Des officines zélées (CRIF, BNVCA [2] …) ont pris l’habitude de dégainer instantanément pour faire taire toute critique de la politique israélienne.
Vous vous réclamez du droit international, vous revendiquez l’égalité des droits pour les Palestiniens ? Vous êtes antisémites.
Vous dénoncez l’occupation et la colonisation ? Vous êtes antisémites.
Vous n’acceptez pas l’expulsion du peuple palestinien de son propre pays en 1948-49 et vous êtes pour le droit au retour des réfugiés palestiniens ? Vous voulez « jeter les Juifs à la mer » et vous êtes antisémites.
Le tribunal Russell sur la Palestine utilise les mots justes pour qualifier ce qui est à l’œuvre : apartheid, sociocide … ? Ce tribunal est bien sûr antisémite.
Sur le modèle de ce qui s’est fait en Afrique du Sud, 172 associations de la société civile palestinienne lancent un appel mondial au BDS (boycott, désinvestissement, sanctions) de l’État d’Israël ? Les Palestiniens veulent bien sûr « achever l’œuvre des Nazis ». D’ailleurs « Arafat était un nouvel Hitler ». Et ceux qui pratiquent le BDS sont des antisémites.
Des personnalités juives françaises critiquent publiquement la politique israélienne ? On les traîne dans la boue. On fait un procès à Edgar Morin qui fut un grand résistant. On récuse la judéité et les combats dans la résistance de Stéphane Hessel et on proclame qu’il fut « un maître à ne pas penser » (lire Prasquier, président du CRIF). On orchestre une campagne de diffamation contre Charles Enderlin accusé d’avoir « bidonné » un reportage sur l’assassinat de Mohamed al-Durah. Tous ces Juifs critiques sont des « traîtres ayant la haine de soi », voire des Juifs nazis.
Les Pays-Bas décident de demander l’étiquetage des produits des colonies ? Cette décision est qualifiée d’antisémite. Et le ministre de l’intérieur israélien déclare que les Pays-Bas n’ont pas correctement indemnisé les Juifs néerlandais victimes du nazisme. Bref, vous leur parlez colonialisme, droit international, égalité des droits et ils vous répondent Shoah.
C’est le christianisme qui a inventé l’antijudaïsme à la fin de l’Empire Romain quand il est devenu religion d’État. Il y a eu l’accusation de déicide et de crimes rituels, les stéréotypes racistes (« les Juifs veulent dominer le monde »), les nombreux interdits professionnels (notamment à la possession de la terre), les expulsions et spoliations répétées, l’enfermement dans les juderias et les ghettos, puis les pogroms qui commencent dès la première croisade et connaîtront leur apogée en Espagne et en Ukraine.
Une réécriture de l’histoire est en marche, à la fois pour masquer l’antijudaïsme chrétien et pour prétendre que les Juifs ont vécu l’enfer dans le monde arabo-musulman. Les Juifs ont eu le statut de « dhimmi » (= « protégé ») auquel avaient droit les adeptes des « religions du livre » non musulmanes : chrétiens, zoroastriens, juifs … Ce n’était certes pas la citoyenneté (elle n’existait nulle part à l’époque). Il y a eu des moments difficiles, mais rien de comparable (avant l’apparition du sionisme) avec les massacres et discriminations incessants subits par les Juifs dans l’Europe chrétienne. Et d’ailleurs c’est au Maghreb ou dans l’empire Ottoman que la majorité des Juifs expulsés d’Espagne trouveront refuge et accueil.
L’émancipation des Juifs commence en Europe à la fin du XVIIIe siècle et c’est paradoxalement elle qui va provoquer la transformation de l’antijudaïsme chrétien en antisémitisme racial. En sortant du ghetto et en se laïcisant, les Juifs deviennent une minorité invisible et un obstacle au rêve fou d’États ethniquement purs. Le consensus antisémite parmi les dirigeants européens apparaît en Europe dans une période d’exacerbation de nationalismes niant les droits de « l’autre ». C’est pourtant sur ce terreau idéologique qu’est né le sionisme.
Les Juifs ont été les parias de l’Europe, réputés être des « asiatiques inassimilables ». Balfour était Premier ministre anglais en 1905. Il prononce devant la Chambre des Communes un discours antisémite virulent considérant les Juifs polonais comme des agitateurs révolutionnaires et il interdit leur immigration en Angleterre. Plus tard en 1917, il envoie à Lord Rothschild (choix pas vraiment neutre) la fameuse déclaration Balfour promettant aux Juifs que la Palestine (où moins de 10% de la population est juive) deviendra un « Foyer National Juif ».
Il n’y a là aucune contradiction.
Pour Balfour comme pour la plupart des dirigeants européens, les Juifs considérés comme étrangers inassimilables en Europe, vont devenir naturellement des colons européens s’ils partent en Palestine. Le sionisme a sciemment choisi de jouer ce rôle. Il est passé de l’autre côté du miroir. Il a transformé, parfois à l’insu de leur plein gré, des victimes en colonisateurs racistes. Le sionisme a « blanchi » les Juifs. Il les a rendus acceptables par les antisémites.
Face à l’antisémitisme et au génocide nazi, il faut dire : « que cela n’arrive plus jamais » ! C’est-à-dire qu’on doit examiner toutes les causes qui mènent à la haine raciste, au militarisme, à l’impérialisme, aux discriminations, à la folie meurtrière et que l’on combatte pour un monde meilleur. Les sionistes disent : « que cela ne NOUS arrive plus jamais ». Et cela veut dire exactement le contraire. Cela veut dire qu’au nom d’une persécution subie, tout est permis contre tout le monde : le vol, le crime, la haine. De telles idées sont porteuses de guerre sans fin. Une telle conception recopie jusqu’à la caricature ce qui a produit l’antisémitisme racial : une essentialisation des êtres humains en fonction de leur religion, de leur nationalité ou de leur identité supposée. Une affirmation que le « vivre ensemble » dans l’égalité des droits est impossible et qu’il faut donc se séparer et dominer ou expulser ceux qui apparaissent comme un obstacle au rêve fou d’un État juif ethniquement pur.
Il ne reste que quelques dizaines des milliers de survivants du génocide en Israël et la plupart d’entre eux vivent sous le seuil de pauvreté avec des pensions misérables. Il est plus facile d’exploiter sans vergogne leur mémoire que de leur donner les moyens de vivre dignement.
Au moment de la fondation de l’État d’Israël, il y avait beaucoup de mépris à l’égard des victimes du génocide accusées d’être entrées dans les chambres à gaz sans se révolter alors que les Israéliens « transformaient le désert en jardin » pour reprendre un des mythes fondateurs. C’est plus tard avec la création du musée Yad Vashem [3] et le procès Eichmann que les dirigeants sionistes ont vu tout le profit qu’ils pouvaient tirer du martyr des Juifs européens.
Pourtant, s’il y a eu une résistance juive au nazisme (la MOI [4], l’insurrection du ghetto de Varsovie …), les sionistes n’y ont joué qu’un rôle marginal. Pire, de nombreux dirigeants sionistes ont eu un comportement plus que coupable vis-à-vis du fascisme. Vladimir Jabotinsky, maître à penser des dirigeants israéliens actuels, était dans les années 1930 un admirateur de Mussolini et il s’est inspiré de ses méthodes expéditives. En 1933, quand Hitler arrive au pouvoir, malgré l’appel au boycott de l’Allemagne nazie des Juifs américains, Ben Gourion signe avec le régime hitlérien l’accord de Haavara pour obtenir le « transfert » des Juifs allemands vers la Palestine.
Un des groupes terroristes juifs opérant en Palestine, le Lehi (ou groupe Stern) assassinera des soldats britanniques jusqu’en 1943 (alors que des millions de Juifs européens ont déjà été exterminés et il essaiera de négocier avec le régime nazi. Plus tard, le dirigeant de ce groupe, Yitzhak Shamir, sera à plusieurs reprises Premier ministre d’Israël. Enfin, dans Eichmann à Jérusalem, Hannah Arendt affirme que, sans la collaboration des dirigeants des communautés juives d’Europe, une partie des 6 millions de morts aurait pu échapper à l’extermination. Un de ces dirigeants, Rudolf Kästner, négociera avec Eichmann à Jérusalem le sauvetage de 1600 Juifs hongrois. Il fournira en échange la liste de centaines de milliers de Juifs qui seront gazés à Auschwitz. Kästner était sioniste. Il sera assassiné en Israël en 1957 et son assassin acquitté.
La propagande sioniste utilise sans arrêt le cas du Mufti Amin al-Husseini. Ce dirigeant palestinien fut un authentique Nazi qui a recruté et dirigé des milices musulmanes venues des Balkans et engagées avec l’Allemagne hitlérienne. Mais utiliser son cas très isolé pour affirmer que les Palestiniens poursuivent le génocide nazi en taisant ce que fut la collaboration sioniste est assez indécent.
Certains s’imaginent que la complicité occidentale avec la politique israélienne est le résultat d’un sentiment de culpabilité. C’est une erreur. Ce n’est pas parce qu’ils sont mal informés que les dirigeants occidentaux ferment les yeux devant les exactions incessantes commises par les dirigeants israéliens et leur accordent une impunité inconditionnelle. C’est parce que cet État surarmé, dépensant 60% de son budget dans l’armement et les technologies de pointe, c’est ce qu’ils désirent. Un Israël vivant en paix et sur un plan d’égalité avec ses voisins, acceptant d’être un pays du Proche-Orient et pas une pointe avancée de l’Occident dans la région ne les intéresse pas. Tenir le Proche-Orient pour l’Occident, c’est être allié à la fois à Israël et aux monarchies pétrolières du Golfe. Cette réalité stratégique est la principale explication de la complicité scandaleuse à laquelle on assiste.
De 1945 au début des années 50, des centaines de milliers de rescapés du génocide ont vécu dans des camps de « transit » essentiellement en Allemagne et en Autriche. Le Yiddishland avait disparu, ils demandaient de pouvoir émigrer vers l’Ouest. S’il y avait eu un « sentiment de culpabilité », on leur aurait dit : « vous avez été persécutés pendant des siècles, maintenant vous aurez l’égalité des droits ». Au contraire, on leur a dit : « maintenant vous avez un pays, vous partez quand vous voulez ». Et la majorité de ceux qui étaient dans ces camps (comme 40 ans plus tard les Juifs soviétiques) ont été envoyés, souvent contre leur gré, en Israël. L’Europe s’est débarrassée de son crime sur le dos du peuple palestinien qui n’avait aucune responsabilité dans l’antisémitisme. En même temps subsiste toujours cette idée raciste que le pays des Juifs , ce n’est pas ici, c’est Israël, bref qu’ils sont toujours des « étrangers » en Europe.