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SERPENT -  LIBERTAIRE

anarchiste individualiste

Maya Surduts (1937-2016), fondatrice du MLAC et de la CADAC, féministe historique et de lutte de classes, militante anticoloniale et antifasciste, grande voix

Maya Surduts (1937-2016), fondatrice du MLAC et de la CADAC, féministe historique et de lutte de classes, militante anticoloniale et antifasciste, grande voix

Nous publions ci-dessous une première série d’articles, communiqués et témoignages après le décès de Maya Surduts, connue avant tout pour le rôle qu’elle a joué dans le mouvement féministe français depuis les années 1960-1970, mais dont les engagements embrassaient bien d’autres causes émancipatrices.

Une vie militante à laquelle nous tenons à rendre hommage.

Décès de Maya Surduts, féministe historique, humaniste indocile

Militante des combats du XXe siècle, et notamment celui des femmes, elle est morte à l’âge de 79 ans.

« C’est un personnage des romans révolutionnaires de l’entre-deux-guerres », disait d’elle l’avocate Monique Antoine, ancienne présidente du MLAC, dans le portrait queLibération lui consacra en 1995 [1].

La vie de la militante Maya Surduts, dont on vient d’apprendre le décès subit à l’âge de 79 ans, ressemble à un récit picaresque qui se déroulerait au XXe siècle. Elle a embrassé toutes les causes, tous les combats de son siècle, à commencer par celui des femmes à disposer de leurs corps.

Principalement connue pour être la porte-parole de la Coordination des associations pour le droit à l’avortement et à la contraception, la Cadac, ainsi que du Collectif national des droits des femmes, le CNDF, Maya Surduts est pourtant venue au féminisme sur le tard. Avant cela elle a eu mille vies : fillette juive cachée en zone libre dans la France de Pétain, émigrée militante antiraciste aux Etats-Unis juste avant l’avènement des droits civiques, exilée en Afrique du Sud au temps de l’apartheid…

Plusieurs personnalités politiques de gauche ont réagi à l’annonce de sa mort.

« Si j’entendais les bottes qui passaient s’arrêter, c’était fini »

De son vrai prénom Merija, elle est née à Riga en 1937, d’un père letton, physicien et communiste. Sa mère, lituanienne, s’occupe d’enfants ayant des problèmes de déficience dans une association juive. En 1938, la famille émigre en France, et, sous Pétain, passe en zone libre, à Nice. La famille est dénoncée à la Gestapo, mais parvient toutefois à fuir, jusqu’à ce petit village à la frontière italienne où là aussi, ils parviennent à échapper aux Allemands. Maya Surduts, qui avait cinq ans à peine, racontera en des mots très simples ce qu’elle a ressenti à cette époque [2] : « Il y avait une chose que je savais, et qui m’a certainement marquée, c’est que si j’entendais les bottes qui passaient s’arrêter, c’était fini. »

En 1948, elle part avec sa mère, militante antiapartheid, rejoindre son grand-père au Cap, en Afrique du Sud. De retour en France, elle apprend le russe aux Langues O. et fréquente les cafés où l’on refait le monde, rue de l’Odéon par exemple, où elle croisera Marceline Loridan, Régis Debray ou Edgar Morin. Elle commence à militer, notamment pour la libération de l’Algérie ; ses liens avec le FLN lui vaudront, ainsi qu’à ses parents, un interrogatoire au Quai des Orfèvres. En 1962, elle voyage aux Etats-Unis, où elle est membre d’une organisation antiraciste et participe à la Marche sur Washington. Ensuite elle tente de rejoindre Cuba via Mexico, et elle obtiendra, de haute lutte, un visa, puis un emploi de traductrice. Elle y restera huit ans. Indocile, critique envers le régime castriste, elle est expulsée fin 1971, et retourne en France. Et c’est là que sa vie féministe commence.

Infiltration du MLAC

A quoi ressemble Paris en 1971 ? Mai 68 est passé par là, le MLF a déjà mené ses premières actions coup de poing à l’Arc de Triomphe, et en avril de la même année, le Nouvel Observateur publie le manifeste des 343 femmes, qui clament, en couverture « Je déclare avoir avorté ». En 1972, le procès de Bobigny sensibilise le grand public à la question de l’avortement avec le cas de Marie-Claire, jeune fille violée puis dénoncée par son petit ami. Marie-Claire sera relaxée, ce qui posera les jalons d’une légalisation de l’avortement. Pendant ce temps, Maya Surduts n’a pas encore rejoint la cause des femmes. Elle est d’abord membre d’un groupe d’extrême gauche, « Révolution », qui l’envoie « infiltrer » le MLAC, le Mouvement pour la liberté de l’avortement et de la contraception, qui milite de toutes ses forces pour légaliser l’avortement en France.

C’est peu de dire qu’à l’époque, les relations entre groupes d’extrême gauche et groupes féministes étaient houleuses - en mai 1970, la première réunion féministe non mixte avait ouvert une polémique à l’université de Vincennes - les camarades masculins accueillent les filles de sonores et défiants « Le pouvoir est au bout du phallus » [3]. Maya Surduts, elle, entre au MLAC, et embrasse définitivement la cause des femmes. Elle connaît bien la question de l’avortement, pour l’avoir pratiqué à quatre reprises, en France, en Suisse, à Cuba et aux Etats-Unis, dont une fois avec une « faiseuse d’ange ». Tout doucement, elle fait son éducation féministe. « J’ai commencé à me poser des questions. Pendant longtemps j’ai considéré que les femmes violées étaient des putes, qu’elles l’avaient bien cherché. J’adhérais totalement à l’idéologie dominante, à tous les lieux communs… Je ne suis pas née avec le féminisme », raconte-t-elle en 2013 dans un entretien accordé à Margaret Maruani et Rachel Silvera pour la revue Travail, genre et société.

« Le féminisme est discrédité comme une révolution »

En 1990, apprenant l’existence d’opérations « commandos » contre l’avortement, à l’initiative, notamment de « SOS-touts-petits », elle décide de créer la Coordination des associations pour le droit à l’avortement et à la contraception, la Cadac. Sous son impulsion, le délit d’entrave à l’IVG entre dans la loi, en 1993 ; enfin, le 25 novembre 1995, pendant que la France entière était dans la rue, elle est en première ligne d’une manifestation organisée par la Cadac, où 40 000 personnes défilent pour réclamer une réelle égalité financière entre femmes et hommes, ainsi qu’un accès véritable à la contraception et à l’avortement.

Cette membre de Ras l’front, qui était par ailleurs favorable à l’abolition de la prostitution [4], n’a jamais cessé de défendre le droit à l’IVG. En 1995, elle disait à Libération : « Le féminisme est discrédité comme la révolution, parce qu’il signifie une remise en cause profonde de la société. Les jeunes femmes n’ont pas suivi, parce qu’elles croient qu’elles ont tout ; mais elles se trompent : les lois Pasqua, c’est Le Pen un peu beaucoup, et le lobby antiavortement et tout le reste, c’est aussi Le Pen un peu beaucoup… »

Johanna Luyssen

* Libération, 13 avril 2016 à 19:06 :
http://www.liberation.fr/france/2016/04/13/deces-de-maya-surduts-feministe-historique-humaniste-indocile_1445957

Mort de Maya Surduts, grande voix du féminisme

C’était une grande voix du féminisme, au sens propre comme au figuré. La militante Maya Surduts, présidente de la Coordination des associations pour le droit à l’avortement et la contraception (CADAC), co-porte parole du Collectif national pour les droits des femmes (CNDF) est décédée le 13 avril 2016, emportée soudainement par une grave maladie.

Figure emblématique du mouvement associatif contestataire, elle avait 79 ans. Son âge ne l’empêchait pas de fréquenter les manifestations, ni de rester très active dans le mouvement féministe, en prenant part aux débats qui l’agitent.

« Depuis déjà plusieurs semaines, sa santé nous préoccupait, a réagi la ministre des droits des femmes, Laurence Rossignol, dans un communiqué. Il y a tout juste huit jours, pour l’adoption définitive de la loi sur le système prostitutionnel, toutes les féministes étaient rassemblées et son absence occupait tout l’espace. »

Née le 17 mars 1937 à Riga (Lettonie) dans une famille juive, Maya Surduts a beaucoup voyagé et consacré sa vie au militantisme. D’abord à Révolution, un groupe trotskiste, dans les années 1970, puis à la Ligue communiste révolutionnaire (LCR). Elle adhère également au Mouvement pour la liberté de l’avortement et de la contraception (MLAC), créé en avril 1973 dans le but de légaliser l’interruption volontaire de grossesse en France.

Dans les années 1990, elle participe à la création de Ras l’front, un mouvement antifasciste, animant notamment la réflexion contre les thèses réactionnaires sur les femmes et la famille du Front national, et à celle de la Coordination des associations pour le droit à l’avortement et à la contraception. Elle ne rate aucune des mobilisations contre les commandos anti-avortement, notamment SOS tout-petits, qui tentaient de bloquer les cliniques pratiquant les interruptions volontaires de grossesse.

« Charismatique, elle a imprimé sa marque dans le mouvement féministe de sa grande voix et de sa détermination et restera une personnalité inspirante pour les plus jeunes militant(e)s. », a réagi le Haut conseil pour l’égalité entre les femmes et les hommes.

« Elle n’a jamais cédé ni sur la dénonciation de la domination sexiste et patriarcale, ni sur celle de l’exploitation. Elle a été de toutes les luttes pour faire respecter les droits des femmes, lutter contre toutes les formes de violence, a rappelé le secrétaire national du PCF, Pierre Laurent. Elle a beaucoup contribué à ce que le droit à la contraception et à l’IVG soit non seulement reconnu mais surtout mis en place. »

De son côté, la CGT, partie prenante du Collectif national pour les droits des femmes, a aussi rendu hommage « à cette grande militante féministe qui aura marqué son temps ». « Nous garderons en mémoire sa ténacité, nous nous engageons à continuer ce combat aussi vigoureusement aux côtés des organisations féministes », conclue la centrale syndicale.

Gaëlle Dupont
journaliste au Monde

Rémi Barroux
Journaliste au Monde

* LE MONDE | 13.04.2016 à 16h53 • Mis à jour le 14.04.2016 à 09h17 :
http://www.lemonde.fr/disparitions/article/2016/04/13/mort-de-maya-surduts-grande-voix-du-feminisme_4901414_3382.html#DyuoHsyZhEwIspxU.99

Communiqués

La grande voix de Maya Surduts s’est éteinte

PROCHOIX

Une belle voix, rauque et forte, du féminisme vient de s’éteindre.

Maya Surduts, qui incarnait la CADAC (Coordination des associations pour le droit à l’avortement et à la contraception), depuis plus de vingt ans, et le Collectif national des droits des femmes, vient de nous quitter.

Née à Riga, d’un père physicien et communiste, elle faisait partie de ces émigrés arrivés en France en 1938.

En 1948, après avoir vécu au Cap en Afrique du Sud, comme beaucoup de Juifs baltes, elle se lance dans le militantisme au sein d’une organisation sioniste, revient en France, étudie le russe et prend fait et cause pour le FLN.

En 1962, elle part aux États-Unis pour soutenir les victimes de discriminations, dans le sillage du mouvement contre la ségrégation, puis rejoint Cuba.

Elle est expulsée en septembre 1971 par le régime castriste, après y avoir vécu huit ans comme interprète et militante.

De retour en France, elle rejoint le groupe « Révolution » qui l’envoie « infiltrer » le MLAC, le Mouvement pour la liberté de l’avortement et de la contraception.

C’est l’inverse qui se produit. Le féminisme devient sa révolution, son inspiration contre toutes les dominations, et ne la quittera plus. Au point de devenir l’une des figures incontournable du féminisme « lutte des classes » et institutionnel. Aucun nouveau groupe militant, parti ou ministère ne pouvait ignorer ses coups de gueule, légendaires.

À Prochoix, nous avions avec Maya une longue histoire de camaraderie, entrecoupée d’engueulades épiques. Maya pouvait être une marraine intraitable. Passé le bizutage, elle savait être une alliée et une camarade à toute épreuve. Elle forçait le respect.

Nous n’oublierons jamais qu’elle a tenu bon lorsque des groupes se disant féministes mais intégristes ont tenté d’infiltrer les organisations de gauche, le 8 mars et le mouvement des femmes, pour mieux traiter le féminisme universaliste critique envers le voile de raciste. Maya connaissait trop bien ces ficelles pour ne pas les reconnaître et leur tenir tête.

En 2005, Maya Surduts rappelait avec Suzy Rotman que le Mouvement se battait « depuis la nuit des temps » contre TOUS les intégrismes. (Le Monde, 9/3/2005)

Il y a trois ans, elle avait accepté de rencontrer les féministes marxistes FEMEN, tout juste arrivées d’Ukraine, de leur parler un peu en russe et de dire ce qu’elle pensait de ce jeune mouvement pour le film « Nos seins, nos armes ». Avec une patience et une tendresse que beaucoup de jeunes féministes élevées à la dure par Maya auraient enviées ! La sagesse guettait. Son regard, tendre, riait encore des tours que sa grosse voix pouvait jouer.

Elle nous manquera dans la lutte, toujours féroce, jamais gagnée, contre le patriarcat marié à l’obscurantisme. Pour résister aux intégristes rivalisant d’ingéniosité pour nous faire payer notre liberté ou à l’Église polonaise qui menace une fois encore le droit d’avorter.

Elle nous manquera mais nous ne manquerons pas de continuer à nous battre sur ses pas.

13 avril 2016

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