à laquelle tend irrésistiblement la société actuelle en vertu de son propre développement économique, elle aura à passer par de longues luttes, par toute une série de processus historiques, qui transformeront complètement les circonstances elles-mêmes. Elle n’a pas à réaliser d’idéal, mais seulement à libérer les éléments de la société nouvelle que porte dans ses flancs la vieille société bourgeoise qui s’effondre. Dans la pleine conscience de sa mission historique et avec la résolution héroïque d’être digne d’elle dans son action, la classe ouvrière peut se contenter de sourire des invectives grossières des laquais de presse et de la protection sentencieuse des doctrinaires bourgeois bien intentionnés qui débitent leurs platitudes d’ignorants et leurs marottes de sectaires, sur le ton d’oracle de l’infaillibilité scientifique.
Quand la Commune de Paris prit la direction de la révolution entre ses propres mains ; quand de simples ouvriers, pour la première fois, osèrent toucher au privilège gouvernemental de leurs « supérieurs naturels », les possédants, et, dans des circonstances d’une difficulté sans exemple, accomplirent leur oeuvre modestement, consciencieusement et efficacement (et l’accomplirent pour des salaires dont le plus élevé atteignait à peine le cinquième de ce qui, à en croire une haute autorité scientifique, le professeur Huxley, est le minimum requis pour un secrétaire du conseil de l’instruction publique de Londres), le vieux monde se tordit dans des convulsions de rage à la vue du drapeau rouge, symbole de la République du travail, flottant sur l’Hôtel de Ville.
Et pourtant, c’était la première révolution dans laquelle la classe ouvrière était ouvertement reconnue comme la seule qui fût encore capable d’initiative sociale, même par la grande masse de la classe moyenne de Paris - boutiquiers, commerçants, négociants - les riches capitalistes étant seuls exceptés. La Commune l’avait sauvée, en réglant sagement cette cause perpétuelle de différends à l’intérieur même de la classe moyenne : la question des créanciers et des débiteurs [8]. Cette même partie de la classe moyenne avait participé à l’écrasement de l’insurrection ouvrière en juin 1848 ; et elle avait été sur l’heure sacrifiée sans cérémonie à ses créanciers par l’Assemblée constituante. Mais ce n’était pas là son seul motif pour se ranger aujourd’hui aux côtés de la classe ouvrière. Cette fraction de la classe moyenne sentait qu’il n’y avait plus qu’une alternative, la Commune ou l’empire, sous quelque nom qu’il pût reparaître. L’Empire l’avait ruinée économiquement par Bon gaspillage de la richesse publique, par l’escroquerie financière en grand, qu’il avait encouragée, par l’appui qu’il avait donné à la centralisation artificiellement accélérée du capital, et à l’expropriation corrélative d’une grande partie de cette classe. Il l’avait supprimée politiquement, il l’avait scandalisée moralement par ses orgies, il avait insulté à son voltairianisme en remettant l’éducation de ses enfants aux frères ignorantins, il avait révolté son sentiment national de Français en la précipitant tête baissée dans une guerre qui ne laissait qu’une seule compensation pour les ruines qu’elle avait faites : la disparition de l’Empire. En fait, après l’exode hors de Paris de toute la haute bohème bonapartiste et capitaliste, le vrai parti de l’ordre de la classe moyenne se montra sous la forme de l’ « Union républicaine » qui s’enrôla sous les couleurs de la Commune et la défendit contre les falsifications préméditées de Thiers. La reconnaissance de cette grande masse de la classe moyenne résistera-t-elle à la sévère épreuve actuelle ? Le temps seul le montrera.
La Commune avait parfaitement raison en disant aux paysans : « Notre victoire est votre seule espérance ». De tous les mensonges enfantés à Versailles et repris par l’écho des glorieux journalistes d’Europe à un sou la ligne, un des plus monstrueux fut que les ruraux de l’Assemblée nationale représentaient la paysannerie française. Qu’on imagine un peu l’amour du paysan français pour les hommes auxquels après 1815 il avait dû payer l’indemnité d’un milliard [9]. A ses yeux, l’existence même d’un grand propriétaire foncier est déjà en soi un empiètement sur ses conquêtes de 1789. La bourgeoisie, en 1848, avait grevé son lopin de terre de la taxe additionnelle de 45 centimes par franc [10] ; mais elle l’avait fait au nom de la révolution ; tandis que maintenant elle avait fomenté une guerre civile contre la révolution pour faire retomber sur les épaules du paysan le plus clair des cinq milliards d’indemnité à payer aux Prussiens. La Commune, par contre, dans une de ses premières proclamations, déclarait que les véritables auteurs de la guerre auraient aussi à en payer les frais. La Commune aurait délivré le paysan de l’impôt du sang, elle lui aurait donné un gouvernement à bon marché, aurait transformé ses sangsues actuelles, le notaire, l’avocat, l’huissier, et autres vampires judiciaires, en agents communaux salariés, élus par lui et devant lui responsables. Elle l’aurait affranchi de la tyrannie du garde champêtre, du gendarme et du préfet ; elle aurait mis l’instruction par le maître d’école à la place de l’abêtissement par le prêtre. Et le paysan français est, par-dessus tout, homme qui sait compter. Il aurait trouvé extrêmement raisonnable que le traitement du prêtre, au lieu d’être extorqué par le libre percepteur, ne dépendit que de la manifestation des instincts religieux des paroissiens. Tels étaient les grands bienfaits immédiats dont le gouvernement de la Commune - et celui-ci seulement - apportait la perspective à la paysannerie française. Il est donc tout à fait superflu de s’étendre ici sur les problèmes concrets plus compliqués, mais vitaux, que la Commune seule était capable et en même temps obligée de résoudre en faveur du paysan : la dette hypothécaire, qui posait comme un cauchemar sur son lopin de terre, le prolétariat rural qui grandissait chaque jour et son expropriation de cette parcelle qui s’opérait à une allure de plus en plus rapide du fait du développement même de l’agriculture moderne et de la concurrence du mode de culture capitaliste.
Le paysan français avait élu Louis Bonaparte président de la République, mais le parti de l’ordre créa le Second Empire. Ce dont en réalité le paysan français a besoin, il commença à le montrer en 1849 et 1850, en opposant son maire au préfet du gouvernement, son maître d’école au prêtre du gouvernement et sa propre personne au gendarme du gouvernement. Toutes les lois faites par le parti de l’ordre en janvier et février 1850 furent des mesures avouées de répression contre les paysans. Le paysan était bonapartiste, parce que la grande Révolution, avec tous les bénéfices qu’il en avait tirés, se personnifiait à ses yeux en Napoléon. Cette illusion, qui se dissipa rapidement sous le second Empire (et elle était par sa nature même hostile aux « ruraux »), ce préjugé du passé, comment auraient-ils résisté à la Commune en appelant aux intérêts vivants et aux besoins pressants de la paysannerie ?
Les ruraux (c’était, en fait, leur appréhension maîtresse) savaient que trois mois de libre communication entre le Paris de la Commune et les provinces amèneraient un soulèvement général des paysans ; de là leur hâte anxieuse à établir un cordon de police autour de Paris comme pour arrêter la propagation de la peste bovine.
Si la Commune était donc la représentation véritable de tous les éléments sains de la société française, et par suite le véritable gouvernement national, elle était en même temps un gouvernement ouvrier, et, à ce titre, en sa qualité de champion audacieux de l’émancipation du travail, internationale au plein sens du terme. Sous les yeux de l’armée prussienne qui avait annexé à l’Allemagne deux provinces françaises, la Commune annexait à la France les travailleurs du monde entier.
Le second Empire avait été la grande kermesse de la filouterie cosmopolite, les escrocs de tous les pays s’étaient rués à son appel pour participer à ses orgies et au pillage du peuple français. En ce moment même le bras droit de Thiers est Ganesco, crapule valaque, son bras gauche, Markovski, espion russe. La Commune a admis tous les étrangers à l’honneur de mourir pour une cause immortelle. - Entre la guerre étrangère perdue par sa trahison, et la guerre civile fomentée par son complot avec l’envahisseur étranger, la bourgeoisie avait trouvé le temps d’afficher son patriotisme en organisant la chasse policière aux Allemands habitant en France. La Commune a fait d’un ouvrier allemand son ministre du Travail. - Thiers, la bourgeoisie, le second Empire avaient continuellement trompé la Pologne par de bruyantes professions de sympathie, tandis qu’en réalité ils la livraient à la Russie, dont ils faisaient la sale besogne. La Commune a fait aux fils héroïques de la Pologne l’honneur de les placer à la tête des défenseurs de Paris. Et pour marquer hautement la nouvelle ère de l’histoire qu’elle avait conscience d’inaugurer, sous les yeux des Prussiens vainqueurs d’un côté, et de l’armée de Bonaparte, conduite par des généraux bonapartistes de l’autre la Commune jeta bas ce colossal symbole de la gloire guerrière, la colonne Vendôme.
La grande mesure sociale de la Commune, ce fut sa propre existence et son action. Ses mesures particulières ne pouvaient qu’indiquer la tendance d’un gouvernement du peuple par le peuple. Telles furent l’abolition du travail de nuit pour les compagnons boulangers ; l’interdiction, sous peine d’amende, de la pratique en usage chez les employeurs, qui consistait à réduire les salaires en prélevant des amendes sur leurs ouvriers sous de multiples prétextes, procédé par lequel l’employeur combine dans sa propre personne les rôles du législateur, du juge et du bourreau, et empoche l’argent par-dessus le marché. Une autre mesure de cet ordre fut la remise aux associations d’ouvriers, sous réserve du paiement d’une indemnité, de tous les ateliers et fabriques qui avaient fermé, que les capitalistes intéressés aient disparu ou qu’ils aient préféré suspendre le travail.
Les mesures financières de la Commune, remarquables par leur sagacité et leur modération, ne pouvaient être que celles qui sont compatibles avec la situation d’une ville assiégée. Eu égard aux vols prodigieux commis aux dépens de la ville de Paris par les grandes compagnies financières et les entrepreneurs de travaux publics sous le régime d’Haussmann, la Commune aurait eu bien davantage le droit de confisquer leurs propriétés que Louis Napoléon ne l’avait de confisquer celles de la famille d’Orléans. Les Hohenzollern et les oligarques anglais, qui, les uns et les autres, ont tiré une bonne partie de leurs biens du pillage de l’Église, furent bien entendu, grandement scandalisés par la Commune qui, elle, ne tira que 8.000 francs de la sécularisation.
Alors que le gouvernement de Versailles, dès qu’il eut recouvré un peu de courage et de force, employait les moyens les plus violents contre la Commune ; alors qu’il supprimait la liberté d’opinion par toute la France, allant jusqu’à interdire les réunions des délégués des grandes villes ; alors qu’il. soumettait. Versailles, et le reste de la France, à un espionnage qui surpassait de loin celui du second Empire ; alors qu’il faisait brûler par ses gendarmes transformés en inquisiteurs tous les journaux imprimés à Paris et qu’il décachetait toutes les lettres venant de Paris et destinées à Paris ; alors qu’à l’Assemblée nationale les essais les plus timides de placer un mot en faveur de Paris étaient noyés sous les hurlements, d’une façon inconnue même à la Chambre introuvable de 1816 ; étant donné la conduite sanguinaire de la guerre par les Versaillais hors de Paris et leurs tentatives de corruption et de complot dans Paris, - la Commune n’aurait-elle pas honteusement trahi sa position en affectant d’observer toutes les convenances et les apparences du libéralisme, comme en pleine paix ? Le gouvernement de la Commune eût-il été de même nature que celui de M. Thiers, il n’y aurait pas eu plus de motif de supprimer des journaux du parti de l’ordre à Paris, que de supprimer des journaux de la Commune à Versailles.
Il était irritant, certes, pour les ruraux, que dans le moment même où ils proclamaient le retour à l’Église comme le seul moyen de sauver la France, la mécréante Commune déterrât les mystères assez spéciaux du couvent de Picpus et de l’église Saint-Laurent [11]. Et quelle satire contre M. Thiers : tandis qu’il faisait pleuvoir des grands-croix sur les généraux bonapartistes, en témoignage de leur maestria à perdre les batailles, à signer les capitulations et à rouler les cigarettes à Wilhelmshoehe, la Commune cassait et arrêtait ses généraux dès qu’ils étaient suspectés de négliger leurs devoirs, L’expulsion hors de la Commune et l’arrestation sur son ordre d’un de ses membres qui s’y était faufilé sous un faux nom et qui avait encouru à Lyon une peine de six jours d’emprisonnement pour banqueroute ,simple, n’était-ce pas une insulte délibérée jetée à la face du faussaire Jules Favre, toujours ministre des Affaires étrangères de la France, toujours en train de vendre la France à Bismarck et dictant toujours ses ordres à la Belgique, ce modèle de gouvernement ? Mais, certes, la Commune ne prétendait pas à l’infaillibilité, ce que font sans exception tous les gouvernements du type ancien. Elle publiait tous ses actes et ses paroles, elle mettait le public au courant de, toutes ses imperfections.
Dans toute révolution, il se glisse, à côté de ses représentants véritables, des hommes d’une tout autre trempe ; quelques-uns sont des survivants des révolutions passées dont ils gardent le culte ; ne comprenant pas le mouvement présent, ils possèdent encore une grande influence sur le peuple par leur honnêteté et leur courage reconnus, ou par la simple force de la tradition ; d’autres sont de simples braillards, qui, à force de répéter depuis des années le même chapelet de déclamations stéréotypées contre le gouvernement du jour, se sont fait passer pour des révolutionnaires de la plus belle eau. Même après le 18 mars, on vit surgir quelques hommes de ce genre, et, dans quelques cas, ils parvinrent à jouer des rôles de premier plan. Dans la mesure de leur pouvoir, ils gênèrent l’action réelle de la classe ouvrière, tout comme ils ont gêné le plein développement de toute révolution antérieure. Ils sont un mal inévitable ; avec le temps on s’en débarrasse ; mais, précisément, le temps n’en fut pas laissé à la Commune.
Quel changement prodigieux, en vérité, que celui opéré par la Commune dans Paris ! Plus la moindre trace du Paris dépravé du second Empire. Paris n’était plus le rendez-vous des propriétaires fonciers britanniques, des Irlandais par procuration [12], des ex-négriers et des rastaquouères d’Amérique, des ex-propriétaires de serfs russes et des boyards valaques. Plus de cadavres à la morgue, plus d’effractions nocturnes, pour ainsi dire pas de vols ; en fait, pour la première fois depuis les jours de février 1848, les rues de Paris étaient sûres, et cela sans aucune espèce de police. « Nous n’entendons plus parler, disait un membre de la Commune, d’assassinats, de vols, ni d’agressions ; on croirait vraiment que la police a entraîné avec elle à Versailles toute sa clientèle conservatrice ». Les cocottes avaient retrouvé la piste de leurs protecteurs, - les francs-fileurs, gardiens de la famille, de la religion et, par-dessus tout, de a propriété. A leur place, les vraies femmes de Paris avaient reparu, héroïques, nobles et dévouées, comme les femmes de l’antiquité. Un Paris qui travaillait, qui pensait, qui combattait, qui saignait, ou liant presque, tout à couver une société nouvelle, les cannibales qui étaient à ses portes, -radieux dans l’enthousiasme de son initiative historique !
En face de ce monde nouveau à Paris, voyez l’ancien monde à Versailles, - cette assemblée des vampires de tous les régimes défunts, légitimistes et orléanistes, avides de se repaître du cadavre de la nation, - avec une queue de républicains d’avant le déluge, sanctionnant par leur présence dans l’Assemblée la rébellion des négriers, s’en remettant pour maintenir leur république parlementaire à la vanité du vieux charlatan placé à la tête du gouvernement, et caricaturant 1789 en se réunissant, spectres du passé, au Jeu de Paume. C’était donc elle, cette Assemblée, la représentante de tout ce qui était mort en France, que seul ramenait à un semblant de vie l’appui des sabres des généraux de Louis Bonaparte ! Paris toute vérité, Versailles tout mensonge ; et ce mensonge exhalé par la bouche de Thiers !
Thiers dit à une députation des maires de Seine-et-Oise : « Vous pouvez compter sur ma parole, je n’y ai jamais manqué ». Il dit à l’Assemblée même « qu’elle était la plus librement élue et la plus libérale que la France ait jamais eue » ; il dit à sa soldatesque bigarrée qu’elle était « l’admiration du monde et la plus belle armée que la France ait jamais eue » ; il dit aux provinces, qu’il ne bombardait pas Paris, que c’était un mythe. « Si quelques coups de canon ont été tirés, ce n’est pas par l’armée de Versailles, mais par quelques insurgés, pour faire croire qu’ils se battent quand ils n’osent même pas se montrer ». Il dit encore aux provinces que l’ « artillerie de Versailles ne bombardait pas Paris, elle ne faisait que le canonner ». Il dit à l’archevêque de Paris que les prétendues exécutions et représailles ( !) attribuées aux troupes de Versailles n’étaient que fariboles. Il dit à Paris qu’il était seulement désireux « de le délivrer des hideux tyrans qui l’opprimaient », et, qu’en fait, « le Paris de la Commune n’était qu’une poignée de scélérats ».
Le Paris de M. Thiers n’était pas le Paris réel de la « vile multitude », mais un Paris imaginaire, le Paris des francs fileurs, le Paris des boulevardiers et des boulevardières, le Paris riche, capitaliste, doré, paresseux, qui encombrait maintenant de ses laquais, de ses escrocs, de sa bohème littéraire et de ses cocottes, Versailles, Saint-Denis, Rueil et Saint-Germain ; qui ne considérait la guerre civile que comme un agréable intermède, lorgnant la bataille en cours à travers des longues-vues, comptant les coups de canon et jurant sur son propre honneur et sur celui de ses prostituées que le spectacle était bien mieux monté qu’il l’avait jamais été à la Porte-Saint-Martin. Les hommes qui tombaient étaient réellement morts ; les cris des blessés étaient des cris pour de bon ; et, voyez-vous, tout cela était si intensément historique !
Tel est le Paris de M. Thiers ; de même l’émigration de Coblence était la France de M. de Calonne.
Notes
[1] Ici, Marx formule la leçon principale et fondamentale de la Commune de Paris. Quelle gigantesque signification Marx et Engels attachaient à cette leçon, on le voit par leur note à la préface du Manifeste du Parti communiste, en date du 24 juin 1872. Il y est dit que le programme du Manifeste du Parti communiste est aujourd’hui vieilli en certains points. La Commune, notamment, a démontré qu’il ne suffit pas que la classe ouvrière s’empare de l’appareil d’État pour le faire servir à ses propres fins. A ce sujet, Lénine écrivait : « Chose extrêmement caractéristique : c’est précisément cette correction essentielle que les opportunistes ont dénaturée et les neuf dixièmes, sinon les quatre-vingt-dix-neuf centièmes des lecteurs du Manifeste communiste en ignorent le sens. Nous parlerons en détail de cette déformation certainement un peu plus loin, dans un chapitre spécialement consacré aux déformations. Qu’il nous suffise, pour l’instant, de marquer que l’ « interprétation » courante, vulgaire, de la fameuse formule de Marx citée par nous, est que celui-ci aurait souligné l’idée d’une évolution lente, par opposition à la prise du pouvoir, etc. En réalité, c’est exactement le contraire. L’idée de Marx est que la classe ouvrière doit briser, démolir, la « machine d’État toute prête », et ne pas se borner à en prendre possession... « Briser la machine bureaucratique et militaire », en ces quelques mois se trouve brièvement exprimée la principale leçon du marxisme sur les tâches du prolétariat à l’égard de l’État au cours de la révolution. Et c’est cette leçon qui est non seulement tout à lait oubliée, mais encore franchement dénaturée par l’ « interprétation » dominante, du marxisme, due à Kautsky ! (LÉNINE, « L’État et la Révolution ». Œuvres complètes, tome 25, pp. 448-449).
[2] Guerres menées par l’Angleterre, la Prusse, l’Autriche, l’Espagne et la Russie contre la France révolutionnaire et ensuite contre Napoléon 1er.
[3] A propos de cette caractéristique de la Commune, comme nouveau type d’État Lénine écrivait : « Un organisme « non parlementaire mais agissant », voilà qui s’adresse on ne peut plus directement aux parlementaires modernes et aux « toutous » parlementaires de la social-démocratie ! Considérez n’importe quel pays parlementaire, depuis l’Amérique jusqu’à la Suisse, depuis ta France jusqu’à l’Angleterre, la Norvège, etc., la véritable besogne d’ « État » se fait dans la coulisse ; elle est exécutée par les départements, les chancelleries, les états-majors. Dans les parlements, on ne fait que bavarder, à seule fin de duper le « bon peuple ». Au parlementarisme vénal, pourri jusqu’à la moelle, de la société bourgeoise, la Commune substitue des organismes où la liberté d’opinion et de discussion ne dégénère pas en duperie, car les parlementaires doivent travailler eux-mêmes, appliquer eux-mêmes leurs lois, en vérifier eux-mêmes les effets, en répondre eux-mêmes directement devant leurs électeurs. Les organismes représentatifs demeurent, mais le parlementarisme comme système spécial, comme division du travail législatif et exécutif, comme situation privilégiée pour les députés, n’est plus.Iil ne saurait être question de supprimer d’emblée, partout et complètement, le fonctionnarisme. C’est une utopie. Mais briser d’emblée la vieille machine administrative pour commencer sans délai à en construire une nouvelle, permettant de supprimer graduellement tout fonctionnarisme, cela n’est pas une utopie, c’est l’expérience de la Commune, c’est la tâche urgente, immédiate, du prolétariat révolutionnaire. » (LÉNINE : ouvrage cité, tome XXV, pp. 457-460.)
[4] Sur cette caractéristique du parlementarisme, Lénine écrivait : « Cette remarquable critique du parlementarisme, formulée en 1871, est elle aussi aujourd’hui, du fait de la domination du social-chauvinisme et de l’opportunisme, au nombre des « paroles oubliées » du marxisme. ... Décider, périodiquement pour un certain nombre d’années, quel membre de la classe dirigeante foulera aux pieds, écrasera le peuple au Parlement, telle est l’essence véritable du parlementarisme bourgeois non seulement dans les monarchies constitutionnelles parlementaires, mais encore dans les républiques les plus démocratiques. » (LÉNINE : ouvrage cité, tome 25, pp. 456-457.)
[5] Conseils de paroisses.
[6] Journal satirique de Berlin.
[7] Analysant cette leçon d’une grande portée historique, que Marx a tirée de l’expérience de la Commune de Paris, Lénine écrivait : « Les utopistes se sont efforcés de « découvrir » les formes politiques sous lesquelles devait s’opérer la réorganisation socialiste de la société. Les anarchistes ont éludé en bloc la question des formes politiques. Les opportunistes de la social-démocratie contemporaine ont accepté les formes politiques bourgeoises de l’État démocratique parlementaire comme une limite que l’on ne saurait franchir et ils, se sont brisé le front à se prosterner devant ce « modèle », en taxant d’anarchisme toute tentative de briser ces formes. De toute l’histoire du socialisme et de la lutte politique, Marx a déduit que l’État devra disparaître et que la forme transitoire de sa disparition (transition de l’État au non-État) sera « le prolétariat organisé en classe dominante ». Quant aux formes politiques de cet avenir, Marx n’a pas pris sur lui de les découvrir, Il s’est borné à observer exactement l’histoire de la France, à l’analyser et à tirer la conclusion à laquelle l’a conduit l’année 1851 : les choses s’orientent vers la destruction de la machine d’État bourgeoise. Et quand éclata le mouvement révolutionnaire de masse du prolétariat, malgré l’échec de ce mouvement, malgré sa courte durée et sa faiblesse évidente, Marx se mit à étudier les formes qu’il avait révélées. La Commune est la forme « enfin trouvée » par la révolution prolétarienne, qui permet de réaliser l’émancipation économique du travail. La Commune est la première tentative laite par la révolution prolétarienne pour briser la machine d’État bourgeoise ; elle est la forme politique « enfin trouvée » par quoi l’on peut et l’on doit remplacer ce qui a été brisé. Nous verrons plus loin que les révolutions russes de 1905 et de 1917, dans un cadre différent, dans d’autres conditions, continuent l’oeuvre de la Commune et confirment la géniale analyse historique de Marx. » (LÉNINE : ouvrage cité, tome 25, p. 167.)
[8] Le Comité central de la garde nationale avait, dès le 20 mars, ajourné le paiement des traites au 1er octobre 1871. Le 18 avril, la Commune rendait un décret concernant la remise à toujours du paiement des échéances.
[9] Quand, après le renversement de Napoléon 1er, la dynastie des Bourbons se trouva une fois de plus au pouvoir, elle résolut de dédommager la noblesse de France, des terres dont elle avait été dépossédée pendant la grande Révolution française. La noblesse reçut une indemnité de 1 milliard, le « milliard des émigrés ».
[10] Une taxe de 45 centimes par franc fut établie en 1848 par le Gouvernement provisoire bourgeois, afin de semer la discorde entre le prolétariat et la paysannerie. Le gouvernement motivait cette taxe par la nécessité de pourvoir à la nourriture des ouvriers. La taxe de 45 centimes dressa les paysans contre la révolution et la république.
[11] On trouva dans l’église Saint-Laurent des ossements de femmes violées par les moines et enterrées toutes vives. Au couvent de Picpus, on détenait, sous prétexte de folie, des femmes vouées au même sort.
[12] Par « Irlandais par procuration », on entend ici de grands propriétaires fonciers qui ne vivaient presque jamais dans leurs domaines d’Irlande et dilapidaient leurs « revenus » hors du pays.
4
La première tentative du complot des négriers pour abattre Paris fut de le faire occuper par les Prussiens ; mais elle échoua devant le refus de Bismarck. La seconde, celle du 18 mars, avait abouti à la déroute de l’armée et à la fuite à Versailles du gouvernement, qui obligea l’administration entière à le suivre. En simulant des négociations avec Paris, Thiers se donna alors le temps de se préparer à la guerre contre lui. Mais où trouver une armée ? Les restes des régiments de ligne étaient faibles en effectifs et peu sûrs. Ses pressants appels aux provinces, les invitant à voler au secours de Versailles avec leurs gardes nationaux et leurs volontaires, furent accueillis par un refus pur et simple. La Bretagne, seule, fournit une poignée de chouans qui combattaient sous un drapeau blanc, dont chacun portait sur la poitrine un coeur de Jésus en drap blanc et dont le cri de guerre était : « Vive le roi ! ». Thiers fut donc forcé de rassembler, en toute hâte, une bande bariolée, composée de matelots, de marsouins, de zouaves pontificaux, de gendarmes de Valentin, des sergents de ville et des mouchards de Piétri. Cette armée toutefois eût été ridiculement impuissante sans les rapatriements de prisonniers de guerre impériaux que Bismarck lâchait au compte-gouttes, juste assez pour tenir en train la guerre civile et garder le gouvernement de Versailles servilement assujetti à la Prusse. Durant la guerre même, la police versaillaise dut surveiller l’armée de Versailles, tandis que les gendarmes devaient l’entraîner, en s’exposant eux-mêmes à tous les postes les plus périlleux.
Les forts qui tombèrent ne furent pas pris, mais achetés. L’héroïsme des fédérés convainquit Thiers que la résistance de Paris ne pouvait être brisée par son propre génie stratégique ni par les baïonnettes dont il disposait.
En attendant, ses relations avec les provinces devenaient de plus en plus difficiles. Pas une seule adresse d’approbation ne venait rasséréner Thiers et ses ruraux. Tout au contraire... Députations et adresses pleuvaient de toutes parts, demandant, sur un ton rien moins que respectueux, la réconciliation avec Paris sur la base d’une reconnaissance sans équivoque de la république, la confirmation des libertés communales et la dissolution de l’Assemblée nationale, dont le mandat avait expiré. Elles arrivaient en telle quantité que Dufaure, ministre de la Justice de Thiers, dans sa circulaire du 23 avril aux procureurs, leur enjoignit de traiter « le mot d’ordre de conciliation » comme un crime ! Cependant, commençant à désespérer du succès de sa campagne, Thiers résolut de changer de tactique ; il ordonna, dans tout le pays, des élections municipales pour le 30 avril sur la base de la nouvelle loi municipale qu’il avait lui-même dictée à l’Assemblée nationale. Tant par les intrigues de ses préfets que par l’intimidation policière, Thiers attendait avec confiance que le verdict des provinces donnât à l’Assemblée nationale ce pouvoir moral qu’elle n’avait jamais possédé, et qu’elles lui adressent enfin la force matérielle dont il avait besoin pour vaincre Paris.
Sa guerre de bandit contre Paris, qu’il exaltait dans ses propres bulletins, et les tentatives de ses ministres pour établir par toute la France le règne de la terreur, Thiers, dès le début, se préoccupait de les accompagner d’une petite comédie de la conciliation, qui devait servir plus d’un dessein. Elle devait duper les provinces, allécher les éléments bourgeois de Paris et, par-dessus tout, donner aux républicains avoués de l’Assemblée nationale l’occasion de cacher leur trahison envers Paris, derrière leur foi en Thiers. Le 21 mars, alors qu’il n’avait pas encore d’armée, il avait déclaré à l’Assemblée nationale : « Quoi qu’il advienne, je n’enverrai pas d’armée contre Paris ». Le 27 mars, il montait à nouveau à la tribune : « J’ai trouvé la république un fait accompli et je suis fermement résolu à la maintenir ». En réalité, il abattait la révolution à Lyon et à Marseille [1] au nom de la république, tandis que les rugissements de ses ruraux couvraient la simple mention de ce nom à Versailles. Après cet exploit, il atténua le « fait accompli » qui ne fut plus qu’un « fait hypothétique ». Les princes d’Orléans, qu’il avait par précaution fait filer de Bordeaux, avaient maintenant, en violation flagrante de la loi, toute licence d’intriguer à Dreux. Les concessions offertes par Thiers dans ses interminables entrevues avec les délégués de Paris et des provinces, bien qu’elles aient constamment varié de ton et de couleur, aboutissaient toujours, en fin de compte, à ceci : sa vengeance se limiterait probablement à « la poignée de criminels impliqués dans l’assassinat de Lecomte et Clément Thomas », à condition, bien entendu, que Paris et la France reconnaissent sans réserves M. Thiers en personne comme la meilleure des républiques ; exactement comme il avait fait en 1830 avec Louis-Philippe. Ces concessions mêmes, il ne se bornait pas seulement à les faire mettre en doute par les commentaires officiels faits à leur sujet à l’Assemblée par ses ministres. Il avait son Dufaure pour agir. Dufaure, ce vieil avocat orléaniste, avait toujours été le garde des sceaux de l’état de siège, aussi bien maintenant en 1871 sous Thiers, qu’en 1839 sous Louis-Philippe, et en 1849 sous la présidence de Louis Bonaparte. Alors qu’il était sans portefeuille, il avait amassé une fortune en plaidant pour les capitalistes de Paris et s’était fait un capital politique en plaidant contre les lois dont il était lui-même l’auteur. A présent, non content de faire voter en hâte par l’Assemblée nationale une série de lois répressives qui devaient, après la chute de Paris, extirper les derniers vestiges de liberté républicaine, il laissait prévoir le sort de Paris en abrégeant la procédure, trop lente à son gré, des cours martiales, et en déposant une nouvelle loi draconienne de déportation. La Révolution de 1848, abolissant la peine de mort en matière politique, l’avait remplacée par la déportation. Louis Bonaparte n’avait pas osé, du moins en théorie, rétablir le régime de la guillotine. L’Assemblée des ruraux, qui n’avait pas encore la hardiesse même d’insinuer que les Parisiens n’étaient pas des rebelles, mais des assassins, dut donc limiter sa vengeance anticipée contre Paris à la loi de déportation de Dufaure. Avec toutes ces circonstances, Thiers lui-même n’aurait pu poursuivre sa comédie de conciliation, si elle n’avait, comme il entendait qu’elle le fit, provoqué les hurlements de rage des ruraux qui, avec leurs cervelles de ruminants, ne comprenaient ni son jeu, ni la nécessité de l’hypocrisie, des tergiversations et des atermoiements.
En vue des élections municipales imminentes du 30 avril, Thiers joua, le 27, une de ses grandes scènes de conciliation. Au milieu d’un déluge de rhétorique sentimentale, il s’écria de la tribune de l’Assemblée :
Il n’y a pas de complot contre la république, si ce n’est celui de Paris qui nous oblige à verser du sang français. Je l’ai dit et le redis encore : que ces armes impies tombent des mains qui les tiennent, et le châtiment sera arrêté aussitôt par un acte de clémence dont ne seront exclus que le petit nombre des criminels de droit commun.
Et comme les ruraux l’interrompaient violemment :
Messieurs, dites-le-moi, je vous en supplie, ai-je tort ? Regrettez-vous réellement que j’aie dit, ce qui est vrai, que les criminels ne sont qu’une poignée ? N’est-il pas heureux, au milieu de nos malheurs, que les hommes capables de verser le sang de Clément Thomas et du général Lecomte ne soient que de rares exceptions ?
La France pourtant fit la sourde oreille à ces discours qui étaient aux oreilles de Thiers lui-même, un chant de sirène parlementaire. Des 700 000 conseillers municipaux élus parles 35 000 communes qui restaient encore à la France, les légitimistes, orléanistes et bonapartistes réunis n’en comptaient pas 8 000. Les élections complémentaires qui suivirent furent encore plus décidément hostiles. Aussi, au lieu d’obtenir des provinces la force matérielle dont elle avait tant besoin, l’Assemblée nationale perdit jusqu’à sa dernière prétention à la force morale, celle d’être l’expression du suffrage universel du pays. Pour achever sa déconfiture, les conseils municipaux nouvellement élus de toutes les villes de France menacèrent ouvertement l’Assemblée usurpatrice de Versailles d’une contre-assemblée à Bordeaux.
Le moment de l’action décisive longtemps attendu par Bismarck était arrivé enfin. Il somma Thiers d’envoyer à Francfort des plénipotentiaires pour le règlement définitif de la paix. Obéissant humblement à l’appel de son maître, Thiers se hâta de dépêcher son fidèle Jules Favre, appuyé de Pouyer-Quertier. Pouyer-Quertier, « éminent » filateur rouennais, partisan fervent et même servile du second Empire, ne lui avait jamais trouvé d’autre défaut que son traité de commerce avec l’Angleterre [2], préjudiciable à ses propres intérêts de fabricant. A peine installé à Bordeaux comme ministre des Finances de Thiers, il dénonçait ce traité « impie », laissait entendre qu’il serait prochainement abrogé, et avait même l’impudence de tenter, inutilement d’ailleurs (il comptait sans Bismarck), la remise en vigueur immédiate des anciens tarifs protecteurs contre l’Alsace, car, disait-il, aucun traité international antérieur ne s’y opposait. Cet homme, qui considérait la contre-révolution comme un moyen d’abaisser les salaires à Rouen, et la cession de provinces françaises comme un moyen de faire monter le prix de ses marchandises en France, n’était-il pas déjà tout désigné comme le digne compère de Jules Favre dans sa dernière trahison, couronnement de toute sa carrière ?
A l’arrivée à Francfort de ce couple parfait de plénipotentiaires, le brutal Bismarck les accueillit sur-le-champ par cette alternative impérative : « Ou la restauration de l’Empire, ou l’acceptation inconditionnelle de mes propres conditions de paix ! ». Ces conditions comportaient un raccourcissement des délais de paiement de l’indemnité de guerre et l’occupation continue des forts de Paris par les troupes prussiennes jusqu’à ce que Bismarck se tînt pour satisfait de l’état des choses en France ; la Prusse était ainsi reconnue comme l’arbitre suprême dans les affaires intérieures de la France ! En retour il offrait de libérer, pour l’extermination de Paris, l’armée bonapartiste prisonnière et de lui assurer l’assistance directe des troupes de l’empereur Guillaume. Il donnait garantie de sa bonne foi en faisant dépendre de la « pacification » de Paris le paiement du premier versement de l’indemnité. Un tel appât, c’est naturellement avec avidité que Thiers et ses plénipotentiaires y mordirent. Ils signèrent le traité de paix le 10 mai, et le firent ratifier par l’Assemblée de Versailles le 18.
Dans l’intervalle qui sépara la conclusion de la paix de l’arrivée des prisonniers bonapartistes, Thiers se sentit d’autant plus tenu de reprendre sa comédie de conciliation, que ses hommes de main républicains avaient un besoin douloureux de trouver un prétexte pour fermer les yeux sur les préparatifs au carnage de Paris. Le 8 mai encore, il répondait à une députation de conciliateurs de la classe moyenne :
Quand les insurgés se seront décidés à capituler, les portes de Paris resteront ouvertes à tous, pendant une semaine, sauf aux assassins des généraux Clément Thomas et Lecomte.
Quelques jours après, comme il était violemment interpellé par les ruraux au sujet de ces promesses, il refusa d’entrer dans des explications ; non pourtant sans leur donner cette indication significative :
Je dis qu’il y a parmi vous des impatients, des hommes trop pressés. Il leur faut attendre encore huit jours ; au bout de ces huit jours il n’y aura plus de danger, et alors la tâche sera à la hauteur de leur courage et de leur capacité.
Dès que Mac-Mahon fut en mesure de lui assurer qu’il pourrait, sous peu, entrer dans Paris, Thiers déclara à l’Assemblée :
qu’il entrerait à Paris la loi en main, et exigerait une expiation complète des scélérats qui auraient sacrifié la vie de nos soldats et détruit nos monuments publics.
Comme le moment de la décision approchait, il dit à l’Assemblée : « Je serai impitoyable », il dit à Paris qu’il était condamné, et il dit à ses bandits bonapartistes que Paris avaient carte blanche pour tirer vengeance de Paris tout leur soûl. Enfin, quand la trahison eut ouvert les portes de Paris au général Douay, le 21 mai, Thiers, le 22, révéla aux ruraux le « but » de sa comédie de conciliation, qu’ils avaient persisté si obstinément à ne pas comprendre :
Je vous ai dit, il y a quelques jours, que nous approchions de notre but, aujourd’hui je suis venu vous dire : « Nous avons atteint le but. L’ordre, la justice, la civilisation ont enfin remporté la victoire ! »
C’était bien cela. La civilisation et la justice de l’ordre bourgeois se montrent sous leur jour sinistre chaque fois que les esclaves de cet ordre se lèvent contre leurs maîtres. Alors, cette civilisation et cette justice se démasquent comme le sauvagerie sans masque et la vengeance sans loi. Chaque nouvelle crise dans la lutte de classe entre l’appropriateur et le producteur fait ressortir ce fait avec plus d’éclat. Les atrocités des bourgeois en juin 1848 elles-mêmes disparaissent devant l’indicible infamie de 1871. L’héroïque esprit de sacrifice avec lequel la population de Paris - hommes, femmes et enfants - combattit pendant huit jours après l’entrée des Versaillais, reflète aussi bien la grandeur de leur cause que les exploits infernaux de la soldatesque reflètent l’esprit inné de cette civilisation dont ils sont les mercenaires et les défenseurs. Glorieuse civilisation, certes, dont le grand problème est de savoir comment se débarrasser des monceaux de cadavres qu’elle a faits, une fois la bataille passée.
Pour trouver un parallèle à la conduite de Thiers et de ses chiens, il nous faut remonter aux temps de Sylla et des deux triumvirats de Rome. Même carnage en masse, exécuté de sang-froid, même insouciance dans le massacre, de l’âge et du sexe ; même système de torturer les prisonniers mêmes proscriptions, mais cette fois d’une classe entière même chasse sauvage aux chefs qui se cachent, de peur qu’un seul puisse échapper ; mêmes dénonciations d’ennemis politiques et privés ; même indifférence envers le carnage de gens entièrement étrangers à la lutte. Il n’y a que cette seule différence : les Romains n’avaient pas encore de mitrailleuses pour expédier en bloc les proscrits, et ils n’avaient pas « la loi à la main », ni, sur les lèvres, le mot d’ordre de « civilisation ».
Et, après ces horreurs, regardez l’autre face, encore plus hideuse, de cette civilisation bourgeoise, telle qu’elle a été décrite par sa propre presse !
Quand des coups de feu égarés, écrit le correspondant parisien d’un journal tory de Londres, retentissent encore au loin, quand de malheureux blessés abandonnés meurent parmi les pierres tombales du Père-Lachaise, quand 6.000 insurgés frappés de terreur errent dans l’agonie du désespoir par les labyrinthes des catacombes, quand on voit pousser des malheureux à travers eus rues pour les abattre par vingtaines à la mitrailleuse, il est révoltant de voir les cafés remplis des dévots de l’absinthe, du billard et des dominos ; de voir les filles perdues déambuler sur les boulevards et d’entendre le bruit des débauches s’échappant des cabinets particuliers des restaurants à la mode, troubler le silence de la nuit.
M. Édouard Hervé écrit dans Le Journal de Paris, journal versaillais supprimé par la Commune :
La manière dont la population de Paris a manifesté hier sa satisfaction était plus que frivole, et nous craignons que cela n’empire avec le temps. Paris a maintenant un air de fête qui est tout à fait déplacé, et si nous ne voulons pas qu’on nous appelle les Parisiens de la décadence, il faut mettre un terme à cet ordre de choses.
Puis il cite le passage de Tacite :
Cependant, le lendemain de cette horrible lutte, avant même qu’elle fût tout à fait terminée, Rome, avilie et corrompue, recommença à se vautrer dans le bourbier de volupté où elle avait détruit son corps et souillé son âme : alibi proelia et vulnera, alibi balnea popinaeque (ici des combats et des blessures, là-bas, des bains et des cabarets.
M. Hervé oublie seulement de dire que la « population de Paris » dont il parle n’est que la population du Paris de AI. Thiers, les francs-fileurs revenant en foule de Versailles, Saint-Denis, Rueil et Saint-Germain, le Paris de la « décadence ».
Dans tous ses sanglants triomphes sur les champions pleins d’abnégation d’une société nouvelle et meilleure, cette civilisation scélérate, fondée sur l’asservissement du travail, étouffe les gémissements de ses victimes sous un haro de calomnies, que l’écho répercute dans le monde entier. Le pur Paris ouvrier de la Commune est soudain changé en un pandémonium par les chiens de l’ « ordre ». Et que prouve cette monstrueuse métamorphose à l’esprit bourgeois de tous les pays ? Eh bien, que la Commune a conspiré contre la civilisation ! Le peuple de Paris se fait tuer dans l’enthousiasme pour la Commune. Le nombre de ses morts surpasse celui d’aucune autre bataille connue dans l’histoire. Qu’est-ce que cela prouve ? Eh bien, que la Commune n’était pas le gouvernement du peuple, mais le fait de l’usurpation d’une poignée de criminels ! Les femmes de Paris joyeusement donnent leur vie sur les barricades et devant le peloton d’exécution. Qu’est-ce que cela prouve ? Eh bien, que le démon de la Commune les a changées en Mégères [3] et en Hécates [4] ! La modération de la Commune pendant deux mois d’une domination incontestée, n’a d’égal que l’héroïsme de sa défense. Qu’est-ce que cela prouve ? Eh bien, que pendant des mois la Commune a caché soigneusement, sous un masque de modération et d’humanité, la soif de sang de ses instincts démoniaques qui ne devaient être débridés qu’à l’heure de son agonie !
Le Paris ouvrier, en accomplissant son propre, son héroïque holocauste, a entraîné dans les flammes des immeubles et des monuments. Alors qu’ils mettent en pièces le corps vivant du prolétariat, ses maîtres ne doivent plus compter rentrer triomphalement dans les murs intacts de leurs demeures. Le gouvernement de Versailles crie : Incendiaires ! et souffle cette consigne à tous ses agents, jusqu’au plus reculé des hameaux : donner partout la chasse à ses ennemis, sous la suspicion d’être des professionnels de l’incendie. La bourgeoisie du monde entier qui contemple complaisamment le massacre en masse après la bataille, est convulsée d’horreur devant la profanation de la brique et du mortier !
Quand les gouvernements donnent pouvoir à leurs marines de « tuer, brûler et détruire », est-ce là une autorisation d’incendie ? Quand les troupes britanniques délibérément mettaient le feu au Capitole de Washington et au Palais d’été de l’empereur de Chine, étaient-ce là actes d’incendiaires ? Quand les Prussiens, non pour des raisons militaires, mais par simple goût de la vengeance, brûlaient au pétrole des villes comme Châteaudun et d’innombrables villages, était-ce là acte d’incendiaires ? Quand Thiers, six semaines durant, bombardait Paris sous le prétexte qu’il voulait mettre le feu aux seules maisons qui étaient habitées, était-ce l’acte d’un incendiaire ? En guerre, le feu est une arme aussi légitime qu’une autre. Des édifices occupés par l’ennemi sont bombardés pour être incendiés. Si leurs défenseurs doivent battre en retraite, ils les mettent eux-mêmes en flammes pour empêcher les assaillants de se servir des bâtiments. Être incendiées a toujours été le sort inévitable de toutes les constructions situées sur le front de combat de toutes les armées régulières du monde. Mais dans la guerre des asservis contre leurs oppresseurs, la seule guerre juste dans l’histoire, ce n’est plus vrai du tout ! La Commune a employé le feu strictement comme moyen de défense. Elle l’a employé pour interdire aux troupes de Versailles ces longues avenues toutes droites qu’Haussmann avait expressément ouvertes pour le feu de l’artillerie ; elle l’a employé pour couvrir sa retraite de la façon même dont les Versaillais, dans leur avance, employaient leurs obus qui détruisaient au moins autant de bâtiments que la feu de la Commune. Quels bâtiments ont été brûlés par la défense et quels bâtiments par l’attaque, on en discute encore aujourd’hui. Et la défense ne recourut au feu que lorsque les trou es versaillaises eurent déjà commencé leur tuerie en masse des prisonniers. D’autre part, la Commune avait, longtemps auparavant, notifié publiquement que, si elle était poussée à la dernière extrémité, elle s’ensevelirait elle-même sous les décombres de Paris et ferait de Paris un second Moscou, comme le gouvernement de la Défense nationale avait promis de le faire, mais lui, uniquement pour déguiser sa trahison. C’est à cet effet que Trochu avait fait venir le pétrole nécessaire. La Commune savait que ses adversaires n’avaient aucun souci de la vie du peuple de Paris, mais qu’ils avaient grandement souci de leurs immeubles. Et Thiers, de son côté, avait fait avoir qu’il serait implacable dans sa vengeance. A peine avait-il son armée toute prête d’un côté et les Prussiens. qui fermaient les issues de l’autre, qu’il proclama : « Je serai impitoyable ! L’expiation sera complète et la justice inflexible ». Si les actes des ouvriers de Paris étaient du vandalisme, c’était le vandalisme de la défense désespérée, non pas le vandalisme du triomphe, comme celui que les chrétiens perpétrèrent sur les chefs-d’oeuvre réellement inestimables de l’antiquité païenne ; et même ce vandalisme a été justifié par l’histoire, comme l’accompagnement inévitable et relativement insignifiant du combat gigantesque entre une nouvelle société montante et une ancienne qui s’écroule. Le vandalisme d’Haussmann, rasant le Paris historique pour faire place au Paris du touriste l’était encore bien moins.
Mais l’exécution par la Commune des soixante-quatre otages, archevêque de Paris en tête ! La bourgeoisie et son armée en juin 1848 avaient rétabli une coutume qui avait depuis longtemps disparu de la pratique de la guerre, l’exécution des prisonniers désarmés. Cette coutume brutale a depuis été plus ou moins suivie lors de la répression de tous les soulèvements populaires en Europe et aux Indes, ce qui prouve qu’elle constitue bien un réel « progrès de la civilisation » ! D’autre part, les Prussiens, en France, avaient rétabli l’usage de prendre des otages, gens innocents qui avaient à répondre au prix de leur vie des actes des autres. Quand Thiers, comme nous l’avons vu, dès le début même du conflit, établit la pratique humaine d’abattre les communards prisonniers, la Commune, pour protéger leur vie, fut dans l’obligation de recourir à la pratique des Prussiens de prendre des otages. Les otages avaient déjà mille et mille fois mérité la mort du fait des exécutions continuelles de prisonniers du côté des Versaillais. Comment leur vie eût-elle pu être épargnée plus longtemps, après le carnage par lequel les prétoriens de Mac-Mahon avaient célébré leur entrée dans Paris ? La dernière garantie contre la férocité sans scrupules des gouvernements bourgeois - la prise des otages - devait-elle elle-même tourner à la frime ? Le véritable meurtrier de l’archevêque Darboy, c’est Thiers. La Commune, à maintes reprises, avait offert d’échanger l’archevêque et tout un tas de prêtres par-dessus le marché, contre le seul Blanqui, alors aux mains de Thiers. Thiers refusa obstinément. Il savait qu’avec Blanqui il donnerait une tête à la Commune ; alors que c’est sous forme de cadavre que l’archevêque servirait au mieux ses desseins. Thiers suivait l’exemple de Cavaignac. Quels cris d’horreur ne poussèrent pas, en juin 1848, Cavaignac et ses hommes d’ordre, pour stigmatiser les insurgés comme assassins de l’archevêque Affre ! Et pourtant ils savaient parfaitement bien que l’archevêque avait été abattu par les soldats de l’ordre. Jacquemet, vicaire général de l’archevêque, présent sur les lieux, leur en avait aussitôt après fourni le témoignage.
Tout ce choeur de calomnies que le parti de l’ordre ne manque jamais dans ses orgies de sang, d’entonner contre ses victimes, prouve seulement que le bourgeois de nos jours se considère comme le successeur légitime du seigneur de jadis, pour lequel toute arme dans sa propre main était juste contre le plébéien, alors qu’aux mains du plébéien la moindre arme constituait par elle-même un crime.
La conspiration de la classe dominante pour abattre la révolution par une guerre civile poursuivie sous le patronage de l’envahisseur étranger, conspiration que nous avons suivie du 4 septembre même jusqu’à l’entrée des prétoriens de Mac-Mahon par la porte de Saint Cloud, atteignit son point culminant avec le carnage de Paris. Bismarck contemple avec satisfaction les cadavres du prolétariat de Paris, où il voit le premier acompte de cette destruction générale des grandes villes qu’il appelait de ses voeux alors qu’il était encore un simple rural dans la Chambre introuvable de la Prusse de 1849. Il contemple avec satisfaction les cadavres du prolétariat de Paris. Pour lui, ce n’est pas seulement l’extermination de la révolution, mais l’extermination de la France, maintenant décapitée, et par le gouvernement français lui-même. Avec ce manque de pénétration propre à tous les hommes d’État heureux, il ne voit que la surface de ce formidable événement historique. Quand donc auparavant l’histoire a-t-elle montré le spectacle d’un vainqueur qui couronne sa victoire en se faisant non seulement le gendarme, mais le nervi à gages du gouvernement vaincu ? Il n’y avait pas de guerre entre la Prusse et la Commune de Paris. Au contraire, la Commune avait accepté les préliminaires de paix, et la Prusse avait proclamé sa neutralité. La Prusse, donc, n’était pas un belligérant. Elle se comporta comme un nervi ; comme un nervi lâche, puisqu’elle ne prit sur elle aucun risque ; comme un nervi à gages, puisqu’elle avait lié d’avance le paiement du prix du sang, ses 500 millions, à la chute de Paris. Et ainsi apparaissait enfin le véritable caractère de cette guerre, ordonnée par la Providence contre la France athée et débauchée, châtiée par le bras de la pieuse et morale Allemagne ! Et cette violation sans exemple du droit des peuples, même tel que l’entendaient les légistes du monde antique, au lieu d’amener les gouvernements « civilisés » d’Europe à mettre au ban des nations le gouvernement prussien félon, simple instrument du cabinet de Saint-Pétersbourg, les incite seulement à se demander si les quelques victimes qui échappent au double cordon formé autour de Paris ne doivent pas être livrées aussi au bourreau de Versailles !
Qu’après la plus terrible guerre des temps modernes, le vaincu et le vainqueur fraternisent pour massacrer en commun le prolétariat, cet événement inouï prouve, non pas comme Bismarck le pense, l’écrasement définitif d’une nouvelle société montante, mais la désagrégation complète de la vieille société bourgeoise. Le plus haut effort d’héroïsme dont la vieille société soit encore capable est une guerre nationale ; et il est maintenant prouvé qu’elle est une pure mystification des gouvernements, destinée à retarder la lutte des classes, et on se débarrasse de cette mystification, aussitôt que cette lutte de classes éclate en guerre civile. La domination de classe ne peut plus se cacher sous un uniforme national, les gouvernements nationaux ne font qu’un contre le prolétariat !
Après la Pentecôte de 1871, il ne peut plus y avoir ni paix, ni trêve entre les ouvriers de France et ceux qui s’approprient le produit de leur travail. La main de fer d’une soldatesque mercenaire pourra tenir un moment les deux classes sous une commune oppression. Mais la lutte reprendra sans cesse, avec une ampleur toujours croissante, et il ne peut y avoir de doute quant au vainqueur final - le petit nombre des accapareurs, ou l’immense majorité travailleuse. Et la classe ouvrière française n’est que l’avant-garde du prolétariat moderne.
Tandis que les gouvernements européens témoignent ainsi devant Paris du caractère international de la domination de classe, ils crient haro sur l’Association internationale des travailleurs, - contre-organisation internationale du travail opposée à la conspiration cosmopolite du capital, - selon eux source maîtresse de tous ces malheurs. Thiers la dénonçait comme le tyran du travail, affectant d’en être le libérateur. Picard donnait l’ordre de couper toutes les communications entre les internationaux français et ceux de l’étranger ; le comte Jaubert, cette vieille momie, déjà complice de Thiers en 1835, déclare que le grand problème pour tous les gouvernements civilisés est d’extirper l’Internationale. Les ruraux de l’Assemblée nationale rugissent contre elle, et toute la presse européenne fait chorus. Un honorable écrivain français, complètement étranger à notre association, exprime son opinion en ces termes :
Les membres du Comité central de la garde nationale, aussi bien que la plus grande partie des membres de la Commune, sont les esprits les plus actifs, les plus intelligents et les plus énergiques de l’Association internationale des travailleurs.... des hommes qui sont profondément honnêtes, sincères, intelligents, dévoués, purs et fanatiques dans le bon sens du mot.
L’entendement bourgeois, tout imprégné d’esprit policier, se figure naturellement l’Association internationale des travailleurs comme une sorte de conjuration secrète, dont l’autorité centrale commande, de temps à autre, des explosions en différents pays. Notre Association n’est, en fait, rien d’autre que le lien international qui unit les ouvriers les plus avancés des divers pays du monde civilisé. En quel que lieu, sous quelque forme, et dans quelques conditions ne la lutte de classe prenne consistance, il est bien naturel que les membres de notre Association se trouvent au premier rang. Le sol sur lequel elle pousse est la société moderne même. Elle ne peut en être extirpée, fût-ce au prix de la plus énorme effusion de sang. Pour l’extirper, les gouvernements auraient à extirper le despotisme du capital sur le travail, condition même de leur propre existence parasitaire.
Le Paris ouvrier, avec sa Commune, sera célébré à jamais comme le glorieux fourrier d’une société nouvelle. Le souvenir de ses martyrs est conservé pieusement dans le grand coeur de la classe ouvrière. Ses exterminateurs, l’histoire les a déjà cloués à un pilori éternel, et toutes les prières de leurs prêtres n’arriveront pas à les en libérer.
Londres, le 30 mai 1871.
LE CONSEIL GÉNÉRAL
R.Applegarth, Ant. Arnaud, M. J. Boon, Fr. Bradnick, J. G. Buttery, F. Cournet, E. Delahaye, Eugène Dupont, W. Hales, Hurliman, Jules Johannard, Harriet Law, Fr. Lessner, Lochner, Charles Longuet, Marguerite, Constant Martin, Henry Mayo, George Milner, Charles Murray, Pfänder, J. Rodwanowski, John Rouch, Rühl, G. Ranvier, Vitale Regis, Sadler, Cowel Stepney, Alf. Taylor, W. Townshend, Éd. Vaillant, John Weston, F. J. Yarrow.
SECRÉTAIRES-CORRESPONDANTS :
Karl Marx, Allemagne et Russie ; Leo Frankel, Autriche et Hongrie ; A. Hermann, Belgique Th. Mottershead, Danemark ; J. G. Eccarius, États-Unis Le Moussu, sections françaises des États-Unis ; Auguste Serraillier, France ; Charles Rochat, Hollande ; J. P. Mac Donnell, Irlande ; Friedrich. Engels, Italie et Espagne ; Walery Wroblewski, Pologne ; Hermann Jung, Suisse,
Hermann JUNG, président de séance. John HALES, secrétaire général.
Londres, le 30 mai 1871, Rathborne Place 10.
Note à la première édition française (Bruxelles, 1872). - Nous n’avons pas besoin de dire que les membres et fonctionnaires de la Commune, dont les noms figurent au bas du manifeste et qui font aujourd’hui partie du Conseil général, n’ont connu le texte de cette publication qu’à leur arrivée à Londres. S’ils y mettent aujourd’hui leur signature, c’est pour qu’on ne puisse douter qu’ils en revendiquent hautement les principes.
Notes
[1] La révolution qui proclama la Commune à Lyon, le 22 mars, et la 23 mars à Marseille et à Saint-Étienne, fut très vite réprimée par le gouvernement de Thiers. En outre, la Commune fut proclamée à Toulouse, à Narbonne et dans quelques autres villes.
[2] Aux termes du traité de commerce conclu en 1860, entre Napoléon III et l’Angleterre, les taxes sur les marchandises anglaises étaient réduites.
[3] Mégère, une des Furies, déesse vivant dans le Tartare (enfer des Anciens) et chargée de punir les crimes des hommes.
[4] Hécate, nom de la déesse Diane, lorsqu’elle siégeait dans le Tartare.
Les révolutions de 1848 à 1871
Révolution en 1848 à Paris Les gavroches de Paris Le massacre de la révolution ouvrière de juin 1848 à Paris SITE : Matière et Révolution www.matierevolution.fr Pour nous écrire, cliquez su...