bravoure.
LES PARADOXES DE CAMP DAVID
Ce n’était pas le moindre des paradoxes du sommet palestino-israélien de Camp David de l’été 2000 entre Yasser Arafat et l’ex-premier ministre israélien Ehoud Barak que l’évocation insistante par ce dernier du « Mont du temple », soulignant ainsi à dessein la dimension religieuse symbolique de la ville au détriment de sa dimension politique, afin de justifier le maintien de l’occupation de sa partie orientale. Il ne pouvait pourtant pas ignorer que conformément au droit international, Jérusalem-Est faisait partie des territoires palestiniens occupés en 1967, comme l’indiquent les nombreuses résolutions qui appellent Israël à s’en retirer.
Depuis ce sommet, les responsables des partis relevant d’un sionisme prétendument « laïc » n’ont cessé dans leur discours de justifier, de manière inouïe, la nécessité pour Israël de garder la mainmise sur l’esplanade des Mosquées en raison de la présence supposée des ruines du deuxième temple enfouies sous les murailles. Ruines dont les fouilles et excavations entreprises par le gouvernement israélien depuis 1967 n’ont décelé aucune trace, les archéologues israéliens ne réussissant à exhumer à ce jour que des vestiges romains, byzantins ou islamiques.
Sans sous-estimer par ailleurs la portée symbolique de cette dimension religieuse de la ville, pour les juifs comme pour les musulmans ou les chrétiens, je rejoins tous ceux qui considèrent la question de Jérusalem et de son avenir comme étant avant tout d’ordre politique. Elle devrait faire l’objet d’un règlement sur la base des résolutions des Nations unies, notamment la résolution 242 du Conseil de sécurité (CS) qui appelle Israël à se retirer des territoires palestiniens occupés à la suite de son agression en juin 1967. L’entêtement israélien à vouloir mettre en avant la portée religieuse de la ville nous incite toutefois à effectuer un retour sur l’histoire pour tenter d’examiner le bien-fondé des prétentions israéliennes, d’un point de vue scientifique.
COMMENT L’HISTOIRE D’ISRAËL FUT (RÉ)INVENTÉE
Le chercheur Keith Whitelam, dans The Invention of Ancient Israël : the Silencing of Palestinian History (Routledge, 1997) part de l’idée selon laquelle le conflit récent autour de la Palestine a rejailli sur la compréhension de l’histoire antique. Le discours de l’école historique de la Torah apparu au XIXe siècle a marqué de son empreinte l’histoire officielle d’Israël, qui se sera ainsi inventé une histoire antique apparaissant dans une très grande mesure comme une projection du présent. Les prétentions d’Israël sur Jérusalem en tant que capitale d’Israël remontent selon lui à la période fantasmée du Royaume de David. L’historien affirme dans le même temps que « l’Israël antique ne constitue qu’un fil ténu dans le riche tissu de l’histoire palestinienne », laquelle devrait être étudiée en tant que telle, « libérée de l’emprise des études bibliques ».
Les études historiques modernes, notamment celles de chercheurs israéliens, ont montré que l’histoire ancienne juive était peuplée de mythes. Shlomo Sand, professeur d’histoire à l’université de Tel-Aviv a expliqué dans Comment le peuple juif fut inventé (Fayard, 2008) la mission impossible que le sionisme s’était assignée en voulant créer une ethnie unique à partir d’une multitude de groupes humains d’origines culturelles et linguistiques différentes, et comment il a dû finalement emprunter à la religion traditionnelle la plupart de ses représentations et de ses symboles, dont il est resté prisonnier.
« Tout Israélien de confession juive est intimement convaincu que l’existence du peuple juif remonte à la révélation de la Torah dans le Sinaï, et pense que lui-même, à titre individuel, descend directement et exclusivement de ce peuple », indique Shlomo Sand, avant de s’arrêter sur certains de ces mythes fondateurs du sionisme, dont celui de la conquête de la « Terre de Canaan ». Il signale que l’archéologie moderne a totalement infirmé cette légende. Aucun document égyptien ne confirme une telle conquête, au moment où cette terre était sous domination égyptienne. Si le texte de la Torah ne mentionne pas la souveraineté égyptienne, les fouilles à Gaza et Beersheba ont confirmé depuis longtemps la présence égyptienne à l’époque signalée, ainsi qu’ultérieurement.
Le deuxième mythe examiné par Shlomo Sand est celui de l’exil, pièce maîtresse de l’arsenal des tenants modernes de l’identité « ethnique » des juifs. Aucune trace n’a pourtant pu être trouvée d’une expulsion massive des juifs par les Romains après la prise par ceux-ci de Jérusalem, pas plus que d’une destruction du Temple en l’an 70 de l’ère chrétienne. C’est ce qu’a pu établir Chaïm Milikowsky, professeur à l’université religieuse de Bar Ilan en expliquant que le terme « exil » signifiait aux IIe et IIIe siècles après J.-C. la sujétion politique et non l’expulsion du pays. Son collègue Jacob Yuval, professeur à l’université hébraïque de Jérusalem a quant à lui montré que le mythe de l’exil était relativement tardif : il faisait suite à la propagation par le christianisme de l’idée selon laquelle il fallait expulser les juifs pour les punir d’avoir crucifié Jésus et rejeté l’Évangile.
Mais laissons de côté ces mythes fondateurs de l’histoire juive antique instrumentalisés par le sionisme et revenons à l’histoire réelle, étayée par des faits établis. Celle-ci n’évoque aucune trace d’un tel temple lors de la conquête de Jérusalem par les Arabes. Le calife omeyyade Abd-Al-Malik Ben Marwan avait alors érigé la mosquée dite « du dôme du Rocher » en 691 apr. J.-C. et son successeur, le calife Al-Walid Ben Abd-Al-Malik avait parachevé la construction de la mosquée Al-Aqsa.