anarchiste individualiste
17 Septembre 2014
~Présentation : ALBA Victor (1916-2003) - nom de plume de Pere Pagès i Elies- est né à Barcelone où il étudie le droit et le journalisme. Très jeune, il rejoint le POUM et collabore à La Batalla. Fait prisonnier, il est incarcéré jusqu’en 1945. Il réussit à fuir en France et collabore avec Marcel Camus à Combat. Après avoir vécu au Mexique, il retourne s’installer à Barcelone en 1968. Il a publié de nombreuses études sur la guerre civile et les dirigeants du POUM. Dans l’extrait ci-dessous, il présente la thèse du POUM : en attendant d’être assez fort, il faut suivre la CNT. Pourtant, les dirigeants du parti trotskiste dépassés par les évènements et, malgré ce que dit Alba, ont eux aussi appelé au compromis, c’est-à-dire à la capitulation avec les funestes conséquences que l’on sait. Témoin la déclaration de son Comité central publiée par La Batalla le 13 mai 37 : « ... Comme les travailleurs qui luttaient dans les rues manquaient d’objectifs concrets et d’une direction responsable, le POUM ne pouvait faire autrement qu’ordonner une retraite stratégique, [...] évitant ainsi une action désespérée qui aurait pu dégénérer en un putsch qui aurait eu comme conséquence l’écrasement définitif de la fraction la plus avancée du prolétariat ... » (in Semprún Maura, Révolution et contre-révolution en Catalogne, p. 269). J. O.
~Extraits : « Sur le moment, les anarchistes parlèrent peu des journées de mai. Mais, déjà en exil, l’un d’eux, Santillàn, fit cet aveu [1] : « Nous nous accusons d’avoir été la cause principale de la suspension de la lutte [de mai]. Non pas avec orgueil, mais avec remords, parce qu’à mesure que nous paralysions le feu chez les nôtres, nous avons vu redoubler les provocations des rares foyers de résistance communistes et républicains catalans ... La force matérielle ne nous manquait pas. Nous étions en condition de renvoyer à Valence le général Pozas et son escorte en refusant sa nomination, et nous avions le temps d’arrêter les colonnes d’agents de police et de carabiniers qui arrivaient avec le colonel Torres. Mais nous manquions de confiance en ceux qui s’étaient érigés en représentants de notre mouvement ; nous n’avions pas de noyau d’hommes intègres et de prestige auxquels nous aurions pu avoir recours pour épauler toute attitude d’urgence. Que faire, alors ? Malgré le dégoût que nous inspirait l’attitude des compagnons qui faisaient office de dirigeants, il nous était impossible de nous croiser les bras. » Il eut une entrevue avec Vázquez et Garcia Oliver. « Je leur dis que, une fois dans la rue, notre erreur avait consisté à cesser le feu sans avoir résolu les problèmes en suspens. Pour notre part nous nous repentions de cette action et nous croyions qu’il était encore temps de regagner les positions perdues. Il fut impossible d’arriver à un accord. On répliqua que nous avions très bien fait de cesser le feu et qu’il n’y avait rien d’autre à faire que d’attendre les événements et de nous adapter à eux le mieux possible. Nous nous sommes alors retirés, doublement vaincus. » Cette citation aide à comprendre combien la tâche que s’était fixée le POUM était impossible, et combien tout espoir de convaincre la CNT de se lancer à la prise du pouvoir était éloigné de la réalité. [...] Le 19 juillet fut gagné militairement, mais perdu politiquement. Quoi qu’on fît ensuite, cette faute était irréparable. A partir de septembre, les forces « de l’ordre », qui s’étaient ressaisies, contre-attaquèrent. En réalité, les journées de mai ne furent pas une offensive révolutionnaire, mais une « défensive » condamnée à l’échec. Il était déjà trop tard pour prendre le pouvoir. Le drame politique des marxistes catalans - qui s’en rendaient clairement compte - était qu’aux trois moments décisifs (14 avril 1931, 6 octobre 1934 et 19 juillet 1936) ils n’étaient pas assez forts pour livrer bataille seuls et que les autres ne voulaient pas la livrer pour les objectifs que s’étaient fixés les marxistes. La tradition anarchiste du prolétariat catalan l’avait immobilisé le 14 avril, l’avait traîné à la remorque de l’Esquerra le 6 octobre et lui fit tourner le dos au pouvoir le 19 juillet. Le tragique de ces situations était la coexistence, chez les anarchistes, d’une imperméabilité totale à l’expérience et d’une grandeur humaine indéniable. [...] C’est donc avec angoisse et pour ne pas se séparer de la base de la CNT que les poumistes descendirent dans la rue. Si l’Exécutif n’en avait pas donné l’ordre, les militants seraient de toute façon descendus. Nin avait exprimé ces espoirs contre toute raison politique, quand, le 14 mars, il écrivit dans La Batalla : « La classe ouvrière n’est pas encore désarmée. Elle garde des positions stratégiquement importantes. Son poids spécifique est énorme. Rien ne peut se faire sans elle. Et, si elle en a la volonté, rien ne pourra se faire contre elle. Et bien qu’elle ne soit pas aussi favorable qu’au cours des premiers mois de la révolution, la corrélation de forces est telle que, dans les circonstances actuelles, le prolétariat peut arriver au pouvoir sans passer par l’insurrection armée. Il suffit qu’il mette en jeu toute sa force organisée avec la décision inébranlable de pousser la révolution jusqu’à ses dernières conséquences. » Objectivement, c’était vrai. Ce ne l’était pas dans l’esprit des masses ni dans celui des dirigeants anarchistes. Mais le POUM s’obstinait à croire que les yeux des cénétistes se dessilleraient ; ils avaient pourtant assisté à la désintégration idéologique de la vieille centrale syndicale que Gorkin, des années plus tard, allait décrire ainsi : « Nous assistâmes alors à un double phénomène : les ministres cénétistes du gouvernement central s’employèrent à imposer bon sens et modération aux ministres cénétistes de la Généralidad ... Cependant, la base cénétiste ne se résignait pas à cet escamotage. Bien que sans formation politique, les militants de la CNT - les authentiques, les vrais - possédaient un magnifique instinct de classe, un élan héroïque, un esprit de sacrifice à toute épreuve. Avec d’authentiques dirigeants, avec une pensée pour les guider et un programme constructif, cette masse aurait fait des merveilles. Entre la base de la CNT et ses ministres, le divorce fut entamé. Ces derniers, apolitiques la veille encore, s’étaient tout d’un coup - et là en est peut-être la raison - convertis en détestables politicailleurs. La base voyait que, grâce à la collaboration de ses chefs, on était en train de lui escamoter la révolution, de lui arracher les conquêtes des jours héroïques et de la réduire à l’impuissance. Son irritation déborda. Ses chefs lui disaient : "Soyons opportunistes maintenant. Transigeons avec les exigences des communistes. Ensuite nous les enverrons au diable." "Ensuite, il sera trop tard", lui disions-nous [2]. » Source : — ALBA Victor, Histoire du POUM, Editions Ivrea, 2000, pp. 299-302 ; Principales notices biographiques associées à cet article : — ABAD DE SANTILLAN Diego ; — GARCIA OLIVER Juan ; — GOMEZ GARCIA Juliá dit GORKIN ; Sigles et appellations : — CNT : Confederación Nacional del Trabajo, centrale anarcho-syndicaliste espagnole. — POUM : Partido Obrero de Unificación Marxista. — PSUC : Partido Socialista Unificado de Cataluña, dirigé par les staliniens et affilié à la III° Internationale. — UGT : Union General de Trabajadores, centrale syndicale socialiste, dominée à cette époque par les staliniens. [1] Diego Abad de Santillán, Porqué perdimos la guerra, Buenos Aires 1940, pages 134 et 137-138 [2] Julián Gorkín, Caníbales políticos, Mexico 1941, pages 68-69. Messages de forum : Barcelone - mai 1937 : La faute aux bureaucrates de la CNT ? 6 mai 2008 par CNT-AIT Paris Il me semble quele POUM n’était pas trotskyste ?