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SERPENT -  LIBERTAIRE

anarchiste individualiste

Victor Jara : un canto libre

Texte inédit pour le site de Ballast

Des Clash à Zebda, de Ferré à Lavilliers, de Ferrat à U2, nombreux furent les chanteurs qui rendirent hommage au Chilien assassiné par les militaires au lendemain du coup d’État qui renversa, le 11 septembre 1973, le président socialiste Salvador Allende. « Mon chant est une chaîne / Sans commencement ni fin / Et dans chaque chaînon se trouve / Le chant des autres », lançait Jara, membre du Parti communiste et fervent soutien d’Allende. Portrait d’un artiste populaire et militant. ☰ Par Maxence Emery


« De celui qui mourra en chantant /
Sortent les vraies vérités » V. Jara

 

jara1Santiago du Chili, 11 septembre 1973, 14 heures. Le Palais de la Moneda est la cible de l’aviation putschiste aux mains du général Pinochet. Les militaires mitraillent l’enceinte présidentielle et contraignent Salvador Allende et les siens à la capitulation. Sa secrétaire ouvre la marche, une blouse de médecin en guise de drapeau blanc, suivie d’une trentaine d’allendistes. Tandis qu’ils se rendent, le président remonte les escaliers jusqu’à son bureau, se saisit de l’AK-47 offert par son ami Fidel Castro et place la bouche du canon sous son menton. Détonation. Alerté, le docteur Jiron quitte la file, monte à toute vitesse et constate le corps sans vie. Le suicide du président élu marque la fin des espoirs d’un socialisme démocratique, porté par le peuple quelques années auparavant et balayé par quelque général félon avec l’appui des États-Unis. Une semaine plus tard, Joan Jara suit un certain Hector dans les couloirs de la morgue : il s’est présenté à sa porte en dépit des risques encourus et affirme avoir découvert le cadavre de son compagnon. Funèbre découverte pour cette native d’Angleterre qui voit son partenaire, Victor Jara, l’un des chanteurs les plus populaires du Chili, le corps recouvert de poussière et d’hématomes, criblé de balles. Quarante-quatre, en tout.

Une enfance paysanne

« Le Palais de la Moneda est la cible de l’aviation putschiste aux mains du général Pinochet. »

Remontons le temps de quelques décennies. Nous sommes dans les années trente et l’été touche à sa fin dans le village de Lonquén, au cœur des collines de Talagante. Les flammes d’un feu éclairent un groupe de femmes, d’hommes et d’enfants accroupis sur la terre sèche. Comme de juste, ils ôtent les feuilles des épis de maïs mûrs qu’ils assemblent en énormes piles. Les paysans font de cette longue nuit de travail collectif une fête, accompagnée de chants et d’histoires contées par des adultes qui en profitent pour boire des gorgées de chicha — une boisson traditionnelle. Les enfants en âge aident les adultes tandis que les plus petits jouent autour des piles de maïs sans jamais s’éloigner de la lumière rassurante du feu. Assis à même le sol, Victor, jeune garçon, observe la course des étoiles tout en jetant des regards tendres à sa mère Amanda, une petite femme trapue aux origines mapuches qui lui sourit en chantant, les mains sur sa guitare. Si le regard du lecteur se fait fuyant, par trop romantique, il se piquera de folklore, bercé par les accords grattés et enivré de boissons fermentées ; s’il se fait rasant, à hauteur d’hommes, refusant les faux semblants, il saisira alors la misère traversière dans les plis des sourires et s’attarde sur les sandales confectionnées à partir de pneus usagés.

Manuel, le père pochard de Victor, se montre brutal ; la mère en fait les frais sous l’œil haineux de la fratrie. Amanda tente de scolariser ses enfants, contre la volonté farouche d’un père certain que ses fils doivent au champ manier la longue charrue, certain que ses femmes doivent pétrir les galettes et tenir le foyer. Le malheur s’acharne et frappe Maria, la grande sœur, tandis qu’elle lave le linge : le chaudron se renverse et l’eau bouillante se déverse, la brûlant grièvement. Amanda la veillera de longs mois à l’hôpital de Santiago, obligeant la famille à déménager dans la capitale afin de se rapprocher de la convalescente. De lupanars en quartiers malfamés, la vie grouillante et trépidante de la grand-ville étonne et surprend. Les Jara se retrouvent confinés dans un appartement d’une pièce et dorment sur des matelas à même le sol. Amanda tient une petite cantine au marché et Victor vient parfois l’aider à la sortie de l’école catholique où celle-ci l’a inscrit. Le père est absent, préférant cultiver des melons sur un terrain acheté grâce aux revenus de son épouse. C’est désormais seule, mais loin des coups, qu’elle devra 

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