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SERPENT -  LIBERTAIRE

anarchiste individualiste

Pour une Décroissance Communiste Libertaire

Pour une Décroissance Communiste Libertaire

Penser la décroissance avec Castoriadis

Par adminECR-DCL le 13 Juillet 2014 à 16:22

Source :

http://www.labisontinededecroissance.blogspot.fr/2007/05/penser-la-dcroissance-avec-castoriadis.html

http://1libertaire.free.fr/Castoriadis53.html

Exposé de Michel Guet, le 6 mars 2007

Quelques mots avant de s’intéresser à Castoriadis.
Je voudrais d’abord attirer votre attention sur nous-mêmes, sur cette assemblée !

Pourquoi sommes-nous réunis ce soir, et quel est notre plus petit commun dénominateur, ici et maintenant ?

Eh bien il me semble que c’est un mot, rien qu’un mot : « DÉCROISSANCE ».
Nous sommes donc réunis ici autour d’un mot dont nous ne savons pas exactement quel est son contenu...

Bien sûr ce n’est pas tout a fait vrai, chacun de nous a une petite idée de ce que « décroissance » veut dire, et en réalité, nous cherchons seulement à savoir si le voisin pense comme nous, s’il met sous le mot « décroissance » la même chose que nous. Il y a donc un doute, un questionnement. Au passage, si le voisin en sait plus que nous, tant mieux, nous sommes là pour apprendre, c’est le contrat : s’informer, mettre en commun nos savoirs, nos expériences.

Eh bien ça, c’est une situation peu courante, une situation rare, je dirais même très rare.

Parce qu’il y a, contrairement à nous, à cette heure même, dans cette ville un tas de gens réunis autour d’autres mots dont ils savent parfaitement ce qu’ils veulent dire, (surtout en ce moment), par exemple « socialisme », « communisme », « libéralisme », ou « économie », « développement », « croissance » etc. Ces mots sont connus, ils ont une histoire, on sait à peu près ce qu’il contiennent, ils sont déjà INSTITUÉS.

Mais nous, nous sommes d’incroyables aventuriers, nous prenons un risque fou, celui d’aller vers quelque chose dont nous ne connaissons pas encore vraiment le contenu. On pourrait appeler cela une assemblée « ouverte », enfin, pour l’instant, elle est ouverte...
La décroissance n’est pas encore tout à fait instituée. Et nous nous sommes réunis pour faire cela : instituer la décroissance, lui donner du contenu, ce que nous pensons en notre âme et conscience être la décroissance.

Voilà pourquoi je souhaitais attirer votre attention sur nous-mêmes et sur cette situation peu courante qui consiste à instituer.

(Définition de Jacques Ellul, Histoire des institutions de l’antiquité, 1961, p.V.)
Est « institution » tout ce qui est volontairement organisé par une société donnée.
Nous sommes bien « une société donnée ». Nous cherchons bien à organiser volontairement quelque chose ; ce quelque chose ne l’est pas encore tout à fait, sinon nous n’aurions pas à faire ce travail. Ce quelque chose, se nomme « Décroissance », c’est la seule chose dont nous soyons sûrs.

Or Castoriadis est le penseur, le théoricien de l’institution, du phénomène INSTITUTION.

Hélas, certains vont être déçus ce soir : nous n’allons pas parler de décroissance, nous allons nous placer en amont (si vous le voulez bien) de la décroissance. Nous n’allons pas bâtir la maison tout de suite et avons jugé pertinent de poser au préalable la question :
« existe-t-il des outils qui nous permettront de bâtir solidement la maison ? »
SOLIDEMENT, sinon elle s’écroulerait bien vite.

Si ces outils n’existaient pas, il nous faudrait les inventer, mais s’ils existent autant les utiliser.

Petit rappel. Lors de la dernière réunion, il fut question de Guy Debord et de la « Société du spectacle » et j’ai osé dire qu’il valait mieux commencer par Castoriadis et finir par Guy Debord que l’inverse. Je savais pour les avoir comparés que les outils que Castoriadis met à notre disposition permettent effectivement de comprendre le Situationnisme, mais le Situationnisme ne permet pas de comprendre le phénomène INSTITUTION lequel se trouve en amont, puisque « société » et « spectacle » sont eux-mêmes des institutions. (Mais vous verrez tout de suite qu’il y a eu un lien entre Castoriadis et Debord)

Ce que j’ai fait lors de la dernière assemblée a consisté à répondre à une question qui ne m’était pas posé ! « Pour bâtir la maison, les outils existent-t-ils ? »
J’ai dit : oui il existe des outils chez Castoriadis !
(peut-être avez-vous compris CASTORAMA ?)
Pour cela on m’a puni. On m’a pris au mot. Toi qui l’ouvres, la prochaine fois tu t’y colles !
C’est toujours celui qui dit qui y est.

Castoriadis ayant passé au moins trente ans de sa vie à penser l’institution, mérite que nous lui accordions une petite soirée et peut-être plusieurs, nous déciderons...

Il est vrai aussi que Castoriadis n’a jamais directement parlé de « décroissance », entre 1960 et 1970 ce mot n’était connu que de rares individus.
Mais Castoriadis a fait autre chose de tout aussi utile :
— il a condamné et démontré la folie de la « pseudo-maîtrise » « pseudo-scientifique » de la nature, en laquelle il voyait le fondement même du capitalisme moderne, à peu près à la même époque que Jacques Ellul.
— il a condamné le « tout économique » un peu avant Georgescu-Roegen (qui lui, est bien le père de la décroissance)
tout ceci depuis les années 60 (Castoriadis était bien placé pour le faire : économiste, il fut responsable d’un département statistiques à l’OCDE pendant plus de vingt ans),

Cornélius Castoriadis — 1922 / 1997
sources : — C.C. « Une société à la dérive », seuil, 2005
— Roland Biard : « Dictionnaire de l’extrême-gauche de 1945 à nos jours » Belfond 1978
abréviation : — CduL (C.Castoriadis : Les Carrefours du Labyrinthe vol I à VI), toutes les citation tirées de
CC sont entre guillemets

Études de philosophie, d’économie et de droit à Athènes

1937 : adhère aux jeunesses communistes - Athènes — 1941 : cofondateur du groupe clandestin Nea Epochi, visant à réformer de l’intérieur le PC grec — 1942 : adhère au trotskisme.

1945 décembre : CC arrive en France

1949-1965 : cofondateur de « Socialisme ou Barbarie » (revue « mythique », 40 numéros en 16 ans), avec Claude Lefort, puis Edgar Morin, Jean-François Lyotard, etc.
« SouB est né à partir d’une tendance qui s’était constituée, l’été 46, au sein du Parti Communiste Internationaliste (PCI : 700 militants en France), parti trotskiste français » (CC p.27 et ss.) « les premiers documents de cette tendance ont été diffusés à partir d’août 46 » (CC p.29). Mais ce n’est qu’à partir de la scission de 1948 que se forme « un groupe du même nom. SouB évolue rapidement et rompt avec le trotskisme » (Biard, 346)
[SouB est alors très proche du conseillisme ouvrier — avec l’Internationale Situationniste plus tard. En juillet 60 une brochure est rédigée et publiée conjointement par P. Canjuers (Daniel Blanchard, de SouB.) et Guy Debord (I.S.) (Gonzalves, 32), titre : « Préliminaires pour une définition de l’unité du programme révolutionnaire ».
Qu’est-ce que le conseillisme « Le Conseillisme est l’une des expression les plus pures d’un marxisme débarrassé de l’autoritarisme léniniste » (Biard, 117)
« Deux scission priveront SouB d’un certain nombre de ses rédacteurs : Claude Lefort et certains militants de la ’’gauche’’ du groupe vont rejoindre Informations et Liaisons ouvrières et en 1959. Lyotard et certains militant formeront avec d’autres groupes conseillistes le groupe Pouvoir Ouvrier » (Biard, 348)

1948-1970 : économiste (à partir de 1960 — création de l’OCDE — où il est nommé chef des Études Nationales, puis en 1968 : directeur à la Direction des Études de croissance, des statistiques et des comptes nationaux)

1974-1976 : enseigne l’économie à la faculté de Nanterre

1972-1975 : collabore à « Textures » avec Marcel Gaucher, Claude Lefort, etc.

1977-1980 : Collabore à « Libre, politique, anthropologie, philosophie » (Claude Lefort, Pierre Clastre, Miguel Abensour, Marcel Gaucher, Alfred Adler, Maurice Luciani, Krzysztof Pomian, Pierre Manent, Simone Debout, Jacques Baynac, Marshall Sahlins, Louis Dumont).

1973-1997 : psychanalyste (rallié au Quatrième Groupe psychanalytique), Castoriadis sera le compagnon de Piera Aulagnier

1980-1995 : Directeur d’études et séminaires à l’EHESS

CC décède en 1997
I Trois raisons de s’intéresser à C.C.

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Considérations stratégiques (pour une décroissance communiste libertaire)

Par adminECR-DCL dans Publications DCL le 22 Juillet 2014 à 20:02

Œuvrer pour une société Communiste Libertaire capable de répondre aux impératifs de la Décroissance suppose deux objectifs principaux : La valorisation de son projet de société et l’intervention au sein, aux côtés, des mouvements qui tendent vers ce but.

I La valorisation du projet

Il existe tout une série de manière de valoriser un projet social : tracts, affiches, manifestations, publications, vidéos, conférences-débat, etc. Cet aspect de la valorisation n’est pas très difficile à mettre en œuvre en soi, même s’il demande des moyens matériels, financiers, et du temps.

L’aspect le plus complexe de cet objectif stratégique consiste certainement dans l’éclatement de la critique sociale, la difficulté de prendre les problèmes à la racine, à combiner, synthétiser ou intégrer les apports positifs des mouvements sociaux, de la théorie critique. Elle consiste aussi à faire le tri, à écartant les fausses solutions, les analyses qui ne font qu’ajouter de la confusion, ou qui proposent sans cesse une série d’étapes intermédiaires à l’émancipation radicale, une série de phases de transition, qui finissent par devenir un projet en soi, se substituant au projet initial.

La complexité réside également, et en continuité, dans le rapport aux autres organisations, que l’on est nécessairement amenés à croiser dans cette démarche. En effet, ce projet ne fait pas d’emblée l’unanimité et il ne le fera pas de manière immédiate. Les organisations critiques de la société capitalistes développent chacune différentes analyses, différents projets de société, plus ou moins radicaux, de manière générale ou bien sur certains thèmes en particulier, ainsi qu’un ensemble de stratégies politiques, rhétoriques, pratiques.

Au sein du mouvement Anarchiste/Libertaire, l’option de la décroissance n’est pas toujours clairement validée. Elle laisse parfois la place à un écologisme plus modéré chez les uns et se formule parfois sur des bases anti-collectivistes/anti-communistes chez les autres. D’un autre coté, si l’option du Communisme Libertaire domine au sein du mouvement Anarchiste, elle ne fait pas nécessairement l’unanimité. Il s’agit donc d’y défendre le fait que la société que nous voulons construire ne peut se passer de l’une de ces trois dimensions que sont l’Anarchisme, le Communisme, et la Décroissance, sous peine de reproduire les formes d’oppression de la société présente et/ou de s’autodétruire.

Au sein du mouvement de la décroissance, c’est un peu plus compliqué, puisque les communistes libertaires doivent faire face à la fois aux tenants du « décroitre pour décroitre », certes minoritaires, mais aussi à des courants malthusiens ou eugénistes, des courants confondant autonomie locale et autarcie, des courants Etatistes et réformistes, anti-prolétaires, identitaires. Face à cela, les Communistes Libertaires doivent défendre la perspective de la Décroissance vers l’A-Croissance soutenable, de la satisfaction des besoins, du développement de la contraception, de la lutte contre les idéologies natalistes de l’Eglise et de l’Etat, du Fédéralisme Libertaire, de la démocratie directe et de la révolution sociale, de l’abolition des classes sociales, de la solidarité mondiale.

Mais la valorisation du projet ne se limite pas à une « conquête de l’hégémonie » au sein de ces deux mouvements. Il s’agit de s’adresser à l’ensemble de la société, et en premier lieu à l’ensemble de ceux qui subissent le joug du capitalisme. Dans ce processus, la rencontre avec les autres forces politiques, celles ne se revendiquant ni du communisme libertaire, ni de la décroissance, est inévitable.

Nous ne nous poserons pas ici la question du rapport aux défenseurs du capital tant la réponse, résidant dans divers formes de contestation, est évidente et résolue depuis longtemps. Il faut tout de même préciser que la DCL n’est pas un projet qui se compromet dans le « dialogue social ».

La question à se poser ici est celle du rapport aux courants politiques avec lesquels des alliances ponctuelles ou fréquentes sont envisageable ou effectives : les trotskystes, les écosocialistes, les écologistes de gauche, les sociaux-démocrates anti-libéraux.

Avec les trotskystes purs[1], il existe souvent un consensus sur la question de l’anticapitalisme, sur certaines pratiques de luttes, mais la divergence majeure se situe au niveau de la question de l’Etat et d’une perspective de développement industriel et de la production sans limites, ou du moins imputant la responsabilité des problèmes biologiques au seul régime capitalisme, et occultant le fait que la société émancipée de la domination de classe devra, au-delà d’une réorganisation rationalisée en fonction des impératifs biologiques et sociaux, faire preuve d’autolimitation.

Pour ce qui est des trotskystes-écosocialistes[2], en dépit d’un certain nombre de point communs, la divergence se situe d’abord au niveau de la question de l’Etat, ceux-ci oscillant entre la perspective de démocratie directe autogestionnaire et celle d’un gouvernement de transition réformiste. Mais elle se situe aussi sur le plan de la stratégie d’intrusion ou de connivence avec la social-démocratie qu’ils développent, impliquant certaines accointances avec l’antilibéralisme ou l’écologie politique. S’il est important de ne pas adopter une posture sectaire vis-à-vis des écosocialistes, de ne pas boycotter les initiatives auxquelles ils participent ou qu’ils organisent, il est également tout aussi important de marquer des limites politiques claires. Ces limites doivent logiquement se situer au niveau:

1 De la question démocratique : en marquant la perspective d'abolition de l'Etat et la démocratie directe, donc une posture libertaire.

2 Des questions d'égalité sociale : il s’agit d’affirmer la perspective du communisme : propriété commune des moyens de production et autogestion, production selon les besoins, égalité salariale puis perspective d'abolition du salariat.

3 de l’articulation entre ces deux perspectives avec celle de la décroissance : penser les limites liés aux effets induits des modèles de production des sociétés technologiques avancées, des limites climatiques et énergétiques, et cela pour une société égalitaire et libertaire qui va décroître sur le plan économique et au niveau de la production. Il faut donc affirmer la nécessité d'une décroissance volontaire, égalitaire, autogestionnaire, communiste libertaire : la décroissance doit s'opérer à travers l'égalité et la liberté.

Avec la gauche « rouge et/ou verte »[3], elle se situe au niveau de la question du réformisme, et de manière logique, du manque de radicalité dans la critique du capitalisme, de l’Etat, des revendications écologiques. Face à cela s’imposent les mêmes nécessités de démarcation qu’avec les écosocialistes, ainsi que, comme le soulignent les objecteurs de croissance, celle de « railler l’union de la gauche plutôt que de la rallier »[4]. De plus, en prenant l’exemple du Front de Gauche actuel, il est également nécessaire d’affirmer, contre ses tendances à la personnification charismatique et son usage des symboles et des mythologies nationales, la nécessaire rupture avec les logiques d’autorité, de chefferie, de souveraineté politique, ainsi que la perspective du cosmopolitisme et de la solidarité mondiale.

S’il est évident qu’il est la plupart du temps nécessaire de travailler avec ces courants politiques, cela ne signifie donc pas non plus travailler pour leur compte en faisant des concessions sur les trois critiques. Les Décroissants Communistes Libertaires appliquent la stratégie de « front unique », c'est-à-dire qu’ils construisent l’unité d’action tout en affirmant (et à condition qu’ils puissent affirmer) leurs divergences de positions, et par conséquent disposer d’espaces pour ce faire. Parallèlement, à travers les interactions, ils essaient d’amener des décantations de positions au niveau de la critique du capitalisme, de l’Etat, du nationalisme, de l’autorité et de l’idéologie de la croissance.

II l’intervention dans les mouvements sociaux et alternatifs

Il s’agit, comme le font les organisations révolutionnaires existantes, d’appuyer les mouvements sociaux, de leur fournir une aide organisationnelle, logistique, matérielle, de leur permettre une plus large médiatisation, de participer aux événements qu’ils organisent. Cet appui vise à permettre une plus grande prise de confiance des acteurs des luttes et de favoriser leurs victoires sociales, afin qu’elles se renforcent mutuellement dans un processus constant, mais néanmoins souvent non linéaire, d’émancipation.

Il s’agit également de favoriser l’émergence d’une critique intégrale de la société capitaliste, c'est-à-dire qui s’attaque à tous ces aspects : propriété, inégalité, pouvoir, croissance destructrice, nationalisme, sexisme, racisme… Cette synthèse critique ne doit pas simplement en rester à l’état de pensée, de revendication. Elle doit se traduire, en pratique, par le développement de la convergence des luttes et le soutient mutuel des alternatives, par une transversalité entre le mouvement social et l’alternativisme concret[5].

Or cette connexion, si elle peut exister[6], n’est pas systématique, et demeure relativement marginale aujourd’hui. Certains y sont même hostiles, percevant, dans le mouvement ouvrier ou les alternatives concrètes, la manifestation d’une politique réactionnaire, avec laquelle l’unité serait en quelque sorte contre-nature[7]. En cela, il est nécessaire de communiquer au sein de ces deux sphères afin d’œuvrer à des rapprochements.

Pour ce faire, cette stratégie implique, autant possible, une intervention militante, à la fois dans les luttes sociales et les initiatives concrètes. Il ne s’agit bien évidemment pas d’une injonction, mais d’une démarche volontaire. Les militants ne sont en effet pas des surhommes, et on ne milite pas aussi bien si l’on est contraint que lorsque l’on est motivé.

Au sein de ces initiatives, la stratégie consiste à y développer au maximum les pratiques autogestionnaires et libertaires, telles que l’assembléisme (prise de décision en assemblée générale, distribution égale de la parole, recherche autant que possible de l’unanimité), le fédéralisme (faire le/créer des liens avec tout un ensemble de luttes), éviter la trop grande délégation, en particulier envers les divers « spécialistes » de la conduite des luttes, afin de favoriser les démarches d’auto-appropriation et d’auto-émancipation.

Ces fonctionnements mis en place, il est alors nécessaire de rendre explicite, d’une part, le fait que la société présente ne pourra changer que par la voie des luttes et de la rupture révolutionnaire avec le monde capitaliste, et d’autre part, le fait que ces modes de fonctionnement des luttes pourraient devenir les bases de fonctionnement élémentaires de la société future.

Premiers pas vers une Décroissance Communiste Libertaire

Par adminECR-DCL dans Publications DCL le 22 Juillet 2014 à 20:01

Nous avons dans un premier temps mis en avant les insuffisances de l’écosocialisme : indistinction entre croissance verte, développement durable et décroissante en ce qui concerne l’écologie, indistinction entre compromis de classe, keynésianisme de gauche, capitalisme encadré, et stade inférieur du communisme pour le socialisme, indistinction entre démocratie directe et démocratie représentative, fédéralisme et centralisme, autogestion sociale et administration étatique. Nous avons ensuite pu mettre en avant la stratégie politique à laquelle correspond l’introduction de l’écosocialisme dans le champ du discours politique : une stratégie de rassemblement de la gauche dont le but partiel est la formation d’un front électoral, et dont le but final est la conquête du pouvoir d’Etat.

Au vu des ambiguïtés sémantiques contenues au sein de ce concept, l’écosocialisme apparaît comme un énoncé renvoyant de part en part à des politiques réformistes, et s’avère, en ce sens, assez aisément récupérable par certains partis du système qu’il est censé combattre au départ. Sur chacun des points d’incertitude, il est par conséquent nécessaire de renforcer le degré de précision quant au projet que nous défendons, quant à la société que nous projetons de construire.

Dans un second temps, nous nous sommes concentrés sur les limites du paradigme éco-logiste et relevé en quoi cette conception, du fait de ce qu’elle comporte de logique d’extériorisation, de séparation, de dissolution du sujet dans les grands ensembles, était incompatible avec la pensée libertaire.

Dans une troisième partie, nous avons relevés les apports innovants des objecteurs de croissants/décroissants, les passerelles avec les perspectives communistes et libertaires, ainsi que les limites et les manquements, sur un plan conceptuel, stratégique et en terme de projet social des acteurs de ces mouvements.

Pour dépasser ces limites, Il est donc nécessaire d’affirmer un projet social différent, articulé autour de mots d’ordre clairs. Face au socialisme démocratique, et à la sociale démocratie auquel il peut être aussi assimilé, il est nécessaire d’affirmer un projet Communiste Libertaire. Face aux incertitudes de l’écologie, il est nécessaire de prendre clairement position en faveur de l’option de la Décroissance.

Cependant, l’assimilation de la Décroissance amène à la fois à définir ce que celle-ci implique pour le projet Communiste Libertaire, mais aussi ce que le positionnement Communiste Libertaire sous tend comme société de décroissance. C’est à cette réflexion que nous nous emploierons dans parties qui suivent. Nous commencerons par discuter des démarches d’appropriation de la thématique de la décroissance dans les mouvements libertaires. Ensuite, nous nous concentrerons sur les différentes propositions de modèles sociaux-économiques anarchistes, dont le communisme libertaire, pour mieux en cerner les contours. Enfin, nous tenterons d’analyser les manières et les formes sociales permettant de combiner ce projet avec une perspective de décroissance.

I Introduction de la Décroissance dans la pensée Anarchiste/Libertaire

On retrouve un certain intérêt pour la Décroissance dans les milieux libertaires. Des réflexions, allant dans ce sens, ont été développées par Jean-Pierre Tertrais[1], et plus généralement par la Fédération Anarchiste[2], et ce avant même l’apparition des concepts d’écosocialisme dans le champ du discours politique. Ces travaux ont eu pour intérêt d’attirer l’attention du mouvement Anarchiste/Libertaire sur la décroissance, afin de l’intégrer comme paramètre à prendre en compte dans le cadre la construction d’une société future débarrassée de la domination de classe et de l’Etat.

Mais la réflexion sur la décroissance et l’anarchisme n’est pas seulement menée par la seule Fédération Anarchiste. On retrouve également les traces de cette réflexion au sein d’Alternative Libertaire, des CNT, et sur un certain nombre de sites et de forums anarchistes/libertaires ou apparentés.

Les questions tournent autour de l’intégration de la problématique de la Décroissance comme composante du projet société Anarchiste, mais abordent moins, ou disons de manière plus floue et succincte celle de l’organisation économique envisagée pour une société de Décroissance et les limites ou les reformulations du projet que celle-ci peut impliquer.

II Quelle Décroissance pour quelle société Anarchiste/Libertaire ?

A Quelle décroissance ?

1 Appropriation des apports de Serge Latouche

Outre les travaux de Tertrais que nous avons déjà évoqués, on peut retrouver des essais de d’appropriation de la thématique de la décroissance dans certains écrits Libertaires, en particulier l’article « Penser la décroissance avec Serge Latouche », présent sur le site « Nouveau millénaire, défis libertaires »[3]. Cet article consacré à la pensée de Serge Latouche, passe en revue un certain nombre de ses positions et démontre en quoi celles-ci sont compatibles avec le projet libertaire.

Néanmoins, cet article ne traite que de manière superficielle des questions d’organisation économique et politique, que ce soit au niveau du projet libertaire en soi ou chez Serge Latouche. Or on ne peut se limiter à des énoncés simplistes tels que « une société qui garantit la justice ou l’égalité sociale, à travers l’extension de la liberté politique[4].

De plus, Les différences, pour ne pas dire les divergences, entre la pensée de Latouche et le projet libertaire sont pour le moins énormes, tant au niveau économique que politique. Au niveau politique, Serge Latouche ne défends pas particulièrement la disparition de l’Etat et le développement de la démocratie directe et autogestionnaire. De même que la critique de la « mégamachine » s’adresse davantage à la dimension « méga » qu’a la machine elle-même, sa critique du pouvoir s’inscrit davantage dans une logique de re-localisation que de destruction. On reconnaît là l’influence de la pensée d’Ivan Illich concernant la question de l’autonomie[5]. Contrairement à Castoriadis qui traite de l’autonomie comme capacité de l’Homme à se défaire de la domination du pouvoir politique, ainsi que de l’histoire et des traditions, la conception de l’autonomie d’Illich se rapporte davantage à une forme de micro-souverainisme traditionaliste. Cette perspective est d’autant plus inquiétante qu’elle constitue une passerelle avec la pensée d’extrême droite, une possibilité pour cette dernière de s’approprier la thématique de la décroissance. Cette possibilité d’appropriation est d’autant plus renforcée lorsque l’on étudie les positions économiques de Serge Latouche. En effet, si Latouche se présente souvent comme « anticapitaliste », lorsqu’il s’agit d’approfondir le débat sur la nature du capitalisme et ce qu’implique le fait de s’en débarrasser, sa critique devient alors relativement superficielle, ne s’adresse qu’a sa dimension abstraite[6] et sombre dans les méandres inconsistants d’un anti-libéralisme bon teint[7], relativement similaire à celui de la gauche réformiste ou des organisations nationalistes. Bien entendu, Serge Latouche ne nourrit pas de telles intentions, et il serait injuste de l’en accuser, cependant, il semble qu’il soit incapable de saisir les dérives que comporte sa pensée, afin d’en neutraliser les possibilités de récupération politiques.

Ainsi, si les travaux de Serge Latouche, et d’Ivan Illich, s’avèrent intéressant, du fait qu’ils ouvrent des horizons, offrent à la théorie critique des concepts aussi intéressants que ceux de simplicité volontaire, d’après-développement, de mégamachine, d’hétéronomie, d’autonomie, d’autolimitation des besoins, de décolonisation de l’imaginaire ou de convivialité, cette pensée « décroissante » ne peut se suffire à elle-même et suppose pour gagner de la consistance, d’être passés au crible de la critique communiste libertaire afin de s’y combiner ou de faire l’objet de reformulations.

2 La décroissance selon Alternative Libertaire

On retrouve également, dans ce court article tiré du mensuel d’Alternative Libertaire, la réflexion suivante [8] :

« Lors d’une conférence à Paris le 22 mai 2008, le député vert Yves Cochet affirmait : « On n’a pas à choisir si l’on est pour ou contre la décroissance, elle est inéluctable, elle arrivera qu’on le veuille ou non. » Il faisait là de la décroissance un synonyme de restriction, volontaire ou non.

Bien sûr, il faut rompre avec le dogme de la « croissance pour la croissance » : elle est une des causes principales de la crise économique, écologique et sociale qui met à mal la planète et l’humanité ; elle est un pilier indispensable au maintien d’une société inégalitaire.

Mais on ne peut laisser penser que nous souhaitons des restrictions, quand les besoins vitaux d’une partie importante de l’humanité – dans les pays du Sud, mais aussi en Occident – ne sont pas satisfaits.

Les seules statistiques disponibles sur les émissions de CO2 sont par pays ou par région. Elles ne permettent en rien d’appréhender l’empreinte écologique de chaque classe sociale. Ce n’est hélas pas une surprise.

La décroissance, ce doit être avant tout la décroissance des activités socialement inutiles et parasitaires. Il faut supprimer les productions de luxe réalisées « pour les besoins » des classes possédantes ; éliminer les secteurs économiques parasites liés à la domination idéologique, à la répression d’État et à la défense de la propriété capitaliste (publicité et propagande, armée, système pénitentiaire, économie sécuritaire…). Il faut coordonner les activités sociales vitales (eau, énergie, transport, santé, éducation, télécommunication...) dans un service public universel qui permettrait – entre autres – un système de transport en commun généralisé et la quasi-élimination du transport individuel en voiture. Il faut parvenir à la souveraineté alimentaire pour chaque peuple, en développant les cultures vitales au détriment des cultures d’exportation, et en refusant les OGM et les pesticides pour casser la domination des multinationales agro-industrielles.

Il faut réduire drastiquement le transport de marchandises, en relocalisant les industries.

Bref, il faut faire décroître toutes les activités inutiles que le capitalisme, emporté dans sa logique irrationnelle, a hypertrophiées. Et on s’apercevra que, ce faisant, on satisfera mieux les besoins de la grande majorité de la population… sans doute au détriment d’une minorité ulra-riche, qui devra bien se plier devant l’intérêt général.

Les solutions individuelles pour consommer moins voire autoproduire permettent d’agir à la marge sur l’effet de serre. Mais la « simplicité volontaire » prônée par certains « objecteurs de croissance » ne doit pas faire illusion. Il n’y aura pas de solution à la crise écologique sans rupture avec le capitalisme. »

Alternative Libertaire, dico anticapitaliste, qu’est-ce que la décroissance ?, 09/12/2009

Ce court article pose tout un ensemble de bases élémentaires de ce qu’est la décroissance et de la manière dont elle peut-être appréhendée par les Libertaires. La décroissance y est d’abord présentée comme une nécessité, un fait prévisible. Y est ensuite critiqué le mythe de la croissance comme dogme des classes dominantes au service de la reproduction d’une société inégalitaire, puis le fait que pour les libertaires, il ne s’agit pas d’opérer une restriction générale ne prenant pas en compte ces inégalités matérielles et sociales entre les pays du Nord et ceux du Sud, mais aussi entre les classes sociales. La décroissance, pour les libertaires, implique donc, comme pour l’ensemble des décroissants de gauche, une critique des inégalités sociales, permettant la satisfaction des besoins de l’ensemble de la population. Ensuite, la première décroissance envisagée est celle des activités parasitaires générées par le capitalisme, dont en particulier les activités et les pratiques sociales liés à la logique marchande, dont la publicité, (mais on pourrait aussi parler de l’obsolescence programmée, du packaging, des produits à usage unique, etc.), et à l’organisation des systèmes guerriers et répressifs. Enfin, la décroissance est abordée dans le cadre d’un projet collectif (« un service publique universel »), en relativisant une certaine autosuffisance des pratiques de « simplicité volontaire » dont l’impact sur le système est en réalité quasiment inexistant.

Cet article pose donc les bases élémentaires d’une Décroissance Libertaire, même si la réflexion sur un certain nombre de points mériterait d’être approfondie dans des publications plus conséquentes. C’est par exemple le cas de la décroissance de la population, qui demeure un sujet extrêmement épineux, voire tabou, mais sur lequel il est quand même possible d’affirmer, d’une part, qu’il est encore possible d’offrir des conditions de vie décentes à l’ensemble des personnes actuellement existantes, et qu’il serait nécessaire de développer la contraception et de combattre les idéologies natalistes, dont les origines remontent à des pensées religieuses apparues dans des sociétés de pénurie et d’insécurité, ou encore dont la promotion à été faite par les Etats dans le cadre de politiques bellicistes. C’est aussi le cas, par exemple, de l’interrogation sur la soutenabilité envisageable d’une société débarrassée des aberrations capitalistes, qui impliquerait une réflexion sur la responsabilité et l’auto-limitation, dont les fondements sont très certainement analogues à ceux qui s’appliquent à la Démocratie Libertaire.

Dans une motion de congrès intitulé « Face au défi écologique, trois révolutions sont nécessaires », on retrouve la réflexion qui suit [9]:

La notion de décroissance est souvent associée à la simplicité volontaire. (…) Il est vain d’espérer une généralisation de ce genre de pratiques, la vraie solution ne pouvant être que collective, et passant par une transformation radicale de la société.

La notion de « décroissance » en tant que telle n’apporte aucune solution si elle n’est pas associée à une rupture avec le capitalisme.

L’objectif d’une décroissance reste dérisoire s’il n’est lié à celui de l’appropriation collective des moyens de production. Une vision a-classiste de la décroissance ne constituerait qu’une nouvelle lune idéologique à la mode, et les communistes libertaires n’y peuvent souscrire. Elle conduirait, au pire, à une politique de rationnement pour les classes populaires, au mieux, aux diverses solutions individuelles de « simplicité volontaire » sans impact global. La « décroissance » est un aspect et non la totalité de la solution au bouleversement climatique - il faut y adjoindre une révolution dans les modes d’échange et de production. La « décroissance » ne peut être un objectif dans l’absolu : si les pays du Nord consomment trop, nombre de pays du Sud ont besoin de développement, d’infrastructures de transport, d’éducation, de santé. Et y compris au sein des pays du Nord, un accès amélioré aux mêmes services pour les groupes sociaux défavorisés est une nécessité.

Militant(e)s communistes libertaires, nous n’avons aucun penchant pour l’exotisme qui voit dans le dénuement et la pauvreté un « supplément d’âme » à ce monde sans pitié. La nécessaire révolution dans les modes de consommation ne peut donc s’entendre que différenciée selon les régions du monde. Pour schématiser : il faut que les « riches » consomment moins pour que les « pauvres » vivent mieux.

Dans ce passage, d’une certaine manière très ambigu dans sa formulation, on pourrait penser que les auteurs admettent, plutôt que de contester, le fait que la décroissance soit assimilée à la simplicité volontaire… pour mieux la critiquer. Sur ce point, il est tout de même nécessaire de préciser que la promotion de l’aspect simplicité volontaire s’inscrit dans une logique principalement médiatique. Comme on le sait, les choix politiques des directions éditoriales des médias de masse ont tendance à valoriser les aspects les moins contestataires des mouvements de contestation de la société, afin de neutraliser la révolte et de rendre ses pratiques récupérables, ou du moins de les amener à une forme de coexistence non-subversive pour la société capitaliste. A travers les médias dominants se diffuse alors une certaine idée de la décroissance comme mode de vie plus sain et authentique qui est alors suivi par une petite partie de la population. Mais on ne peut réduire la décroissance à cela.

Ainsi, lorsque les auteurs affirment que la solution ne peut-être que collective, ils rejoignent ce que défendent, par exemple, les militants du Parti Pour la Décroissance (PPLD), ou le Mouvement des Objecteurs de Croissance (MOC).

En effet, dans l’ouvrage collectif « un projet de Décroissance », Vincent Liegey, membre du PPLD, identifie quatre niveaux politiques de la Décroissance, dont le collectif[10] :

- Le collectif : à travers les alternatives concrètes, mises en avant dans ce livre.

- Le projet : projet de transition et aussi réflexion sur ce que peuvent être des sociétés de Décroissance (4).

- La visibilité : l’organisation de rencontres-débats, de manifestations, le passage dans les médias, la participation à des élections de manière non-électoraliste (5).

- L’individuel : à travers la simplicité volontaire et la décolonisation de l’imaginaire.

Les militants du mouvement des Objecteurs de Croissance définissent quant à eux les « trois pieds de l’Objection de Croissance, que sont[11] :

  • le pied « spectaculaire » : des manifestations, des pétitions et des votes.
  • le pied des expérimentations : des alternatives concrètes et des contre-pouvoirs.
  • le pied du projet : de l’utopie, oui ; du programme, non. Comme on peut le constater, les deux organisations principales de la décroissance en France sont porteuses d’une dimension collective, et ne réduisent pas leur champ d’action à la simplicité volontaire. Enfin, venons-en à l’argumentation sur les pays du Sud et l’exotisme de la pauvreté. Le mouvement de la Décroissance s’est particulièrement développé avec l’Altermondialisme, qui accordait une importance particulière au rééquilibrage des rapports Nord/Sud. De plus, une des affirmations phares des décroissants, en particulier du MOC et du PPLD, est que la première des décroissances est celle des inégalités, et ce, à la fois dans les différences internationales ou intercontinentales en termes de développement, mais aussi, au sein de ces ensembles territoriaux, entre les différentes classes sociales. Si elle développe une critique sévère du productivisme et du consumérisme marchand, la décroissance – du moins celle qui est structurée en courant politique, qui relève du bon sens, et qui mérite qu’on s’y intéresse, qu’on s’en empare – n’a donc rien à voir avec un« exotisme qui voit dans le dénuement et la pauvreté un « supplément d’âme » à ce monde sans pitié ». Dans les travaux de Tertrais et les propositions de la Fédération Anarchiste, la Décroissance Anarchiste/Libertaire demeure traversée par une indétermination quant au modèle socio-économique envisagé. En effet, s’il est clair qu’il est question de décroissance Anarchiste/Libertaire, que celle-ci implique l’égalité sociale et la fin de l’Etat, il n’est pas spécifié dans les travaux de Tertrais s’il s’agit d’une Décroissance « Socialiste Libertaire », « Collectiviste Libertaire » ou « Communiste Libertaire ». Cette distinction peut apparaitre au prime abord comme une question de vocabulaire sans importance, et il est vrai que de manière pratique et immédiate, cette question se pose peu. Cependant, en termes de projet de société, de buts à atteindre sur le long terme, elle pose la question du moment où les Anarchistes/Libertaires considèrent que leur objectif est atteint, et, par conséquent, celles des tâches qu’il reste à accomplir, de la nécessité d’une organisation spécifiquement Anarchiste/Libertaire et de sa propagande, du moment où l’on estime que le courant anarchiste n’a plus de raison d’exister car la société tout entière a été gagnée à ses positions. Par conséquent, il est important ici d’aller creuser le sens de chacune de ces expressions afin de comprendre les modèles sociaux économiques qu’ils sous-tendent et les enjeux qui y sont liés. Au niveau de la Fédération Anarchiste, il semble que le Communisme Anarchiste/Libertaire constitue l’option préférentielle[14] :Buts et Principes, Fédération Anarchiste« (…) si nos préférences vont vers le communisme libertaire, comme système ouvert et perfectible, nous ne refusons systématiquement - mis à part, bien sûr, les régimes bourgeois et totalitaires - aucun autre mode d’organisation sociale, qui peut être de type mutualiste, collectiviste, coopératif, pourvu qu’ils éliminent toute exploitation de l’homme par l’homme. » 2 Quelles différences entre Socialisme, Collectivisme et Communisme Libertaire ?« Dans les théories libertaires, il y a plusieurs approches de la propriété. Proudhon représente le courant socialisme libertaire, appelé aussi « mutuellisme » ou fédéralisme autogestionnaire. Bakounine est le représentant du collectivisme libertaire. A la mort de Bakounine (1814-1876), le socialisme libertaire se scinda entre le collectivisme libertaire de Bakounine et l’anarcho-communisme (créé en 1876) ou communisme libertaire dont Kropotkine (1842-1921) est le principal représentant (Jean Coste, 2006). « Le collectivisme libertaire de Bakounine essayait donc de concilier Proudhon et Marx » (Daniel Guérin, 1957), c’est-à-dire la socialisation de la propriété des moyens de production et l’autogestion.Les collectivistes libertaires « maintiennent le salariat et une forme de répartition suivant le mérite. En fonction de cette répartition, chacun est propriétaire des fruits de son travail » mais pas des moyens de production (Irène Pereira, 2009 : 559). » Le Socialisme Libertaire abolit donc la propriété capitaliste, mais maintien la possession individuelle. Bien qu’il se base sur un principe coopératif, mutualiste, et donc sur une certaine forme de solidarité, il et ne rompt ni avec la séparation entre producteurs et consommateurs, ni avec la possible mise en concurrence d’unités de productions autogérées. Le Collectivisme Libertaire rend la société propriétaire de l’ensemble des moyens de production, mais il n’abolit pas le salariat, et maintient la rémunération au mérite et à la quantité de travail effectuée.« Communisme désigne aussi (…) des rapports socio-économiques reposant sur l'absence de rapports marchands, selon le principe : « De chacun selon ses capacités à chacun selon ses besoins » et se distingue ainsi du socialisme (ou collectivisme) qui a pour principe « de chacun selon ses capacités à chacun selon son travail ». »[17]« La discussion entre collectivisme et communisme se déroulera principalement à la fin du XIXe siècle. Les deux grandes différences avec les anarcho-communistes sont :2. Les anarcho-communistes proposent que les associations (en autonomie), voire la fédération de ces associations recensent les besoins (et les capacités disponibles), permettant ainsi aux individus concernés de déterminer la production et la distribution nécessaires pour répondre uniquement à ces besoins. Le collectivisme, au contraire, propose de gérer par le syndicat ou par d'autres moyens la production. »[18]« Le choix du communisme plutôt que du collectivisme est vite apparu vital pour une partie du mouvement anarchiste à cause de la crainte d'un centralisme économique que pouvait amener la théorie collectiviste. En effet, cette théorie proposait de définir la valeur du travail effectué, et ceci selon le temps ou la tâche effectuée. Cela impliquait qu'il y ait un centralisme économique qui définirait cette valeur (en monnaie ou en bons de consommation), et donc des personnes spécialisées dans la définition de la valeur du travail (des gestionnaires, des spécialistes ?) ; théoriquement et pratiquement, cela aurait été évidemment inacceptable pour les anarchistes, pour qui il n'est ni possible ni souhaitable de définir une valeur à l'activité humaine. La théorie communiste anarchiste balaya toutes ces contraintes ou manquements associés aucollectivisme libertaire, et le communisme devint pour une bonne part des anarchistes le successeur du collectivisme dans de nombreuses contrées (les espagnols garderont longtemps le collectivisme comme base économique envisagée, et ceci jusqu'au début des années 1930, où cela fut changé lors d'un congrès). »[19]Sur le site FAQ Anarchiste, la différence entre ces courants n’est pas exactement définie de la manière dont nous venons de l’expliquer. Le « socialisme anarchiste » y est considéré comme un paradigme englobant, tandis que ce que nous avons précédemment identifié comme « Socialisme Libertaire » est ici qualifié de mutualisme[20] : Il est également spécifié que :En effet, le mutualisme y est qualifié de « socialisme de marché », se déclinant en une version individualiste et une version socialiste anarchiste de type fédéraliste. Il se distingue du collectivisme et du communisme anarchiste du fait que :Cependant, collectivisme et communisme anarchiste divergent pour les raisons suivantes : A cela, il faut ajouter que : Le texte se poursuit en abordant la question du courant Anarcho-syndicaliste. Ce courant ne pose pas de différence majeure avec les courants collectivistes et communiste Anarchistes en termes de projet de société, mais défendent l’option syndicaliste révolutionnaire, c'est-à-dire le fait que ce sont les syndicats qui, après la révolution et selon les principes du fédéralisme et de la démocratie directe, gèreront la production. Au contraire, le Communisme Libertaire, comme nous l’avons vu précédemment, implique que la production soit organisée par des associations ou bien des communes libres et fédérées entre elles. C’est ce que l’on désigne par « Communalisme Libertaire »[21]. Le courant « conseilliste libertaire », quand à lui, revendique le fait que l’ensemble des travailleurs, organisés en conseils, gèrent leur unité de production. Le syndicat ne gère pas les unités de production, et doit demeurer un contre-pouvoir, un outil d’auto-défense spécifique des travailleurs contre les injustices et les oppressions postérieures qui pourraient apparaître. D’une certaine manière, ce rapport entre anarcho-syndicalisme, conseillisme libertaire et communalisme libertaire a déjà été résolu sur le plan théorique. Les communes sont organisées en fédérations de communes, puis au niveau régional, puis en fédérations de régions, et ainsi de suite ; de même pour les conseils ou les syndicats, organisés en fédérations professionnelles, de branches, etc.[22]. Les problèmes qui concernent la commune ou la fédération de communes, la région ou la fédération de région sont traités à cette échelle, les problèmes concernant la sphère de la production sont traités à l’échelle ou ils s’appliquent. Cette question, relative à l’autogestion généralisée, a été explicitée de manière plus ou moins analogue par Cornélius Castoriadis[23] :On ne serait l’expliquer aussi clairement ! Revenons-en, à présent, à notre exposé sur les différences entre socialisme/mutuellisme, collectivisme et communisme libertaire. Pour résumer, l’ensemble des anarchismes issus du mouvement ouvrier se réclament de la démocratie directe, du mandat impératif et de la possibilité de révocation immédiate des mandatés, du fédéralisme, de l’autogestion. Les collectivistes et communistes libertaires s’accordent sur la propriété collective des moyens de production et la logique d’entraide. Les communistes libertaires défendent de surcroît l’abolition du salariat, la fin de l’économie de marché et la logique de prise au tas.Dans « un projet de société communiste libertaire », qui consiste plus en une description d’un modèle de transition vers une société communiste libertaire qu’en un projet social en tant que tel, est évoqué une thèse intéressante sur la séparation de l’économie. Cette économie double se découperait en : - un marché libre pour la consommation individuelle : en toute liberté, chacun pourrait choisir selon ses goûts, ses priorités. La répartition égalitaire étant assurée par une égalisation du pouvoir d’achat. » [24]« La production échappe aux impératifs des profits. Ce sont les besoins humains qui deviennent déterminants. Ces besoins ne sont pas et ne seront jamais « objectifs » : ils répondent à des données culturelles, à des aspirations personnelles, mais aussi à ce que la production propose. Il y a donc une grande diversité de besoins qui appellent un système forcément complexe de détermination des impératifs de production. Deux mécanismes parallèles nous paraissent pouvoir être mis en place. L’un de planification et de coordination générale autogérée, qui centralise les besoins recensés dans les communes et les régions, les unités et les fédérations de production. Cette planification assure la mise en œuvre collective des grandes transformations. Et elle garantit à tous la satisfaction des besoins fondamentaux, de façon libre, gratuite, solidaire : logement, santé, formation, nourritures de base... L’autre mécanisme recouvrirait l’intervention spontanée des individus et des communautés de base s’exprimant dans un marché libéré des contraintes de l’économie marchande mais permettant l’accès libre de chacun aux produits et aux services de son choix. »[25]Tout d’abord, s’agit-il d’une forme de second travail, qui s’effectuerait sur le temps libre de l’individu une fois que celui-ci se serait acquitté des tâches collectives ? En effet, il serait injuste de regonfler le temps de travail de ceux qui souhaiteraient vivre modestement en contribuant aux besoins collectifs élémentaires, sous prétexte de libérer du temps pour que des personnes s’attèlent à un travail annexe. Au-delà de parler d’un marché libre, il serait intéressant de s’interroger sur la thèse de la dé-marchandisation générale et du développement d’une production libre et gratuite, basée sur le don et la volonté de partage, plutôt que sur l’échange et le calcul coût/avantage. Ce type de rapports sociaux d’échanges permettrait de se distancier de la logique de convertibilité quantitative propre à la logique marchande, et ainsi de garantir une séparation nette entre économie des besoins et production libre au-delà des besoins. Pour parvenir en deçà des seuils limites de soutenabilité – consommation de moins d’une planète, réduction des émissions de CO2 de 99%, sortie des énergies fossiles et transition vers la sobriété énergétique sur la base des énergies renouvelables – cette économie de la post-nécessité devrait nécessairement être modérée, afin de parvenir à satisfaire les besoins les plus élémentaires de toutes et tous en termes d’alimentation, d’habitat, de santé, d’éducation, de logement, dans le cadre d’une transition décroissante vers des modèles de production-consommation soutenables.Ainsi, tout comme la notion d’abondance, la thèse de la satisfaction illimitée des besoins illimités, et celle de la prise au tas, la thèse de la bi-économie doit être débattue de manière plus approfondie, à la fois dans le sens de la non convertibilité monétaire entre sphère des besoins fondamentaux et sphère des besoins secondaires et dans le sens du développement de la gratuité et des échanges non marchands, qui constitueraient une base garantissant une non régénération des rapports sociaux capitalistes, ainsi que dans le sens de la soutenabilité matérielle d’une telle sphère productive dans une société Communiste Libertaire répondant aux impératifs biologiques de la Décroissance. Comme nous l’avons constaté précédemment, la société communiste libertaire s’articule donc autour de la démocratie directe, du fédéralisme, du mandat impératif, de la révocabilité des mandatés, mais aussi de l’autogestion, de la propriété commune des moyens de production, de l’abolition du salariat et de l’économie marchande. a) L’abolition du SalariatL’abolition du Salariat suppose donc l’abolition du droit de propriété individuelle, du droit de décision individuel concernant la nature de la production et l’organisation du travail dans le cadre du travail collectif. Elle suppose la propriété collective, ou commune, des moyens de production, et l’autogestion de la production par les travailleurs eux-mêmes. D’un autre côté, pour être opérante, l’autogestion, comme nous avons pu l’évoquer précédemment, ne peut être partielle, limitée à une seule unité de production. D’abord, parce qu’un certain nombre de décisions se prennent au-delà de la simple unité de production. D’autre part, parce que l’isolement des unités productives et la séparation des sphères de la production et de la consommation génèreraient un système de concurrence et d’inégalités, et maintiendrait inéluctablement une forme de salariat. Cette limite suppose donc que les unités de production se fédèrent entre elles et avec la sphère de la consommation, afin de mettre en place une autogestion généralisée à l’ensemble de la société, abolissant la concurrence et les inégalités. La seconde manière de comprendre le concept d’abolition du salariat implique la première, tout en allant plus loin. En effet, si l’abolition du salariat, en son sens restreint, abolit la propriété capitaliste, voir la concurrence entre unités productives et/ou la gestion économique par un socialisme d’Etat ; elle n’abolit pas la possibilité d’accumulation monétaire individuelle. La spéculation, quant à elle, constitue une conséquence de ce premier phénomène de possession et d’accumulation monétaire. Elle s’est développée sous forme systémique dans le cadre de la concurrence capitaliste, par la médiation monétaire. Mais la logique spéculative existe indépendamment et au-delà de la monnaie officielle. On peut spéculer avec des monnaies locales, ou même des coquillages ou des petits cailloux si l’on décide que ceux-ci servent d’interface à l’échange et que l’on se situe dans une société où la production et la consommation sont séparées, fonctionnent l’une contre l’autre, où les producteurs décident de ce qu’ils produisent indépendamment des consommateurs, coupés de la production, qui peuvent réclamer des choses sans les réaliser eux-mêmes. La spéculation tient donc sur la séparation de l’offre et de la demande, et sur la possibilité d’interpréter leurs variations pour y placer son argent de la manière la plus avantageuse. De ce fait, elle sera facilement abolie dans le cadre d’une autogestion généralisée et coordonnée dont le but est de satisfaire les besoins de la population, puisqu’elle se base sur une logique de concurrence et de séparation entre l’offre et la demande, qui seront-elles mêmes abolies. Cependant, nous ne parlons pas ici d’un quelconque revenu de base ou d’une dotation, mais d’abolition de la médiation monétaire entre production et consommation et de participation directe et non restreinte à l’activité productrice de base de la société. La participation à l’activité de production doit déboucher, non sur un revenu, qui, accumulé, pourrait servir à la constitution d’appareils pour le parasitage et la provocation de crises sociales organisées, et à terme pour la régénération capitaliste, (industries de propagande, corruptions travailleurs, par exemple, pour constituer des armées, produire des armes, en vue de mener une insurrection pro-capitaliste, etc.), mais sur des droits d’accès directs à certains biens et services. L’abolition de la société marchande et du salariat implique donc une forme de reconnaissance sociale, par exemple sous forme de droit fondamental, en fonction de la participation, non limitée par un quelconque système de domination, à la production commune. Ces conditions de participation ainsi que les tâches s’inscrivant dans le cadre de la production commune restent bien entendu à déterminer, tout autant que les formes et l’organisation des productions annexes. Cette réorganisation serait d’ailleurs facilitée par une réduction radicale du temps de travail consécutive de la suppression de certains secteurs d’activités. En effet, une fois supprimés, entre autres, le travail de contrôle répressif dans la société et les lieux de travail, le travail lié à sphère marchande (productions inutiles, secteur de la publicité, formation et recherche marketing), le travail ajouté lié à l’obsolescence programmée, le travail strictement nécessaire, organisé collectivement, ne demanderait pas plus qu’une poignée d’heures par semaines. Certains l’évaluent à environ 20 heures. D’autres 10 à 15 heures[32] ou même 5 à 7 heures par semaines[33]. Ces propositions, que nous n’évaluerons pas dans le détail ici, démontrent que le travail nécessaire ne demanderait pas plus de quelques heures ou journées de travail. On pourrait ainsi choisir de réorganiser le travail avec des journées plus courtes, ou de limiter les semaines à une, deux ou trois journées. Le reste du temps pourrait être consacré à des activités ludiques, artistiques, scientifiques, sportives, à la convivialité, à l’amour, à la découverte, à la détente, mais aussi à la formation des travailleurs, dans le sens de l’apprentissage du fonctionnement autogestionnaire, de la prise de décision, du perfectionnement et de l’acquisition de nouvelles compétences, permettant l’accès à plus de polyvalence[34] et d’autonomie. Ce temps libre pourrait également être consacré à des activités de productions annexes. Ces productions ne seraient pas échangées contre d’autres par la médiatisation marchande. On y aurait accès en participant librement à telle ou telle étape du processus de production. Elles pourraient également être partagées avec d’autres personnes sous forme de prêt ou de don. Comme nous venons de l’expliquer dans la partie précédente, l’abolition du salariat et de l’économie marchande pose la rupture avec la séparation entre les producteurs d’un coté, les consommateurs de l’autre, avec comme lieu de rencontre et de transaction le marché, régi par la loi de l’offre et de la demande. La société communiste libertaire, qui abolit la séparation production-consommation, implique le fait que l’assemblée, en tant qu’espace social et politique, de prise de décision concernant l’organisation des activités sociales, remplace la médiation monétaire, et le marché, la séparation la production et la consommation, entre la sphère l’offre et la demande. Le salaire, le marché, la monnaie, l’économie sont des institutions qui disparaissent donc logiquement, pour donner lieu à un nouveau type de rapport social, basé d’une part, sur la discussion et la délibération collective, d’autre part, sur l’usage direct et non restreint des moyens de production. Ce sont les producteurs-consommateurs associés en coopératives fédérées (et non un gouvernement autoritaire !) qui décident de ce dont ils ont besoin, de la manière dont ils vont le produire, du temps qu’ils consacreront à cette tâche, etc. L’impératif de la décroissance n’implique pas nécessairement d’énormes changements de fonds concernant le projet société communiste libertaire, que ce soit en termes de structuration, de fonctionnement politique ou de propriété collective. Par contre, il pose question au niveau du libre usage des moyens de production et de la prise au tas, en fonction de la logique de limites, de rareté, et implique donc de réfléchir de manière plus sérieuse et approfondie aux conditions d’abolition du salariat et de l’économie marchande. Sur le premier point, nous pouvons affirmer qu’en soi, l’impératif de la décroissance ne pose aucun problème. On ne voit pas en quoi la limite des ressources matérielles ou les émissions de particules, en soi, empêcheraient quiconque de participer librement aux ressources et aux moyens de production, en quoi certains devraient en être privés d’accès. Du fait de la nécessité d’autolimitation, les thèses du libre usage des moyens de production et de la prise au tas se voient ici fortement remises en questions. Il est certes possible de se servir librement des moyens de production et parmi ce qui est produit, mais cette possibilité se voit aussitôt restreinte par les impératifs de décroissance. L’enjeu de l’auto-limitation étant global, les décisions doivent se prendre au niveau de l’ensemble des fédérations : comment rester attentif au fait que chaque fédération n’en arrive pas, volontairement ou involontairement, à dépasser les limites productives ? Toutes ces questions ne peuvent cependant aboutir à des réponses toutes faites. Il est fort difficile, dans le cadre d’une société non-émancipée, d’imaginer les modes d’autorégulation qu’adopteront des sociétés émancipées de l’ensemble des aspects du capitalisme. Mais cela ne doit pas pour autant nous enfermer dans une posture attentiste. L’effort de réappropriation du savoir émancipateur et de stimulation de l’imagination doit être poursuivi autant que se peut. La synthèse que nous venons d’effectuer ne constitue ainsi qu’un point d’étape, ouvrant de nouveaux chantiers de réflexion pour la construction d’un projet social débarrassée du capitalisme, de la propriété privée des ressources et des moyens de production, de la domination politique et de la croissance destructrice.
  • Se pose ici la question de la structuration sociale. En effet, de la même manière que la simplicité volontaire, l’auto-limitation, comme l’entraide, ne peut se baser uniquement sur une éthique (par essence individuelle) de la bonne foi, de la bonne volonté. Elle doit faire partie, encore une fois comme l’entraide, d’un fonctionnement collectif et social plus global et plus concret, au sein duquel elle tient une place de premier rang, en s’insérant au cœur des institutions autonomes et des mécanisme d’harmonisation biologique et sociale.
  • Se pose alors d’autres questions : est-il possible de développer une éthique de l’auto-limitation ? Comment veiller collectivement à ce que chaque fédération arrive à gérer son autolimitation ? Faut-il que chaque fédération définisse un ensemble de critères, d’objectifs, de seuils ?
  • C’est au niveau du second point que la question de la raréfaction et de la pollution se pose. Certes, il est possible d’utiliser librement les ressources et des moyens de production, c'est-à-dire sans restriction liées à la propriété privée et au droit individuel de décider de qui a le droit, et qui n’a pas le droit, de s’en servir. Cependant, afin d’éviter les effets nocifs, préalablement abordés, liés à la surproduction, cet usage doit être contrôlé, évalué, et limité collectivement, par le moyen de la démocratie libertaire. Le contrôle de l’usage des ressources et le fait de fixer des limites n’ont en effet pas pour but de produire une société de misère, mais au contraire d’endiguer le risque d’une société de pénurie consécutive de la surproduction et de l’épuisement des ressources naturelles. On pourrait ainsi parler, d’un « principe responsabilité libertaire ».
  • Le « libre usage des moyens de production » peut être entendu de deux manières. Tout d’abord, comme la possibilité, pour chaque personne, d’utiliser les outils et les machines pour produire, sans nécessité, par exemple, d’être recruté au sein d’une entreprise. Quiconque souhaite contribuer à la production le peut. Ensuite, il peut être compris comme la possibilité d’usage des ressources et des moyens de production pour produire ce dont chacun a besoin sans aucune limite.
  • Or cette proposition, aussi progressiste qu’elle soit, ne fournit pas, par elle-même, de réponse concernant la nécessaire rationalisation de la société afin que celle-ci ne se détruise pas elle-même, ni ne détruise les êtres vivants avec lesquels elle vit en interaction, c'est-à-dire l’impératif de décroissance, puis de soutenabilité biologique.
  • 5 Décroissance et abolition de la société marchande
  • Or ces droits ne seraient pas attribués non plus sous le mode du « rationnement » tel qu’il peut être compris à travers l’imaginaire des périodes pénurie (notamment celles des contextes de guerre), c'est-à-dire sous forme de tickets, délivrés par une technobureaucratie d’Etat centralisée se substituant à la démocratie autogestionnaire, donnant accès à tel ou tel quantité de tel ou tel bien en échange de telle ou telle activité de production[31]. Tout en privant l’individu de la possibilité de choisir ce qu’il veut en contrepartie de sa participation à la production, le ticket de rationnement constitue en effet une forme de monnaie et de salaire. On peut en obtenir davantage en travaillant davantage, et il peut être échangé contre des biens (certes déterminé par l’intitulé du ticket), échangé clandestinement avec d’autres tiqués, stocké en attendant que la raréfaction lui confère plus de valeur, puis ensuite ré-échangé contre des quantités plus importantes, conférant au spéculateur de tickets un pouvoir sur autrui. Le rationnement, sous cette forme, ne constitue ni une forme d’abolition du salariat, ni un outil permettant d’abolir la société marchande.
  • Mais la satisfaction des besoins fondamentaux ne signifie pas autolimitation des besoins, ou des désirs, et la volonté d’avoir ou de réaliser davantage, quitte à rompre avec l’égalité et à empiéter sur la liberté des autres. Du fait de la logique de convertibilité inhérente au système monétaire et la réduction du monde à un ensemble de quantités, la monétarisation représente un danger en fonction du pouvoir qu’elle confère, et de la mise en lien entre ce pouvoir et le phénomène de l’Hybris[30]. Elle pourrait donner lieu à des phénomènes de régénération potentielle du capitalisme ou d’autres régimes de domination sociale. Il s’agit donc ici, dans le cadre de la propriété commune des moyens de production, d’abolir la somme monétaire perçue en fonction d’une quantité de travail effectuée, d’une qualification, d’une responsabilité particulière.
  • Nous ne parlons pas ici uniquement du caractère fétiche de la monnaie, ou de la logique spéculative. La monnaie, en tout cas lorsqu’elle est matérialisée, n’est en fait qu’un symbole[28], un principe de reconnaissance réciproque d’une appartenance sociale commune, et en cela, elle ne pose pas de problème de fond. La seule possession de bouts de papiers ou de rondelles métalliques n’apporte rien « en soi » à celui qui les possède, si l’on ne reconnaît pas une valeur, un droit, une capacité, un pouvoir, à un individu en fonction de la quantité monétaire qu’il possède. On pourrait ainsi décider, à l’échelle de la société toute entière, que la fortune l’homme[29] le plus fortuné du monde ne compte pour rien, et que l’on n’échange plus quoi que ce soit avec lui. Sa fortune ne lui servirait alors à rien. De fait, cette fortune disparaîtrait socialement.
  • b) L’abolition du salariat à travers l’abolition de l’économie marchande
  • Elle suppose aussi la rupture avec la logique trompeuse – car elle ferait penser à une forme de communisation, sans en être vraiment une – de « nationalisation des moyens de production », c'est-à-dire de placement de l’appareil productif sous contrôle de l’Etat, de la technobureaucratie. En effet, la technobureaucratie d’Etat pourrait alors comme le patron, décider de qui peut ou non être employé, de la nature de la production, des horaires, de l’organisation du travail, de la hauteur et de la hiérarchie des rémunérations. Il s’agirait d’un « salariat d’Etat » et non d’une abolition du salariat, qui ferait de l’Etat un propriétaire capitaliste, en concurrence avec les autres puissances capitalistes, capable de dégager des profits pour rémunérer sa propre hiérarchie de manière plus importante et se mettant en concurrence avec les autres Etat pour la suprématie économique. Une telle perspective ne peut être tenable.
  • Il y a deux manières de comprendre le concept d’« abolition du salariat »[26]. La première, la plus connue et la plus commune, consiste dans l’abolition du rapport salarial[27], qui lie, à travers un contrat de travail, le salarié et son patron. Il s’agit d’un rapport social profondément inégalitaire. Le « prolétaire » ne possède que sa force de travail qu’il peut vendre au patron (ou non, mais dans ce cas, dans la société capitaliste, l’alternative réside dans la misère). Le patron peut se dégager une marge de profit en ne rémunérant pas le salarié en fonction du prix de vente de la production. Marx qualifiait ce rapport social d’ « exploitation ». De plus, le patron détient le pouvoir d’employer ou non, de fixer le salaire, la hiérarchie des salaires, les horaires, de décider de la nature de la production. Cette confiscation du pouvoir de décision et de maitrise de l’activité de production par les travailleurs eux-mêmes correspond au concept d’ « aliénation » chez Marx.
  • Chacun peut alors se servir librement des moyens de production pour produire ce dont il a besoin. Quand à la distribution, elle est répartie de la manière suivante : prise au tas pour ce qui est abondant, rationnement en fonction des besoins recensés et des ressources disponibles pour ce qui est soumis à la rareté.
  • 4 L’Abolition du Salariat et de l’économie marchande
  • Une fois passé sous ce seuil de soutenabilité, il faudrait que le développement de ces économies libres soit suffisamment minimal afin de ne pas impliquer un re-dépassement des limites biologiquement supportables. Cette thèse signifie que l’économie des besoins serait suffisamment minimale pour ne par affleurer à elle seule les limites de soutenabilité de la société Communiste Libertaire.
  • Enfin et surtout, ces possibles créations d’appendices productives à l’économie des besoins doivent malgré tout être interrogées en termes de soutenabilité et s’inscrire dans le cadre des problématiques de Décroissance, puis de sobriété énergétiques et d’autolimitation des formes de consommation matérielles.
  • Ensuite, comment assurer, garantir, la séparation entre une économie de la satisfaction des besoins collectifs et une économie au-delà des besoins collectifs ? Sur ce point, l’expérimentation de monnaies locales non convertibles, destinées à certains achats, nous apporte des pistes intéressantes. Ces monnaies permettraient d’assurer l’implantation des unités de production au seul niveau local, de limiter la circulation des biens produits à des circuits courts, et limiterait ainsi le développement d’une croissance extensive nécessairement biocide. Cette proposition entre en outre en résonance avec la thèse d’Alternative Libertaire sur le développement de l’autonomie productive.
  • Au-delà de l’économie collective propre au Communisme Libertaire, qui impliquerait une forte réduction du temps de travail, pourrait se développer une seconde économie, un marché libre débarrassé des contraintes de l’économie de marché. Cette proposition d’organisation de l’activité socio-économique laisse penser à une hybridation entre les thèses communistes ou collectivistes libertaires d’une part, en ce qui concerne la satisfaction des besoins fondamentaux, et socialistes/mutuellistes libertaires d’autre part, en ce qui concerne les besoins seconds. Outre que le terme marché, même s’il est ici envisagé de manière non capitaliste, sans plus de précisions, reste très connoté, renvoyant notamment à la logique marchande, à son fétichisme, et qu’il aurait peut-être fallu préférer le terme d’activités libres, cette thèse soulève ici quatre questions.
  • On retrouve la même réflexion dans le manifeste d’Alternative Libertaire :
  • « - un secteur de biens et de services libres et gratuits. C’est la prise au tas pour un « minimum vital », services publics, santé, transports, éducation, logement, dont la liste totale serait à fixer dans le cadre des grandes décisions soumises à la consultation de toute la société ;
  • 3 Sur le communisme Libertaire d’AL et la thèse de la bi-économie
  • D’ailleurs, il ne s’agit pas du seul point ou la réflexion de Castoriadis recoupe les propositions Libertaires. Dans ce même article, Cornélius Castoriadis y déconstruit totalement le principe de hiérarchisation des salaires selon la position, le statut ou la compétence, et se place du côté de l’égalité des salaires. Il déconstruit également, à travers la problématique de l’autogestion, la prétendue nécessité d’un commandement hiérarchique au niveau professionnel, tout comme politique d’ailleurs. Nous n’en sommes pas encore à l’abolition du salariat, mais nous dépassons déjà les éternelles querelles autour de l’étendue de l’échelle mobile des salaires pour défendre le salaire unique.
  • « Nous voulons une société autogérée. Qu’est-ce que cela veut dire ? Une société qui se gère, c’est-à-dire se dirige, elle-même. Mais cela doit être encore précisé. Une société autogérée est une société où toutes les décisions sont prises par la collectivité qui est, chaque fois, concernée par l’objet de ces décisions. C’est-à-dire un système où ceux qui accomplissent une activité décident collectivement ce qu’ils ont à faire et comment le faire, dans les seules limites que leur trace leur coexistence avec d’autres unités collectives. Ainsi, des décisions qui concernent les travailleurs d’un atelier doivent être prises par les travailleurs de cet atelier ; celles qui concernent plusieurs ateliers à la fois, par l’ensemble des travailleurs concernés, ou par leurs délégués élus et révocables ; celles qui concernent toute l’entreprise, par tout le personnel de l’entreprise ; celles concernant un quartier, par les habitants du quartier ; et celles qui concernent toute la société, par la totalité des femmes et des hommes qui y vivent. »
  • « En ce qui concerne les anarcho-communistes, ils pensent que "le communisme -- au moins partiel -- a plus de chance d'être établi que le collectivisme" après une révolution. [Op. Cit., p. 298] Il pensent que des mouvements en direction du communisme sont essentiels puisque le collectivisme "commence par abolir la propriété privée des moyens de production et se retourne immédiatement en revenant au système de rémunération suivant le travail effectué, ce qui signifie la réintroduction de l'inégalité." [Alexander Berkman, What is Anarchism?, p. 230] Plus vite on passe au communisme, moins on a de risque de voir de nouvelles inégalités se développer. »
  • « La différence majeure entre collectivistes et communistes porte sur la question de la "monnaie" après une révolution. Les anarcho-communistes considèrent que la suppression de la monnaie est essentielle, alors que les anarcho-collectiviste considèrent que la fin de la propriété privée des moyens de production est la clé. (…) Ainsi, tandis que le collectivisme et le communisme organisent tous deux la production en commun via des associations de producteurs, ils diffèrent sur la façon dont les biens produits seront distribués. Le communisme est basé sur la libre consommation de tout tandis que le collectivisme est très probablement basé sur la distribution de biens en fonction du travail effectué. Cependant, la plupart des anarcho-collectivistes pensent que, au fil du temps, avec l'augmentation de la productivité et un sens de la communauté devenu plus fort, la monnaie va disparaître. Les deux sont d'accord sur le fait que, à la fin, la société fonctionnera selon la maxime communiste : "De chacun suivant ses compétences, pour chacun suivant ses besoins." Ils ne sont simplement pas d'accord sur la vitesse à laquelle cela arrivera. »
  • « Les autres formes d'anarchisme socialiste ne partagent pas le soutien aux marchés, même ceux non-capitalistes. Au lieu de ça, ils pensent que mettre en commun la production et partager librement l'information et les produits entre coopératives permet de mieux assurer la liberté. En d'autres termes, les autres formes d'anarchisme socialiste sont basée sur la propriété commune (et sociale) par des fédérations d'associations de producteurs et de communes plutôt que sur le système mutualiste de coopératives individuelles. »
  • « La seule différence majeure qui existe est entre le mutualisme et les autres types d'anarchisme socialiste. »
  • « Il existe quatre tendances majeures au sein de l'anarchisme socialiste : le mutualisme, le collectivisme, le communisme et le syndicalisme. »
  • Ainsi, suivant ces propos, le Communisme Libertaire, au contraire du Socialisme et du Collectivisme Libertaire, vise à terme la suppression de la hiérarchie des salaires et du salariat en général, ainsi que l’abolition des rapports marchands. Il s’en distingue également du fait que ce sont des associations autonomes et fédérées qui déterminent la production et les besoins, et non les syndicats ou l’Etat fédéral.
  • Enfin :
  • 1. Les anarcho-communistes défendent le principe « de chacun selon ses capacités, à chacun selon ses besoins ».
  • De plus :
  • Le Communisme Libertaire pose une rupture avec ces deux modèles au sens où :
  • Thierry Burgvin, « La décroissance autogestionnaire : une alternative au capitalisme »
  • Dans le cadre du socialisme libertaire de Proudhon, la propriété privée des moyens de production est conservée pour les familles de paysans, et ceux-ci s’organisent en mutuelles ou en coopératives, et enfin en fédérations agricoles. Les petites entreprises sont collectivisées (et non nationalisées), c’est-à-dire que la propriété et les décisions appartiennent cette fois à tous les travailleurs de l’entreprise et non à l’Etat. En revanche, les grandes entreprises n’appartiennent plus à des individus particuliers mais à l’Etat, et restent autogérées. Après avoir proféré que « la propriété, c’est le vol » en 1840, Proudhon transforme un peu sa position en affirmant que « la propriété, c’est la liberté. [...] La propriété est la seule force capable de servir de contrepoids au pouvoir de l’Etat » (Pierre Joseph Proudhon, 1866). A la différence de Proudhon et du socialisme libertaire (la Fédération anarchiste actuelle), les collectivistes libertaires et les communistes libertaires veulent socialiser l’ensemble des moyens de production. C’est-à-dire que les entreprises n’appartiendraient qu’à la société dans son ensemble, mais plus aux travailleurs ; en revanche, elles seraient autogérées.
  • Comme nous l’avons expliqués précédemment, dans de nombreux courant Anarchistes/Libertaires, cette différence ne semble être que sémantique. Cependant, elle porte en réalité sur des points fondamentaux des modèles socio-économiques envisagés. Sur le site de la revue « Limites », cette différence est expliquée de la manière suivante[16] :
  • La Fédération Anarchiste affirme ici défendre le Communisme Libertaire comme option préférentielle, sans pour autant être fermée à d’autres systèmes. Cependant, il n’est pas ici précisé s’il s’agit d’une stabilisation de la société sur des bases Socialistes, Collectivistes ou Communistes Libertaires, ou s’il peut s’agir d’étapes successives, de phases de transition, etc. Il est vrai que ce n’est jamais l’organisation révolutionnaire, mais la société en action, qui détermine les formes sociales et économiques qu’elle adopte, et que les révolutionnaires, en particulier Libertaires, n’ont qu’un rôle de proposition dans ce processus. Cependant, la réflexion ne porte pas ici sur les choix hypothétiques que la société fera, mais sur la nature des propositions que les révolutionnaires, les Anarchistes/libertaires, vont avancer. Or, il s’agit bien de proposer, de revendiquer, des modèles sociaux émancipateurs, qui soient les plus avancés possibles, et non des propositions intermédiaires et concessives, qui ne dévoileraient pas l’ensemble du potentiel d’émancipation que la société contient. En effet, comme nous le verrons par la suite, le communisme libertaire est né des critiques et de la volonté de dépassement des imperfections des modèles socialistes et collectivistes libertaires.
  • Cependant, dans « L’organisation économique envisagée dans une société anarchiste »[15], cette proposition semble relativisée :
  • « 1. La Fédération Anarchiste est une association d’anarchistes révolutionnaires reconnaissant la lutte des classes. Nous visons l’abolition de toute hiérarchie, et luttons pour créer une société mondiale sans classes : le communisme anarchiste. ».
  • 1 Positionnement de la Fédération Anarchiste
  • B Modèle économique envisagé ?
  • L’autre argument, présenté par les auteurs de la motion de congrès d’Alternative Libertaire présentée plus haut, est que « La « décroissance » est un aspect et non la totalité de la solution au bouleversement climatique - il faut y adjoindre une révolution dans les modes d’échange et de production. ». Il est ici difficile d’identifier, faute d’un développement plus conséquent de l’argumentation, ce que les auteurs entendent par « révolution dans les modes d’échange et de production ». Cette idée mériterait d’être précisée afin de pouvoir ouvrir le débat. En effet, au niveau de la production, la décroissance implique un autre usage des ressources et des matériaux, basé sur la durabilité augmentée, le produire utile, l’autolimitation. Au niveau de la distribution, des échanges, elle appelle au développement des circuits courts, de la relocalisation de la production. Si on prend en compte également les critiques du centralisme étatique ou bureaucratique, développées depuis les années 70 par les écologistes, et reprises par les décroissants[12], on peut aussi aboutir à une forme de décentralisation et de fédéralisme, qui rejoignent le concept d’ « autonomie productive »[13], développé par Alternative Libertaire. Ensuite, s’il est évident que la décroissance n’est qu’un aspect du problème, l’autre étant plutôt de l’ordre de l’aspect sanitaire ou de l’équilibre dans les bio-interactions. Cependant, on peut aussi penser que cette interrogation est contenue dans la problématique ou les objectifs du Communisme Libertaire. En effet, le Communisme Libertaire est un mouvement qui est l’héritier des grands courants progressistes et philanthropes des siècles passés, du socialisme, du communisme, de l’Anarchisme. Il contient donc pour finalité de répondre aux besoins élémentaires des hommes : se vêtir, se loger, se soigner, etc. En cela, c’est le communisme libertaire qui apporte la base réflexive permettant cette autre partie du problème. De plus, comme le communisme libertaire est une pensée du collectif, son contenu, sa réflexion sur les rapports sociaux, son éthique, nous fournissent les outils de départ pour penser l’équilibre des relations avec le reste de la biodiversité.
  • La référence au collectif n’est pas ici explicite, mais elle transparaît dans les actions collectives définies dans le « pied « spectaculaire » », mais aussi dans « le pied des expérimentations », les alternatives concrètes étant souvent collectives, les contre-pouvoirs également. Enfin, le collectif est présent dans le « pied du projet », puisqu’il est ici clairement question d’un projet de société et non individuel.

[1] Jean-Pierre Tertrais, Du Développement à la Décroissance – se sortir de l’impasse suicidaire du capitalisme,

(http://www.theyliewedie.org/ressources/biblio/fr/Tertrais_Jean-Pierre_-_Decroissance_brochure_federation_anarchiste_2004.html),

mais aussi : « Pour une Décroissance Libertaire », publié dans ecorev’

(http://ecorev.org/spip.php?article583),

et toute une série d’articles parus dans Le Monde Libertaire :

http://www.monde-libertaire.fr/les-auteurs-du-monde-libertaire/12869-jean-pierre-tertrais.

[2] Soulignons les motions sur la décroissance adoptées lors des congrès de la Fédération Anarchiste de 2004 et 2008, ainsi que l’article de John Rackham, « Anarchisme et Décroissance »

(http://www.monde-libertaire.fr/debats/14722-anarchisme-et-decroissance).

[3] http://1libertaire.free.fr/DecroissanceLatouche.html

[4] Nous y reviendrons dans la partie suivante concernant la dimension économique d

  • Apports et limites des Objecteurs de Croissance et des Décroissants

    Par adminECR-DCL dans Publications DCL le 22 Juillet 2014 à 20:00

    PPLD, MOC, Un projet de Décroissance, Revue Limites.

    I les apports innovants des objecteurs de croissance

    La Décroissance est une perspective qui a longtemps provoquée un rejet, notamment du fait de certaines approches catastrophistes, cosmologiques, ou d’une imaginaire primitiviste, romantique ou simplement cynique, qu’elle développait ou qui lui était imputée. Elle a aussi constituée une perspective dissuasive par son absence de réflexions, de projet de société fédérateur, au niveau des questions sociales et démocratiques. Elle a certes gagné en crédibilité du fait de certains bilans scientifiques dont les conclusions pouvaient justifier ses thèses, sa critique de la société industrielle, mais a éprouvée des difficultés à s’affirmer du fait d’un manque de perspective joyeuse ou désirable, d’un principe espérance qui éveillerait une volonté d’agir, de s’engager.

    Depuis quelques années, un courant innovant de la Décroissance, en partie en rupture avec les idées repoussoir propres aux courants de pensée précédents, s’est progressivement affirmé. Il est incarné en France par des organisations politiques comme le Parti Pour La Décroissance (PPLD), le Mouvement des Objecteurs de Croissance (MOC), et publie des séries d’ouvrages comme Un projet de décroissance et des revues comme Limites.

    Ce courant a d’abord su allier une critique de la croissance articulant les effets nocifs et les limites naturelles de la société industrielle et une critique radicale de l’économie de marché, du capitalisme, des effets profondément inégalitaires de la croissance économique.

    Ensuite, pour développer sa critique, il a su mobiliser les concepts d’ « autonomie », « d’hétéronomie », de « limitation », de « décolonisation de l’imaginaire » d’Ivan Illich et de Cornélius Castodiaris, et s’est également alimenté d’apports extérieurs comme la pensée de l’utopie (Bloch, Mannheim), le socialisme utopique (Fourrier), la place de l’expérimentation.

    Enfin, pour contrer l’aspect austère et misérabiliste que les défenseurs du modèle capitaliste, surproducteur et gaspilleur, imputent à la Décroissance, ils ont mis en avant l’hédonisme et la convivialité, se sont appropriés la critique la centralité du travail dans la vie, et avancent une perspective de réduction conséquent du temps de travail.

    Ce courant s’est également nourrit des apports de l’Altermondialisme, des mouvements Autonomes, de la Nouvelle Gauche postmoderniste/post-structuraliste/néo-spinoziste (Foucault, Deleuze, Negri&Hardt, Holloway) jusqu'à ceux du mouvement néo-Zapatiste. Pour illustration, la reprise par les organisations décroissantes de la stratégie et du symbole de l’escargot. Si ce symbole traduit bien évidemment une critique de la logique d’accélération constante des sociétés techno-industrielles avancée et des dégâts qu’elle provoque, et revendique besoin de lenteur, de ralentissement du rythme biologique de la société, il a avant tout été développé par les Zapatistes avec une signification différente, signification dont les Objecteurs de Croissance et les Décroissants semblent se nourrir[1] :

    « Le choix du Caracol pour nommer de l’autonomie s’accorde parfaitement au goût des zapatistes pour la poésie et le symbole, riches en résonances. Dans les cultures mayas, le caracol est d’abord un coquillage marin utilisé comme instrument de musique. Il permettait d’alerter les communautés en cas de danger… comme, aujourd’hui, de faire entendre la voix des zapatistes. Dans une figuration stylisée, il appariât ensuite sous la forme d’une spirale d’où émerge parfois e visage d’un vieillard : il rejoint ainsi la conception maya du temps, pour laquelle celui-ci conjugue ouverture vers la nouveauté et retour sur le passé, la première se fondant sur le second dans un processus toujours renouvelé. De même, le projet de transformation sociale des zapatistes prend appui sur la « tradition » des communautés indigènes, mais sans s’y enferme : la référence à l’organisation et à l’histoire propres des peuples indigènes est le socle sur lequel s’édifient des relations sociales en permanente transformation. La tradition est recomposée dans le présent, selon des perspectives utopiques qui ne perdent pourtant jamais de vue le réel. Mais la spirale évoque encore des manières de parler, de penser, d’être… proches de celles que l’on observe dans les communautés indigènes. C’est l’idée que, pour atteindre un but, le chemin le plus directe n’est pas forcément le meilleur, que le détour est souvent nécessaire et fécond parce qu’il correspond à un processus de maturation organique : « éviter de manifester sa soumission à un intérêt immédiat ou un empressement à atteindre directement son but, comme le voudraient les logiques de la rationalité instrumentale et de l’efficacité optimisée ; admettre que beaucoup de détours peuvent parfois être un judicieux moyen de trouver son chemin et que le temps perdu de l’errance est une expérience bénéfique », telles sont les dimensions de l’agir auxquelles renvoie la spirale indigène, et zapatiste. Ici d’ailleurs, le symbole du caracol rejoint sa représentation contemporaine sous la forme de l’escargot : celui-ci convoque alors à la fois par sa coquille la spirale et tous les motifs qui s’y rattachent, et la lenteur du petit animal modeste mais obstiné, qui prend son temps pour aller loin (…) ».

    Ces apports multiples lui ont permis de développer une critique profonde de la démocratie représentative et de l’Etat, et de s’approprier des problématiques autogestionnaires, voire Libertaires[2]. Ces critiques ont été mises en lien avec la question de la Décroissance, en mettant en évidence une concentration croissante du pouvoir de décision dans les mains d’un nombre de personnes de plus en plus réduit, qui s’incarne dans le développement du capitalisme oligopolistique ou monopolistique, mais aussi en ce qui concerne les régimes technobureaucratiques.

    Mais l’apport de ces courants de Nouvelle Gauche pour les mouvements de la Décroissance ne s’arrête pas là. Ils lui ont permit de développer une meilleure compréhension des mutations de la société, des transformations des formes de socialisation et d’engagement, de la multiplicité qui s’y développe, des fonctionnements souples, en réseaux, des logiques d’innovation sociale, d’hégémonies culturelles, de la dimension circulante du pouvoir, des phénomènes d’influences réciproques, des pratiques minoritaires impulsives pouvant aller jusqu’aux effets de masse critique.

    [1] Solidaires International, Mexique, Chiapas et Zapatistes, p. 108-109

    [2] http://www.les-oc.info/2013/09/la-democratie-sans-illusion-sans-attendre/

    http://www.les-oc.info/2010/09/atelier-sur-la-democratie-directe/

    II Limites de la stratégie des objecteurs de croissance et des décroissants :

    A Décroissance des inégalités ou abolition ?

    En dilatant volontairement la notion de décroissance, les objecteurs de croissance/décroissants formulent la proposition de « décroissance des inégalités ». Cette approche, au premier abord encourageante, ne doit malgré tout pas laisser penser que les inégalités seraient trop fortes et que des inégalités plus justes pourraient exister. C’est tout le problème aussi du débat autour de l’échelle mobile des salaires, du revenu minimum et du revenu maximum. Cette proposition ne fait d’ailleurs pas consensus au sein des décroissants, certains proposant, par exemple, un salaire unique (sous forme de dotation, déconnectée de l’emploi). D’autres décroissants (non-membres du MOC ou du PPLD), n’ont que faire des inégalités sociales, pourvu que la société décroisse. Contre ces courants de pensée, il nous faut défendre l’abolition des inégalités sociales, économiques et politiques, et maintenir comme perspective finale l’abolition du salariat. C’est dans ce cadre par exemple, et non en tant que réforme d’Etat, que la dotation inconditionnelle d’autonomie prendrait tout son sens.

    B Relocalisation ou destruction du pouvoir politique ?

    La question de la décroissance du pouvoir, de sa relocalisation, de sa réorganisation « à taille humaine » reste, en tant que telle, une proposition aussi ambigüe que ne l’est celle de la décroissance des inégalités. On pourrait penser qu’il s’agit, et ce n’est pas toujours clair chez les décroissants, de lutter contre le pouvoir à grande échelle, sans pour autant remettre en question ses modalités, ses rapports d’autorité, de hiérarchie, la souveraineté de ses instances politiques sur la population. On peut aussi penser, lorsqu’ils parlent d’autonomie locale, à certaines formes d’autarcie, d’existence en vase clos, sans lien possibles ou souhaités avec d’autres territoires, sans solidarité spatiale. Dans ce flou, il est nécessaire d’affirmer clairement la nécessité d’une société non-hiérarchique, horizontale, où la décision est prise directement par les personnes concernées, en fonction de l’échelle territoriale à laquelle elle s’applique, où les communes peuvent s’associer entre elles pour mener des projets en commun, pour s’aider mutuellement.

    C Une stratégie électorale ambigüe

    Au niveau du rapport aux élections et aux institutions politiques, le MOC et le PPLD revendiquent un usage tribunicien des élections dans le cadre d’une stratégie de visibilité. Il s’agit de faite connaître et de diffuser à une large échelle des idées et un projet politique, notamment en se servant des espaces médiatiques attribués par le système en période électorale. A cela, il faut cependant mettre en garde au niveau des limites de cette stratégie : confiscation de la parole, personnification, phénomènes charismatiques, qui vont à l’encontre du projet d’autonomie que les Décroissants semblent défendre.

    Mais au-delà de ces limites, le problème vient surtout du fait que les Décroissants acceptent malgré tout des postes d’élus, car il y aurait des choses à faire à la marge, au sein de ses instances, comme l’illustre cet extrait article, que l’on retrouve sur le site du MOC[1] :

    « Techniquement, cela ne signifie pas ne pas avoir d’élus, mais pouvoir en avoir à condition qu’ils ne dépendent pas d’accords politiques majoritaires avec la social-démocratie, mais d’accords techniques respectant la proportionnelle intégrale. Ces élus n’ayant comme rôle que de permettre les avancées et la pérennisation des alternatives et expérimentations sociales (y compris par la loi), certainement pas celui de collaborer à un dispositif institutionnel qui est l’accompagnement politique d’un modèle dont nous voulons sortir[89].

    Bien entendu, ces élus seraient désignés par le bloc alternatif, sur un engagement de mandature dont ils devraient rendre compte devant leurs mandants, avec le non-cumul impératif, y compris dans le temps, et un revenu limité au revenu moyen local[90]. »

    Certes, il ne s’agit pas de se compromettre au travers « d’accords politiques majoritaires avec la sociale-démocratie », mais de passer des « accords techniques respectant la proportionnelle intégrale ». Ceci signifie que les élus n’entrent pas dans les institutions politiques sur la base d’un programme commun, mais conservent leur indépendance politique par rapport à « un dispositif institutionnel qui est l’accompagnement politique d’un modèle dont nous voulons sortir ». Cependant, il est à noter que ces stratégies politiques ne sont généralement que très peu comprises de la majorité des gens, qui ne distinguent généralement que peu « fusion politique » et « fusion technique » dans le cadre des élections. Ce que les gens interprètent généralement, c’est que des partis incapables de faire des scores susceptibles de leur attribuer des élus qui, pour en obtenir, passent des accords électoraux, sont en quête de pouvoir et préfèrent se compromettre que se désister.

    De plus, cette logique amène à maintenir, dans l’imaginaire collectif aussi bien que dans la réalité concrète, la primauté des institutions politiques comme voie royale du changement, et à renforcer la légitimité de la souveraineté étatique. Elle n’aide donc pas à s’en défaire, à pointer l’attention sur l’auto-organisation, les alternatives concrètes et les luttes sociales, comme méthode permettant de transformer la société. Au contraire, le principe du vote peut engendrer des phénomènes d’inversion spectaculaire aboutissant à la délégation de la capacité d’action et l’attente envers les élus que ceux-ci prennent en charge la transformation de la société. Autrement dit, il favorise l’hétéronomie plutôt que l’autonomie. Il s’agit d’un risque largement sous estimé dans le discours des organisations se présentant aux élections. Mais plus risqué est encore d’affirmer que : « Ces élus n’ayant comme rôle que de permettre les avancées et la pérennisation des alternatives et expérimentations sociales (y compris par la loi) ». Cette logique est typique d’un certain réformisme, affirmant qu’il serait possible d’obtenir des avancées minimales dans le système actuel. Or d’une part, ce sont des avancées insignifiantes et l’on ne pourrait/saurait s’en contenter. D’autre part, les marges d’autonomies tolérées par le pouvoir en place sont si minces que ces initiatives pourraient facilement être récupérées politiquement, au sens où, par le jeu des soutiens aux propositions des décroissants, elles serviraient aux partis à la manœuvre, ou à ceux de l’opposition, de « caution verte », lui conférant ainsi un certain « verni écologiste ». Cette stratégie risque fort d’aboutir à de grandes désillusions. Elle a notamment fini par compromettre les verts, les amenant à toute une série de renoncements programmatiques.

    En outre, on est aussi en droit de se demander ce qui pourrait bien être mis en place par des élus qui ne pourrait l’être par la voie associative. Les élus peuvent certes appuyer la mise en application de propositions à l’échelle d’une ville, attribuer des financements aux associations. Mais cela suppose d’être majoritaire. Or la gestion de collectivités locales, par exemple, ne semble pas être l’objectif puisqu’il ne s’agit pas « de collaborer à un dispositif institutionnel qui est l’accompagnement politique d’un modèle dont [les objecteurs de croissance veulent] sortir ». En effet, la gestion de collectivités locales implique de répondre aux exigences plus globales de ce système, que ce soit les lois de l’Etat ou les directives Européennes, c'est-à-dire d’accompagner un modèle politique. On doute alors qu’il s’agisse de cela.

    D’autre part, la recherche et l’usage des financements publics constituent une stratégie à double tranchant. Elle peut permettre un temps de développer l’activité des associations, mais ce développement, comme la tolérance expérimentations locales et des alternatives concrètes reste lié au bon vouloir d’une majorité politique élue et consentante. Ainsi, d’une part, ceux qui adoptent cette stratégie peuvent se voir instrumentalisés par le pouvoir, voir récupérés, d’autre part, les aides accordées par le politique ou la tolérance dont il fait preuve peuvent sauter du jour au lendemain. Tout comme en ce qui concerne les modèles technologie thermiques, il existe une « fragilité de la puissance »[2] des alternatives concrètes lorsque celles-ci vont chercher des moyens d’accélération de leur développement qui à terme s’avèrent destructeurs. Mieux vaut donc, à ce niveau, compter sur ses propres moyens, et adopter la « stratégie de l’escargot » : avancer de manière patiente et prudente, en réfléchissant, en anticipant, en s’adaptant.

    D limites de la stratégie de la dissidence et de la révulsion du mouvement ouvrier

    L’autre problème majeur des objecteurs de croissance/décroissant consiste dans la mise en avant d’une stratégie de la dissidence au détriment d’une stratégie de lutte sociale, de lutte de classe révolutionnaire. On retrouve un exemple de ce type d’orientation dans l’article, par ailleurs très riche et intéressant sur le plan théorique et philosophique, de Michel Lepesant, intitulé « A quoi bon être décroissant à l’ère de l’Anthropocène »[3]. On peut notamment y relever les déclarations suivantes :

    « Il faut en particulier refuser une esthétisation de la violence, une héroïsation de la contre-violence qui prétendrait que la violence peut être joyeuse. »

    « Nous venons d’éjecter la « voie de la rue » : on vient donc de se priver de la joie de l’insurrection qui vient. »

    « Et nous sommes en train de faire de même avec la « voie des urnes » : on se prive ainsi de la joie de la victoire électorale. (…) »

    « Cette hégémonie doit donc être préparée par une stratégie de basculement opérée par la puissance des expérimentations sociales et écologiques. »

    Si le rejet de la voie électoraliste ici développé parait relativement lucide et sain (mais pas forcément en phase avec le contenu des statuts des OC), le refus de « l’esthétisation de la violence », de l’ « héroïsation de la contre violence », le rejet de « la voie de la rue », s’ils mettent en garde contre certaines dérives liées à la question de la violence, traduisent malgré tout d’une perception totalement déformée de ce qu’est la contestation sociale, c’est-à-dire des manifestations, des piquets de grèves, des barrages routiers et autres occupations de boites, des réquisitions de logements vides, des mobilisations antifascistes, etc. En effet, par son apparente réduction à la vision, largement minoritaire, qu’en donne le comité invisible dans l’insurrection qui vient, cette posture de répulsion du mouvement social, qui permet en outre de qualifier les contestataires d’extrémistes, de preneurs d’otages, de terroristes, de barbares ou même de fascistes, se fait l’allié objectif, même si involontaire, du pouvoir dominant, du capital, qu’elle est pourtant censée combattre. L’adoption de cette posture revient à ne pas comprendre ce qui anime subjectivement les acteurs des luttes, dans leur pensée et leurs actions, leur besoin de révolte et les moyens, parfois violent, qu’ils doivent mettre en œuvre (et pas toujours de gaîté de cœur !), pour lutter contre diverses oppressions et espérer améliorer leur qualité de vie. Au contraire, elle consiste à les sur-interpréter, de manière moraliste, avec des catégories de pensée et des logiciels théoriques plaqués du pacifisme béat, issues de l’idéologie chrétienne, de la philosophie libérale Anglo-Saxonne, ou encore à partir des versets de Buddha, Gandhi et Luther King.

    Le comble est tout de même que dans cet article, Michel Lepesant intitule ce paragraphe « Changer le monde sans prendre le pouvoir », reprenant ainsi le titre de l’ouvrage de John Holloway. C’est bien vite oublier que John Holloway à écrit cet ouvrage en référence et en soutien au mouvement zapatiste, mouvement qui revendique la nécessité pour chaque habitant du Chiapas de posséder une arme pour résister au gouvernement mexicain, et qui s’est largement médiatisé à travers les déclarations publiques du sous-commandant Marcos, lequel apparaissant systématiquement cagoulé, en treillis, généralement entouré d’un petit groupe armé vêtu de la sorte. On peut certes critiquer cette esthétisation, mais il ne faudrait pas non plus tomber dans le piège qui consisterait à penser que de telles alternatives auraient pu tenir sans possibilité d’autodéfense, de résistance armée. Il ne faudrait pas non plus oublier que l’EZLN, avec le soutient de la population, à effectivement « pris le pouvoir » au Chiapas, sur la base de l’insurrection armée, et que ce n’est qu’après, au moment ou la population du Chiapas à commencée à s’organiser, plutôt que de partir à la conquête, militaire ou électorale, du Mexique, que l’idée de non prise du pouvoir s’est affirmée.

    La stratégie exposée par Michel Lepesant, et plus largement par nombre d’Objecteurs de Croissance et de Décroissants, ressemble plus à de la dissidence et de la fuite qu’a de la réappropriation autonome en vue d’une transformation globale. Elle n’est pas sans rappeler les limites d’auteurs comme Hakeem Bey ou André Gorz.

    La pensée d’Hakeem Bey tient sa limite dans une perspective de non affrontement, et d’expérimentation ou de tentatives d’appropriation, éphémères et ponctuelles, d’espaces alternatifs (les Zones d’Autonomie Temporaires), au sein d’un système clos ou se refermant constamment. Le problème est qu’Hakeem Bey, au lieu d’envisager ces espaces comme des expériences préparatoires au renversement global, estime que le renversement global est impossible, et tend à réduire ces expériences à un certain art de vivre minoritaire.

    Bien évidemment, Michel Lepesant ne tombe pas dans cet écueil, qui n’est pas sans rappeler les limites de la simplicité volontaire en tant que stratégie unique. Mais son attention portée au changement du mode de vie, tend à occulter, au-delà de l’attachement à un mode de vie capitaliste, réellement pris en compte et analysé chez les objecteurs de croissance/décroissants, la dimension répressive inhérente au système qui cherche à se maintenir. Gramsci, dont Lepesant s’inspire en abordant la problématique de l’ « hégémonie culturelle », parlait d’ « hégémonie culturelle cuirassée de coercition ». Cela signifie que derrière le contentement, l’adhésion volontaire ou la dépendance au système dominant, se dissimule, et peut s’activer, un système coercitif, répressif, dissuasif. Le système peut, au besoin, s’il n’arriver pas à les faire couler pour des raisons internes (manque de moyens, socialisation non émancipée) réprimer violement toute tentative de sortie, tout expérience concrète à la marge. La considération de cette possibilité et le développement d’une réflexion stratégie pour y répondre, semblent largement absents de la réflexion des Objecteurs de Croissance

    André Gorz, quant à lui, semblait ne plus percevoir, depuis ses Adieux au prolétariat, le lieu de travail, l’usine, l’atelier, comme des lieux où se jouent les rapports de domination de classe, comme lieux de conflictualité sociale, et de subversion potentielle. Au contraire, il y percevait une forme de collaboration de classe, d’adhésion des travailleurs au modèle dominant. D’une certaine manière, il peut s’agir d’un constat objectif. Ce constat semblait partagé par d’autres penseurs, comme par exemple Herbert Marcuse. Cependant, il existe une différence nette entre la pensée de Marcuse et celle de Gorz. S’ils partageaient le même constat objectif, faisant du prolétariat un agent de la stabilisation sociale, Marcuse continuait également de le percevoir comme un acteur potentiel de la subversion et de la révolution sociale – en vérité comme son acteur principal –, tandis que Gorz en faisait du prolétariat un acteur de la conservation de l’ordre établi, s’orientait vers la recherche d’un nouveau fossoyeur de la domination capitalisme. De là, la stratégie politique n’était plus d’organiser les travailleurs dans les usines, pour qu’ils prennent le contrôle du système productif, et le transforment pour l’adapter à leurs besoins, mais d’inciter les travailleurs à déserter les usines. Cette stratégie se manifeste notamment par la mise en avant de revendications phares comme la réduction (radicale) du temps de travail et le revenu de base déconnecté de l’emploi. Cette dernière revendication a d’ailleurs donnée lieu à des appellations diverses, dont celles de « revenu de citoyenneté universelle » ou de « dotation inconditionnelle d’autonomie ». Sans entrer ici dans le détail des subtilités entre ces deux propositions, qui prendraient tout leur sens dans une société nouvelle, émancipée de la domination capitaliste, il est assez clair que, dans le champ de la décroissance, ces revendications ont vocation à opérer dans le sens d’une stratégie de dissidence, de désertion. Or cette stratégie comporte de sérieuses limites.

    D’une part, elle crée une séparation entre les « insiders » et les « outsiders », et offre au régime politique en place la possibilité de faire jouer l’un contre l’autre. Cette séparation est d’ailleurs renforcée par l’anti-industrialisme et l’anti-ouvriérisme primaire d’une flopé de décroissants. Ne contestant pas l’adhésion du prolétariat aux normes et valeurs dominantes, le soutient qu’il peut apporter au régime en place, elle le maintient dans la posture d’une classe collaborationniste, d’une armée de défense du capital. Elle renforce également cette possibilité dans la mesure où, revendiquant un revenu garanti pour les « outsiders », elle permet à la classe dominante de déployer son discours sur l’assistanat parasitaire, et de renforcer un (faux)[4]discours, selon lequel le prolétariat serait mieux loti s’il ne devait pas payer pour les non salariés. En effet, le revenu de base peut paraître une mesure injuste du fait qu’elle n’implique pas directement un principe d’association et de réciprocité, mais fait croire aux travailleurs qu’ils doivent travailler pour payer de leur exploitation la sortie du système pour les autres. Au contraire, la réussite d’une telle stratégie revendicative supposerait, pour développer subjectivement le sens de l’association et de la réciprocité, la création d’un pont de solidarité et de coopération entre les travailleurs et les « dissidents ». Elle impliquerait donc un travail militant coordonné sur deux terrains parallèles, celui du monde du travail et celui de la « dissidence active », de mise en coordination des salariés et des « dotés ».

    D’autre part, la stratégie de la désertion en tant que telle, et dans l’hypothèse où elle puisse réussir à entraîner la grande majorité de la population, aurait pour effet de priver la société d’un potentiel productif conséquent, pour d’un côté, ne laisser que des usines vides, et de l’autre, offrir des brides de modèles sociaux-productifs autonomes, incapables de satisfaire les besoins de cette population. Cette thèse, qui ressemble à une théorie de la table rase, occulte certainement, s’il s’agit d’une sortie brutale, les conditions nécessaires d’une sortie du système, les filets de sécurité d’une transition réussie, que sont le fait de disposer d’un mode de production immédiatement efficace, dès la sortie des usines, pour satisfaire – certes de manière mois destructrice pour la biodiversité – les besoins de l’ensemble de la population. S’il s’agit, au contraire, d’un plan de sortie progressif du système, il est à prévoir, comme nous l’avons déjà évoqué précédemment, une contre-offenisve économique, juridique et/ou armée du capital pour anéantir dès que nécessaire ces alternatives, si la socialisation héritée n’opère pas avant dans le sens de la destruction de ces initiatives de l’intérieur. Ainsi, seul un bloc anticapitaliste coordonné, articulant réappropriation/transformation de l’appareil productif et alternatives concrètes, sera en mesure de neutraliser la classe dominante, d’en finir avec la domination de classe et la destruction de la biodiversité, tout en offrant à ses acteurs un monde vivable, et même, d’une certaine manière, largement amélioré.

    III Des limites déjà dépassées par le mouvement Anarchiste

    Concernant les questions de démocratie, d’expérimentation sociale, les innovations de la Nouvelle Gauche, comme de la Décroissance, sont largement puisées dans la pensée Anarchiste, et constituent en quelque sorte une démarche de ré-exploration et de réintégration de cet héritage historique et théorique. Les limites dans la critique sociale et la critique du pouvoir qui persistent au sein de ces mouvements sont également celles pointées depuis des lustres par les courants Anarchistes révolutionnaires.

    Le Mouvement Anarchistes Ouvrier, issu de la première Association Internationale des Travailleurs (AIT), s’est construit sur la base d’une critique forte du pouvoir, de l’autorité, de la domination, que ce soit celle de la classe capitaliste ou celle qui pouvait se développer au sein de l’AIT (Blanquistes, Marxistes, Sociaux Démocrates). Dès le départ, les courants de l’Anarchisme Ouvrier développaient des préoccupations Anticapitalistes, sociales et égalitaires, que ce soit le courant Mutuelliste/Socialiste Libertaire de Proudhon, le courant Collectiviste Libertaire de Bakounine, ou, ultérieurement, le courant Communiste Libertaire de Kropotkine et Malatesta.

    Les courants individualistes, s’ils pouvaient aboutir à des contradictions de principe, voire des justifications de l’autorité, de la domination, de l’inégalité sociale, ont eu au moins comme apport d’attirer l’attention sur la place et la liberté de l’individu au sein du collectif. Cette dimension pouvait en effet être marginalisée, si ce n’est nié, au sein des courants collectivistes.

    Du fait de sa réflexion égalitaire et libertaire, l’Anarchisme à su intégrer les nouvelles problématiques d’émancipation qui se sont développées à partir des années 60-70, que sont le notamment Féminisme, l’Anti-racisme, la recherche de modes de vies alternatifs. Les mouvements anarchistes se sont également saisis très rapidement des problématiques anti-sécuritaires, ainsi que des différentes mises en gardes concernant les dangers et les limites de la société industrielle.

    En 2004, notamment grâce à l’apport des réflexions de Jean-Pierre Tertrais sur le sujet, la Fédération Anarchiste adopte une motion d’orientation sur la Décroissance, avec une campagne de sensibilisation à la clé, puis une seconde motion en 2008. Des organisations comme Alternative Libertaire, l’Organisation Communiste Libertaire, l’Offensive Libertaire et Sociale, ou encore la CNT, réfléchissent également à cette question. Cependant, il s’agit là d’un chantier de réflexion relativement nouveau, qui implique un travail approfondi de réinterrogation, à partir conclusions de la science, certains éléments de la philosophie et du projet Anarchiste hérité du XIXème siècle.

    [1] http://www.les-oc.info/2009/07/3-pieds/

    [2] Expression reprise du titre de l’ouvrage d’Alain Gars, Fragilité de la puissance, se libérer de l’emprise technologique.

    [3] http://decroissances.blog.lemonde.fr/2013/07/02/decroissant-anthropocene/

    [4] Ce discours est faux car même sans le revenu de base, les travailleurs subissent déjà l’austérité et l’exploitation accentuée. La seule manière de s’en sortir étant d’empêcher l’extorsion de la plu value par l’abolition du droit de propriété privée et du salariat, d’instaurer la propriété collective des moyens de production.

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