anarchiste individualiste
3 Décembre 2014
Cet article a été publié par Charlie Hebdo le 26 novembre 2014
Les socialos sont impayables. À Roybon, dans l’Isère, ils soutiennent un projet touristique qui passe par la destruction d’une zone humide, exactement comme dans le Tarn. Pour mettre à la place une bulle tropicale à 29 degrés et une rivière « sauvage » en plastique bleu.
Ces enfoirés sont en train de tout saloper. Maintenant, au moment même où vous lisez Charlie. Les engins de chantier de Pierre et Vacances – on va reparler de ces amis de l’homme – travaillent le week-end, les jours fériés, la nuit, pour créer l’irréversible. Depuis le 20 octobre, le chantier du Center Parcs de Roybon (Isère) bousille, hectare après hectare, le bois des Avenières, au bord de l’immense forêt de Chambaran. Daphné, une jeune nana, au cours d’un rassemblement sur place le 17 novembre : « On n’a plus vraiment le temps d’attendre les recours légaux, et donc, on est un peu forcés de désobéir à la loi pour ralentir et stopper ce chantier ». Le résultat des deux recours sera connu dans une dizaine de jours, et les écrabouilleurs espèrent, dans tous les cas, qu’il n’y aura plus rien à sauver.
Séance décryptage : le 4 décembre 2009, le conseil général d’Isère – socialo, comme celui du Tarn – signe un protocole d’accord avec une transnationale du tourisme de masse, Pierre et Vacances (voir encadré). On déplie le tapis rouge pour une opération officiellement destinée à « équilibrer l’activité touristique » dans la partie Ouest de l’Isère, grâce à « la réalisation d’opérations significatives, à fort impact économique ».
Dans les faits, il s’agit de fourguer 200 hectares, dont une grande partie constituée d’une zone humide forestière, d’une très grande valeur écologique. Le village de Roybon – moins de 1300 habitants en 2011 -, propriétaire des lieux, accepte de vendre, probablement appâté par une taxe locale d’équipement de 1,2 million d’euros, suivie d’une taxe foncière de 500 000 euros chaque année. Passons au magnifique projet. Il s’agit d’installer douillettement un millier de « cottages » en bois, avant de faire venir 5 000 victimes en flux tendu pour se ressourcer « en pleine nature » à la sauce Pierre et Vacances. Après avoir détruit la vraie, cette emmerdeuse de toujours. Compter quand même de 600 à 800 euros pour une semaine et quatre personnes.
La très goûteuse cerise s’appelle AquaMundo, qui est le cœur même du « village ». C’est tellement con que ça décourage la moquerie. On créerait une bulle tropicale à 29 degrés – sur place, le thermomètre peut descendre à – 20 degrés -, traversée par une « rivière sauvage » en plastique bleu, qui sinue entre piscines et bassins surmontés de palmiers. Comme le dit sur le ton juste la publicité officielle, « admirez les poissons dans le bassin aux coraux et détendez-vous dans nos Centres Health & Beauty, Nature & Spa. Et si toute cette eau vous a donné soif, l’Aqua Café est là pour vous désaltérer et vous restaurer ».
On se demande dans ces conditions idylliques-là pourquoi il y a des opposants. Toutes les associations historiques sont vent debout, à commencer par la Frapna (Fédération Rhône-Alpes de protection de la nature, http://www.frapna-38.org/thematiques/center-parcs-roybon.html). Mais les opposants les plus directs se retrouvent dans Pour les Chambaran sans Center Parcs (PSCCP, http://www.pcscp.org), notamment pilotée par Stéphane Peron, un informaticien venu de la région parisienne. Dans le clair-obscur de la bataille en cours, des Camille – nom générique donné aux jeunes opposants, de Notre-Dame-des-Landes à Sivens – poussent comme autant de champignons. Des actions illégales – sabotage du piquetage du chantier – ont déjà eu lieu, mais on va probablement vers des affrontements. « Deux collectifs viennent de naître, précise pour Charlie Henri Mora, opposant de toujours. L’un sur place, l’autre à Grenoble. Ce n’est pas un secret : il y a parmi eux des illégalistes ».
Il faut dire que Pierre et Vacances s’assoit avec bonhomie sur l’enquête publique, en général sous contrôle, mais qui a tourné à l’horreur pour les amoureux des palmiers et poissons violets. Organisée du 14 avril au 28 mai, elle a recueilli 727 observations – ce qui est beaucoup – dont 60 % défavorables. Comble de tout, la commission d’enquête chargée de statuer sur le projet a publié en juillet un rapport de 25 pages dévastateur. Non contente de donner à l’unanimité un avis défavorable, elle détaille en 12 points les raisons de son opposition.
Charlie ne peut insister, et c’est dommage, car pour une fois, c’est beau (1). L’étude préalable, à la charge de l’aménageur, aura été brillantissime, car dit le texte, « la commission relève des affirmations régulières d’absences présumées d’impact avant tout inventaire ». Le principe est connu : qui ne cherche pas ne trouve rien. Autre point admirable, celui du destin des flots tropicaux. Car n’oublions jamais qu’il faut vider les chiottes, un jour ou l’autre. Or pour remplir tout AquaMundo, il faut entre 3100 et 3700 mètres cubes d’eau. Dans une région qui connaît, soit dit en passant, des sécheresses saisonnières récurrentes.
Où vidanger ? Pour des raisons sanitaires, il faut tout évacuer au moins deux fois par an. Quels produits chimiques contiendra la bouillie ? Nul ne le sait, mais en tout cas, on bazardera le tout dans un plan d’eau voisin, après avoir attendu que la température tahitienne baisse à un niveau jugé convenable. De là, le vomi gagnera un cours d’eau, puis sans doute, beaucoup plus loin, le Rhône. Et où pompera-t-on les centaines de mètres cubes – entre 613 et 1200 – nécessaires chaque jour pour abreuver les taulards des vacances ? En bref, estime la commission, « la multitude d’incertitudes, d’incohérences, voire d’incorrections, que comporte le dossier d’enquête au titre de la « loi sur l’eau » (…) confère un caractère rédhibitoire au projet en l’état ».
Malgré tout cela et tant d’autres choses, passage en force, soutenu par deux secrétaires d’État socialistes de la région : André Vallini, qui a failli devenir Garde des Sceaux, et Geneviève Fioraso, scientiste hors concours. Sivens le retour ?
(1) Le texte complet : http://www.isere.gouv.fr/content/download/20051/136634/file/Conclusions
ENCADRÉ
Les Center Parcs poussent comme des champignons
Pierre et Vacances, la transnationale derrière le projet de Roybon, pèse près d’1 milliard 500 millions d’euros de chiffre d’affaires. Ce mastodonte emploie 7500 salariés et « gère » au total 231 000 « lits ». La Côte d’Azur doit beaucoup à Pierre et Vacances, l’un des plus grands bétonneurs des côtes françaises.
Créé en 1968 par le néerlandais Sporthuis Centrum, le « concept » des Center Parcs et les villages existants ont été rachetés par Pierre et Vacances en 2001. Il existe à ce jour, en Europe, 25 Center Parcs. En France, quatre sont ouverts, deux sont plus ou moins commencés, dont celui de Roybon, et trois sont en projet dans le Jura, dans le Lot-et-Garonne et en Saône-et-Loire.
Dans ce dernier département, la bagarre a dé »jà commencé autour du collectif du Geai du Rousset (http://centerparc-le-rousset.org), qui proteste contre les 80 millions d’argent public qui pourraient être engloutis dans ce projet privé. Et réclame comme tous ceux qui vomissent les Center Parcs, « l’abandon de ces projets inutiles et coûteux ». Dans le Jura, la mobilisation a elle aussi commencé, et certains pensent déjà à une coordination nationale des opposants aux Center Parcs.
Sauf grosse surprise, Pierre et Vacances commence un long chemin de croix.
Publié dans Développement, Biodiversité, Beauté, Mouvement écologiste, Politique, Eau, Forêts du monde
Déja 5 commentaires
Marieline le 3 décembre 2014
« 170 millions d’investissement, en une fois, dans le Lot-et-Garonne ! C’est du jamais vu ! » Pierre Camani, le président-SOCIALISTE- du département, est aux anges. En 2018, son département accueillera un Center Parc « qui impulsera une nouvelle dynamique économique, touristique et industrielle ». 400 cottages de 40 à 90 m2, soit 2000 lits d’hébergement (une augmentation de 10% de l’hébergement dans le 47),
http://www.aqui.fr/economies/en-lot-et-garonne-ouverture-d-un-center-parcs-en-2018,10152.html
Un forum où on apprend que Pierre et Vacances a déjà sévit dans le département, avec un taux d’occupation de sa résidence de 33%, et que quelques élus se posent de bonnes questions :
http://adippv.forums-actifs.com/t232-center-parcs-lot-et-garonne
Pour d’autres, c’est la fête !
http://www.sudouest.fr/2014/05/13/deja-sept-candidats-1553024-3603.php
Laurent Fournier le 3 décembre 2014
“Ces projets qui s’approprient les ressources naturelles au profit du capitalisme multi-national en distribuant quelques miettes a une elite locale corrompue qui leur permet de passer outre les mecanismes de gouvernance encore assez fragiles et des contre-pouvoirs encore balbutiant dans ces regions, avec le soutien de la police locale au service du pouvoir sans souci de la legalite, privent les populations locales de leur revenus traditionels et detruisant l’ecologie de toute une region”.
Ah zut, c’est pas dans le “tiers-monde”, c’est chez nous… Me suis trompe de vocabulaire, tant pis!
Loulou le 3 décembre 2014
Dans un livre publié en 2011, chez Le Monde à l’envers, et intitulé Chambard dans les Chambarans -S’opposer à Center parcs et à la marchandisation du monde, Henri Mora retrace l’historique de cette lutte. (pp. 119-120 correspondance entre H. Mora et F. Nicolino).
Stef le 3 décembre 2014
On apprend que JJ Queyranne, le président de la région Rhône-Alpes a enfin demandé au Préfet une suspension des travaux :
http://www.lyoncapitale.fr/Journal/Lyon/Actualite/Environnement/Center-Parcs-Queyranne-demande-la-suspension-des-travaux
C’est bien, mais ça arrive un peu tard. Et l’on ne sait pas comment va réagir le Préfet, puisque le gouvernement semble favorable à ce projet aberrant !
marie le 3 décembre 2014
comment massacrer ce prolétariat invisible ou pas plantes micro organismes abeilles, etc.. qui pourtant travaille pour la vie ,pour nous?pesticides bulldozer et bétonneuse ils
en viendront bien à bout!
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