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SERPENT -  LIBERTAIRE

anarchiste individualiste

Zones subversives Zones subversives Chroniques critiques Recherche Accueil Présentation Rubriques Liens Vidéos Numéros Sortir Du Capitalisme Sur Radio Vosstanie Contact Le maoïsme libertaire de VLR

Zones subversives   Zones subversives Chroniques critiques     Recherche Accueil Présentation Rubriques Liens Vidéos Numéros Sortir Du Capitalisme Sur Radio Vosstanie Contact Le maoïsme libertaire de VLR
Dans le bouillonnement des années 1968, le gauchisme se renouvelle. Le souffle libertaire de VLR embrasse toutes les luttes pour bouleverser la vie quotidienne.
 

 

Dès 1970 apparaît le journal Tout ! Son style humoristique et provocateur tranche avec le discours du gauchisme militant. Le « nouveau journal de la gauche révolutionnaire » puise dans l’anarchisme et surréalisme, mais surtout dans la culture underground américaine. Dans l’esprit de Mai 68, Tout ! propose une révolution de la vie quotidienne contre la routine capitaliste abrutissante du « métro-boulot-dodo ». Deux ans après Mai 68, le président Pompidou s’engage dans unemodernisation industrielle et bénéficie d’une forte croissance économique. Raymond Marcellin, ministre de l’Intérieur, s’inquiète de l’agitation gauchiste. Les groupuscules trotskistes, maoïstes ou anarchistes gagnent en influence.

 

Viv

e la Révolution (VLR) évolue à partir du maoïsme pour incarner une mouvance « spontanéiste ». Tout !, l’organe de presse de VLR, s’adresse à un large public. Ce journal réinvente les mouvements sociaux. Il s’appuie sur la plume de Guy Hocquenghem et sur le soutien prestigieux de Jean-Paul Sartre. Ce journal disparaît dès 1971. Mais il incarne la révolte de la France du début des années 1970. La presse alternative évoque de nouveaux thèmes comme la libération sexuelle, l’écologie, l’immigration, l’antipsychiatrieles prisons et tous les nouveaux mouvements sociaux. L’historien Manus McGrogan retrace cette aventure dans le livre Tout ! Gauchisme, contre-culture et presse alternative dans l’après-Mai 68.

 

         

 

utonomie des luttes

 

La révolte de Mai 68 explose la pacification sociale. A Nanterre émerge le mouvement du 22 mars qui dénonce la répression sexuelle. La révolte s’embrase. Les comités d’action se multiplient et les relations humaines sont bouleversées. Le journal Action et les affiches des écoles d’art expriment un désir de liberté contre la censure.

 

L’explosion sociale secoue également les groupuscules gauchistes et remet en cause leur posture d’avant-garde qui doit guider le peuple. La révolte spontanée s’organise au contraire en dehors des partis. La classe ouvrière rejoint le mouvement. Une grande vague de grèves paralyse l’économie. C’est l’action spontanée des travailleurs qui guide le mouvement. Les vieux schémas léninistes volent en éclats. Mai 68 apparaît également comme une grande fête. Une humeur joyeuse se propage. Les hiérarchies, les statuts et les positions sociales sont remis en cause. Tout le monde discute à égalité.

 

Après le mouvement, Roland Castro et Tiennot Grumbach s’éloignent des maoïstes de l’UJCml et de leur dogmatisme autoritaire. Les trotskistes de la JCR excluent sa tendance « sexy et drôle » qui participe au comité de Censier. Pour ces militants, la révolution sociale doit aussi s’accompagner d’une révolution culturelle qui bouleverse aussi les relations humaines.

 

A

 

 

Nanterre, Roland Castro crée le groupe Vive le communiste (VLC) pour prolonger l’agitation étudiante. Mais il entend également se tourner vers le prolétariat et les immigrés qui vivent dans le bidonville près de l’université. L’autodérision et la spontanéité tranchent avec le dogmatisme rigide des maoïstes de la Gauche prolétarienne (GP). VLC valorise l’action directe avec des occupations et des perturbations de cours. L’objectif n’est pas de construire une organisation mais de permettre la résurrection d’un mouvement.

 

Le groupe de Censier valorise une « révolution de la vie quotidienne » inspirée par le philosophe Henri Lefebvre. La révolution culturelle se développe également à l’université de Vincennes. « C’était le désir de révolution, pas simplement pour changer la politique, c’était pour changer la vie », témoigne Jean-Paul Dollé. La critique sociale du marxisme doit fusionner avec les mouvements artistiques comme les surréalistes ou les situationnistes. Ce maoïsme libertaire devient influent dans les universités, mais aussi dans les lycées. VLC se lie avec ces diverses composantes pour devenir VLR.

 

 

Les luttes des immigrés sont considérées comme centrales dans la lutte des classes. Les ouvriers immigrés sont considérés comme les plus exploités. VLR participe à l’occupation des locaux du CNPF (Centre national du patronat français). Surtout, VLR organise une occupation de la mairie de Meulan et prend des documents qui montrent l’existence d’un trafic sur le dos des immigrés. A la fac de Nanterre, les étudiants ouvrent une crèche et un restaurant gratuit pour le public du bidonville voisin.

 

VLR s’inspire de mouvements étrangers. Le mouvement autonome italien incarne une radicalité nouvelle. Des grèves sauvages se développent en dehors des syndicats. Lotta continua (LC), organisation italienne proche de VLR, propose des pratiques nouvelles avec des assemblées pour impulser les luttes. Les ouvriers sont aussi nombreux que les étudiants. « Ce que nous voulons : tout », devient un slogan qui va inspirer VLR. Les Black Panthers radicalisent la lutte afro-américaine. VLR s’inspire de leurs crèches et repas gratuits. 

 

La presse underground américaine valorise la libération sexuelle. Guy Hocquenghem, mal vu en raison de son homosexualité, dénonce le conformisme gauchiste imprégné de morale bourgeoise. Les femmes se réunissent entre elles pour ne pas subir les petits chefs. Ce sont souvent les hommes qui monopolisent la parole et les rôles publics. VLR relie contre-culture et contestation, notamment avec l’organisation d’un concert sauvage.

Contre-culture

 

VLR lance le journal Tout ! Ce média doit rompre avec le langage et l’esthétique gauchiste. Ce journal devient particulièrement coloré. Le ton privilégie le sarcasme et la satire. Les grèves ouvrières apparaissent comme des moments de joie qui expriment un refus du travail. « L’équipe cherche à dénoncer le ronron de la vie quotidienne sous la domination du capitalisme français et à suggérer d’autres formes de résistances et de modes de vie », décrit Manus McGrogan. Tout ! donne la parole à toutes les luttes sauvages qui brisent la routine du quotidien. L’écolela famille ou les loisirs sont remis en cause. Cette critique de la vie quotidienne tranche avec les revendications gauchistes traditionnelles.

 

Deux sensibilités s’expriment dans le journal. Roland Castro s’appuie sur l’action autonome de la classe ouvrière, dans le sillage de Mai 68. Guy Hocquenghem valorise le sabotage et la paresse. Le journal tente alors de relier lutte collective et libération individuelle, transformer le monde et changer la vie. Nourrit par la contre-culture américaine, Tout ! se penche sur l’écologie, la drogue, la sexualité, la jeunesse, la famille, l’antipsychiatrie.

 

Les dessins de Crumb, figure de la BD alternative américaine, ou les caricatures des dessinateurs politiques du magazine satirique Hara-Kiri Hebdo illustrent Tout ! Dessins humoristiques et slogans provocateurs incarnent le style subversif du journal. Les articles restent anonymes tandis qu’une centaine de personnes discutent en assemblée ouverte des textes et de l’orientation du journal.

 

 

 

Tout ! ne cesse d’attaquer l’Etat et le capitalisme. Des patrons et des exploiteurs sont ciblés. Ensuite, le conservatisme des syndicats est critiqué. L’autonomie des travailleurs est valorisée. « L’émancipation des travailleurs sera l’œuvre des travailleurs eux-mêmes », devient le slogan reprit de l’Association internationale des travailleurs (AIT). En revanche, les syndicats, notamment la CGT, sont perçus comme les alliés des patrons. Les assemblées d’ouvriers doivent décider de l’orientation de la lutte, et non les délégués syndicaux.

 

Tout ! critique la récupération du rock pour mieux valoriser des festivals sauvages et non commerciaux. La Force de libération et d’intervention pop (FLIP) dénoncel’industrie musicale et les artistes « vendus ». Les jeunes de VLR créent le Front de libération de la jeunesse (FLJ) en 1970. Ils parviennent à entrer de force dans un concert pour dénoncer le prix des billets.

 

Des articles sont consacrés aux yippies qui mêlent théâtre et politique. Ils jettent des billets pour ridiculiser les traders de Wall Street. L’action directe et l’humour leur donne un style qui tranche avec le gauchisme français. Mais VLR ne tente pas d’importer un modèle. Il faut agir par rapport à la situation en France. VLR semble mitigé à l’égard des Weather underground, ces étudiants américains qui passent à la lutte armée

 

 

 

 

Néanmoins, VLR accompagne aussi les dérives du gauchisme. Malgré son style qui tranche avec le militantisme traditionnel, VLR se soumet à l’air du temps d’une jeunesse radicalisée. VLR ne se centre plus autour de la classe ouvrière. Les mouvements sociaux ne se cantonnent plus dans les usines. Les luttes des femmes, des homosexuels, des jeunes, des écologistes ne se réduisent pas aux rapports sociaux d’exploitation. VLR a permis l’éclosion de ces nouvelles luttes. Néanmoins, la valorisation des marges ne permet plus de s’adresser à l’ensemble des classes populaires. Le public de Tout ! reste surtout jeune et cultivé. Malgré son succès, le journal s’adresse à un lectorat spécifique.

 

Ensuite, l’individualisme libertaire de Tout ! comprend quelques ambiguïtés. Changer la vie devient progressivement changer sa propre vie. Ce ne sont plus les luttes sociales qui doivent permettre de transformer le monde et la vie quotidienne. C’est à chaque individu de réenchanter sa propose existence à travers les communautés et un style de vie rebelle. La critique de l’austérité militante ne doit pas devenir une fin en soi. L’alternativisme semble alors prédominer. Le reflux des luttes sociales renforce cette tendance. Lorsque les grèves échouent, les militants se replient sur leur communauté. A défaut de changer le monde, ils préfèrent expérimenter des modes de vie alternatifs.

 

 

VLR subit également son absence de perspective globale. La critique de l’ordre existant est décapante, mais les propositions politiques n’émergent pas. Comment changer le monde n’est pas la question centrale de Tout ! C’est sans doute la principale cause de la disparition de VLR. Sans perspective de changement global, le mouvement se fond dans diverses luttes spécialisées et séparées. Des collectifs spécifiques émergent pour chaque question précise. VLR encourage pertinemment l’éclosion de ces collectifs autonomes, mais sans parvenir à les relier à travers une démarche globale. VLR annonce alors la mode postmoderne qui valorise les micro-résistances plutôt que la perspective d’une révolution sociale et libertaire.

 

Malgré ces limites, VLR reste un souffle joyeusement libertaire qui attaque tous les conformismes. Le style humoristique et provocateur tranche avec le gauchisme sérieux. Surtout, VLR tente de relier la lutte des classes et la critique de la vie quotidienne. La révolution ne doit pas se contenter d’une gestion de l’économie par les ouvriers. La révolution doit permet de changer toutes les relations humaines pour rendre la vie passionnante.

 

 

Source : Manus McGrogan, Tout ! Gauchisme, contre-culture et presse alternative dans l’après-Mai 68, traduit par Jean-Marie Guerlin, L’échappée, 2018

 

 

Mais VLR est également contesté de l’intérieur. Le Mouvement de libération des femmes (MLF) publie dans Tout ! une charge contre le militantisme machiste. Le texte tourne en dérision les références au leadership, à la hiérarchie et aux diverses prouesses intellectuelles ou guerrières. Le MLF soutient également les grèves des ouvrières. La lutte pour l’avortement devient centrale. Mais certaines femmes quittent VLR à cause du pouvoir de chefs gauchistes comme Roland Castro. Néanmoins, Tout ! continue de publier des textes du MLF.

 

 

Le numéro 12 de Tout ! est consacré à la libération des corps. Les luttes des homosexuels attaquent les tabous et les normes sociales. Mais VLR finit pas s’auto-dissoudre. La révolte du quotidien est devenue une multiplicité de divers mouvements autonomes les uns des autres. La dimension globale semble disparaître.

 

La disparition de Tout ! se traduit dans les nouveaux mouvements sociaux. Sans perspective politique, les militants ouvriers de Flins rejoignent la CFDT. Des rédacteurs de Tout ! composent le pôle désirant du journal Libération. Ensuite, de nouveaux titres apparaissent. Une presse de la libération sexuelle se développe. Le journal du MLF, Le torchon brûle, valorise la subjectivité et le plaisir fémininLe fléau social reprend une esthétique colorée et un style humoristique pour évoquer la lutte homosexuelle. L’antinorm semble plus théorique, à travers des références au marxisme et aux théories de Wilhelm Reich.

 

 

 

 

 

Limites de l’après 68

 

Le livre de Manus McGrogan permet une présentation complète de VLR et du journal Tout ! Si ce groupe mythique reste incontournable dans l’après 68, c’est le premier livre qui lui est entièrement consacré. VLR reste le mouvement qui reflète le mieux l’esprit libertaire des années 1968.

 

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