anarchiste individualiste
5 Septembre 2014
Petite histoire d'un terme qui a connu plusieurs significations avant de devenir omniprésent.
Cette semaine, il est partout. Avec cette histoire de photos de starlettes dénudées qui circulent sur Internet, impossible d'échapper au «cloud». Qu'on évoque des images quifuitent «de leur cloud» ou de «piratage sur un cloud», qu'on pose la question de la«sécurité des clouds» ou qu'on mette en cause la responsabilité d'Apple et de son service iCloud.
C'est bien joli, mais ça veut dire quoi, le «cloud»? En dehors, s'entend, d'une formation moelleuse et vaporeuse, ou d'un «ensemble de gouttelettes d'eau ou de cristaux de glace en suspension dans l'air» (définition certifiée par Météo France)? Et d'où vient le fait qu'on utilise ce terme pour Internet?
Posez la question autour de vous, vous vous rendrez compte que très peu de personnes –moi la première–, parviennent à définir ce terme sans se confondre en silences et en hésitations. Et quand bien même vous parviendrez à obtenir une poignée de réponses, vous risquez d'être surpris de la diversité de celles-ci. A ce titre, il ne paraît donc pas si absurde de voir le Daily Mail préciser dans ses pages, comme le signale The Guardian, que non, le «cloud» dont tout le monde parle en ce moment n'est pas «un vrai nuage».
Il faut donc se rendre à l'évidence et reprendre l'analyse pleine de sagacité de Jason Segel dans le film Sex Tape (qui raconte, tiens tiens, l'histoire de la fuite d'une vidéo coquine sur le cloud d'Apple):
«Personne ne comprend le cloud, c'est un putain de mystère!»
Un extrait de Sex Tape, qui interroge les grands mystères du cloud.
Pour lever le voile sur le mystérieux cloud, nous avons demandé à plusieurs spécialistes d'Internet leur avis sur l'origine du mot, ainsi qu'à quelques entreprises qui en font aujourd'hui leur fond de commerce (Dropbox, Amazon, Cloudwatt en France).
Difficile d'obtenir un acte fondateur précis. A les en croire, l'image du nuage a toujours été plus ou moins utilisée dans des schémas censés représenter Internet. «Au début des années 1990, quand des ingénieurs informaticiens faisaient des schémas de l'architecture du réseau où il fallait placer des équipements comme des serveurs, ils dessinaient un nuage dès qu'on sortait en dehors des réseaux de l'entreprise», raconte ainsi le directeur de Cloudwatt, Didier Renard, qui a bien voulu répondre à notre question de vocabulaire –à l'inverse d'Amazon, qui «n'est pas linguiste», et Dropbox, qui n'a pas répondu à notre demande.
Quoi de plus pratique en effet qu'un nuage aux contours et motifs incertains pour représenter, comme le notait The Atlantic en 2011, un «gros blob de noeuds indéfinis»?
Ok, le cloud en question est pas très détaillé | Extrait d'un brevet déposé le 28 janvier 1994 aux Etats-Unis.
Le célèbre Licklider lui-même, connu pour avoir lancé l'ancêtre du Net, l'Arpanet, surnommait dès les années 1960 les collaborateurs associés à ce projet de réseau«l'Intergalactic Computer Network, le réseaux d'ordinateurs intergalactique», raconte le livre Les Sorciers du Net.
A cette époque donc, le cloud désignait grosso modo tout Internet. Une utilisation qui révèle aussi, tout en la masquant de manière pratique, la difficulté de représenter et de se figurer le réseau. Ce qui explique que le terme a progressivement été repris par les services marketing des entreprises du numérique: un Clipart de nuage vaut mieux qu'un enchevêtrement de câbles, de serveurs et de routeurs. A ce titre, il est aussi facile de comprendre pourquoi certains spécialistes du réseau détestent cette notion si floue de «nuage», qui éloigne encore plus Internet du «monde réel», IRL, dont il est censé être détaché.
«Je le déteste, mais j'ai fini par abandonner», confiait par exemple en 2011 au site Technology Review du prestigieux MIT un certain Carl Bass, alors directeur d'une entreprise qui venait de lancer une campagne axée... sur le cloud-computing. Et d'ajouter:
«Je ne pensais pas que le terme aidait à expliquer quoique ce soit aux personnes qui ne savaient pas déjà de quoi il s'agissait.»
Aujourd'hui, le cloud désigne toujours Internet, mais il semblerait que la définition soit désormais un poil plus précise. Exit les tuyaux, il est surtout question ici de stockage de données en ligne.
Le cloud symboliserait alors ce changement récent dans nos usages, qui fait que nous n'amassons plus de documents, de vidéos, de musique et de photos sur des disques dur empilés dans notre salon, des clés USB ou bien encore des CD et DVD (rappelez-vous de cette période où vous maîtrisiez ou connaissiez quelqu'un sachant piloter un graveur et les logiciels qui vont avec!), mais que nous déposons tout en ligne. Que ce soit chez Google, Apple (et son fameux iCloud), Apple, Dropbox ou d'autres.
Extrait du business plan proposé par NetCentric à Compaq.
Cette utilisation du cloud pris comme un espace de stockage en ligne remonterait, à en croire toujours Technology Review, à 1996.
A l'époque, une entreprise qui n'existe plus aujourd'hui, NetCentric, intéressait fortement l'entreprise Compaq. Cette dernière voulait que cette jeune société l'aide à développer «un modèle de vente de serveurs aux fournisseurs d'accès à Internet», raconte Technology Review. Un service proposant par exemple «4,95 dollars pour 253 Mb de stockage en ligne» –ce qui, à l'époque, n'existait pas encore! Et qui a mené à une utilisation intensive du mot cloud, au sens vendu aujourd'hui par Apple, Google et autre Amazon, dans le business plan proposé à l'époque par NetCentric, que s'est procuré TechnologyReview.
Le terme n'a néanmoins pas décollé immédiatement: il aura fallu attendre les années 2000 pour le voir faire flancher les coeurs des services commerciaux et marketing. «Le terme a décollé en même temps que le web 2.0», nous confie ainsi un spécialiste de la question, tel «un bout de jargon que beaucoup de patron du secteur de la tech trouvaient ennuyeux, mais aussi difficile à éviter», résume Technology Review.
Le 9 août 2006, le boss de Google Eric Schmidt lance le mot lors d'une conférence.
Quelques semaines plus tard, le 24 août, Amazon s'y met aussi, raconte John Willis, un développeur, sur son site, et «inclut le mot "cloud" à l'EC2», pour «Elastic Compute Cloud», un service permettant aux professionnels en ligne d'héberger les serveurs dont ils ont besoin, et de manière dynamique. Si Slate.fr décidait de s'abonner à ce service d'Amazon (qui ressemble aujourd'hui à beaucoup d'autres) et que cet article était lu par des millions de personnes en même temps, nous pourrions demander à l'entreprise d'adapter les capacités à notre disposition pour que le site ne plante pas sous le poids de votre curiosité.
Une flexibilité qui rappelle aussi que le cloud n'est aujourd'hui plus seulement la possibilité de disposer, en gros, d'un disque dur en ligne. C'est aussi de la puissance de calcul en dehors de notre ordinateur. Amazon et d'autres ne fournissent pas seulement de la capacité de stockage, ils proposent de véritables machines virtuelles: l'équivalent de tout un tas d'ordinateurs, mais simulés au sein d'un seul appareil (comme un serveur ou un ordinateur, un physique, en dur), et qui exploitent simultanément toutes les ressources de cet appareil. Un peu comme si nous arrivions à assigner plusieurs tâches à notre cerveau afin d'exploiter 80% de ses capacités, au lieu des 20% prétendus.
Face à toutes ces possibilités, toutes ces significations, de l'ossature toute entière du Net au stockage de données en ligne, en passant par une puissance de calcul accessible à distance, on comprend mieux pourquoi, comme l'écrit John Willis sur son site, «les esprits du marketing [...] ont réalisé que le terme cloud était de loin plus joli, et plus vendeur pour les utilisateurs». Et force est de constater que ça marche!
A la croisée des usages, du besoin de consulter de n'importe quel endroit des documents et du marketing léché, nous utilisons tous aujourd'hui le cloud. Des internautes comme vous, moi et donc Jennifer Lawrence, aux entreprises qui ont pour beaucoup depuis longtemps abandonné l'idée d'avoir des serveurs dans leurs murs.
Si on comprend la démarche, on peut néanmoins se demander si ledit cloud n'a pas un peu plus éloigné, en le rendant nébuleux, flottant, presque immatériel, Internet de ses usagers, pourtant toujours plus nombreux. Dommage.
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mbre 2014
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Par Andréa Fradin
Internet: qu'est-ce que le "cloud", et depuis quand en parle-t-on?
Petite histoire d'un terme qui a connu plusieurs significations avant de devenir omniprésent. Cette semaine, il est partout. Avec cette histoire de photos de starlettes dénudées qui circulent su...
Affirmer notre identité européenne au cœur même de notre dynamique économique et industrielle.
Al’approche des élections, certains s’émeuvent que l’idée d’Europe vacille chez un nombre croissant de nos concitoyens. Faut-il s’en étonner dès lors que nous, hommes politiques et industriels, ne donnons pas les signes d’une efficacité collective, d’une quelconque capacité à fédérer les énergies et à construire des projets communs? Le cas d’Alstom est hélas éloquent. Il démontre ce que l’absence de vision européenne, d’anticipation et de partenariat peut produire: la dislocation d'un groupe plutôt que la construction d'un géant européen.
Si l’Europe veut susciter l’adhésion chez nos concitoyens et chez tous ceux des Etats-membres, elle doit avant toute chose faire la preuve de sa capacité à donner vie à de grands projets industriels européens. Projet structurant par excellence, la construction d’un Cloud européen nous donnerait la possibilité d’affirmer notre identité européenne au cœur même de notre dynamique économique et industrielle.
Le Cloud, comme son nom pourrait le laisser entendre, n’a rien de nébuleux ni de virtuel. Il constitue un vecteur essentiel de compétitivité pour les entreprises, de sécurisation des données personnelles des individus et d’indépendance de notre continent face à des acteurs qui n’hésitent plus à scruter les données numériques émises par nos entreprises comme par nos pouvoirs publics.
En assurant le stockage externe des données et leur partage sur plusieurs terminaux (ordinateur, tablette, smartphone, téléviseur…), disponible à tout moment et adaptable par rapport la demande, le Cloud permet un gain de temps et d’argent précieux pour les administrations et les entreprises. Pour les PME/TPE ou les particuliers, cela ouvre en outre la possibilité d’accéder à des outils et à des ressources qu’ils ne peuvent s’offrir dans le modèle classique faute de capacité d’investissement.
Qui plus est, le Cloud constitue un maillon stratégique pour les entreprises puisqu’il sauvegarde et gère ce qui aujourd’hui constitue leur bien le plus précieux, à savoir leurs données. À ce titre, chaque entreprise est en droit de se poser la question de savoir où sont stockées ses données, quelles lois s’appliquent, à qui s’adresser en cas de problème, à quelles conditions il est possible de récupérer ses données et sous quel format, s’il existe une interopérabilité entre les fournisseurs, etc.
Si le cloud sert ainsi la compétitivité des entreprises, il répond également à l’exigence de sécurisation des données commerciales et personnelles. La condamnation de Google il y a quelques mois à déréférencer certaines photographies consacre le droit à l’oubli et nous rappelle qu’il nous appartient de reprendre notre «identité numérique» en main.
A l’heure où les Etats-Unis prennent une longueur d’avance en termes d’infrastructures et de contrôle des données, cela milite doublement pour la mise en place d’un Cloud européen.
Peut-on abandonner au réseau internet militaire et commercial américain la propriété et l’exploitation des données personnelles de millions d’Européens? Non.
Peut-on priver les entreprises européennes d’un marché qui, selon une estimation du Boston Consulting Group, avoisinera les 1000 milliards d’euros en 2020? Non.
Peut-on, pour dire les choses simplement, déléguer notre souveraineté numérique aux Etats-Unis ? Non, trois fois non.
L’Europe et a fortiori la France ont des atouts indéniables qu’ils ne doivent plus hésiter à utiliser : chaque année, des centaines de start-up toutes plus innovantes les unes que les autres se créent sur notre continent, certaines d’entre elles partent à la conquête du marché mondial et s’imposent comme des références, comme Orange, Deutsche Telekom ou encore Capgemini.
De jeunes étudiants, sortant de nos Universités et de nos Grandes Ecoles regorgent d’ambition. Permettons leur de créer, d’innover, de s’exporter. Face à Amazon, eBay ou Google, nous Européens avons une carte maîtresse à jouer, à l’image de nos deux champions du «Cloud à la française», Numergy et CloudWatt. Ce n'est déjà pas un hasard si le streaming musical qui vit dans le Cloud est né et se développe particulièrement en Europe chez Deezer (France) et Spotify (Suède).
Mais, au-delà, nous avons l’opportunité aujourd’hui de faire valoir un avantage compétitif: celui d’une «territorialité des données» garantissant à chacun les mêmes règles, les mêmes valeurs et le même droit que l’espace physique européen. Là où les géants mondiaux répondent à une pure logique de croissance commerciale et de modèles fermés, nous pourrions faire valoir une logique européenne. Celle qui garantit à la fois l’intégrité des données et l’ouverture sur les autres et sur le monde via un modèle ouvert. Un modèle propre à séduire l’ensemble des européens, mais aussi plus largement tous ceux dans le monde qui souhaitent que leurs données soient traitées comme une valeur.
Tout est en place pour constituer un Cloud européen capable de devenir un champion mondial. Mais sans volonté politique de construire un champion européen, nous aurions la promesse d’un nouveau Concorde. Alors que nous savons aussi gagner ensemble comme nous l’avons prouvé avec Airbus, Eurotunnel ou Areva.
Encore faut-il savoir éviter les erreurs du passé, et donner à l’Europe le rôle qui doit être le sien : non pas celui d’un ingénieur-en-chef omniscient qui construirait lui-même le Cloud européen, mais celui d’un régulateur éclairé, donnant aux acteurs privés les moyens d’innover, de se coordonner et de croître à l’échelle d’un continent.
Cela passe par des projets concrets, qui parleront à tous, entrepreneurs comme citoyens.
D’abord, la construction d’une réglementation commune en matière de protection des données personnelles qui établirait un Habeas corpus européen encadrant strictement la surveillance des réseaux électroniques, afin de protéger les libertés individuelles sur le net et de faire naître une e-société de confiance.
Ensuite, l’assouplissement du droit de la concurrence à l’initiative et au regroupement des acteurs privés – comme le propose Angela Merkel et comme je l’ai moi-même obtenu au bénéfice des producteurs lorsque j’étais ministre de l’Agriculture.
Ne nous y trompons pas : la construction de géants européens de l’internet et du Cloud n’est pas qu’une question économique. C’est également l’identité d’une Europe mise à mal qui en sortirait grandie. Celle d’une Europe capable d’anticiper et de s’accorder pour donner naissance à un projet structurant et porteur pour notre avenir ; une Europe protectrice des libertés individuelles ; une Europe ouverte sur le progrès.
La foi en l’Union européenne doit se nourrir de preuves. Et construire un Cloud européen en serait la plus éclatante de toutes.
Bruno Le Maire
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Par Bruno Le Maire
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http://www.slate.fr/tribune/87057/bruno-le-maire-cloud-europeen