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SERPENT -  LIBERTAIRE

anarchiste individualiste

Les nouveaux imaginaires politiques

Malgré un contexte de montée des idées réactionnaires, de nouvelles réflexions politiques surgissent dans les mouvements sociaux.

C’est dans un contexte de renouveau des luttes sociales que la Revue du Crieur diffuse son numéro 4. Sa démarche vise à proposer des enquêtes originales sur le monde des idées. Cette revue participe elle-même aux nombreuses publications de la gauche radicale en y apportant son ton qui mêle culture et politique, légèreté et réflexion intellectuelle.

Dans ce numéro écrit pendant le mouvement Nuit Debout, la revue semble davantage ancrée dans les enjeux liés aux mouvements sociaux. Contrairement aux précédents numéros, la revue sort de son enclot intellectuel. Le monde des idées est davantage rattaché aux enjeux politiques des luttes sociales.

La journaliste Laura Raïm se penche sur le rapport des grands patrons à la culture. Ils ont toujours baigné dans la haute bourgeoisie avec une familiarisation avec la « haute culture ». Ils ont passé des concours comme Sciences Po ou l’ENA avec son épreuve de « culture générale » qui impose de maîtriser le saupoudrage.

Le banquier punk Mathieu Pigasse illustre cette évolution avec un éclectisme culturel affiché. Le propriétaire des Inrockuptibles mêle les références de la culture bourgeoise avec des évocations des grandes figures du mouvement punk et des jeux vidéo. La culture savante croise la culture de masse. Le « fun » et la modernité permettent de mieux défendre les réformes libérales du Medef.

Les patrons apprécient toujours l’opéra mais se tournent davantage vers l’art contemporain. Cette pratique culturelle ne nécessite pas beaucoup de temps. Surtout, l’art contemporain donne une image jeune et branché à des patrons impopulaires à force de mesures libérales et d’exploitation. L’image de marque de l’entreprise est valorisée et le patron apparaît comme un créateur. Mais le marché de l’art permet surtout de spéculer et s’apparente au monde plus familier de la finance.

La journaliste Elen Salvi observe la montée de l’extrême droite dans le domaine de l’édition. Les écrivains racistes et identitaires comme Richard Millet ou Renaud Camus peuvent déverser leur dégoût du multiculturalisme, leur haine des musulmans et leur sentiment d’une décadence des sociétés occidentales. Le racisme et l’antisémitisme peuvent se diffuser au nom de la liberté d’expression.

Alain Finkielkraut ne cesse de déplorer « l’appauvrissement de la langue ». Le succès des intellectuels médiatiques comme Eric Zemmour, Elizabeth Lévy ou Ivan Rioufol révèle le déclin du débat d’idées au profit du clash et du buzz. Ces néo-réactionnaires ne sont que le produit du déclin qu’ils déno

Le philosophe Richard Mémeteau décrit l’appropriation des cultures minoritaires. Mais, loin du détournement ou de l’hommage aux cultures des opprimés, cette démarche s’inscrit dans une logique commerciale. La diffusion de la danse du twerk par les chanteuses blanches de la pop illustre ce débat entre popularisation des cultures minoritaires et récupération marchande.

Yves Citton se penche sur le règne des algorithmes. Amazon, Google ou Netflix anticipent les choix et les goûts des consommateurs. Ils imposent quel film ou quel livre il faut découvrir.

Le journaliste Dan Israel évoque les voyages de presse organisés pour les journalistes culturels. De nombreux articles s’apparentent à une publicité déguisée. Dans les médias, la rubrique culture reste considérée comme accessoire. Ce qui favorise les pratiques les plus douteuses pour faire des « reportages » à moindre frais.

Les journalistes Joseph Confavreux et Aurore Gorius évoquent les nominations des dirigeants des institutions culturelles par le gouvernement. Le copinage et le renvoie d’ascenseur priment sur la recherche d’une vision globale de la culture. Le poids de l’Etat dans ce secteur empêche toute forme de créativité et d’innovation. Ce sont les gestionnaires et les technocrates froids qui s’imposent.

Cette évolution du monde culturel et intellectuelle révèle l’effondrement de la démocratie. Les discours racistes et sécuritaires accompagnent le conformisme marchand. Face à ce constat, de nouveaux imaginaires politiques doivent s’inventer.

Yves Sintomer évoque la postdémocratie. Avec l’état d’urgence et la tentation autoritaire de l’Etat, la vieille démocratie libérale semble évoluer. Colin Crouch forge le concept de postdémocratie avec une connotation critique. Selon lui, les entreprises multinationales supplantent les Etats et les régulations. Une nouvelle classe dominante, consciente de ses intérêts, s’éloigne ouvertement des classes populaires. Avec l’effondrement du mouvement ouvrier, les citoyens deviennent des consommateurs passifs. L’exemple de la Grèce, obligée d’appliquer les plans d’austérité contre les résultats électoraux, illustre ce constat.

Le Parlement s’apparente à un lieu vide. La mise en scène spectaculaire remplace l’échange d’arguments. Surtout, la démocratie libérale est remplacée par un républicanisme autoritaire. En France, l’état d’urgence prolongé illustre un durcissement sécuritaire. Mais des nouveautés comme les réseaux sociaux ou desmouvements sociaux plus horizontaux émergent de manière positive.

Certaines analyses proposées par Yves Sintomer semblent contestables. Le règne de la finance sur les Etats n’est pas évident. La bureaucratie et les administrations restent puissantes. Ce sont toujours des Etats qui imposent des mesures d’austérité. Les agences de notation ne sont qu’un prétexte.

Ensuite, la proposition qui consiste à « démocratiser la démocratie » semble bien naïve. Elle ne remet pas en cause les fondements de la démocratie représentative avec la séparation entre dirigeants et dirigés. La perspective révolutionnaire est en revanche enterrée sans le moindre véritable argument. Il existe pourtant un véritable clivage au sein des mouvements sociaux.

Certains, comme Yves Sintomer, veulent servir d’aiguillon pour le gouvernement sans remettre en cause sa légitimité. Les luttes doivent se contenter d’obtenir des réformes. Mais une fraction plus importante des mouvements sociaux propose de multiplier et de coordonner les luttes pour détruire et remplacer la démocratie et toute forme d’Etat ou de gouvernement. Les pratiques d’auto-organisation révèlent aussi cette perspective.

La journaliste Isabelle Mayault décrit le mouvement Rhodes must fall. En Afrique du Sud, des étudiants s’attaquent à la statue de Rhodes, une figure de la colonisation. Cette lutte contre les symboles de l’oppression des peuples noirs se diffuse dans le monde anglo-saxon. Elle s’inspire du mouvement des droits civiques et du Black Power. Elle puise également ses sources dans le mouvement décolonial qui regroupe des universitaires proches des idées de Franz Fanon.

Le journaliste Mathieu Léonard analyse le mouvement kurde. Dans le chaos du Moyen-Orient, cette insurrection libertaire rappelle le mouvement zapatiste. L’universitaire américain David Graeber s’enthousiasme pour ce mouvement kurde dont il valorise l’esprit d’autonomie et de démocratie. Il insiste sur les assemblées communales décisionnelles.

En 1978, le PKK reste un parti marxiste-léniniste ouvertement autoritaire et nationaliste. Ce modèle tiers-mondiste semble désuet depuis l’effondrement de l’URSS et le tournant libéral de la Chine. C’est le chef du PKK, Abdullah Occalan, qui impose une révision théorique depuis la prison. L’autonomie démocratique dans le respect des frontières de la Turquie remplace la lutte pour l’indépendance. Le PKK renonce également au nationalisme dur avec une ouverture vers les minorités religieuses.

Surtout, le PKK délaisse le marxisme dogmatique pour se tourner vers les théories de Murray Bookchin sur le municipalisme libertaire. Le PKK impose donc l’autogouvernement. « Il n’en demeure pas moins un paradoxe : l’injonction par le haut d’appliquer un mode d’organisation horizontal devant se propager par la base par la voie d’assemblées populaires, sans renoncer à la verticalité constitutive du mouvement et sa puissance coercitive », observe Mathieu Léonard. La supposée libération des femmes se traduit par un embrigadement militaire qui impose la discipline et interdit les relations amoureuses.

Malgré le soutien des intellectuels et des groupuscules anarchistes, quelques libertaires restent sceptiques face à ce « nouveau Chiapas ». La propagande nationaliste, l’ambigüité des alliances, la verticalité stalinienne du PKK ou le culte de la personnalité sont dénoncés. Surtout, le corpus doctrinal prokurde occulte l’analyse de classe et conserve des rapports de hiérarchie. Néanmoins, il existe une solidarité à l’égard d’un mouvement de résistance face à la barbarie terroriste.

Mathieu Léonard évoque bien les enjeux politiques autour de la question kurde. Il reste évidemment indispensable de soutenir ce mouvement de résistance. En revanche, il n’est pas possible d’ériger le Rojava en nouveau modèle de société. La dimension nationaliste, patriarcale et surtout hiérarchique perdure.

Le municipalisme libertaire propose de diffuser des îlots alternatifs pour changer la société. Mais ce modèle stratégique ne s’inscrit pas dans la perspective d’une transformation globale de la société. Le modèle rojaviste entretien l’illusion de possibles avancés à l’intérieur des institutions. La lutte de classe est écartée au profit de la création d’une communauté malgré des intérêts divergents.

Le sociologue Ugo Palheta évoque les influences du Comité invisible. Lemouvement autonome refuse le cadre du parti et la stratégie de la « transition ». Ce courant renouvelle le langage et l’imaginaire de la contestation. Le mouvement contre la Loi Travail se traduit par des occupations de places et par une radicalisation de la jeunesse. Ce mouvement reflète « non seulement un refus de l’organisation capitaliste de la vie, mais également une aspiration à faire du neuf, qui met en doute et en cause les médiations traditionnelles de la contestation sociale (syndicats et partis) », observe Ugo Palheta. Les vieilles organisations semblent figées dans la pétrification bureaucratique.

Mais cette mouvance se rattache au écrit du Comité invisible, au livre sur lesPremières mesures révolutionnaires, aux articles du site Lundi matin ou encore aux tracts du MILI (Mouvement inter luttes indépendant). Au sein de la gauche radicale, même Olivier Besancenot confesse une fascination à l’égard de ces textes. Un nouveau discours échappe « à la langue plombée et aux slogans routiniers du mouvement ouvrier », souligne Ugo Palheta.

Un processus d’insurrections s’ouvre avec le « Printemps arabe », mais sans déboucher vers une perspective révolutionnaire. En France, les nombreuses défaites des luttes sociales alimentent la frustration et la remise en cause des vieux schémas politiques. Même Podemos, qui s’affiche sous l’étendard de la modernité, incarne l’imposture de la prise du pouvoir d’Etat. Les réseaux autonomes deviennent alors influents et expriment une radicalisation dans la jeunesse.

L’insurrection ne passe plus par le Parti et la période de transition. Des actes de communisation permettent un changement ici et maintenant. La forme parti ne fait que reprendre le modèle de l’efficacité et de l’Etat. L’action directe prime sur les revendications et les programmes. En revanche, le Comité invisible ne porte aucun projet de société alternative.

Ugo Palheta pointe de manière pertinente quelques limites de ce courant qui propose surtout une critique éthique du capitalisme. La position de classe n’est plus prise en considération. Chaque individu peut bloquer les flux pour exprimer son dégoût du monde marchand. Le prolétariat n’est plus un sujet révolutionnaire. Cette posture s’accompagne d’une critique des « Blooms ». Les personnes ordinaires sont considérées comme engluées dans l’aliénation marchande. Ce discours reflète un certain mépris de classe et une vision élitiste de la politique.

Cette mouvance privilégie un avant-gardisme qui s’enferme dans l’activisme minoritaire ou la création de communautés alternatives repliées sur elles-mêmes. Cette démarche s’apparente à de l’alternativisme, « réduisant le communisme à la construction d’enclaves (partiellement) libérées du capital mais à distance des luttes anticapitalistes », analyse Ugo Palheta.

Il est en revanche plus difficile de suivre Ugo Palheta qui, en bon idéologue du NPA, défend l’Etat. Les gauchistes s’attachent à la prise du pouvoir. Ils veulent s’appuyer sur l’Etat. Le sociologue trotskiste défend évidemment la période de transition. La centralisation, la bureaucratie, l’autoritarisme et les hiérarchies imposées par l’Etat ne peuvent pourtant pas permettre de changer la société.

Les gauchistes et les anarchistes se contentent de revendiquer une bonne administration de la société sans transformation qualitative de la vie quotidienne. Au contraire, les luttes sociales autonomes peuvent créer leurs propres formes d’organisation. Pour inventer une nouvelle manière de produire, de se rencontrer, de créer et de vivre.

Source : La Revue du Crieur 04, Mediapart / La découverte, 2016

Editorial publié sur le site Mediapart

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Pour aller plus loin :

Vidéo : Ugo Palheta, La face caché du Comité invisible, publié sur le site Hors-Série le 9 juillet 2016

Vidéo : Loïc Guillaume, Marxisme et autonomes, un débat, conférence mise en ligne sur le site Révolution Permanente le 11 juillet 2016

Vidéo : Culture et pouvoirs : la Revue du Crieur a un an, émission de Mediapart enregistrée le 9 juin 2016

Vidéo : Après des décennies d'échecs, quelles nouvelles stratégies contre le Front National ?, émission de Mediapart enregistrée le 6 décembre 2015

Radio : Nouvelles formes de mobilisations ? avec le MILI, émission mise en ligne sur le site de Quartiers Libres le 2 mai 2016

Radio : émissions avec Ugo Palheta mises en ligne sur France Culture

Radio : émissions avec Dan Israel mises en ligne sur France Culture

Radio : émissions avec Joseph Confavreux mises en ligne sur France Culture

Radio : émissions avec Y

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