anarchiste individualiste
19 Septembre 2014
~ Il faut imaginer Camus hors les murs où la critique littéraire, cette gueuse, l’a confiné. Il faut l’imaginer, par exemple, devisant entre copains dans un pauvre local, discutant dans l’arrière-salle d’un bistrot enfumé, fréquentant une librairie de fortune, arpentant les travées d’une Bourse du travail mal chauffée. Il faut imaginer l’homme prononçant d’une voix posée cette allocution qu’il a soigneusement méditée, soupesée, réécrite, peaufinée. Parce que la cause le méritait, simplement. Il faut l’imaginer, sitôt la tâche accomplie et la réunion achevée, échanger quelques mots avec ces sans-grade qui se sont déplacés un peu par devoir, beaucoup pour l’entendre. Il faut l’imaginer heureux, simplement heureux d’être là, en ces lieux reculés de la parole ouvrière où, loin des vanités et des impostures, il vécut, semble-t-il, quelques instants de fraternité. Camus donna beaucoup aux libertaires et aux syndicalistes révolutionnaires de son temps, mais il reçut également d’eux. Entre autres choses, quelques raisons de croire qu’on le comprenait. C’est aux liens d’amitié qui unirent Camus à ces marges anti-autoritaires du socialisme qu’est consacré le dossier de ce numéro. À son origine, on trouve le livre récemment paru de Lou Marin, « Albert Camus et les libertaires, 1948-1960 », dont Arlette Grumo fait la recension dans ces pages. Elle est suivie d’une étude de Charles Jacquier consacrée à la relation privilégiée que Camus entretint avec la belle revue libertaire suisse « Témoins », dirigée par Jean-Paul Samson [1]. Enfin, deux textes anciens ponctuent ce dossier : le premier, publié dans « Le Libertaire » du 18 juin 1948, sous la signature d’André Prunier, pseudonyme d’André Prudhommeaux, relate ce qui fut probablement la première rencontre publique entre Camus et des libertaires ; le second, extrait d’un article de Gilbert Walusinski publié il y a quelque trente ans dans « La Quinzaine littéraire » -– n° 297, 1er mars 1979 –, exhume le « Manifeste » des Groupes de liaison internationale (GLI), à la rédaction duquel Camus prit une part importante, pour ne pas dire prépondérante. Il faut encore imaginer Camus, un 10 mai 1953, tenant meeting syndicaliste à Saint-Étienne, et dire : « Le grand événement du XXe siècle a été l’abandon des valeurs de liberté par le mouvement révolutionnaire, le recul progressif du socialisme de liberté devant le socialisme césarien et militaire. Dès cet instant, un certain espoir a disparu du monde, une solitude a commencé pour chacun des hommes. » Pour Camus, s’unir à ces quelques hommes et femmes qui incarnaient – encore et malgré tout – cet espoir, c’était aussi une manière de tenir la solitude à distance. À contretemps [1] Un grand merci à l’ami Charles Jacquier de nous avoir accordé l’autorisation – et la primeur – de publier le texte de cette allocution prononcée dans le cadre du très intéressant colloque « Camus et les libertaires », qui s’est tenu à Lourmarin les 10 et 11 octobre 2008.
Il faut imaginer Camus hors les murs où la critique littéraire, cette gueuse, l'a confiné. Il faut l'imaginer, par exemple, devisant entre copains dans un pauvre local, discutant dans ...
~Manifeste des Groupes de liaison internationale
lundi 25 janvier 2010 par F.G. popularité : 7% Nous sommes un groupe d’hommes qui, en liaison avec des amis d’Amérique, d’Italie, d’Afrique et d’autres pays, avons décidé d’unir nos efforts et nos réflexions pour préserver quelques-unes de nos raisons de vivre. Ces raisons sont menacées aujourd’hui par beaucoup de monstrueuses idoles, mais surtout par les techniques totalitaires. Les préjugés d’une raison aveugle, servis par des techniques devenues démentes, ont mené tout droit à de cruelles idéologies de domination, religions qui prétendent asservir la totalité de l’esprit humain, tiennent la neutralité même pour un crime et, par les moyens techniques et psychologiques de la répression, mettent l’individu à la merci de l’État. Ces raisons sont menacées surtout par l’idéologie stalinienne, la plus spectaculaire, parce qu’elle ne recule pas à sacrifier les masses européennes et asiatiques, pour compenser les reculs de la machine ou les erreurs de dirigeants implacables. Elle est aussi la plus violente, par sa nature même d’abord, et ensuite parce qu’elle est pressée de s’opposer efficacement à la technique plus avancée des États-Unis. Ces raisons sont menacées aussi, à un moindre degré il est vrai, par la technolâtrie américaine. Celle-ci n’est pas totalitaire, puisqu’elle admet la neutralité de l’individu. Mais, à sa manière, elle est totale parce qu’elle a su, à travers les films, la presse, la radio, se rendre indispensable psychologiquement et se faire aimer. Contre ces menaces qui ont la dimension du monde lui-même et de l’homme tout entier, qui par leur démesure même jettent les individus dans le découragement, qui se répercutent à travers des propagandes meurtrières ou avilissantes, à l’aide des mystifications les plus scandaleuses, et qui s’amplifient au gré des souffrances et des destructions qui couvrent aujourd’hui un monde épuisé, il nous a semblé que nous ne pouvions pas faire plus que de constituer, par-dessus les frontières, des îlots de résistance où nous tenterons de maintenir, à la disposition de ceux qui viendront, les valeurs qui rendent un sens à la vie. Ce sont « les grains sous la neige » dont parle Silone. Il s’agit donc de grouper à travers le monde quelques hommes conscients, travailleurs intellectuels et ouvriers, jusqu’ici solitaires, désormais réunis dans une action de résistance limitée, mais irréductible. Cette action ne peut s’accompagner d’excessives illusions, mais elle sera soutenue par notre certitude d’exprimer en même temps la résistance beaucoup plus vaste où se retrouvent en silence les foules d’Europe, de Russie et d’Asie, avec les opposants américains. C’est dans cet esprit que nous voulons agir sur deux plans bien définis : 1) Une amitié internationale concrète, exprimée par une entraide matérielle, mais non bureaucratique, aussi large qu’il sera possible. Cette entraide sera spécialement réservée aux victimes des tyrannies totalitaires. La règle de chaque groupe sera de s’aider par lui-même autant qu’il est possible pour réagir contre l’esprit de facilité qui consiste aujourd’hui à préférer à son propre travail la générosité d’autrui. 2) La constitution d’un bureau d’information où nos différences seront confrontées, où nous tenterons de réunir des informations vraies, de faire connaître en Europe l’existence des non-conformistes américains et des opposants russes, de peser sur l’opinion publique des États-Unis pour qu’il soit bien distingué entre les dirigeants soviétiques et le peuple russe lui-même, de rendre une voix enfin à tout ce qui, dans l’histoire déshonorée que nous vivons, donnera à des millions de solitaires des raisons lucides et valables d’espérer. Cette tentative, dont nous fixons ainsi les limites, est la seule qui puisse nous justifier aujourd’hui, dans la mesure où elle suppose un style de vie et une lutte spontanée contre tous les conformismes. Il ne s’agit pas d’ajouter encore à la haine du monde et de choisir entre deux sociétés, bien que nous sachions que la société américaine représente le moindre mal. Nous n’avons pas à choisir le mal, même le moindre. Nous n’avons pas non plus à revenir aux vieilles valeurs nationales ou patriarcales. Nous avons seulement à donner une forme à la protestation des hommes contre ce qui les écrase, avec le seul but de maintenir ce qui doit être maintenu, et avec le simple espoir d’être un jour à notre place les ouvriers d’une nécessaire reconstruction. Albert Camus, écrivain ; Georges Courtinat, ouvrier tailleur de pierre ; Charles Cordier, maître d’internat ; Michèle Halphen ; Robert Jaussaud, administrateur civil ; Roger Lapeyre, inspecteur de la main-d’œuvre des transports ; Nicolas Lazarévitch, correcteur ; Daniel Martinet, chirurgien ; Marthe Mercier, conseiller juridique ; Jean Bloch-Michel, journaliste ; Henriette Pion, professeur de cours complémentaire ; Gilbert Salomon, chef service universitaire aviation légère et sportive ; Gilbert Sigaux, écrivain ; André Thomas, ingénieur ; Gilbert Walusinski, professeur ; Denise Wurmser, professeur. Extrait de Gilbert Walusinski, « Camus et les Groupes de liaison internationale », La Quinzaine littéraire, n° 297, 1er mars 1979.
Manifeste des Groupes de liaison internationale
Nous sommes un groupe d'hommes qui, en liaison avec des amis d'Amérique, d'Italie, d'Afrique et d'autres pays, avons décidé d'unir nos efforts et nos réflexions pour préserver quelques-unes de...