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SERPENT -  LIBERTAIRE

anarchiste individualiste

LE JUDAISME

d’user aussi de l’expression « peuple du Livre ».


Le nom de Bible n’est-il pas emprunté par les chrétiens au latin biblia (livres sacrés), lui-même transcrit du grec ? Or, d’emblée, la locution fait équivoque : s’agit-il de désigner le peuple dont le livre raconte l’histoire ? ou encore le peuple porteur-témoin du Livre ? C’est sans doute le sens de la réplique de C. Gellert au roi de Prusse, Frédéric le Grand, qui lui demandait une preuve de l’authenticité de la Bible ; il rétorqua : « Majesté, les Juifs ! »


Mais l’expression a encore une autre signification. Celle de désigner le peuple qui a façonné son identité, et construit ses grammaires de civilisation autour et à partir du Livre. C’est que ce peuple est aussi celui du Livre, en ce que son histoire sociale, politique, spirituelle, à la suite d’un long processus, en a fait une communauté “textocentrique”.


Processus qui commença probablement à la période du Second Temple de Jérusalem, lorsque fut interdite toute cérémonie sacrificielle en dehors de celui-ci, et que la lecture publique de la Torah remplaça, en d’autres lieux, les sacrifices. Moment inaugural, qui trouva sa réalisation ultérieure, après la destruction par les Romains du Temple, dans la construction d’un immense corpus littéraire, comprenant le Talmud, les Responsa, la Kabbale. Où la centralité du Texte occupa la place du dogme, et où le judaïsme rabbinique ne se limite pas à une religion de la Bible.


Avec pour caractéristique, dès lors cruciale, que les délibérations des Sages devinrent un nouveau type de code, transmetteur de la tradition sous la forme de débats. Le texte juif canonique prenant ainsi un trait particulièrement distinctif et géniteur, celui de la canonisation des controverses.


Gérard Rabinovitch

LE TALMUD

Le Talmud se compose de deux parties,
la Mishnah et la Guémarah, dont aucune n’avait, à l’origine, vocation à être écrite.


Mais, au IIe siècle de notre ère, face au chaos régnant en terre d’Israël sous la coupe de Rome, les Sages prennent une décision inédite : mettre par écrit la tradition, jusque là transmise oralement de génération en génération.

’est rabbi Yéhoudah ha-Nassi qui assume cette tâche, allant de Sage en Sage pour recueillir ce qu’ils savent des aspects légaux de la Torah.


Rassemblant le tout, il rédige la mi-Shnah, ou “répétition”. Celle-ci est formée de six “ordres” traitant chacun d’un champ d’application de la loi juive : vie agricole ; fêtes et shabbat ; relations entre hommes et femmes ; dommages ;

réglementation du service du Temple ; critères de pureté et d’impureté.


Mais à peine a-t-il achevé sa compilation, en 219, que les Sages confrontés à des situations inédites reprennent leur œuvre d’élaboration et de discussion des lois et narrations ; et produisent un commentaire élargi, bientôt couché lui aussi par écrit, la Guémarah.

De cette somme (Mishnah et Guémarah), qui prendra le nom de Talmud, il existe deux versions : l’une, datée de 350 et dite de Jérusalem ; l’autre, achevée vers 550 et qui fait autorité, issue des discussions des académies de Babylonie.


Ces controverses, qui précisent et affinent chaque fois plus les principes fondamentaux sans jamais les mettre en question, ne connaissent pas toujours

d’application pratique. Le processus vise, en fait, à se rapprocher de la vérité cachée derrière le Texte et à extraire l’essence de chaque verset, de chaque mot ; ce qui permettra, ensuite, à la Loi d’évoluer face à des questions qui ne se posaient pas au temps du Talmud.

our le judaïsme, loi orale comme loi écrite sont
le fruit de la révélation au Mont Sinaï, où Moïse
est monté à l’appel de l’Éternel afin qu’il lui donne « la Torah et les préceptes » (Ex XXIV, 12).


La Tradition interprète cet épisode comme le don de la loi écrite, accompagnée de son commentaire oral détaillant la pratique des Mitzvoth, ou “préceptes”. Double transmission, dont la part orale s’inscrit dans les blancs du texte biblique évoquant, par exemple, l’abattage rituel : « Tu pourras tuer ton gros et menu bétail de la manière

que Je t’ai prescrite » ; nulle trace, pourtant, de cette prescription dans le Pentateuque, ni de la façon d’observer concrètement le Shabbat, de mettre les phylactères…


Toujours selon la Tradition, cette Torah orale (reçue en second, shéni) est passée de Moïse à Josué, puis aux Anciens, aux Prophètes et aux membres de l’instance juridique supérieure, le Grand Sanhédrin, que dirige le prophète Ezra. Pour mieux la transmettre, elle est alors codifiée sous une forme succincte, vouée à répétition

(shana) jusqu’à être mémorisée ; des notes parfois prises en marge du passage du Pentateuque qu’elles viennent éclairer, commencent peu à peu à s’accumuler.


Il faut attendre les temps troublés de l’occupation romaine pour que, finalement, rabbi Yéhoudah ha-Nassi mette par écrit, dans la Mishnah, la loi destinée au départ à rester orale. Oralité comprise comme gage de fluidité et d’adaptabilité. Ce sera le génie de ce rédacteur de la Mishnah puis, plus tard, de ceux de la Guémarah, de réussir à produire un texte qui reste ouvert et fidèle àL

esprit de la loi orale – le Talmud (de la racine hébraïque LMD /étude), au nom porteur d’enseignement.

LES MIDRASHIM ET AGGADOTH

« Ce qui est lu ici ne dit rien d’autre que “sonde-moi” (darshé-ni) », écrit Rachi dans un commentaire sur Genèse I, 1.


Ainsi, l’exégèse biblique prend-elle pour le maître champenois du xie siècle valeur d’un commandement, qui, découlant du tout premier verset de la Torah, semble s’appliquer à l’ensemble du Texte. C’est donc bien à une interprétation que se consacre le mi-Drash, dont la racine hébraïque D/R/Sh renvoie aux notions d’exigence,
de questionnement.

Entre les iie et xiiie siècles un vaste corpus s’élabore, en araméen ou en hébreu de facture diverse selon l’époque, selon deux directions majeures : le Midrash
Halakhah, commentaire fondant une jurisprudence ;
le Midrash Aggadah, au tissu richement brodé de légendes, paraboles, allégories, jeux de mots et concordances diverses entre des lettres ou leurs valeurs numériques…
Opérant par glissements successifs pour ouvrir l’accès au Texte, quitte à combler des blancs ou dériver du sens premier, il en tire des enseignements d’ordre éthique.

Ainsi, l’apparent pessimisme de l’Ecclésiaste devient-il porteur d’espoir, et la sensualité du Cantique des cantiques est-elle rendue recevable, dès lors qu’il s’agit d’un dialogue entre Dieu, l’amant, et Israël, sa bien-aimée. Source d’inspiration, une littérature aux accords multiples est née, à laquelle rend justice la parabole médiévale du PaRDèS : quatre Sages entrent dans le verger de la connaissance, et en explorent une voie chacun, qui la littéralité du Pshat, qui l’allusion du Rémèz, l’exégèse du Drash, le secret mystique du Sod…

L’un meurt, un autre perd la raison, un troisième la foi ; un seul en ressort sain et sauf, s’appuyant sur la force d’une juste interprétation.

LES MAITRES DU TALMUD

Avec la chute de Jérusalem et la destruction du Second Temple, la notion de centralité du culte s’estompe, tandis que la fonction sacerdotale décline radicalement : plus de grand prêtre ni de caste affectée au service du Temple, plus de sacrifices ni d’offrandes… Apparaissent les maîtres du Talmud, qui vont guider le peuple en ses exils multiples.


De Yo’hanàn ben Zakkaï qui fonde l’école de Yavnéh, aux Guéonim qui assoient la suprématie du Talmud de Babylone, le “moment” talmudique renvoie à la décision

prise au ier siècle de notre ère, alors que l’existence du peuple juif comme nation et religion menace de s’éteindre, de recentrer la vie religieuse autour de l’étude de la Torah.


Au-delà du simple commentaire de principes normatifs, une méthode interprétative vivante et originale se fait jour, dont la forme, le contenu et les thèmes traduisent le souci d’adapter le cadre juridique et le message de la Torah à des situations inédites.

À la faveur de cette entreprise d’élucidation en constante évolution, la figure du rabbin, guide de sa communauté plutôt qu’officiant au service d’une hiérarchie, se dégage peu à peu. Même lorsque la nation d’accueil l’inscrit dans un cadre institutionnel, le mode de décision reste collégial et s’insère dans un système d’échanges par-delà les mers.


Ainsi peut-on voir dans le Talmud, une épistémologie,
et un élément constitutif de l’identité juive, qui permit au judaïsme de se perpétuer dans le régime de la diaspora.

Marquant l’autorité de la loi écrite et orale comme seuls fondements authentiques, les maîtres du Talmud ont en outre grandement contribué à cultiver ce rapport vif aux textes sacrés, entre certitudes et doutes, qui est une dimension essentielle du monde juif traditionnel.

« Le Livre, la Torah, était leur essence même, tout comme eux, les Juifs, étaient l’essence de la Torah », écrit Abraham Heschel, rappelant la recommandation faite à Josué de méditer jour et nuit le Texte sacré.


Ainsi est fondée dès la mort de Moïse, à l’issue de ces années d’errance où la Loi avait été donnée au peuple, la primauté de l’étude, dont l’étymologie témoigne : Torah nous renvoie à “enseignement”, et Talmud à “étude”. Réaffirmée pour les garçons lors de la circoncision,

qui marque leur entrée dans l’Alliance, cette vocation s’offre aujourd’hui en partage à des femmes autrefois écartées.


« C’est l’un des devoirs du père que d’enseigner à son fils l’hébreu dès qu’il commence à parler », prescrit le Talmud en un temps où la langue usuelle était l’araméen ; et de proposer un modèle pédagogique : à cinq ans commencerait l’étude du texte biblique, la Torah ; à dix celle de la loi orale, la Mishnah ; à quinze celle des commentaires talmudiques, la Guémarah…

et, selon certains, à quarante celle de la Kabbale. Dès le ier siècle de notre ère, l’enseignement s’institutionnalise : les communautés rétribuent des professeurs (un maître pour 25 élèves) et tous les garçons reçoivent une éducation religieuse au sein du ’hédèr, la classe.


La yéshivah fait suite pour les plus brillants, et c’est un tel honneur pour une famille de permettre à l’étude de s’épanouir, que le beau-père aisé s’engageait, dans le monde traditionnel, à entretenir son gendre apprenti talmudiste.Exercice désintéressé, l’étude se prolonge là, pour tout un peuple gagnant péniblement sa vie, avant et après les heures de travail et durant le Shabbat – préfigurant le royaume à venir où les Justes, selon le Midrash, seront assis, leur couronne sur la tête, dans l’extase de la Torah.

LE TANAHK LA BIBLE

Ce que nous connaissons sous le nom de Bible est désigné en hébreu par l’acronyme TaNaKh, formé des initiales des trois parties de l’ouvrage : la Torah (les cinq livres du Pentateuque), Névîim (Prophètes) et Kétouvim (Hagiographes).


Le Pentateuque s’ouvre par le livre de la Genèse, avec les récits de la création du monde et du déluge ;

La généalogie du peuple hébreu et les origines de l’alliance divine nouée avec les patriarches Abraham, Isaac et Jacob ; le départ des enfants d’Israël vers l’Égypte.


Les livres suivants (Exode, Lévitique, Nombres et Deutéronome) relatent la sortie d’Égypte, le don de la Torah, et les tribulations des Hébreux dans le désert.

Selon la tradition, dans le Pentateuque
les 613 préceptes (Mitzvoth) dont le respect
est demandé au peuple d’Israël sont énoncés
dans le Pentateuque.



La troisième partie, les Hagiographes est un recueil hétérogène composé de poèmes liturgiques (les Psaumes), de poésie (le Cantique des Cantiques),
de textes de Sagesse (les Proverbes, Job, l’Ecclé- siaste), de livres historiques (tel le rouleau d’Esther).

Si la langue du Tanakh est l’hébreu,
on y trouve quelques passages en araméen,
notamment dans les livres de Daniel et d’Ezra.


Les travaux des disciples du philosophe juif allemand Mendelssohn, dès le XIXe siècle, nourrissent une réflexion sur sa datation. Puis, plus largement, la critique biblique interroge la position traditionnelle qui le reçoit comme un texte révélé.

LES TEXTES CANONS


La Bible juive compte vingt-quatre livres.
La relative modestie de cette somme,
comparée à la version chrétienne
de l’Ancien Testament, provient du fait que certains livres ont été réunis en une seule entité alors que d’autres n’ont pas été retenus dans le canon.


Nulle controverse rabbinique, en revanche,
concernant l’appartenance à ce corpus des cinq livres
de la Torah, le Pentateuque,
dont la rédaction est attribuée à Moïse par le judaïsme.
elon la tradition, les livres des Prophètes auraient été intégrés à l’époque de l’hégémonie perse sur la Terre d’Israël (ive siècle avant notre ère). Deux éléments viennent le confirmer : l’affirmation traditionnelle, selon laquelle le temps de la prophétie se clôt avec la destruction du Premier Temple de Jérusalem, et l’absence du Livre de Daniel, postérieur à cette période. La datation est ainsi considérée comme fiable par les spécialistes qui estiment par ailleurs que le contenu de ces livres n’a pas fait débat.

Tout autre est l’histoire des Hagiographes, dont la forme définitive n’aurait été décidée que lors d’un rassemblement des Sages de la Mishnah à la fin du ier siècle. Des passages ultérieurs du Talmud font en effet état de discussions concernant l’inclusion ou non des livres des Proverbes, du Cantique des Cantiques, de l’Ecclésiaste ou d’Esther. Ils seront finalement retenus, à l’inverse de certains autres, tels les livres des Maccabées et de Baruch, la Sagesse de Salomon, Judith, Tobie ou le Siracide, dits apocryphes dans la tradition juive.


LE MONOTHEISME

Matin et soir, lors des prières quotidiennes,
les Juifs entament ainsi la récitation
du Shéma Israël, « Écoute Israël : L’Éternel est notre Dieu, l’Éternel est Un ! »


Cette proclamation de foi ne fait qu’exprimer l’existence d’un Dieu unique et souverain, créateur de toute chose, comme l’affirment les premiers mots du premier Livre de la Bible, la Genèse : « Au commencement, Dieu a créé le ciel et la terre. »

Selon la tradition juive, cette reconnaissance d’un unique Dieu créateur est à l’origine une évidence pour tous les peuples de la terre. Mais, peu à peu, ceux-ci oublient le message initial et se laissent gagner par l’idolâtrie.


Ce strict monothéisme, en rupture et en continuité de formes monolâtriques antérieures, réaffirmé dans le récit biblique par Abraham, résistant aux polythéismes ou aux syncrétismes, va devenir le message spirituel des Juifs qui acceptent, lors de la révélation du Sinaï, de s’en faire les témoins dans le monde.

Pas question d’associer quelque autre divinité à l’unique Dieu créateur: cela équivaudrait à une remise en question de son unicité. De même ne peut-on représenter Celui qui est infini et donc impossible à concevoir pour un esprit humain, par définition limité : « Tu ne feras point d’idole ni une image quelconque de ce qui est en haut
dans le ciel », prescrit l’une des Dix Paroles
(ou “Commandements”) ; aussi n’existe-t-il, dans le judaïsme, aucune représentation du divin - ni peinture, ni sculpture « à l’image de Dieu », car nulle forme finie ne saurait rendre compte de ce qui ne l’est pas.

LA REVELATION

On a coutume de parler du judaïsme comme de l’une des religions “révélées”.


Cette révélation se fait par épisodes successifs : du livre de la Genèse, où s’instaurent à la fois le monothéisme et l’alliance avec Abraham et sa descendance, au livre de l’Exode où elle se déploie pleinement dans l’événement sinaïtique. Telle qu’elle nous est rapportée là, la révélation diffère de toutes les autres : au Sinaï, en effet, Dieu s’adresse d’abord sans intermédiaire à tout le peuple d’Israël.

Car, nous dit Rachi, « il y a une différence entre ce qu’un homme voit par lui-même et ce que d’autres lui racontent où il arrive que son cœur soit hésitant à croire ».


Le Texte relate que Moïse ne gravit le Mont Sinaï que dans un second temps, pour se faire médiateur : l’assemblée des Israélites, trop effrayée pour poursuivre l’expérience, le lui a demandé après avoir entendu et “vu” la voix de Dieu prononcer les Dix Paroles. Ce second palier de la révélation est un épisode fondateur : selon la tradition juive, c’est en effet la Torah dans son entier,

tant écrite (le Pentateuque) qu’orale (le Talmud), qui est révélée par Dieu au plus grand de ses prophètes.


La nature divine de cette révélation et de ce qu’elle transmet a une conséquence “pratique” : de même que Dieu ne change pas, son message éternel à l’adresse d’Israël ne peut varier. C’est dire qu’il existe un socle de valeurs immuables et que le texte de la Torah ne saurait être modifié ou révoqué. Toutefois, la révélation simultanée de la loi orale fraye la voie de l’adaptation aux réalités changeantes du monde, préservant ainsi les

valeurs fondamentales. L’étymologie du mot Torah, qui nous renvoie à l’idée d’enseignement et de sagesse, prend ici tout son sens.

L 'ALPHABET

« Par la parole de l’Éternel les cieux se sont formés », lit-on dans le livre des Psaumes.


C’est avec les lettres composant les mots de la Torah que le monde a été créé, en ont déduit les Sages du Talmud. Dans le traité de la Mischnah, Berakhoth, ils précisent que le Tabernacle put être construit car son architecte « savait comment combiner les lettres avec lesquelles les cieux et la terre avaient été créés » – les 22 consonnes de l’alphabet hébraïque, ainsi dotées chacune d’un pouvoir particulier C

omme la plupart des écritures sémitiques ou indo-européennes, de l’Arabie à la Grèce ou l’Indonésie, l’alphabet hébreu descend des signes phéniciens – en deux calligraphies : l’une cunéiforme (anguleuse) qui s’imposera des documents administratifs aux textes sacrés, l’autre cursive.
Les pictogrammes s’estompent – Alèf, le bœuf dont les cornes se voyaient distinctement sur les plus anciennes tablettes, Beth, la maison, ne laissent que la mémoire de leur nom dans un système qui se défait de l’image au profit du symbole.

Tout ici fait sens : d’une part, l’ordre de l’alphabet, dont le nom hébreu se compose, comme en grec, de ses deux premières lettres, alèf-beth – qui renvoient à Alèf Binah : « Apprends la sagesse » ; de l’autre, le fait qu’à l’époque talmudique, chaque consonne devient également un chiffre, fondant la Guémétria, système d’interprétation de la valeur numérique des mots – comme celle de Ahavah (amour) et celle de É’had (Un), qui sont égales.

LA KABBALE

Faute d’avoir accès à cette doctrine ésotérique, le Moyen Âge chrétien fait de la Kabbale une “cabale”, une conspiration, voire l’art de transmuer le plomb en or, rêve des alchimistes de l’époque.


Plus près de nous, le profane y quête parfois d’improbables martingales dérivées de sa technique combinatoire des lettres, des chiffres…

En réalité, loin des machinations comme des jeux
de hasard, c’est à une approche initiatique
que nous renvoie l’origine du mot Qabbalah, “réception”, “accueil” en soi.
La Kabbale, en effet, est depuis un millénaire et plus la branche la plus féconde de la mystique juive.


Certes, le monde juif connaît l’expérience mystique qui dans la plupart des religions ouvre à chacun,
fût-il simple ou ignorant, la voie d’une relation immédiate, intuitive, au divin. Mais la Kabbale, fidèle à un aspect essentiel du judaïsme, se veut avant tout connaissance : par-delà l’introspection, la contemplation et l’illumination, c’est l’univers du Livre (le Pentateuque) qui s’offre au terme d’une longue et patiente étude, révélant la nature de la Création et des liens tissés entre Créateur et créature, taillant sa juste place à l’action humaine.Fondée sur un savoir transmis de génération en génération, cette ultime étape de l’étude est réservée à des êtres responsables, qui ne peuvent l’aborder que mariés et, suivant un décret tardif, à quarante ans révolus. Au plus près du divin, pensent les kabbalistes, elle porte en elle les dangers de sa puissance et la tentation magique – mais aussi le salut par la connaissance.

Deux tendances que l’on retrouve dans la Kabbale chrétienne en quête de la pierre philosophale, de l’alchimiste Nicolas Flamel aux Rose-Croix de la Renaissance… avant que la tradition maçonnique n’en fasse l’une de ses pierres.

LA MYSTIQUE JUIVE

Elle se veut connaissance de Dieu, par l’intuition et l’expérience directe vécues par les ’Hassidim, ou par l’étude pratiquée par les Kabbalistes.


Elle est aussi ancienne que la révélation faite à Moise sur le mont Sinaï, mais prend des voies autres, “marginales”, pour construire ou reconstruire le sentiment religieux ; car on peut être juif et croyant sans être mystique.


Raccourci vers les sources du religieux, la mystique juive reparaît dès que la religion instituée semble se dessécher

en formalisme. Ainsi, la Kabbale naîtra-t-elle autour de Narbonne, puis en Navarre et en Catalogne, à Gérone, se distinguant de la tentative par Maïmonide, au xiie siècle, de faire du judaïsme une forme de philosophie compatible avec la pensée grecque ; Isaac l’Aveugle, Moïse de Léon et Nah’manide illustrent ce courant. C’est ensuite en réponse au désarroi engendré par l’expulsion des Juifs d’Espagne, en 1492, que la Kabbale dite de Louria s’épanouit à Safèd, en Haute Galilée. C’est, enfin, pour sortir de l’impasse d’une étude talmudique formant des générations de savants perçus comme « inutiles »

et pour redonner espoir et énergie au petit peuple juif des villages d’Europe centrale et orientale, que vint le ’hassidisme, à la piété embrasée par des rabbis charismatiques, tels le Baal Chem Tov ou Na’hman de Braztlav.


Chaque fois, un aspect différent du judaïsme fut privilégié et se fit pivot : pour la Kabbale, un monde, certes intelligible, mais “enchanté” par la présence divine ; pour la mystique lourianique, un dialogue à nouveau possible avec le monde et Dieu ; pour le ’hassidisme, un bonheur

d’être au monde à tous offert par la vision messianique, attente tonique d’une paix universelle.

LE ZOHAR

Le Zohar, ou Livre de la Splendeur, forme une somme de plusieurs centaines de pages, rédigée selon toute vraisemblance en Provence, par le rabbin Moïse de Léon.


Les premiers manuscrits font leur apparition en Navarre espagnole vers 1280.


L’ouvrage se présente comme un commentaire, verset par verset, des cinq livres de la Torah (le Pentateuque) ; celui de la Genèse en occupe à lui seul la moitié.

Considéré pendant des siècles comme un ouvrage canonique, il prend rang auprès de la Bible et du Talmud. Ce qui fait la spécificité de cet épais volume, c’est qu’il soutient que chaque verset, chaque mot, chaque lettre de la Bible hébraïque recèle les secrets divins, qu’il expose de façon tant détaillée que systématique.


Cette enquête sur les secrets de la Création et la mission du peuple juif en son sein est à la fois limpide et mystérieuse. Empreint d’une vision cosmogonique, le Zohar livre des clés et un mode particulier de décryptage

du texte biblique, qui font apparaître des sens inédits. Avec lui, une nouvelle manière de penser le judaïsme est née. Le monde est « enchanté » et mystérieux mais l’homme peut, sinon totalement le comprendre, du moins entrer en empathie avec lui dans une relation dynamique où la fusion du masculin et du féminin joue un rôle essentiel, s’alliant ainsi aux forces de la Création face aux forces du Mal.


Écrit dans une très belle langue de facture symbolique, tissage d’araméen et d’hébreu ancien, cette œuvre se

place à part dans la production mystique espagnole de l’époque : loin de se poser en simple traité technique, elle adopte un style narratif original et fait vivre des personnages anciens.


Elle se rattache à des auteurs et à une tradition remontant aux premiers siècles de l'ère commune.

LES DOCTRINES DU JUDAISME

L’originalité du judaïsme dans le Proche-Orient ancien, et durant toute l’Antiquité, tient à sa croyance en une divinité unique et invisible qui, bien qu’en dehors du sensible, intervient dans l’Histoire.


Ce paradoxe forme l’axe de son corps de doctrines, doté d’emblée d’une portée morale : l’Histoire et la société deviennent le champ de la révélation divine,

qui se produit au sein d’une collectivité, le peuple hébreu.


En effet c’est toute une société (les 600 000 Hébreux que recense le texte de l’Exode) qui est témoin de la manifestation divine au mont Sinaï.


Le message religieux a ainsi des implications dans l’histoire et la politique.

En effet, le Dieu unique se fait connaître en sortant le peuple "élu" de l’esclavage, affirmation révolutionnaire pour l’époque.


Cette réalité explique l’apparition ultérieure du phénomène prophétique. Une pléiade de fortes personnalités intervient en des temps troublés dans l’arène politique et sociale au nom de valeurs éthiques concernant la société et l’exercice du pouvoir.
Les prophètes appellent à la fidélité à l’Alliance. Loin d’être une faveur mystique réservée à une minorité de privilégiés, la révélation et l’élection sont accessibles à tous, sous-tendues par une alliance fondée sur un ensemble de lois et de normes, conditions de leur continuité. Consentement et responsabilité en fonction d’une charte de devoirs fondent le rapport au divin. La dimension cultuelle est centrale, mais le rapport au divin ne peut se concevoir en dehors du rapport au prochain.

C’est pourquoi on trouve dans la Torah des
dispositifs sociaux, une philosophie du pouvoir, qui concernent la Cité et l’humanité.

LE DIEU INCONNAISSABLE

Immatériel et irreprésentable, le Dieu unique s’adresse pourtant aux hommes,
en bloc et au singulier.

Le texte biblique rapporte ses paroles et sa geste. Différents noms le désignent selon les actions qu’il met en œuvre ; deux d’entre eux sont cardinaux : YHWH et Élohim, désignant ses qualités, pour l’un de grâce, pour l’autre de jugement et de rigueur.

Si ce dernier nom est prononçable, YHWH ne l’est pas.

Immatériel et irreprésentable, le Dieu unique s’adresse pourtant aux hommes,
en bloc et au singulier.

Seul le grand prêtre, dit-on, pouvait l’énoncer dans le Saint des Saints du Temple de Jérusalem, une fois l’an, au jour de Kippour, pour demander le pardon des péchés. Les quatre consonnes du Tétragramme, dont la vocalisation s’est perdue, se réfèrent au radical du verbe “être” : Dieu « a été, est et sera », comme le dit une expression de la prière.


Pour comprendre pourquoi Dieu est caché et inconnaissable, il faut avoir pénétré la rationalité de l’idée de Création. Dieu est avant tout le créateur de l’univers.

Kippour
ou Yom ha-Kippourim (10e jour de Tishri*) :
Jour d’Expiation marqué par le jeûne et la prière, communément connu sous le nom
de “Grand Pardon

Entre le Créateur et la créature, il y a un abîme insondable, celui qui sépare le potier de sa poterie, pour reprendre une image du discours prophétique. La poterie, qui a reçu sa forme du potier, ne peut s’élever au rang de son créateur, même si elle porte la marque de son action. Elle ne peut le connaître, à tout le moins l’approcher, qu’en tant que Créateur.


On comprend ainsi l’importance du devenir humain pour le projet de la Création. Il y a en effet un espace de liberté et d’indétermination entre Dieu et l’homme — qui fut créé

« à son image ». Le Talmud voit dans l’homme,
l’ « associé » de Dieu dans l’œuvre de la Création.


Une liberté qui comporte aussi un danger :
celui d’en faire usage pour dévoyer l’œuvre.

LE PROPHETISME

Moïse est traditionnellement défini comme le plus grand prophète qu’ait connu Israël, il est la cheville ouvrière de l’alliance sinaïtique et du don de la Torah (la Loi).


Le prophète est un porte-voix divin en des temps d’exception ; à de nombreuses reprises, Moïse s’efface devant le peuple qu’il sort d’Égypte autant que devant Dieu, même s’il n’est pas sans affirmer régulièrement sa personnalité face à lui. Il est un messager, et non un médiateur puisque Dieu, selon le Midrash, se révèle

même dans l’assemblée du Sinaï « aux servantes et aux nourrissons ».


Plus tard, au temps de la royauté, émerge un véritable courant prophétique, fait de fortes personnalités soutenues par des confréries. Il y eut en effet des prophètes (et, fait remarquable, des prophétesses) en bien plus grand nombre que ceux que nous connaissons par la Bible. Certains sont simplement mentionnés ; d’autres sont de véritables auteurs, tels les trois grands prophètes, Isaïe, Ezéchiel, Jérémie, et les douze petits ;

d’autres sont présents dans le récit, tel Élie.


Le prophète développe généralement une critique sociale et politique. Ses reproches vont à la royauté et au clergé, qu’il tance au nom de la Torah, mais il n’a rien d’un populiste et s’attaque aussi au peuple quand il se corrompt. Il se veut la mémoire de l’alliance nouée au désert et de ses principes. Il combat la tentation de l’idolâtrie pratiquée alentour, exposant ainsi sa conception de Dieu qui parle à l’homme à son niveau

et avec ses sentiments. Dans son discours, le prophète fait alterner l’admonestation, la remontrance et la consolation. Il annonce des événements à venir dans un futur lointain et fait lever l’espoir messianique.

LE MESSIANISME

L’acte fondateur du judaïsme, la Sortie d’Égypte, porte avec lui une conscience encore inconnue
de l’humanité : l’espérance.


Tandis que les dieux confortent pouvoirs et potentats,
le Dieu d’Israël libére les esclaves,
au plus bas de l’échelle,
et renverse la superbe de Pharaon, roi-dieu du plus puissant des empires, l’Égypte.
Il renverse ainsi l’ordre de la fatalité et de la soumission.

Cette veine spirituelle devient un ressort vigoureux du judaïsme et produit la conscience messianique. En un mot, elle cultive l’attente d’une ère — les « temps messianiques » — qui verra la libération du peuple d’Israël et la pacification de l’humanité dans la connaissance du Dieu unique.


Le mot “Messie” dérive de l’hébreu Mashiakh (litt. “oint”), évoquant la cérémonie de l’onction par laquelle, aux temps bibliques, on intronisait le roi ou le grand prêtre en leur passant de l’huile sur le front.

Une cérémonie ensuite reprise par les rois de France soucieux de sacraliser leur fonction. Les prophètes ont ainsi développé l’attente d’un messie, d’un roi libérateur qui viendrait délivrer son peuple au terme de terribles guerres, en affrontant des empires.


Ils décrivent encore le messie comme celui qui rassemblera les peuples autour de Jérusalem pour rendre un culte au Dieu unique en une époque où cohabiteront « le loup et l’agneau », où les armes seront faites charrues…

Dans la vision du prophète Ezéchiel, cette ère connaîtra la résurrection des morts.


Mais les temps messianiques, s’ils doivent voir
de grands bouleversements dans l’histoire humaine,
ne sont pas la fin des temps – temps défini
par la tradition juive comme « le monde qui vient », qu’aucun œil n’a vu.

LE SYSTEME DE VALEURS

S’il est une spécificité de l’éthique du judaïsme, c’est bien la concordance des valeurs.


Un préjugé tenace fait de cette religion une adepte d’une morale de la Loi, fermée à la grâce et au pardon. Rien n’est plus erroné. Certes, l’invocation de la justice est toujours très présente.


C’est le fait d’un univers symbolique régi par une alliance fondée sur un ensemble de valeurs et de normes inscrites dans la Torah.

La fidélité à l’Alliance implique pour les contractants, Israël autant que Dieu, le respect de la déclaration de principes sur laquelle ils se sont entendus – et le prophète peut rappeler cet engagement à l’Un comme il le fait à l’autre.


Pour être si important, le respect de la loi dans toute sa rigueur n’est pas compris comme l’antithèse de la grâce et de la miséricorde. Au contraire, le don de la Loi est présenté comme une grâce aidant l’homme à se refaire une âme, à se construire.

Un récit talmudique illustre cette idée complexe : avant le nôtre, le créateur aurait créé une multitude d’univers qui, tous, s’effondraient – jusqu’à ce qu’il se rende compte qu’ils étaient construits sur l’unique principe d’une justice rigoureuse. Il ajouta alors la grâce, et cela donne le monde dans lequel nous vivons…


Un monde régi selon la rigueur seule ne peut se maintenir à l’existence. La Tradition voit dans le parcours patriarcal d’Abraham, Isaac et Jacob le processus même du déploiement des valeurs, Abraham personnifiant le don de

a grâce, puis Isaac, la rigueur, avant Jacob se dépassant dans la lutte avec l’Ange – qui le renomme Israël afin d’incarner la miséricorde : le Ra’hamim, d’un mot qui signifie la matrice, l’utérus.


On atteint ici la valeur suprême : se faire matrice pour un embryon, un autre, et lui donner naissance…

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