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SERPENT -  LIBERTAIRE

anarchiste individualiste

Le Proche et le Moyen-Orient à la croisée des chemins

Tony Cliff

I

1945

Les récents événements du Proche et du Moyen Orient ont attiré l'attention du monde entier sur la situa­tion dans cette région. Les actions terroristes des formations militaires sionistes, les grèves et les manifes­tations des masses arabes au Caire, à Alexandrie, Damas, Beyrouth et Bag­dad contre le sionisme, et la con­centration de troupes anglaises en Palestine ont soulevé de nombreuses questions et pour y répondre il est nécessaire d'examiner les racines socialo-économiques du nœud de rela­tions dans lequel cette partie du monde est comprise.

Nous commencerons par un exa­men du facteur dont le rôle a été jus­qu'à maintenant déterminant : l'impé­rialisme.

L'enjeu impérialiste dans le Proche et le Moyen Orient

Le Moyen-Orient est de la plus grande importance pour les puissan­ces impérialistes, en particulier pour les quatre raisons suivantes: premiè­rement, en tant que voie de pénétra­tion vers d'autres contrées : Indes, Australie, Chine, etc. ; deuxièmement, en tant que source de matières pre­mières ; troisièmement, c'est un mar­ché important pour les produits ma­nufacturés : quatrièmement, c'est un champ ouvert aux investissements de capitaux. Il saute d'ailleurs aux yeux qu'il existe une étroite dépendance entre ces différents aspects de la question.

L'importance de cette région com­me voie de pénétration est bien con­nue. Le canal de Suez raccourcit la route Europe-Orient d'une manière considérable et une production vitale le traverse (90 à 100 % du total des importations anglaises de jute, thé et caoutchouc, de 70 à 90 % du chan­vre et du manganèse, 40 à 65% du riz, laine, café, zinc, plomb, etc...).

Le Moyen Orient constitue aussi une région à travers laquelle passent des voies de pénétration territoriales. Le Kaiser projetait de construire une voie de chemin de fer qui aurait mis l'Allemagne en communication avec le golfe Persique, la ligne Berlin-Bag­dad. Ce projet fut l'une des causes immédiates de la première guerre im­périaliste. La défaite de l'Allemagne y mit un terme. De son côté, la Grande-Bretagne mit sur pied une longue voie ferrée unissant presque toutes les colonies anglaises d'Afri­que (ligne du Cap au Caire) qui rejoint un large réseau unissant les pays du Proche et Moyen Orient : ligne du Cap à Haïfa, ligne Haïfa-Beyrouth-Tripoli (cette dernière rejoignant l'Anatolie et Constantinople), les li­gnes Haïfa-Hedjaz et Haïfa-Bagdad. Ces voies ferrées constituent un cer­cle de fer qui consolide et maintient l'Empire britannique.

Avec le développement de l'avia­tion, la possession de bases dans le Moyen Orient devint une arme déci­sive dans la lutte pour la suprématie aérienne. La ligne aérienne de Lon­dres à Bombay, Singapour, Hong-Kong et l'Australie passe à Haïfa. La ligne aérienne qui traverse l'Afrique orientale et va jusqu'au Cap, part du Caire. La ligne aérienne française de Saïgon, avant la guerre, passait par Marseille, Beyrouth, Bagdad, Bombay, Saïgon.

L'importance décisive de l'Orient arabe en tant que voie rie pénétration fut l'une des raisons principales des luttes qui opposèrent les puissances européennes au cours du siècle der­nier — les expéditions napoléonien­nes, la guerre contre la Turquie en 1832, la guerre de Crimée et la con­quête de l'Égypte en furent les con­séquences directes — et de même ce fut l'une des causes immédiates des première et seconde guerres mondia­les. Les voies de communications en­tre les pays et les peuples ne sont pas, dans la période capitaliste, des moyens de coopération internationale ou des garanties de paix, mais des su­jets de compétitions impérialistes et de guerres.

Renan était on ne peut plus dans le vrai lorsqu'il mentionnait la phra­se bien connue : « Je suis venu apporter non la paix, mais la guerre », en recevant Ferdinand de Lesseps, constructeur du canal de Suez, à l'Académie Fran­çaise, en avril 1885 : « Le grand mot : « Je suis venu apporter non la paix, mais la guerre, » a dû se présenter fréquemment à votre esprit. L'isthme coupé devient un détroit, c'est-à-dire un champ de bataille. Un seul Bosphore avait suffi jusqu'ici aux embarras du monde ; vous en avez créé un second, bien plus important que l'autre, car il ne met pas seulement en communication deux parties de mer intérieure : il sert de couloir de communication à toutes les grandes mers du globe. En cas de guerre maritime, il serait le suprême intérêt, le point pour l'occupation duquel tout le monde lutterait de vitesse. Vous aurez ainsi marqué la place des grandes batailles de l'avenir. »

Le creusement du canal de Suez transforma le Moyen-Orient en un vaste champ de bataille, mais le dé­veloppement de l'aviation a jeté et jettera à nouveau de l'huile sur le feu.

Le pétrole est la ressource la plus importante du Proche et du Moyen Orient. Jusqu'à maintenant une fai­ble partie seulement des champs pétrolifères a été l'objet d'évaluations, et il semble que toutes les estimations concernant les réserves de pétrole dans cette région soient bien au-des­sous de la vérité. Dans un rapport préparé pour la United States Petro­leum Resources Corporation, l'agent pétrolier K. Degolyer déclare : « Le centre de gravité de la production mondiale du pétrole se déplace du golfe du Mexique et de la sphère Caribéenne vers la région du Moyen Orient et du golfe Persique et il est probable qu'il continuera à se dépla­cer jusqu'à ce qu'il s'établisse défini­tivement dans cette région. »

L'exactitude de ce rapport est mise en lumière par les estimations des ressources en pétrole du Moyen Orient, vu que l'on a pu dire que l'Arabie saoudite, à elle seule, pour­rait satisfaire la demande mondiale durant quinze années. De plus il est prouvé que les possibilités de l'Iran et de l'Irak ne sont pas moindres que celles de l'Arabie saoudite.

Présentement la Grande-Bretagne détient une position décisive dans la production pétrolière au Moyen-Orient, comme on peut le voir d'après les détails suivant de ses participations dans les différentes exploita­tions (chiffres donnés pour 1 000 barils) :

Irak

Bahreïn

Arabie

Egypte

Iran

Total

%

Grande-Bretagne

13 067

_

_

9 125

75 000

97 192

79

U. S. A

6 533

7 300

5 475

_

_

19 308

16

France

6 533

_

_

_

_

6 533

5

Total

26 133

7 300

5 475

9 125

75 000

123 033

100

Il n'est pas douteux qu'avec l'ac­croissement de l'exploitation en Ara­bie saoudite et à Bahreïn, l'importan­ce des compagnies pétrolières amé­ricaines dans le Moyen Orient va con­sidérablement augmenter. Harold Gui­se, dans un article du Wall Street Magazine du 3 mars 1945, voit clair lorsqu'il affirme : « Aujourd'hui, la région du Moyen Orient ressemble à un énorme échiquier de manœuvres politiques et économiques comme on en a rarement vu s'affronter en d'autres lieux... La lutte complexe d'après guerre pour la prépondéran­ce économique et politique n'est nulle part potentiellement aussi explosive que dans cette partie du monde. »

Le coton est aussi l'une des pro­ductions importantes de cette région. Face au monopole quasi complet des U.S.A. sur la production mondiale du coton (environ deux tiers de la pro­duction mondiale et usinage de la moitié de cette dernière) et face à l'éviction du Lancashire par les ma­nufactures des Indes, du Japon, du Canada, du Brésil, etc..., particuliè­rement en ce qui concerne les pro­duits à bon marché, c'était une ques­tion vitale pour les capitalistes an­glais d'établir leur monopole sur le coton égyptien, d'une exceptionnelle qualité, d'autant plus pour le Lancashire qui, justement, a une production de qualité supérieure.

Cette région produit en outre d'au­tres matières premières telles que po­tasse, brome, magnésium, en grande quantité. La valeur potentielle de celte production est bien plus importante qu'elle ne l'a semblé jus­qu'ici si l'on tient compte des accords des monopoles internationaux visant à « l'organisation de la rareté », politique qui fut suivie coûte que coûte dans le Proche et le Moyen Orient.

Un autre aspect de l'importance de ce marché ne doit pas être négligé : en effet, malgré les progrès de l'in­dustrialisation, les importations, avant la guerre, atteignaient 78 à 80 millions de livres, somme non négli­geable.

Mais en définitive, ce qui donne le plus d'importance à cette région c'est qu'elle constitue un vaste champ d'ac­tivité pour les investissements de ca­pitaux,

Les capitaux impérialistes dominent le proche et le moyen orient

L'Égypte, qui comprend la majo­rité des Arabes habitant cette région, en est jusqu'à maintenant la plus ri­che contrée. En conséquence, les impérialismes y portent une attention toute particulière. Durant des décennies, les principaux investissements se firent sous forme de prêts à l'Etat égyptien, qui gardait une indépen­dance formelle. C'était une proprette source de pillage. Ainsi, durant les années 1883-1910, les intérêts d'une dette de 95 millions de livres s'éle­vèrent à eux seuls à I05,6 millions de livres. Il faut d'ailleurs remarquer que l'Egypte ne reçut que 60 millions de livres sur les 95 de cette dette, le reste ayant été pris par diverses ma­nipulations financières, de teille sorte que pour une dette de 60 millions de livres, l'Égypte paya 105,6 millions de livres d'intérêts, tout en ayant encore une dette de 95 millions de livres. Durant ces mêmes 28 années, le fel­lah égyptien paya une somme de 30 millions de livres pour maintenir des troupes d'occupation au Soudan dont la seule raison d'être était de proté­ger les plantations anglaises.

Au même moment, des Anglais, des Français, des Italiens, des Belges, des Allemands et d'autres entrepreneurs étrangers, extrayaient des millions de livres du peuple égyptien au moyen de travaux entrepris à des prix dé­mesurés. Prenons le cas du barrage d'Assouan. Ce dernier, d'après les estimations de Sir William Willcooks, l'expert britannique, qui aurait dû re­venir à 2,5 millions de livres revient actuellement à 7 millions de livres, sans compter les 1,2 millions de li­vres de réparations. Alors que pen­dant ces 28 années l'impérialisme étranger draina hors d'Égypte envi­ron 200 millions de livres, le Minis­tère de l'Instruction égyptien reçut la somme dérisoire de 3,6 millions de livres (moins de 130 000 livres par an), et. le Ministère de la Santé, 3,4 millions de livres. Peut-on trouver meilleure preuve de la mission civi­lisatrice impérialiste !

Dans ces dernières décennies, il y a eu un changement dans l'orientation des capitaux. La place des emprunts d'État a été prise par des investisse­ments dans les chemins de fer, tram­ways, électrification et centrales hy­drauliques, banques et industries, etc. A l'heure actuelle toutes les positions-clefs de l'économie du Proche et Moyen Orient sont entre les mains de capitalistes étrangers.

En Égypte, d'après l'estimation de cercles français d' « Egypte indé­pendante par le Groupe d'Etudes de l'Islam » , Paris, 1938, pages 144-5), les capitaux étrangers s'élevaient, en 1937, à 450 millions de livres, la richesse nationale s'élevant à 950 mililions, ce qui signifie que l'étranger en possède 47 %.

D'après une autre estimation, les in­vestissements de capitaux, outre la propriété terrienne, s'élevaient à 550 millions de livres (A. Bonne, The economic development of the Middle East, Jérusalem, 1943, p. 73). Etant donné que le prix des terrains est estimé à 500-600 millions de livres (etmême jusqu'à 670 millions d'après une autre étude), la propriété totale en Egypte s'élève à 1 000-1 100 millions de livres. D'après un autre examen de 1937, fait par les Anglais, le capital étran­ger investi en Egypte s'élevait à 500 millions de livres sterling. Ainsi la puissance financière étrangère s'élèverait à 40-50 % de la propriété totale de l'Egypte. Les experts an­glais arrivent donc à des conclusions identiques à celles des experts fran­çais.

En ce qui concerne les terres, les capitalistes étrangers possèdent di­rectement 8 % des terres cultivées d'une valeur de 50 millions de livres. Si nous déduisons cette somme du total du capital étranger investi en Égypte, nous obtenons, d'après l'une des estimations 400 millions de li­vres, d'après l'autre 450 millions.

En prenant l'étude de Bone sur les investissements, outre les terres, nous voyons que le capital étranger s'élève à 73-81 %. Ainsi les capitalistes étrangers possèdent à peu près la moitié des richesses nationales égyptiennes, et environ les 3/4 si l'on excepte les terres.

La situation en Palestine est semblable. Ici aussi l'impérialisme étran­ger joue un rôle écrasant. Ce fait est mis en lumière par le recensement de 1939 pour l'industrie. Ce dernier mon­tre que les concessions possèdent 53,2 % du capital total investi dans l'industrie et 74,9 % de la force motrice, sans compter que quelques-unes des plus importantes entreprises appartenant au capital étranger (les raffineries de Haïfa, la Steel Bros., etc.) ne sont pas comprises dans le rapport.

Si toutes les entreprises aux mains des capitalistes étrangers y étaient comprises, il sauterait aux yeux qu'au moins les trois quarts du capital in­dustriel du pays est dans les mains de l'impérialisme, et qu'au moins les neuf dixièmes de la force motrice est concentrée dans ses entreprises. Avec la mise sur pied du plan gigantesque des compagnies pétrolières américai­nes dans le Moyen-Orient (pipelines, raffineries, etc...), ce qui nécessite au bas mot des investissements d'au moins 300 millions de livres, l'assujettissement de cette région sera très sensi­blement accru.

L'impérialisme tient à monopoliser les marchés de l'Orient arabe pour son propre développement industriel dans ce secteur, particulièrement pour barrer la route au développement de l'in­dustrie lourde des machines-outils, dé­veloppement qui œuvrerait dans le sens d'une indépendance économique. Comprenant que les profits impéria­listes dépendent du bas niveau des salaires payés aux ouvriers arabes et du bas taux des prix pour les pro­duits paysans, l'impérialisme a inté­rêt à maintenir le pays à un niveau le plus arriéré possible, de telle sorte qu'il soit une réserve inépuisable de main-d'œuvre et de matières pre­mières à bon marché.

L'impérialisme a par ailleurs inté­rêt à ce genre de méthode pour des raisons socialo-politique :

  1. parce que seules des masses arriérées, illet­trées, déprimées, dispersées dans de petits villages éloignés les uns des au­tres, peuvent être facilement domi­nées ;

  2. parce que ses valets les plus fidèles aux colonies sont les seigneurs féodaux. Par là la question du rôle de l'impérialisme est intimement liée à la question agraire.

La question agraire

Les trois quarts de la population arabe vivent à la campagne, soumis à une petite poignée de grands pro­priétaires fonciers. En Égypte, 0,5 % des propriétaires fonciers détiennent 37,1 % des terres, alors que 70,7 % n'en ont que 12,4 %. Trois cent trente et un propriétaires ont trois fois plus de terres que 1 million et demi de paysans pauvres, et il y a plus d'un million de travailleurs agricoles qui n'ont pas le moindre lopin de terre. Une compagnie terrienne d'exploita­tion possède à elle seule une telle su­perficie qu'elle peut y employer 35 000 ouvriers agricoles. Les terres royales ont une superficie analogue et y occupent environ 30 000 petits pay­sans, D'après une estimation d'Émile Minost, directeur général du Crédit Foncier Égyptien, banque indissolu­blement liée à l'ordre social et éco­nomique existant et par là même peu susceptible d'exagérer le taux d'ex­ploitation des masses, donne les pré­cisions suivantes sur les revenus agraires nets :

Pour les impôts

6,3 %

Pour les grands propriétaires

56,6 %

Pour les commerçants

12,1 %

Pour les fellahs

25,0 %

100,0 %

Ainsi un millier à peine de proprié­taires terriens ont un profit double de celui de 3 millions de fellahs. En moyenne, avant la guerre, un paysan pauvre ne gagnait guère plus de 7 à 8 livres par an. Durant la guerre son revenu nominal augmenta, mais le coût de la vie augmenta dans de bien plus grandes proportions, et par là même son revenu réel diminua. L'ouvrier agricole gagne encore moins. Le salaire quotidien d'un ou­vrier agricole était, avant la guerre, de 3 piastres (7,2 pence), cetlui d'une ouvrière 3 piastres, celui d'un en­fant de 1 à 1 piastre et demie. De plus, de longues périodes de chô­mage étaient chose fréquente, la sai­son de travail annuel n'étant que de 6 à 8 mois. Par ailleurs, même un contremaître ne gagnait guère plus de 2 livres par mois, un employé 3 livres, et un chauffeur de 1 à 1 li­vre et demie. Malgré que les salaires aient doublé durant la guerre, le coût de la vie augmenta bien plus ; et même aujourd'hui il y a des ré­gions où le salaire d'un ouvrier agri­cole n'atteint même pas un shilling.

Avec des revenus aussi maigres, la situation alimentaire est évidemment terrible. Elle n'est en fait comparable qu'à celle des Indes. On a calculé que la consommation de l'égyptien moyen, qui est évidemment supérieur à celle de l'ouvrier ou du paysan pauvre, at­teint seulement 46 % de la normale pour le blé, 25 % pour le sucre, 23 % pour la viande et le poisson et 8 % pour les produits laitiers. Bien plus, la valeur nutritive n'est pas en voie d'amélioration, mais continuellement en baisse.

En raison de la terrible pauvreté des masses, leur situation sanitaire est très mauvaise, et le taux de mortalité est extrêmement élevé, comme on peut s'en rendre compte d'après le tableau suivant établi en 1938.

Taux de mortalité pour 1000

Taux de mortalité chez les enfants de moins d'un an
(pour 1 000 enfants nés vivants)

Grande-Bretagne

11,6

52

Belgique

13,0

73

Pologne

13,8

140

Indes

24,3

167

Egypte

26,4

163

Seules les Indes peuvent être com­parées à l'Égypte sur ce plan !

Outre les morts « normales », la famine et les épidémies prélèvent leur rançon. Ainsi, en 1944, dans la Haute Égypte, la malaria emporta des dizaines de milliers de fellahs dont la santé, affaiblie par une continuelle sous-alimentation, était une proie fa­cile pour l'épidémie dans ses formes les plus violentes. D'après une esti­mation dont on peut dire certain qu'elle n'est pas exagérée, 140 000 moururent de malaria (Al-Ahram, 14 avril 1944). Rien que dans les planta­tions de la Compagnie Kom Ombo, 500 ouvriers moururent (Al-Ahram, 1er mars 1944).

En raison des mauvaises conditions sanitaires, la durée de la vie moyenne est très basse: 31 ans pour les hom­mes, 30 pour les femmes. Dans le Royaume-Uni, celle-ci est de 60 ans pour les hommes et 64 pour les fem­mes. Ceux qui deviennent adultes sont très faibles. Parmi les conscrits originaires des campagnes, en 1941, seulement 11 % furent reconnus aptes au service militaire. 90 % de la popu­lation souffre de trachome, 50 % de vers intestinaux, 75 % de bilharziose, 50 % d'ankylostome. Le nombre de personnes atteintes de tuberculose dépasse 300 000.

La misère est inévitablement ac­compagnée de l'ignorance, qui atteint des dimensions effrayantes en Égypte. On peut s'en faire une idée relative d'après la très brève remarque qu'Al Mussawar fît au sujet du recensement de 1937 : « Pour 14 millions de gens qui ne savent ni lire ni écrire, nous avons 30 000 titulaires de diplômes. »

L'ignorance est le produit du sys­tème social existant, et aussi l'un de ses fondements. La classe dirigeante sait fort bien que l'analphabétisme des masses est la plus forte assise du régime. C'est pourquoi un sénateur égyptien rendait grâces à Dieu du fait que son pays était en première place du point de vue ignorance (Al Ahram, 7 juillet 44).

D'une part des richesses, les plai­sirs et les distractions pour quelques dizaines de milliers d'Égyptiens et d'étrangers, d'autre part la maladie et l'ignorance pour des millions d'hom­mes, voilà le tableau de l'Égypte pay­sanne !

Le problème agraire des pays ara­bes autres que l'Égypte n'est guère différent. Ainsi en Palestine, environ la moitié des terres est entre les mains de 250 familles féodales. Les seigneurs féodaux, qui sont en même temps usuriers, détiennent un pouvoir exorbitant, comme on peut le voir d'après les paroles d'un officiel an­glais : « Dans une région militaire s'étendant suc trois sous-districts, il y a 14 percepteurs gouvernementaux ; un seul usurier dans un seul de ces sous-districts emploie 28 hommes pour collecter ses intérêts. » (L. French, Rapport sur le développement et les entreprises agraires en Palestine, Jé­rusalem, 1931-32, page 77).

D'après le « Rapport dit Comité d'étude des conditions économiques des agriculteurs en Palestine », com­munément appelé le rapport Johnson-Crosbie, seulement 23,9 % de ce que le fellah produit lui reviennent en mains propres, alors que 48,8 % pas­sent en impôts gouvernementaux, ren­tes de propriétaires fonciers, et inté­rêt à l'usurier. Pour comprendre à quel point le standard de vie du pay­san arabe est bas, en raison de la forme arriérée de son économie, et de son exploitation par divers parasites (qui constituent d'ailleurs la barrière principale à un développement de l'é­conomie), j'ai fait la comparaison en­tre le régime du fellah et celui que le gouvernement est censé accorder aux condamnés (bien qu'évidemment une grande part de ce dernier aille dans les poches des fonctionnaires de la prison). Je suppose qu'un fellah et sa femme sont en prison, et que qua­tre de ses enfants sont dans une « école de redressement » :

Famille en prison

Fellahs

Blé et mil

15,1 £

10 £

Olives et huile d'olive

3,8 £

3 £

Légumes, lentilles et laitages

12,9 £

4 £

Riz, sucre et autres produits achetés par le fellah en dehors de ses terres

4,7 £

1 £

Viande

6,7 £

Presque rien

Total

43,2 £

18 £

(Les prix étant plus bas en Égypte qu'en Palestine, ces chiffres ne peu­vent être utilisés comme base de com­paraison entre la Palestine et l'Égypte),

Quoique ces calculs soient peu pré­cis, ils donnent néanmoins une idée des terribles conditions de vie qu'ont à supporter la masse des fellahs en Palestine.

En Syrie et en Irak les conditions sont semblables. En Irak on trouve des seigneurs féodaux dont les pro­priétés englobent des régions de dizaines de milliers d'hectares. Ainsi la majeure partie du district de Muntafiq, d'une superficie de 6 260 km2, est entre les mains d'une seule famil­le. Les revenus du fellah dans cette région sont de 7 à 8 livres par an.

Les conditions de vie des masses citadines ne sont pas moins dures que celles supportées par les masses paysannes.

Conditions de vie des masses citadines

Sous la double pression de la con­centration du capital impérialiste et du féodalisme, en raison du maigre développement de l'industrie et du bas niveau de vie des ouvriers agri­coles, le chômage officiel et non officiel atteint une grande extension et la condition des ouvriers des villes est très misérable. Ceci peut être il­lustré par la description des condi­tions de travail dans une grosse en­treprise industrielle. Prenons par exemple les filatures et tissages de Mahalla el Kubra, qui emploient 26 000 ouvriers et 3 000 employés, inspecteurs et agents de maîtrise. Les débutants sont payés 1 shilling 6 par jour, les ouvriers spécialisés 2 shil­lings 7, les ouvriers qualifiés 10 livres par mois. Les ouvriers ont un jour de repos par quinzaine, et travaillent 10 heures par jour. Il n'y a pas de service social et le docteur n'est là que pour délivrer des congés de ma­ladie. La discipline est maintenue d'une manière militaire. De plus des amendes constantes viennent grever le budget de l'ouvrier. En ce qui con­cerne les conditions de logement, 15 ouvriers vivent dans une seule pièce, avec seulement 3 chemises pour dor­mir et 5 matelas (Al Ahram, 21 dé­cembre 1944). Dans d'autres entre­prises les conditions sont les mêmes.

Il est clair que les bas salaires et les prix élevés portent sérieusement atteinte à la santé des ouvriers. Ain­si on sait que sur 6 000 ouvriers imprimeurs d'Egypte, 62 % souffrent de maladies du système digestif, 85 % d'anémie, 45 % d'empoisonnements par le plomb (Al Ahram, 23 février 1944). Deux incidents témoignent de l'extrême pauvreté dans les villes égyptiennes : en septembre 1943, qua­tre personnes furent piétinées mor­tellement lorsque des aumônes furent distribuées et en mars 1944, une jeune égyptienne vendit sa fille juste née à un marchand pour 20 livres.

Les conditions de vie à Jaffa et Haïfa, Damas et Beyrouth, Bagdad et Bassorah sont très légèrement meil­leures qu'au Caire et à Alexandrie,

Les rapports entre les classes dominantes et l'impérialisme

L'impérialisme ne pourrait renfor­cer sa domination sur des millions de coloniaux s'il ne trouvait un ap­pui dans les classes dominantes de ces nattons.

D'après ce qu'on a vu plus haut, les causes qui poussent la classe féodale à devenir un agent de l'impérialisme sont claires. Quelles sont les relations de la bourgeoisie arabe avec l'impé­rialisme ?

Pour répondre à cette question, il faut d'abord considérer que la bour­geoisie arabe n'est pas une classe ho­mogène. Capital bancaire et capital commercial s'entrelacent selon les di­vers modes de production. Dans les colonies, la majeure partie de ce ca­pital est liée au mode de production féodal, aux entreprises du capitalis­me étranger ou aux importations de marchandises extérieures. Toutes ces couches de la bourgeoisie s'identifient au système féodal et au système im­périaliste. La bourgeoisie industrielle n'est que la plus petite partie de la bourgeoisie arabe. Elle se développe à une époque où l'économie mon­diale, dominée par la concentration du capital financier, est en déclin. Elle ne peut mettre sur pied son in­dustrie, entrer en compétition avec celle de la « mère patrie », etc.. qu'en surexploitant les masses ouvrières et paysannes et en cherchant une main-d'œuvre et des matières premières à bon marché, ce qui ne lui est rendu possible qu'en raison de l'existence du système féodal et de l'impérialisme.

Cette charpente constituée de la dictature du capital financier sur un sou­bassement capitaliste en déclin liée à l'existence de rapports féodaux de propriété, détermine aussi la faibles­se de la bourgeoisie coloniale industrielle et sa dépendance dans une large mesure envers le capital étran­ger. Ceci se voit dans l'association des capitaux étrangers et nationaux, et la dépendance des entreprises locales envers les banques étrangères. L'exis­tence de la bourgeoisie coloniale, la bourgeoisie industrielle incluse, est par là même conditionnée par la surexploitation des masses ouvrières et paysannes, ce qui est le résultat et la condition sine qua non de l'impérialisme et par sa dépendance di­recte envers les capitaux étrangers et de l'impérialisme. La bourgeoisie co­loniale n'est pas l'antipode de l'impé­rialisme et du féodalisme, mais l'an­tipode des masses ouvrières et pay­sannes. La liaison de la bourgeoisie coloniale avec le capital étranger et les féodaux d'un côté, et la lutte de classes des prolétaires et des paysans de l'autre (ces deux facteurs dépen­dant l'un de l'autre), fixent ses limites au combat que la bourgeoisie colo­niale mène pour obtenir des conces­sions de la part de l'impérialisme.

La bourgeoisie arabe de Palestine a une situa-lion particulière. En effet, dans ce pays, les jeunes partenaires de l'impérialisme ne sont pas les bourgeois arabes, mais les bourgeois sionistes. Les positions économiques secondaires — l'industrie légère par exemple — ne sont pas aux mains du capitalisme indigène, comme en Égypte on eu Syrie, mais aux mains du capitalisme sioniste. Ainsi, d'après le recensement industriel de 1939, les industries palestiniennes étaient réparties de la manière sui­vante :

Investissements en valeur

Puissance des machines

Arabes et autres non-juifs

6,5 %

2,2 %

Juifs

40,3 %

22,9 %

Concessions

53,2 %

74,9 %

Comme il en a déjà été fait mention, d'importantes entreprises étrangères ne sont pas comprises sous la rubri­que « Concessions ». D'autre part des entreprises appartenant à des non-arabes sont incluses dans les pre­miers chiffres. Si nous corrigeons ce tableau, nous voyons que le capital étranger possède au moins les trois quarts du capital total investi dans l'industrie, le capital juif un cinquiè­me et le capital arabe 2 à 3 % seule­ment.

La situation de la bourgeoisie arabe en Palestine ne la rend d'ailleurs pas pour cela anti-impérialiste, mais au contraire la pousse à faire des efforts pour expulser la bourgeoisie sioniste en vue fie devenir elle-même l'agent de l'impérialisme.

La bourgeoisie arabe ne peut et ne désire pas s'engager à fond dans la lutte anti-impérialiste. En dépit de ses conflits avec l'impérialisme pour lui arracher quelques concessions, il est clair que son sort est intimement lié à celui de l'impérialisme.

Les problèmes auxquels la classe dominante arabe a à faire face avec la fin de la guerre

A la fin de la deuxième guerre mon­diale, l'impérialisme anglais doit fai­re face à de nombreuses difficultés en Orient et doit adopter des mesures extrêmes pour sauvegarder ses intérêts. La classe exploiteuse arabe se trouve devant des difficultés sembla­bles liées à celles de l'impérialisme. Pour avoir une idée claire de ce fait, il est nécessaire d'examiner la situa­tion socio-économique durant la guerre.

Pendant la guerre, les capitalistes et spécialement les grosses compa­gnies travaillant en Orient réalisèrent d'immenses profits. Alors que durant la dernière guerre l'armée anglaise dépensa 45 millions de livres en Égypte, le montant de ses dépenses fut beaucoup plus élevé dans cette guerre-ci. Le budget de guerre en Égypte en 1940 s'élevait à 34 millions de livres, en 1941 à 100 millions de livres et en 1942, 1943 et 1944, il était au moins aussi élevé qu'en 1941. Le Times du 20 septembre 1943 estimait que l'armée dépensait 200 millions de li­vres par an dans le Proche et le Moyen Orient. La bourgeoisie a réalisé des profits extraordinaires. Ainsi la gran­de compagnie sucrière d'Egypte (une compagnie française) termina l'an­née 1941 avec 266 000 livres ; l'année 1942 avec 1 350 000 livres. Les filatures nationales payaient 11 % de di­videndes en 1938 et 22 % en 1942, Les filatures Misr, à Mahalla, payaient 7 % de dividendes en 1938, et 28 % en 1943. La branche de Dawar de ces mêmes filatures payait 12 % en 1941 et 20 % en 1942. La Marconi Broadcasting Company payait 7 % de divi­dendes en 1935 et 25 % en 1940. Les compagnies hôtelières égyptiennes payaient 10 % en 1938 et 25 % en 1941. Il y avait 50 millionnaires en Égypte avant la guerre et 400 en 1943.

La bourgeoisie fit aussi du consi­dérables bénéfices dans le commerce. Ainsi dans les années 1941, 1942 et 1943, les commerçants de Beyrouth firent 16 millions de livres de bénéfices. Sur ces 16 millions, 10 furent ramassés par 10 commerçants, 2 millions par 20 commerçants, et les 4 derniers millions allèrent dans les poches de plusieurs centaines de plus petits commerçants.

Les banques prospérèrent de la même manière. Les dépôts dans les banques commerciales d'Égypte pas­sèrent de 44,8 millions de livres en 1939 à 116,6 millions en 1942. Au Li­ban, durant la même période, ils pas­sèrent de 26,5 millions à 84,5 millions de livres, et en Syrie de 6,1 millions à 36,4 millions. Les banques arabes de Palestine payèrent un dividende de 20 % en 1943.

Pendant la même période. La misè­re des masses travailleuses augmenta considérablement. Il en résulta une forte exacerbation de la tension so­ciale, qui atteint son summum en Égypte. En janvier 1943 déjà, un dé­puté bourgeois de la Chambre égyp­tienne déclarait : « Nous avons déjà défendu ce programme auparavant et averti le gouvernement du danger de famine, et nous notions déjà qu'il est juste de dire que la famine est une hérésie qui ne connaît ni compromis ni manœuvres. Car celui qui jette un regard dans l'histoire sait pertinem­ment que la faim fut la cause de nom­breuses révolutions. Et si l'histoire nous enseigne que les couches révo­lutionnaires dans l'un des plus grands États d'Europe crièrent du plus pro­fond du cœur : « Nous voulons du pain », nous entendions dernièrement le même cri de révolte qui résonnait de façon semblable avant la dernière « Fête du Sacrifice » dans les rues du Caire, clameurs jaillies des bou­ches des populations affamées qui attaquèrent les chariots à pain dans le but de ravir du pain. » L'orateur carac­térisa ensuite la situation du pays comme une « situation révolution­naire » (Al-Misri, 6 janvier 194-2).

Un autre sénateur décrivait la si­tuation en mai 1943 de la façon sui­vante: « La guerre a entraîné la con­centration des capitaux dans les mains de quelques centaines d'indi­vidus. Les richesses des privilégiés se sont accrues tandis que les pauvres gens ont été acculés de plus en plus à une misère indescriptible ; le gouf­fre existant entre les classes s'est en­core creusé. La société s'est lézardée et de grands dangers la menacent. On ne peut prophétiser un bel avenir pour ce pays. »

La paix signifie une aggravation de la misérable condition des masses. L'action des autorités pour dévelop­per la production vers des normes atteignant des dizaines de millions de livres va cesser, ce qui, conséquence immédiate, va jeter sur le pavé plu­sieurs centaines de milliers de tra­vailleurs employés dans les industries de guerre. La grande majorité des 800 000 travailleurs employés direc­tement par l'armée va aussi se trou­ver sans travail. Même les industries travaillant pour, la population civils vont se trouver devant de graves dif­ficultés en raison de la concurrence étrangère qui était presque inexis­tante durant la guerre, en raison des difficultés de renouvellement des ma­chines, etc... Les classes dirigeantes se préparent à faire porter le fardeau de la crise par les ouvriers et les paysans, et ne cachent d'ailleurs pas leurs intentions. Ainsi, Fouad Saraj ed-Din, grand propriétaire foncier, qui fut Ministre de l'Agriculture, de l'Intérieur et de la Santé publique, déclara que pour que le coton égyp­tien puisse concurrencer celui des In­des, de la Chine et du Brésil, et con­currencer la soie artificielle et le ny­lon, on devait bloquer les salaires dans l'agriculture. Hafez Afifi, direc­teur de la grande banque Misr, dé­clara de même que l'accroissement des salaires interdisait à l'industrie égyptienne la possibilité rie concur­rencer la production étrangère. Le journal Al-Ahram du 19 juillet 1943 écrivait que les ouvriers touchaient de tels salaires que ceux-ci leur don­naient le goût du luxe (sic !).

L'antagonisme croissant entre la bourgeoisie et l'impérialisme

Pendant ce temps l'antagonisme entre les industriels arabes et l'impérialisme va croissant. Il y a essentiellement deux sujets de conflit : pre­mièrement, comment protéger les industries existantes de la concurrence étrangère ; deuxièmement, la question de la dette énorme que l'Angleterre a contractée envers les pays du Proche et du Moyen Orient (350 millions de li­vres à l'Égypte, 100 millions de livres en Palestine — principalement aux capitalistes juifs — 60 millions à l'I­rak), La position des diverses cou­ches de la bourgeoisie arabe envers ces questions est différente. La bour­geoisie « compradore » est bien plus intéressée par le commerce extérieur que par le développement de l'in­dustrie locale.

D'autre part les industriels insis­tent pour qu'on élève les tarifs doua­niers et sont aussi plus exigeants en ce qui concerne la question de la dette anglaise, son remboursement étant pour eux une impérieuse néces­sité en vue de renouveler leur vieil outillage. Ainsi, à la séance du Sénat du 20 janvier 1945, le sénateur Ahmed Ramzi Bey déclara que les restric­tions dues à la concurrence signi­fiaient que l'Égypte ne pouvait acquérir des dollars ni acheter aux États-Unis, mais seulement en Angleterre et que ce fait était un sérieux handi­cap. Il proposa que l'Angleterre four­nisse des dollars ou même remette à l'Égypte quelques-unes de ses actions investies dans des Compagnies d'Égypte, comme celles de la Compagnie de Suez, de l'Anglo Egyptian Compa­ny, etc... Il nota aussi la dépréciation réelle, sinon théorique, de la livre égyptienne par rapport à la livre an­glaise.Al-Ahram du 19 avril 1944 dé­clara que la dette du Royaume Uni envers l'Égypte était une dette du fort envers le faible, et que le mode de paiement dépendait du fort. Une semaine plus tard le même journal annonçait que le sénateur Mohammed Barakat Pasha avait fait une déclara­tion selon laquelle l'Angleterre était incapable de payer ses dettes et con­seillant à l'Égypte de quitter le bloc sterling. Le même refrain de quitter le bloc sterling et de transférer les actions de Suez et quelques autres à l'Égypte revient continuellement dans la presse égyptienne.

La bourgeoisie arabe des pays voi­sins est plus faible et par là moins exigeante. La position des classes ex­ploiteuses arabes peut se résumer ainsi :toutes s'orientent vers la compres­sion du standard de vie des masses. Quelques-uns, les industriels, feraient volontiers pression sur l'Angleterre pour arracher quelques concessions. Mais quoiqu'il en soit, une chose doit être absolument claire : même pour les industriels arabes le premier fait l'emporte de loin sur le second.

Face au profond fossé qui sépare les masses ouvrières et paysannes de l'impérialisme, ce dernier a intérêt, et il en sera de plus en plus ainsi, à détourner, la colère des masses dans une voie fausse. La majeure partie des exploiteurs arabes — les féodaux, la bourgeoisie compradore, les com­merçants et les usuriers — s'identi­fient complètement à l'impérialisme de ce point de vue. (Il ne s'agit pas nécessairement de l'impérialisme an­glais, ce peut être lui aussi bien qu'un autre, par exemple l'impérialisme américain). La bourgeoisie industriel­le cherchera probablement à utiliser la colère des masses dans le but d'ar­racher quelques concessions à l'im­périalisme, mais il est certain qu'avant peu elle devra se joindre à ce der­nier pour s'efforcer de détourner les masses affamées de la lutte nationale et d'émancipation de classe en les entraînant dans le cul-de-sac des émeutes chauvines entre communau­tés différentes.

II - Le rôle du sionisme

1945

Selon le nombre des révoltes oppo­sant telle communauté à telle autre, on peut déterminer le nombre de jours qu'il reste à vivre à l'impérialisme et à ses agents dans une colonie.

Pendant des décennies, l'impérialisme français a provoqué de sérieuses frictions entre les chrétiens et les musul­mans en Syrie et au Liban, et l'impérialisme britannique entre les musulmans et les coptes en Égypte et les Arabes et les Assyriens en Irak. Pour cette raison, le sionisme fut sou­tenu en Palestine comme une force contre le mouvement national arabe.

A la lin de la deuxième guerre mondiale, cependant, les problèmes auxquels l'impérialisme anglais avait à faire face deviennent infiniment plus difficiles. D'un coté l'Angleterre a intérêt à écarter la France de la Syrie et du Liban et par là même ne peut accepter aisément les frictions entre musulmans et chrétiens, étant donné que cela ne ferait qu'aider à renforcer la position de la France qui s'appuie sur la minorité chrétienne, D'un autre côté l'Angleterre a intérêt à poser des blocs solides sur la voie de la pénétration américaine dans !e Moyen-Orient, et par là ne peut voir favorablement les conflits entre diri­geants arabes « indépendants » et États arabes « indépendants ». car elle a intérêt à bâtir un front uni de rois et de ministres réactionnaires ; de là est sortie la Ligue Arabe.

De plus, la tentative de l'impéria­lisme de provoquer des conflits entre les Musulmans et les Coptes en Égypte échoua tristement (pour des raisons que nous ne pouvons traiter ici). Et étant donné que l'Égypte est le chaînon le plus faible de la chaîne impérialiste dans le Moyen-Orient, car les antagonismes sociaux y sont les plus profonds, les difficultés pour l'impé­rialisme britannique de détourner l'attention des masses vers des buts chauvins y sont très grandes. L'impé­rialisme britannique doit alors résoudre un problème très grave ; comment maintenir une unité de tous les pays arabes – unité dont les buts et les limites sont déterminés bien entendu par l'Angleterre — et maintenir la paix entre les diverses communautés du peuple arabe d'une part, et de l'au­tre continuer sa politique du « diviser pour régner » dans sa l'orme la plus achevée.

Ici l'impérialisme se souvient, d'une arme qu'il a utilisée pendant plus de vingt ans pour soumettre la population de l'un des pays arabes et qu'on espère utiliser maintenant à des fins beaucoup plus importante: le sionis­me. Le sionisme occupe une place spéciale dans les défenses impérialistes. Il joue un rôle double : d'abord directement, comme un pilier important de l'impérialisme, donnant son soutien actif et s'opposant à la lutte libératrice de la nation arabe, et ensuite en tant que valet passif der­rière lequel l'impérialisme peut se cacher et vers lequel il peut orienter la colère des masses arabes.

Si à Tel-Aviv qui a 250 000 habitants il n'y a pas un seul travailleur arabe, si une rumeur selon laquelle il y a trois Arabes qui travaillent dans un café juif est suffisante pour qu'une foule de milliers d'individus accoure briser les vitres et le matériel, si un fellah arabe qui osait, avant la guerre, venir vendre ses produits sur un marché juif était battu et ses produits volés, etc... (pendant la guerre ce genre de chose n'était plus coutumier, ni aujourd'hui en raison de la rareté des produits), si d'un seul coup vingt villages de la Vallée de Jezreel étaient balayés lorsque la terre était achetée à un banquier syrien, Sursuk, si des milliers de paysans évincés ne pouvaient chercher du travail comme ouvriers agricoles sur la terre me que leurs familles avaient travaillée pendant des générations, s'il y avait des « épurations » continuelles d'Arabes de la vie économique, qui font inévitablement penser « épurations » de Juifs pratiquées par les nazis en 1933-39, si à partir de tels actes « innocents » les sionistes en viennent maintenant à parler de faire de la Palestine un Etat juif et d'expulser tous les Arabes du pays, qu'y a-t-il d'étonnant alors à ce que les Arabes s'opposent au sionisme jusqu'à la mort ?

Le sionisme décharge l'impérialisme de toute responsabilité dans les actes de spoliation et d'oppression. Voyons quelques exemples. Une Compagnie Electrique Anglaise qui monte une entreprise en Palestine nomme un Juif comme administrateur général. Le résultat est que, alors que dans chaque colonie la lutte anti-impérialiste est menée par des grèves, des manifestations et des boycotts contre les compagnies concessionnaires étrangères, en Palestine le boycott déclaré par les Arabes contre la Compagnie Electrique Palestinienne prend une autre allure : celle de manifestation anti-juive. Dans cette voie les sionistes, qui déclarent dans un but de propagande que les positions-clefs de l'économie sont entre leurs mains, bien qu'ils ne soient que des partenaires débutants sinon de simples auxiliaires, aident l'impérialisme à sucer le sang du pays.

Un autre exemple rendra cela encore plus clair. Alors qu'en Syrie et au Liban avaient lieu de grandes manifestations, certaines d'entre elles sanglantes, qui furent couronnées de victoire contre l'établissement de la Compagnie de camions Steel Bros., en Palestine, les sionistes « socialistes », la Fédération Générale des Travailleurs Juifs (Histadrut) se mirent au service, en échange d'une misérable récompense, de la Stell Bros. et permirent à la Compagnie de s'implanter fermement dans le pays.

En Palestine il y a un policier ou « ghaffir » (police spéciale) pour cent habitants alors qu'il y en a un pour 676 en Angleterre. Le budget de police palestinien s'élève à 27 % du budget de 1941-42 (sans compter les travaux publics entrepris pour des buts policiers, comme la construction de stations de police, etc.) alors qu'uen Angleterre il n'est que de 0,3 % du budget en 1942-43. De si considérables forces de police ne sont pas – à Dieu ne plaise – créées pour servir les intérêts de l'impérialisme. Non, c'est le sionisme qui, durant des années, insista pour qu'on augmente les forces de police, insista pour que l'ordre règne et exigea une forte poigne contre les Arabes !

Alors que les budgets de l'Education et de la Santé à eux deux n'atteignent même pas 1,65 % du budget de la Police (en Angleterre ils sont cinq fois plus grands), les sionistes n'ont jamais émis la moindre protestation contre ce fait, mais ils ont fait des embarras parce que le gouvernement répartissait le budget de l'éducation entre Juifs et Arabes proportionnellement au nombre d'enfants dans les deux communautés. Ils exigèrent que le gouvernement attribue une plus grande part du budget aux Juifs étant donné que ces derniers payent plus d'impôts (car ils sont les plus riches). Et ceci fut exigé même par ceux d'entre les sionistes qui s'intitulent socialistes ! L'impérialisme est ainsi débarrassé de la responsabilité de l'analphabétisme général et des mauvaises conditions sanitaires qui prévalent dans le pays.

L'impérialisme n'a pas à supporter la responsabilité du fait que les grandes compagnies étrangères et les gros capitalistes et propriétaires fonciers, juifs ou arabes, ne payent pratiquement pas d'impôts. Tous les sionistes, de la droite à l'extrême « gauche », s'opposent au prélèvement d'impôts et cela freinera d'ailleurs la construction d'entreprises sionistes.

En Palestine il n'y a même pas la moindre loi pour la protection des fermiers. Ni les propriétaires fonciers arabes ni le gouvernement n'ont besoin de prendre des responsabilités de ce point de vue. Au contraire, le gouvernement, de temps à autre, en vue de se présenter comme un bienfaiteur, proclame son désir d'envisager des lois pour la protection des fermiers et, même projette des cartes et des plans de développement agraire. Une fois encore, ce sont les sionistes qui s'opposent à des lois et plans de ce genre sous prétexte que cela empêcherait la colonisation sioniste qui nécessite l'éviction des agriculteurs arabes.

S'il existe en Palestine un régime absolument autocratique, sans le moindre parlement ou même quelque orga­nisme représentatif élu, l'impérialisme une fois encore peut rejeter toute responsabilité de cet état de fait très facilement : les sionistes s'opposent à l'établissement d'organismes démocratiques de ce genre car cela gênerait aussi l'expansion sioniste.

Si l'armée britannique, pendant les années 1936-39, tua des milliers de partisans arabes (de la même manière que les Italiens tuèrent les Abyssins, ou les Japonais, les Hollandais et les Anglais tuent les Indonésiens aujour­d'hui) ce ne fut pas pour maintenir sa domination — Dieu les en garde ! — mais pour protéger les Juifs !1

Il est tragique de voir que les fils du même peuple qui a été persécuté et massacré d'une manière bestiale, et qui aujourd'hui est la victime inno­cente de la haine nationale du fascis­me, la forme exacerbée de l'impéria­lisme — se trouvent orientés dans une mystique chauvine et militariste, et de­viennent l'instrument aveugle de l'im­périalisme pour subjuguer les masses Araires. De la même manière que l'ordre social actuel est à condamner en raison des calamités qu'il entraîne pour les Juifs, il est aussi à condamner par le fait que l'on peut exploiter ces calamités pour des buts réactionnaires et d'oppression.

Le sionisme ne libère pas les Juifs de leurs souffrances. Au contraire, il les menace d'un nouveau danger, celui d'être le tampon entre l'impérialisme et la lutte libératrice nationale et sociale des masses arabes.

Le récent terrorisme sioniste semble jeter le doute sur l'appréciation ci-dessus des relations entre le sionisme et l'impérialisme. Si les sionistes luttent aujourd'hui contre le gouvernement anglais, n'est-ce pas une preuve qu'ils poursuivent une politique anti-impérialiste ?

Le sionisme et l'impérialisme ont à la fois des intérêts communs et des intérêts antagonistes. Le sionisme veut construire un État capitaliste juif fort. L'impérialisme a effectivement intérêt à l'existence d'une société capitaliste juive entourée de la haine des masses coloniales, mais non pas à ce que le sionisme devienne un facteur trop puissant. En ce qui concerne ce dernier point, il est prêt à prouver sa « justice » envers les Arabes, et il est prêt à faire la part de leurs justes revendications aux dépens du sionisme. Pour s'assurer les services des sionistes en tant que soutiens directs dans toute insurrection anti-impérialiste, et ce qui est encore plus important, en tant que tampon, l'impérialisme n'a pas nécessairement besoin de laisser fleurir le sionisme. Une population sioniste de 600 000 individus peut remplir un tel rôle de façon tout à fait suffisante.

Le sionisme peut-il être anti-impérialiste ?

L'impérialisme peut tranquillement tracer des plans étendant ou restrei­gnant les frontières d'un développe­ment du sionisme, une chose au moins pour lui ne souffre aucun doute : quoiqu'il arrive au cours d'un soulèvement des peuples de l'Orient contre l'impérialisme, le sionisme ne passera pas du côté révolutionnaire. Ceci est clairement révélé par toutes les acti­vités et les déclarations de l'organisa­tion terroriste la plus active de Pales­tine — L' « Irgun » (National iMilitary Organisation). Dans l'une de ses brochures A la mémoire du Docteur Raziel elle écrit : « Nous devons combattre les Arabes dans le but de les subjuguer et de diminuer leurs exigences : nous devons les rejeter de l'arène politique. Cette lutte contre les Arabes encouragera la Diaspora et la consolidera. Elle attirera l'attention des nations du monde entier qui seront obligées d'honorer le peuple qui lutte avec ses propres arme. Et nous trou­verons un allié qui soutiendra l'armée du peuple dans sa lutte. » (Mai 1943)

Il est vrai que les sionistes ne sont pas satisfaits du fait que ce n'est pas eux qui fixent les limites de la coopé­ration entre le sionisme et l'impérialisme mais ce, dernier. Néanmoins, même dans les jours de plus grande tension dans les relations entre eux et le gouvernement britannique, ils ne ces­seront jamais do dire que les intérêts du sionisme n'allaient pas à l'encontre de ceux de l'impérialisme.

Ainsi, par exemple, l'un des membres de l'Agence Juive écrivait quelques jours avant less grands actes terroristes du 2 Novembre (anniversaire de la Déclaration Balfour) :

C'est le même thème qui revient interminablement jour après jour. Il est intéressant de noter que même lorsque l'impérialisme révèle son grand désir d'utiliser les Juifs comme boucs émissaires, le thème ne varie pas. Les procès pour détention d'armes de ces deux dernières années ont été une preuve tout à fait claire des intentions de provocation de l'impérialisme. Depuis maintenant de nombreuses années, des milliers d'Arabes ont été arrêtés sans jugement, et tout Arabe trouvé porteur d'armes durant le soulèvement national de 1936-39 était condamné à mort ou pour le moins à un emprisonnement prolongé. Les sionistes ne formulèrent pas le moin­dre mot de protestation de telle sorte que la colère des masses Arabes opprimées se déchargea sur les Juifs.

On fit alors une tentative pour com­pléter la provocation : les Juifs trou­vés en possession d'armes étaient jugés publiquement. Dans tout l'Orient tes journaux arabes commencèrent à écrire que les sionistes étaient en train de s'armer contre les Arabes et que l'Angleterre était la protectrice des Arabes. Mais évidemment les sio­nistes ne dirent pas que les procès pour détention d'armes de ces deux dernières années n'étaient qu'un mail­lon de la chaîne de la politique impé­rialiste « Diviser pour régner ».

Même en ce moment ils font tout ce qu'ils peuvent pour prouver qu'ils ne sont pas des ennemis de l'impéria­lisme, mais au contraire ses alliés. Ainsi, par exemple, dans le procès pour détention d'armes du 28 Novembre1944, Epstein, membre de l'Hashomer Hatzair, le parti sioniste « Socialiste Révolutionnaire », déclara aux juges : « Vous qui venez d'Angleterre saurez les difficultés qu'impliquent les entreprises de développement et de colonisation dans les pays arriérés. Aucune entreprise de colonisation dans l'histoire de l'Humanité n'a eu lieu sans se heurter à la haine des indigènes. Il faut des années et parfois des générations pour que ces hommes (les indigènes —T.C.) deviennent capables d'apprécier et de comprendre le bienfait que représente l'entreprise pour leur avenir. Mais le peuple anglais ne recula pas devant la tâche de développer ces pays arriérés (conquête impérialiste = « développement » — T. C.) sachant qu'en agissant ainsi vous accomplissiez une mission historique et humanitaire. Vous avez sacrifié les meilleurs de vos enfants sur l'autel du progrès ( et qu'est-ce que les Compagnies de pétrole y gagnèrent — T. C.)

Si les sionistes ne sont pas anti-impérialistes (et évidemment être à la fois et en même temps contre le peuple arabe et l'impérialisme est impossible), alors pourquoi tous ces actes terroristes ? La réponse est simple. Les sionistes sont dans une voie sans issue. La victoire du prolétariat occidental et des masses de l'Orient mettra un terme aux rêves sionistes. Si la vague révolutionnaire mondiale atteint ses objectifs, alors tous les peuples faibles, y compris les Juifs du monde entier, seront sauvés. Mais les Juifs de Palestine, dans leur situation particulière ne peuvent être sauvés que s'ils cessent d'être le tampon entre la lutte libératrice nationale et sociale des masses arabes et l'impérialisme. La classe capitaliste juive de Palestine est condamnée quoi qu'il arrive. En conséquence ils sont incapables de quoi que ce soit si ce n'est d'un aven­turisme aveugle basé sur la foi dans les miracles ou pour le mieux d'une lutte pour tenir un peu plus long­temps.

La meilleure perspective que les sionistes peuvent espérer est que l'Angleterre leur accorde un État Juif, même si ce ne doit être qu'un État minuscule dans une petite partie de l'étroite Palestine. Ils pensent, que le plan de partage de la Palestine peut convenir aux intérêts de l'impérialis­me britannique dans certaines conditions. Un tel plan perpétuera l'exis­tence de deux mouvements irrédentis­tes, une lutte sioniste aiguë pour la moindre possibilité de travail et le plus petit lopin de terre dans l'État Juif, et la faiblesse économique de l'État Arabe mutilé. Tels sont les côtés positifs du plan du point de vue de l'impérialisme.

Les sionistes basent leurs calculs sur ce facteur et sur un autre. Il est vrai que la position du sionisme dans dans la lutte entre le peuple colonial et l'impérialisme est prédéterminée et ne changera pas quelle que soit la conduite de l'impérialisme, mais sa place dans la lutte entre les différents impérialismes n'est pas prédéterminée. Ben Gourion et, Weizmann peuvent être des agents américains avec le même enthousiasme qu'ils le furent au compte des Anglais pendant près de trente ans. Le récent terrorisme sio­niste avait pour but d'effrayer l'Angle­terre avec la possibilité d'un tournant du sionisme vers l'Amérique et en même temps de rendre plus facile aux politiciens britanniques s'ils le désirent, de permettre la construction d'un État Juif en dépit de l'opposition arabe. (Ils seraient ainsi capables de dire aux Arabes qu'il était devenu une nécessité matérielle et morale d'accor­der quelque chose aux sionistes.)

Même si cette « solution » se réali­sait — ce qui est loin d'être certain — ce ne serait qu'un délai temporaire et de peu de durée à l'enterrement du sionisme. Les Juifs de Palestine et les Arabes seraient entraînés par un tel p!an dans des batailles sanglantes et de terribles sacrifices. La seule solu­tion réelle pour les travailleurs juifs de Palestine est de tendre un pont sur l'abîme qui les sépare des dizaines de millions d'Orientaux en renonçant aux rêves sionistes de domination.

Les derniers actes terroristes — dynamitage des voies ferrées réalisé avec la totale collaboration do toutes les organisations militaires sionistes (Hagana, National Military Organisa­tion, et le Groupe Stern) — ne gêna pas l'impérialisme en réalité mais au contraire lui rendit un très grand service. Ils avaient l'intention « d'obliger » le gouvernement britannique à ouvrir les portes de la Palestine à l'immigra­tion et à la colonisation sioniste malgré l'opposition des Arabes habitant le pays et les pays voisins (les premiers ayant découvert le véritable visage du sionisme de première main et les autres l'avant appris par eux). Mais en fait, cela ne fit qu'ajouter de l'huile sur le feu de la haine entre Juifs et Arabes. Le bombardement des voies ferrées à la veille du 2 Novembre était une arme excellente dans les mains des agents britanniques pour l'organi­sation des pogromes au Caire, à Alexandrie et à Tripoli.

Le sort des Assyriens — un précédent et un avertissement

Les sionistes de la base sont trom­pés par leurs dirigeants qui leur font croire qu'ils ne sont pas de simples marionnettes maniées par l'impérialisme pour son profit et leur malheur. Ces faits ont de nombreux précédents dans l'histoire de la sanglante domi­nation de l'impérialisme sur l'Orient. L'exemple le plus caractéristique, en miniature mais éclatant, de la techni­que de l'impérialisme, est l'utilisation que la Grande-Bretagne fit des Assyriens. Étant donné que cet exemple est riche, il est nécessaire d'entrer dans les détails.

Les Assyriens sont une tribu sémite qui parle un dialecte aramaïque. Avant la première guerre mondiale ils étaient environ 40 000 et habitaient les monta­gnes Hakkari, en Turquie, au nord-est de la frontière actuelle de l'Irak. Dès l'éclatement de la première guerre mondiale, les montagnes Hakkari revê­tirent une grande importance straté­gique, étant à la frontière de la Rus­sie, de la Turquie et de la Perse. Des officiers russes vinrent inciter les Assyriens à combattre la Turquie en leur promettant un Etat indépendant. Cette promesse fut confirmée par un officier britannique, le Capitaine Cracey, de l'Intelligence Service, qui se rendit spécialement dans cette inten­tion dans les montagnes Hakkari et d'autre offres libéraless furent faites aux Assyriens par des émissaires anglais et russes.

Les Assyriens furent gagnés à l'idée d'une possibilité de renaissance de leur ancien empire. Leurs rêves s'amplifièrent de plus en plus jusqu'à ce qu'ils furent imbus de l'espoir d'établir un royaume indépendant s'étendant de leurs montagnes jusqu'à Kifrî, qui est au sud de la région de Kirkûk — région habitée prinipalement par un autre peuple, les Kurdes. Le 10 mai 1915, les Assyriens déclaraient la guerre à la Turquie.

A ce sujet la Société des Nations déclare :

Malek, un Assyrien qui écrivit un livre condamnant les Anglais, intitulé La trahison des Assyriens (1935), écrit :

A partir de ce moment commence le chapitre de leurs pérégrinations et de leurs misères. Pendant des années, les Assyriens menèrent un combat inégal contre l'armée turque, furent rejetés de leur pays au cours de la lutte, mais continuèrent à combattre côte à côte avec l'armée anglaise. Lors de la conquête de l'Irak, les Britanniques recrutèrent des régiments parmi les Assyriens, étant donné qu'ils ne réussissaient pas à en faire autant parmi les Arabes. A la fin de la guerre il y eut des révoltes de tribus en Irak et la Grande-Bretagne eut besoin d'énormément d'argent et d'hommes pour les écraser. (Cela coûta aux contribuables britanniques environ 80 millions de livres pour écraser les révoltes de1919-20). Dans cette entreprise, les Britanniques utilisèrent au mieux les services des Assyriens.

Les Assyriens continuèrent à être un jouet dans les mains des Britanniques dans les combats qui suivirent avec les Turcs, les Kurdes (qui habitent la région de Mossoul si riche en pétrole), et les Arabes habitant l'Irak qui voulaient libérer leur pays de l'impérialisme. Comme le Dr W. A. Wigram, qui connait de première main la situation des Assyriens, le déclare :

Ainsi l'impérialisme britannique s'arrangea pour que les Assyriens fussent expulsés de Turquie, remplissent une tâche importante en exterminant cruellement les Kurdes et les Arabes en Irak, et qu'ainsi ils soient entourés de toutes parts d'une animosité aiguë. De cette manière ils deveinrent de plus en plus attachés et de plus en plues dépendants de l'impérialisme britannique. B. S. Safford dans The tragedy of the Assyrians put déclarer à juste titre que la question des Assyriens n'était pas une question religieuse, mais une question politique pure et simple.

Les Arabes et les Kurdes d'Irak crurent que la Grande-Bretagne avait l'intention d'installer une enclave armée dans le nord du pays. Des articles et des discours furent publiés au Parlement d'Irak disant que c'était la Grande-Bretagne qui avait incité les frictions en Irak. Les discours sur la défense des Assyriens avaient jeté l'Irak dans les pires complications en fonction de ses seuls intérêts et elle souhaitait alors créer un Etat Assyrien autonome dans le nord de l'Irak, c'est-à-dire qu'elle entendait créer en Irak un second problème sioniste.

En 1930, le mandat sur l'Irak prit fin. Cela donna à l'Irak une indépendance qui était évidemment purement formelle, le contrôle de la Grande-Bretagne sur les terrains pétrolifères, trois aérodromes, etc. restant intact. Cela rendit néanmoins la conscription des Assyriens pour les besoins anglais superflue puisqu'à présent la Grande-Bretagne s'appuyait principalement sur l'aviation et non sur une forte armée de terre. Mais les Assyriens avaient encore une utilité pour la Grande-Bretagne — être massacrés comme boucs émissaires.

Avec la déclaration d'abolition du mandant, les Assyriens se tournèrent vers la Grande-Bretagne en lui demandant avec insistance d'être démobilisés pour empêcher les Irakiens de craindre qu'ils soient utilisés pour attenter à l'intégrité territoriale et à l'indépendance de l'Irak. Mais Sir Francis Humphreys, le Haut Commissaire britannique, tenta de repousser cette demande par tous les moyens possibles, disant que la Société des nations avait son mot à dire là-dedans, et cætera. Il fit une déclaration menaçant les Assyriens de n'être plus jamais utilisés dans n'importe quelle branche de l'administration gouvernementale s'ils étaient démobilisés. Sir Francis réussit dans son opération. Lorsque des articles anti-britanniques commencèrent à apparaître dans la presse irakienne, l'ambassade britannique intervient, et quelques journaux furent interdits. Mais lorsque la propagande commença à développer l'idée que la principale tâche des Irakiens était de combattre les Assyriens et que la Grande-Bretagne était l'ennemie de l'Irak parce qu'elle défendait ces derniers, l'ambassade britannique resta alors silencieuse. Cela servit à encourager tous les éléments réactionnaires, le clergé et la réaction féodale, à hâter la préparation d'une croisade contre les Assyriens, victimes aveugles de l'impérialisme.

Le résultat de dix-sept années de politique anglaise produisit alors ses fruits. Il y eut des révoltes terribles contre les Assyriens sous le commandement des autorités irakiennes et avec la participation de l'armée. L'aviation britannique vola au-dessus de la région des massacres, prit des photographies, mais n'apporta aucune aide aux victimes.

Après ces massacres, la Grande-Bretagne se rappela à nouveau ses promesses au sujet de l'établissement d'un grand Etat Assyrien indépendant, et décida qu'il était temps de permettre aux Assyriens de s'établir dans une portion continue de territoire, bien que réduite. Les uns après les autres les plans surgirent pour l'installation des Assyriens (au Brésil, en Guyane, etc.), mais ils furent tous rejetés sauf un d'entre eux qui projetait de les installer en Syrie, dans la région de Lattaquié. On décidait un programme d'établissement pour 30 000 personnes, qui devait coûter 1 440 000 livres sterling. D'après l'accord, l'Angleterre devait payer 250 000 livres sur cette somme, l'Irak 250 000, la France 380 000 et la Société des Nations 80 000. Comme on ne trouva pas de source pour les 180 000 livres restantes, le projet tomba à l'eau.

Le 11 février 1936, l'archevêque de Canterbury interpella le gouvernement à la Chambre des Lords en lui demandant comment en définitive il avait l'intention de régler cette question qui, selon lui, restait un lourd fardeau sur la conscience des pays qui étaient parties contractantes dans l'accord et de l'Angleterre en particulier. Il proposa même de prendre part à la récupération de la somme manquante en en appelant au peuple britannique. Lord Stanhope répondit au nom du gouvernement : « Le gouvernement comptait sur d'autres contribution volontaires après avoir lui-même pris part pour 250 000 livres, et il a influencé l'Irak pour qu'il double sa première offre en la portant à 250 000 livres. Le gouvernement ne peut rien ajouter à cette contribution et il ne soutiendrait pas un appel de l'Archevêque. » Après tout, qu'est-ce que les Assyriens pouvaient attendre de ce pauvre impérialisme britannique, qui ramassait des millions chaque année dans les terrains de pétrole qui lui avaient été conservés par les Assyriens ?

Et le résultat final de tous ces vastes projets fut que neuf mille Assyriens réussirent à s'établir en Syrie sur la frontière Syrie-Irak, dans la région de la Djézireh !

Note

1 Il est intéressant de remarquer que les compagnies anglaises installées en Palestine font tout leur possible pour s'accommoder de l'antagonisme juif-arabe, et pour l'exacerber. Ainsi, l' « Anglo-American Tobacco Company » a intentionnellement bâti deux entreprises séparées. L'une à Tel Aviv (Maspero) fournit le marché juif, emploie des ouvriers juifs, et vend sous le slogan : « Achetez des produits 100 % juifs ». L'autre (Karaman, Dick et Salti) fournit le marché arabe, emploie 500 ouvriers arabes, et travaille sous la façade d'une entreprises nationale arabe. Ainsi, par exemple, elle combine la vente de ses cigarettes avec une propagande contre la vente des terres aux juifs.

III - Le rôle du stalinisme

1945

Étant donné la complexité des classes et des antagonismes sociaux ainsi que l'approfondis­sement de la crise sociale et politique, la situation présente dans le Proche et le Moyen-Orient ne peut mener qu'à deux choses : ou bien la naissance d'une grande force révolutionnaire prolétarienne qui conduira les masses paysannes dans la lutte pour la libé­ration nationale, ou bien la victoire sanglante de la réaction impérialiste et des alliés des classes privilégiées. Si la crise ne se résout pas d'une ma­nière révolutionnaire, elle se résoudra inévitablement d'une manière contre-révolutionnaire. Ou la révolution, ou les massacres entre communautés, les pogromes, etc... L'histoire elle-même n'offre aucune possibilité au jeune prolétariat du Proche et du Moyen-Orient d'esquiver la grande épreuve. Si l'impérialisme a l'intention d'utili­ser les pogromes et les incitations au chauvinisme comme une mesure pré­ventive à la révolution qui vient, la classe ouvrière doit utiliser la colère accumulée des masses pour le renver­sement de la domination sociale et na­tionale, opposer l'internationalisme au chauvinisme. La nécessité d'un parti révolutionnaire internationaliste est une question de vie ou de mort. Qui peut remplir ce rôle ?

La Deuxième Internationale n'a qu'un parti dans le Moyen et le Proche-Orient C'est le Mapai, le parti socialiste sioniste de Palestine, qui ne se distingue pas des autres partis sionistes d'un iota sur les questions principales (alliance avec l'impérialisme, expulsion des Arabes du travail dans l'activité économique juive, évic­tion des paysans arabes, etc.). La deuxième Internationale n'a pas de section arabe, étant donné que les mi­sérables conditions de vie en Orient ne permettent pas la croissance de partis réformistes cherchant des solu­tions en gants blancs.

Dans le Proche et le Moyen-Orient, les staliniens ont des sections en Syrie, au Liban, en Palestine (un parti purement arabe et un autre purement juif). En Égypte et en Irak, ils ont quelques petits groupes sans influence. En réalité, la direction sta­linienne est totalement impotente et fort éloignée de toute pensée concernant la lutte de classes révolutionnaire. Ainsi le secrétaire du parti communiste Syrien, Khaled Bakdash, écrit :

Il continue :

Et sans honte il poursuit :

En conformité avec cette ligne, le Parti Communiste décida d'en finir avec le drapeau rouge comme drapeau du parti et avec l'Internationale comme hymne. Le drapeau du parti syrien est maintenant le drapeau syrien et son hymne est l'hymne natio­nal syrien ; le drapeau et l'hymne du parti libanais sont ceux du Liban. Et, afin d'être digne de s'asseoir aux cotés des « capitalistes et propriétaires fon­ciers du pays », leur forme de salut fut changée, « camarade » a été rem­placé par « monsieur ». Bakdash est une édition de poche de Staline. Ses discours servent à guider les stali­niens arabes dans les antres pays arabes, qui font font ce qu'ils peuvent pour prouver que leur ferveur natio­naliste n'est pas moindre que celle de leur maître.

Ainsi, lorsque le « Parti arabe » dirigé par le Mufti Haj Amin-el-Husseini, qui servit de truchement aux nazis dans le monde arabe, fut revi­goré en juin 1944, les staliniens arabes, organisés dans la Ligue Nationale de Libération, s'empressèrent d'envoyer le télégramme suivant à la direction de ce parti : « La Ligue de Libération Nationale de Palestine vous félicite de votre décision de re­prendre l'activité de votre parti, et nous croyons que celte décision nous rendra service à tous pour unifier nos efforts au service de notre chère pa­trie. »

De cette ligne générale découle l'attitude des staliniens envers les inté­rêts de classe des travailleurs et des paysans. La phrase du programme national du Parti Communiste de Sy­rie et du Liban relative aux fellahs est ainsi formuéle : « On doit prêter attention à la situation du fellah et à salibération de la misère, de l'anal­phabétisme et de son état arriéré. » Que signifient « attention » et « libération » ? Khaled Bakdash en donne une claire réponse dans son discours du 1er niai 1944 :

Bakdash a raison sur un point : le prêche pour la pitié est réellement une « exigence » vraiment modeste.

Dans les autres pays arabes, les sta­liniens suivent la même ligne et ne pensent pas non plus au partage des terres féodales.

En fonction de la lutte de classe des travailleurs, la ligne de l'argumenta­tion est la même : « Nous sommes très modestes, très conciliants, prêts à dé­fendre de tout notre cœur votre ca­pital, bourgeois arabes. Vous aussi, devez être modestes et conciliants... » Au lieu d'appeler les travailleurs à lutter et à s'organiser indépendam­ment pour leurs revendications, on en appelle à la conscience de la bour­geoisie et de l'Etat bourgeois. Ainsi, par exemple, lorsque les ouvriers des usines de savon de Tripoli se mirent en grève. Saut u-sh-Sha'ab, le quoti­dien stalinien de Beyrouth, écrivait le 15 juillet 1944 : « Nous espérons que les patrons accéderont aux revendica­tions des ouvriers, étant donné qu'elles sont modestes, et que le gou­vernement interviendra entre les pa­trons et les ouvriers pour résoudre la question d'une manière équitable. » Les ouvriers furent frappés sauvagement par la police et nombre d'entre eux furent licenciés par la municipa­lité. Saut u-sh-Sha'ab en appela au gouvernement pour intervenir dans l'intérêt des ouvriers les 2 et 3 août 1944. Apparemment, la police n'est pas une arme gouvernementale !

La H août 1944. Saut u-sh-Sha'ab décrivit les terribles conditions de vie des ouvriers des laiteries, Les conclusions ? Le gouvernement doit envoyer une commission d'enquête.

De plus en plus fréquemment les travailleurs viennent demander un soutien pour une grève ou pour une autre lutte économique, et chaque fois la parti les apaise pour ne pas vio­ler l' « unité nationale ». A un mee­ting du Parti Communiste du Liban, Faraj Allah el-Hilu, secrétaire du Parti, attaqua violemment ceux qui tentent de diviser les Libanais et de créer un état d'esprit méfiant envers le gouvernement. Et quand Saut u-sh-Sha'ab dit que dans ce meeting (janvier 1944} « les travailleurs et les employés, les fellahs et les propriétaires terriens étaient assis côte-à-côte », on se demande si les paroles de El-Hilu ont aplani les doutes des ouvriers et des paysans au sujet du gouverne­ment, ou si elles ont accru leurs doutes envers la direction stalinienne qui s'accroche aux basques des pa­trons et des grands propriétaires et de leur gouvernement.

Les staliniens suivent les zigzags du Kremlin

Celte attitude des staliniens est le produit de leur dépendance envers la politique extérieure du Kremlin qui les mène à perdre toute la substance politique dont ils ont pu se vanter et à changer de couleur avec la rapidité d'un caméléon.

Un tract publié en 1939 par le Comité Central du Parti Communiste de Pa­lestine (composé à cette époque de Juifs et d'Arabes) déclare : « Le Hitler contre lequel Chamberlain combat n'est pas le même Hitler qu'il dirigea contre l'Union Soviétique. Ce premier Hitler ne peut pas conduire une campagne contre l'Union Soviétique, mais doit obéir (ni plus ni moins! — T.C.) aux instructions de Moscou, ce n'est plus, aujourd'hui le gendarme de Chamber­lain et de Daladier. » Apparemment, il est le gendarme de la paix mon­diale !

Les staliniens atteignirent le comble pendant le coup d'État de Rachid Ali. Même un aveugle pouvait voir que Rachid Ali était un jouet dans les mains de l'Allemagne, même sans con­naître exactement les relations existant entre lui et les nazis, A cette époque, le Proche et le Moyen-Orient, en gé­néral, n'étaient pas prêts pour un mou­vement de masses contre l'impérialisme britannique. L'armée allemande menaçait de pénétrer dans le Orient. En Syrie, des centaines d'agents allemands travaillaient la main dans la main avec l'administration de Vichy. Dans de telles conditions, il était clair qu'aucun mouvement d'Irak ne pouvait exploiter l'antagonisme entre les puissances impérialistes rivales pour la libération du pays, et tout dans la situation montrait que le faible mouve­ment irakien dirigé par Rachid Ali, le boucher des Assyriens, serait utilisé par une puissance impérialiste au dé­savantage d'une autre.

La question de savoir qui aurait le dessus, de savoir si le mouvement na­tional profiterait de l'antagonisme en­tre les puissances impérialistes ou si une puissance impérialiste ne profite­rait plutôt pas de l'antagonisme entre un autre impérialisme et la nation opprimée, est résolue par le poids re­latif de chacun des trois facteurs dans la situation. Toute analogie entre le « mouvement » de Rachid Ali et le mouvement de masses pour leur libé­ration des millions d'Indiens avec der­rière lui le colosse chinois, est complètement hors de cause. La preuve décisive du fait que Rachid Ali était un agent allemand sans aucun soutien populaire fut apportée lorsque, son gouvernement ayant été renversé sans difficultés par les Anglais, il s'enfuit en Allemagne.

Mais à ce moment là, les staliniens ne pouvaient voir cela, car le pacte ger­mano-soviétique était toujours en vigueur. Aussi Ra'if Khoury, l'un des « théoriciens » staliniens de Syrie, écrivait au sujet du coup d'état de Rachid Ali : « Je pense ne pas exagérer en disant que ce mouvement est le premier mouvement arabe sérieux , et puissant visant à ta liberté et à l'indépendance des Arabes, et au renforcement de leur existence commune. » (Principes de la conscience nationale, Beyrouth, 1941, en arabe, p. 91.) « Nous avons pris note, avec orgueil et satisfaction, des déclarations de Son Excel­lence, le Premier Ministre (Rachid Ali) affirmant que son gouvernement n'est au service de personne, comme des plumitifs à gage ont pu l'affirmer. » (Ibid, p. 92) « Pour la première fois, nous avons vu un gouvernement arabe prenant les armes côte à côte avec le peuple. » (Ibid, p. 93.) Et en ce qui concerne l'Allemagne : « Nous ne com­prenons pas pourquoi les grandes puissances de l'Axe n'ont pas reconnu officiellement l'Irak indépendant et son gouvernement, malgré une aide apportée par ces puissances, aide qui appelle nos remerciements, vu que la reconnaissance officielle a une valeur toute particulière. » (Ibid, p. 23-24) C'est sur de tels sentiments qu'il ter­minait ses cogitations sur Rachid Ali.

Mais, quelque temps après Staline fit une petite suggestion et la ligne changea soudainement.

Si l'Orient tout entier était jus­qu'alors l'ennemi de l'impérialisme et si « les masses indiennes et arabes étaient à la veille d'une révolte ou­verte contre la domination impéria­liste ». (Kol Ha'am, journal en hébreu du Parti Communiste de Pa­lestine, juin 1940), à partir de ce moment, un changement décisif était intervenu dans la situation, « le gouvernement doit compren­dre qu'il a une importante région d'amis dans le Moyen-Orient » (Kol Ha'am, décembre 1942). Jusqu'à ce moment le « gouvernement britanni­que en Palestine représentait le régime de domination, d'exploitation, de ré­pression, et de la pire réaction. Ce ré­gime est identique à celui d'Hitler ou de Mussolini avec lesquels les impérialismes anglais et français sont en train de lutter pour le monopole de l'exploitation des prolétariats des pays capitalistes et des nations opprimées des colonies » (Kol Ha'am, juillet 1940). A partir de ce moment, le Haut Commissaire britannique est le repré­sentant de la démocratie, et « nous maintenons dans nos cœurs ses excel­lentes particularités personnelles... la manifestation de ses caractéristiques vraiment sociales ». (Al-Ittihad, or­gane des staliniens arabes en Palestine, 3 septembre 1944.)

Les staliniens louent Churchill

Si l'armée britannique est envoyée pour réprimer je prolétariat grec, alors « nous considérons... que le gou­vernement anglais doit comprendre que sa conduite (en Grèce) est de courte vue et qu'il changera d'attitude... étant donné que M. Churchill est un homme qui fit beaucoup pour la démocratie, et il est déraisonnable de penser qu'il continuera à réprimer les Grecs. C'est le sens du voyage de MM. Churchill et Eden en Grèce... La visite de MM. Chur­chill et Eden en Grèce, dont les efforts sont dirigés vers un règlement de la question grecque, a fait bonne impres­sion dans tous les milieux ». (Al-Ittihad, 31 décembre 1944.)

Mais évidemment, les efforts de Bakdash et ses amis ne furent d'au­cune utilité. Les masses arabes qui sont dépourvues des droits démocra­tiques les plus élémentaires (libérée d'organisation, de réunion, de propagande et de presse), qui vivent dans des conditions cruelles d'esclavage, ne peuvent croire que la guerre mondiale, qui n'a apporté aucune amélioration à leurs conditions de vie, était une guerre pour la démocratie. Elles comprennent simplement que la charité commence par soi-même, et par suite, en dépit de tous leurs efforts, les staliniens ne réussirent pas à faire pénétrer le moindre enthousiasme pour la guerre. Au contraire, il y eut des manifesta­tions spontanées, des grèves et des heurts contre l'impérialisme et la bour­geoisie indigène (qui ne furent pas mentionnés dans la presse mondiale).

Les tâches du mouvement révolutionnaire

En Palestine, la banqueroute des staliniens s'exprima le plus claire­ment dans la question du sionisme et dans celle de la direction féodalo-réactionnaire du mouvement nationa­liste arabe et de la terreur antisémite. Le soulèvement de 1936-39 fut détour­né de ses véritables objectifs par les dirigeants féodaux qui furent les agents, soit de l'impérialisme britan­nique, soit de l'impérialisme alle­mand ou italien, et quelquefois des deux à la fois (ainsi par exemple Haj Amin-el-Husseini, mufti de Jérusalem, qui, de 1917 à la deuxième guerre mondiale, fut un agent des Anglais, et vécut à Berlin à partir de 1941).

A cette époque, le Parti communiste de Palestine non seulement s'opposa au sionisme (ce qui était juste), mais soutint à tort et aveuglément la terreur anti-juive, sans comprendre qu'il y a une grande différence entre la terreur entre communautés différentes et la lutte anti-sioniste. Ainsi un tract du P.C.P. du 10 juillet 1936 disait : « En détruisant l'économie des conquérants sionistes par le sabotage et par les attaques des partisans, le Mouvement de Libération Arabe veut, rendre im­possible la continuation de la coloni­sation sioniste. » Dans une circulaire aux régions des 7 juillet 1936, le Co­mité Central stalinien écrivait : « La bombe jetée sur la Maison des Tra­vailleurs de Haïfa (local de l'Histadrut — T.C.) fut lancée par des mem­bres du P.C.P. sur ordre du Comité Central du Parti ». A la même époque, le journal arabe du P.C.P. (Nidal ah-Sha'ab) publiait sans commentaires les déclarations du Mufti et soutenait ouvertement sa propagande de terreur antisémite.

Avec le tournant à 180° de la politique stalinienne, lorsqu'ils devinrent des défenseurs enthousiastes de la guerre « pour la démocratie », les staliniens juifs commencèrent, avec quelques réserves, à soutenir le sionisme valet de l'impérialisme. Évidemment, les staliniens arabes ne purent avaler cela et le parti se cassa en deux. Le groupe juif (qui n'avait pas un seul membre arabe) continue à porter le nom de Parti Communiste de Palestine. Le morceau arabe, qui d'après ses statuts de doit comprendre que des Arabes, s'intitule « National Freedom League » (Ligue de Libération Nationale). Une course au patriotisme commença entre les deux. Le jour de la victoire, le P.C.P. défila sous le drapeau bleu et blanc des sionistes avec les mots d'ordre « Liberté d'immigration », « Extension de la colonisation », « Développement du Foyer National Juif », « A bas le livre blanc »1. La « National Freedom League » participe au Front National Arabe qui comprend les partis bour­geois et féodaux et combat « Contre l'immigration sioniste », « Contre le transfert de terres aux sionistes », « Pour le Livre Blanc ».

Des nullités telles que Bakdash et ses amis arabes, ou que les staliniens juifs, sont-elles capables de mener une lutte révolutionnaire internationale contre l'impérialisme, contre les Britanniques, les Français, les Américains, les exploiteurs juifs et arabes et ainsi de mettre fin aux provocations sanglantes de la réaction ?

Il existe une disproportion extraordinaire entre le mûrissement des conditions objectives dans le monde et dans le Moyen et le Proche-Orient qui mènent à une lutte révolutionnaire, et la construction du parti révolutionnaire dans le Proche et le Moyen-Orient. Si cette disproportion n'est pas surmontée à temps, une terrible catastrophe menace les masses de ces régions. Mais il n'y a pas place ni pour le pessimisme ni pour le défai­tisme. Le problème ne sera pas résolu dans une seule bataille, mais dans une série de luttes qui peuvent donner, même à un petit noyau révolutionnaire, de grandes possibilités de développement.

Dans l'Orient arabe, le noyau initial d'une organisation de classe existe. Les syndicats en Egypte ont environ 200 000 membres, en Syrie et au Liban environ 40 000, en Palestine (sans comprendre l'Histadrut qui est surtout une organisation sioniste et non syndicaliste), 10 à 12 000. il y a ainsi environ un quart de million de travailleurs organisés dans les syndicats. C'est une petite minorité, mais elle n'est pas insignifiante.

La Révolution russe de 1905, et la Révolution chinoise de 1925-27 encore mieux, ont prouvé clairement que l'idée selon laquelle des organisations fortes sont une condition nécessaire pour la lutte des classes est le produit d'une méthode de pensée mécanique, non dialectique. Quelquefois, particulièrement lorsque les masses sont dépourvues des droits les plus élémentaires, les organisations se forgent au feu de la lutte. Ainsi pendant la révolution chinoise le mouvement syndical s'accrut de de 200 000 à 2 000 000 de membres, et dix millions de paysans le suivaient. Bien plus, le mouvement syndical était à peine né, que les soviets étaient à l'ordre du jour. Si, dans de cruelles conditions de servitude, une petite minorité seulement, et si, dans cette minorité, de petits noyaux osent lutter pour l'indépendance de classe des syndicats vis-à-vis des patrons, de leurs partis et de leur État, alors dans ces conditions de troubles sociaux, d'ébranlement de la domination et du prestige des classes dominantes par des soulèvements nationaux et sociaux, les travailleurs organisés en syndicats prennent confiance en eux-mêmes, se redressent, et luttent courageusement pour une action de classe indépendante de leurs organisations. Des centaines de milliers qui ne savent pas s'organiser s'éveillent de leur torpeur et osent s'organiser et combattre. L'orage qui est dans l'air transforme chaque petit conflit économique en une explosion politique de grande échelle, et chaque explosion politique, accroissant la tension générale, déclenche à son tour des luttes économiques de grande envergure.

Dans de telles conditions, l'organisa­tion politique révolutionnaire, quelque que soit sa faiblesse durant les temps « pacifiques », peut se développer rapidement et devenir le facteur décisif. Le premier noyau de la IVe Internationale existe en Palestine et en Égypte. La première tâche pour le moment est de les renforcer et de les unir dans un seul parti de l'Orient arabe.

Tâches principales du prolétariat

Contre la politique impérialiste de « diviser pour régner », le prolétariat de l'Orient arabe doit construire un front international de lutte de classe. Les principales tâches qui lui incombent sont : la révolution agraire, l'indépendance nationale, et l'unité des pays arabes divisés par des inté­rêts impérialistes et dynastiques. Ces tâches sont très intimement liées entre elles. Elles sont combinées avec les tâches de dépassement des sous-divisions en communautés et avec l'abolition des privilèges nationaux, la lutte contre les discriminations contre les minorités, et pour l'égalité complète des droits. Il est clair que les inégalités nationales seront complètement déracinées par la révolution agraire et par la nationalisation des entreprises du capital impérialiste, qui ouvrira la voie au développement économique et culturel de toutes les masses sans distinction de communauté ou de nation.

Pour briser les efforts de la réaction et pour exploiter toutes les pos­sibilités révolutionnaires dans l'Orient arabe, la classe ouvrière du Proche et du Moyen-Orient a besoin de l'aide des travailleurs anglais. Les travail­leurs anglais doivent comprendre ce qui se passe en Orient, le rôle des différentes puissances, et les intérêts réels du capital financier qui déter­minent la politique impérialiste en Orient. Il doit comprendre que toutes les luttes entre communautés en Orient ne sont que des produits de l'impérialisme, que la politique impé­rialiste qui, alternativement, soutient ou freine l'activité sioniste a pour but réel l'incitation à la haine nationale, et que le sionisme est réellement à la fois l'ennemi des masses arabes et juives.

Il doit comprendre que seul le re­trait des troupes d'occupation britan­niques d'Orient permettra que soient abolis les différences artificielles et les conflits entre les diverses commu­nautés (depuis les différences dans le standard de vie jusqu'aux antagonis­mes nationaux menant aux luttes san­glantes et aux pogromes.) Seul le renversement de l'Impérialisme per­mettra aux masses de l'Orient de se libérer de la domination économique et politique et libérera les masses anglaises de la nécessité d'être la chair à canon du capital financier.

Note

1 En janvier 1940, Kol Ha'am écrivait : « L'arrêt de l'immigration sioniste qui pénètre dans le pays, abaisse le standard de vie des masses, et complique les affaires politiques et économiques du pays et son règlement selon les termes du Livre Blanc – cela en général doit être la voie par où doit passer un peuple dévoué et honnête. »

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