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SERPENT -  LIBERTAIRE

anarchiste individualiste

33 heures de garde à vue : "vous savez ça vient d’en haut, tout en haut"

Photo : Jungle de Calais, mercredi 26 octobre 2016 à l’aube

Il est 9h35 ce mercredi 26 octobre 2016 et la jungle de Calais a brûlé toute la nuit. Devant la porte du hangar ou se déroule le dispatch des migrants pour tous les CAO de France, je filme l’entrée d’un des premiers groupes de la journée. Ils attendent ici en lignes dans la brume froide d’un petit matin au bord de la Manche. Il fait 5 degrés. Je suis arrivé la nuit même sur la zone de Calais et j’ai directement fait des plans de la jungle. Je n’avais pas encore eu le temps de faire des interviews.

Publié initialement sur Taranis.news

Je me rends à l’entrée du Hangar pour la seconde fois depuis mon arrivée et cette fois il est ouvert. Il y a une énorme concentration de CRS et une armée de Gendarme dans toute la rue. Ce sont les Gendarmes Mobiles qui contrôlent l’entrée et la file, la Police et les CRS se contentant de rester à l’arrière. Mais c’est un policier qui commande toute l’opération, et je le reconnais facilement car c’est un commandant que j’ai déjà plusieurs fois croisé sur d’autres manifestations, avec son micro-boule au visage comme les geek qui font du teamspeak. Lui aussi, il me reconnait. Je comprends en lisant dans ses yeux qu’il ne m’aime pas beaucoup. Mais genre, pas du tout. Et d’ailleurs il le dit à l’un des commandants de la Gendarmerie Mobile qui est à coté de lui. Celui-ci se met aussitôt à me regarder de la même façon. Je fais mine de ne pas faire attention et je continue à faire des plans de l’entrée des migrants dans le Hangar (même si mon instinct me hurle de fuir très vite). Quelques secondes plus tard je suis agrippé par douze gendarmes mobiles en tenue anti-émeute. Oui, douze, j’ai compté. J’entends « on le ceinture, allez, allez », « on l’entoure. Allez monsieur, on avance ». Je reste totalement cool, je me laisse faire. La situation est ridicule. J’essaie de les rassurer parce qu’ils ont l’air nerveux : « Ok messieurs je vous suis, regardez, restez cool, pas besoin de me tenir ». Les migrants sont sidérés mais les associations détournent le regards, et les autres journalistes leurs caméras. Malgré la présence de nombreux photographes et caméras tout autour de moi, il n’y a aucune image de mon arrestation. Si je me fais interpeller par la police, c’est que je dois être un grand délinquant !

On me fait rentrer dans le périmètre du Hangar et on me place contre le mur du coté droit, bien à l’abris de la foule. Et là ça devient moins marrant. Je repère une page A4 imprimée avec ma photo dans la main d’un policier en civil. On me place les mains contre le mur pour la fouille, on me ramène les bras à l’arrière puis on me sert les menottes dans le dos. « Vous avez une accréditation ? Vous n’avez rien volé ? ». Je suis transféré par trois policier 500m plus loin, dans un bus transformé en « commissariat mobile », les menottes aux poignets.

On me notifie mes droits. On me présente tout de suite l’arrêté m’interdisant le périmètre de Calais signé par la Préfète. Sauf que je n’avais jamais entendu parler de ce papier auparavant et qu’on ne me l’a pas notifié, ce que je fais remarquer. Je précise que j’ai fais 3 demandes d’accréditations à la Préfecture en respectant la procédure. Je n’ai pas eu de réponse (donc pas de réponse négative non plus) mais la preuve qu’ils ont bien reçu mes mails, c’est qu’à partir de là ils n’ont pas cessé de m’envoyer leurs communiqués de presse sur le déroulement des opérations… L’intitulé de mon placement en Garde à Vue est alors « séjour illégal dans un territoire protégé par l’état d’urgence et vol de matériel appartenant au ministère de l’intérieur ». Puis j’entends des « Bonjour monsieur le Procureur de la République » dans la pièce d’à coté, et je vois plusieurs officiers de police se raidir comme s’ils se mettaient au garde à vous. Le procureur entre dans la pièce et me jette un regard noir, il fait un petit tour, me regarde à nouveau et s’en va. Même scène dans l’autre sens : « Au revoir Monsieur le Procureur de la République ». Je comprends immédiatement que là, c’est la merde. Ils sont très fâchés.

Le reportage tourné le 1er octobre. On voit le talkie walkie à partir de 25 minutes 25 secondes.

J’ai le droit de voir un médecin dans une camionnette à part. C’est un véhicule qui a les vitres mi-teintées, c’est à dire que jusqu’à la moitié du carreau. Les policiers sont de l’autre coté et comme je suis en hauteur par rapport à eux, ils observent tout. Le médecin entrouvre la porte pour parler aux policiers 20 secondes, j’en profite immédiatement pour saisir discrètement mon téléphone. Jusqu’ici je n’étais pas tranquille parce qu’il était encore allumé et que j’aurais bien aimé l’éteindre pour activer un cryptage de plus, mais je comprend que j’ai juste le temps qu’il faut pour tweeter que je suis en GAV. À ce moment là si je ne le fais pas, je me demande si quelqu’un va savoir avant que j’en sorte. Un de policiers me voit et il se rapproche immédiatement « éteignez votre téléphone monsieur ! ». Je lui répond que c’est ce que je suis en train de faire et le temps qu’il regarde l’écran, je suis déjà en train de glisser mon doigt sur le bouton « éteindre ». Je pense qu’il n’a pas capté, ou qu’il a du se dire que je n’ai pas eu le temps de faire quoi que ce soit. Un partout dans la filouterie, la balle au centre.

Retour dans le bus du commissariat mobile. Blablabla état d’urgence, blablabla garde à vue renouvelée, blablabla méchant noborder t’as volé un talkie de la police. Les trois policiers en question sont restés corrects dans le sens ou ils n’ont pas été agressifs, insultants ou violents. On m’enlève dix secondes les menottes pour me faire signer un PV. Et en avant pour le commissariat de Calais. À tout berzingue dans une camionnette délabrée et avec un conducteur fou qui a pilé trois fois de 50km/h à 0 entre la jungle et le centre-ville. J’ai carrément volé de la banquette latérale pour m’écraser sur le flic qui était dos au conducteur, le tout menotté. Le flic en question était resté absolument stoïque et avait l’air d’avoir l’habitude de subir la conduite de son collègue. Enfin bref, je suis dans un film. À ce moment là je pense à Renaud qui chante « J’ai embrassé un flic » et j’ai envie de leur faire la blague « Je me suis écrasé sur un flic ».

Arrivée au commissariat de Calais. Briques rouges, grand immeuble ressemblant à une vieille école, son « Groupement Opérationnel » des CRS et ses couloirs délabrés. Démenotté, je suis interrogé pour la première fois sur mon identité. Les deux enquêteurs que je découvre vont se succéder au jeu des questions/réponses pendant les 30 prochaines heures. Le premier jour il y’a aura un jeune policier très concentré qui observera toute la scène. Il y a enfin une policière au fond de la pièce qui est surmonté d’une affiche taille cinéma de la saison 3 de Braquo, et qui restera à son bureau pendant toute ma garde à vue.

Il faut le dire franchement parce que voilà, on le dit quand il y a des violences policières. Durant toute ma garde à vue ces deux enquêteurs ont fait ce qu’on leur a demandé de faire (avec tout ce qu’il y a de désagréable à vivre cela quand on est accusé) mais je n’ai strictement rien à critiquer sur la façon dont ils l’ont fait. Ils sont restés polis, cordiaux, et même si ça peut faire bizarre de dire cela d’un policier : républicains. Je n’ai rien déclaré dans les procès verbaux, au début j’étais un poil en tension (parce que j’ai attendu cinq heures pour voir un avocat), j’ai directement refusé le test ADN, j’ai refusé de m’alimenter… mais ils ont eux même déclarés que j’en avait le droit et c’était réglé. Ça a détendu l’atmosphère de sentir que je n’allais pas me faire défoncer ou coin d’un couloir. J’ai eu le droit de fumer 2×2 cigarettes dans la cour du comissariat en 30h, j’ai eu de l’eau à partir du moment ou j’ai signalé qu’on ne m’en donnait pas en cellule. Eux, ils ont été réglos. L’un d’entre eux m’a dit qu’il était à la brigade des mineurs auparavant. Une affaire comme celle-là c’est pas compliqué de se mettre à sa place : ça a du le faire chier. Alors il a tout fait dans les règles du droit et de la bonne humeur, comme ça, c’est passé plus vite pour nous deux.

Même si le démarrage n’a pas été facile ! À peine arrivé je sens qu’il y a un petit problème avec la procédure. L’un des deux policiers part à coté pour téléphoner. Quand il revient il s’assoie à son bureau et déclare l’air embêté : « Il y a un problème textuel dans votre fiche de Garde à Vue, je vais devoir y mettre fin… » et il fait un petit silence. Sur le moment je me dis : « Woh putain le miracle, je vais sortir ! » avant de déchanter quand il ajoute : « … pour faire une nouvelle fiche de garde à vue à compter de maintenant » (j’imagine cher enquêteur que tu vas lire ce texte, autant je voudrais te dire que c’était très sadique !). J’essaie de comprendre de quel « problème textuel » il est question, et il faut un peu insister avant de comprendre que l’intitulé « Présence illégal sur un territoire protégé par l’état d’urgence » ça ne va pas bien passer comme motif de placement en garde à vue. La deuxième garde à vue portera donc uniquement pour ce qui est requalifié en « vol simple ». On m’explique comment ça va se passer, que la garde à vue peut-être renouvelée (elle le sera), et que je vais descendre en cellule en attendant l’arrivée de l’avocat.

Le gêolier est moins agréable et franchement assez binaire « Comment ça vous êtes journaliste ? Je vois vol simple moi. C’est bizarre ça, vous ne trouvez pas ? ». Je lui pose la question « avez-vous vu les images du manifestant qui braque son fusil de chasse sur la foule des migrants en janvier dernier ? » il répond instantanément « Ah ben ouais ! L’autre Gaël Rougemont là ? Tout le commissariat l’a vue cette vidéo ! ». J’avoue prendre du plaisir à vivre cet instant. J’insiste : « Et celle du général Piquemal qui se fait arrêter dans la manifestation Pegida en février ? », mais là il comprend. Il regarde le jeune policier qui m’escortait depuis le bureau et lui demande : « Ça se passe bien avec monsieur ? ». Celui-ci lui répond un peu en sursautant et visiblement surpris qu’on lui pose la question à lui : « oui oui très bien ». J’ai le privilège d’avoir droit à une des deux cellules « moderne » en béton et plexiglas, vidéo-surveillance incluse. Donc pas à l’une des cinq autres cellules/cachot du moyen-âge avec des toilettes à la turques remontant des odeurs d’égout, qui étaient situées dans le couloir d’à coté et visiblement réservée aux migrants en attente d’être remis à la Police aux Frontières.

Les graffitis sont nombreux sur le béton des murs « KEVIN 24H », « 48H FORT ! », « JENY JE T’M », « LOGEZ MORGAN ! » et la plus vieille date gravée dans la peinture est de 2007. Dans une des cellules inoccupées de la partie cachot ou j’ai eu le droit d’aller pisser, j’ai découvert une (vraiment) magnifique fresque de tête de licorne dessinée en sauce de raviolis, avec les doigts. Ça couvrait la moitié du mur et clairement le mec qui avait fait ça était peintre. L’oeuvre avait séché depuis longtemps et je me suis demandé si elle était toujours là parce qu’ils ne lavaient jamais autre chose que le sol des cellules, ou si c’était parce que les policiers trouvaient ça joli. En interrogeant les gêoliers sur la licorne, j’ai découvert que le plupart ne l’avaient même pas vue. Du coup j’ai cessé mes investigations là dessus (on s’occupe comme on peu). J’ai compté 4×8 boulons sur la vitre, lu sur l’étiquette du matelas qu’il était en « polyuréthane spécialement ignifugé » avec comme nom de produit « Alcatraz 40 ». Comme je vous le dis, je me suis fait vraiment chier.

Vers 15h je rencontre mon avocat pour la première fois. Il s’appelle Maitre Vincent Fillola. Il me donne le sentiment de vraiment bien connaitre son métier et surtout il me donne un élément psychologique capital à ce moment de la garde à vue : le tweet est passé. Maintenant quelque part dans ma tête je sais qu’ils auront une pression de l’extérieur pour que je sorte. Il m’explique aussi que de ne pas parler c’est probablement se garantir un renouvellement de garde à vue. C’est la première fois que je comprends vraiment que tout ça va bien plus loin et semble être bien plus gros que ma dernière garde à vue arbitraire. Ce que je vais prendre comme décisions à partir de maintenant peut vraiment avoir un impact sur ce qu’il va se passer dans les mois à venir. Mais ce n’est pas simplement moi qui suis attaqué, c’est le journalisme, ses valeurs et son histoire. Alors il faut marquer le coup et ne pas se contenter de chercher à sortir. Il faut faire bloc, sans être désagréable mais avec la tête haute. Dès la première audition le ton va devenir très formel entre les enquêteurs et l’avocat.

Je n’ai rien à déclarer. Je ne souhaite pas répondre à la question. Je n’ai rien à déclarer. Je ne souhaite pas répondre à cette question. Ça va assez vite et puis c’est le retour en cellule. Je m’imagine déjà m’y faire chier pendant les douze prochaines heures, mais coup de théâtre : une plainte arrive tout droit de Rennes ! Je suis accusé d’avoir en date du 2 juin 2016 « par un moyen de communication audiovisuelle, en l’espèce le réseau social « Facebook » publiquement injurié 12 fonctionnaires de police à savoir XXX, personnes dépositaires de l’autorité publique, en assimilant ces derniers au bras armé du nazisme, en l’espèce en diffusant la photographie de ces agents surmontée du commentaire en langue allemande « Ein Volk, Ein Reich, Fin Führer » (traduction : un peuple, un pays, un guide), slogan du parti nazi. ».

 

Cette fois je réponds à l’audition en déclarant parce que c’est du grand n’importe quoi. J’ai du expliquer que ce slogan est avant tout électoral et qu’il a permis à Adolf Hitler d’être élu démocratiquement en 1933, ce qui ne porte pas le même sens comparatif et historique qu’une simple expression du type « bande de nazi ». Ensuite je dois repréciser que les policiers ne bénéficient pas d’un droit à l’image particulier sur l’espace public, et enfin je rappelle qu’il existe un truc qui s’appelle la liberté d’expression et que des magazines comme Charlie Hebdo pour ne citer que le plus illustratif, on fait bien pire que ça. On essaie de me faire dire que je suis l’auteur d’une photo dans la manifestation (sous entendu comme manifestant), alors que c’est une image retravaillée issue d’une capture d’écran de mon reportage vidéo … Bref cette plainte est tellement délirante. N’empêche que quelques heures plus tard je reçois une convocation pour un procès qui aura lieu le 16 janvier 2017 à 14h au Tribunal de Grande Instance de Rennes. Je vais devoir faire relire mes cours sur l’histoire du parti nazi et défendre la liberté d’expression face à un juge et douze policiers de Rennes …

Le reportage tourné ce 2 juin à Rennes. On aperçoit les policiers à partir de 1 minute 40 secondes.

 

 
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