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SERPENT -  LIBERTAIRE

anarchiste individualiste

Soutien à Jean-Marc Rouillan, condamné à huit mois de prison

Ce 7 septembre, le tribunal a déclaré Jean-Marc Rouillan coupable d’apologie du terrorisme et l’a condamné à huit mois de prison ferme, décision dont il a fait appel. Après près de trente ans déjà passés derrière les barreaux, soutenons-le à travers cette nouvelle attaque judiciaire absurde.

Cuando se miran de frente los vertiginosos ojos claros de la muerte,
se dicen las verdades : las bárbaras, terribles, amorosas crueldades. [...]
Porque vivimos a golpes, porque a penas si nos dejan decir que somos quien somos,
nuestros cantares no pueden ser sin pecado un adorno. [...]
Maldigo la poesía de quien no toma partido hasta mancharse.
Hago mías las faltas. Siento en mí a cuantos sufren y canto respirando.
Canto, y canto, y cantando más allá de mis
penas personales. [1]
Gabriel Celaya, La poesía es un arma cargada de futuro.

— -

C’est suite à une interview avec le journal "satirique" Le Ravi dans l’émission "La Grande Tchatche" que ses membres animent sur Radio Grenouille que tout s’est déclenché.

La phrase incriminée, celle qui est prise comme justification pour enterrer vivant une personne qui a déjà passé beaucoup plus d’un tiers de sa vie en prison, et que presque tous les médias ont repris en boucle tel un anathème, est qu’il a pensé que les responsables des attentats de novembre « se sont battus courageusement dans les rues de Paris ». Ce qui est en jeu ici, c’est la charge morale symbolique apportée au mot ’courage’.

Mais pourquoi Jean-Marc Rouillan ?

Jean-Marc fait partie des prisonnier-e-s qui ont passé le plus de temps en prison du fait des actions qu’il a menées et de la vie qu’il a suivi pour défendre ses idéaux politiques. Des groupes autonomes Toulousains au Mouvement Ibérique de Libération (MIL) en Espagne, puis les GARI (Groupes d’Action Révolutionnaire Internationalistes) et sa participation aux années de soulèvement en Italie, avant de participer à l’expérience d’Action Directe pendant près de dix ans, on ne peut que voir la trajectoire d’un révolutionnaire qui a tout donné, ou tout du moins qui a voulu tout donner pour en finir avec la barbarie du monde capitaliste et toutes les tragédies qu’il engendre.
Et c’est un choix, un parcours, qu’il a déjà très lourdement payé : arrêté le 21 février 1987 dans une ferme près de Vitry-aux-Loges aux côtés d’autres militant-e-s d’Action Directe (Nathalie Ménigon, Georges Cipriani, Joëlle Aubron), il ne sortira en liberté surveillée qu’en 2007, avec interdiction absolue de parler de ses expériences au sein du groupe armé, devenu un fantôme dont même le nom ne doit pas être évoqué. Ce qui n’est pas sans nous rappeler la situation actuelle.

Son régime de semi-liberté lui est ôté en 2008, après que des journalistes de l’Express le poussent, dans une interview où ils cherchent à lui faire parler d’AD, à déclarer "Je n’ai pas le droit de m’exprimer là-dessus… Mais le fait que je ne m’exprime pas est une réponse. Car il est évident que, si je crachais sur tout ce qu’on avait fait, je pourrais m’exprimer. Par cette obligation de silence, on empêche aussi notre expérience de tirer son vrai bilan critique".
Cette simple phrase, très lucide au demeurant, suffira à le renvoyer derrière les barreaux entre octobre 2008 et février 2011, date à laquelle "le pays des droits de l’Homme et de la liberté d’expression" lui consent une nouvelle mesure de semi-liberté, situation dans laquelle il se trouvait toujours jusqu’à cette nouvelle affaire qui nous occupe.

De quel courage est-on en train de parler ?

Définition de "courage" (Larousse) : n.m., Fermeté, force de caractère qui permet d’affronter le danger, la souffrance, les revers, les circonstances difficiles.

Ce qui est finalement poursuivi par le tribunal pour ’apologie du terrorisme’, c’est le caractère prétendument ’vertueux’ qui est associé au mot, et qui est utilisé pour sous-entendre que Jean-Marc Rouillan "approuverait" ou "admirerait" les combattants de Daech, quand bien même celui-ci déclare très fermement, et à plusieurs reprises, que ce sont des ennemis, le genre d’ennemi contre qui il a lutté au cours de toute sa longue vie d’antifasciste, parfois les armes à la main. Le caractère "apologétiste" de l’affirmation est bien trop absurde pour être sérieux.

Le problème est donc qu’un mot considéré comme "positif" a été associé à Daech, même s’il est noyé au milieu d’autant de condamnations à la fois humaines et politiques que possible. La procureure dit-elle même qu’il s’agit bien de ça : « Le courage est une vertu, une qualité, c’est bien une apologie : 12 mois de prison ferme ! ». La Justice de la liberté d’expression à sens unique.

Car ce mot ne correspond pas à l’image qui doit, selon la glorieuse République, être donnée au groupe djihadiste : barbare, inhumain, écervelé, dépourvu de stratégie politique, lâche, méchant, monstrueux, abominable, etc...
Et effectivement, ils correspondent à une bonne partie de ces termes, mais résumer leur existence à ceux-ci est tout simplement absurde. La violence de Daech est une violence politique, et ses combattant-e-s sont des humain-e-s, qu’on le veuille ou non. Ce ne sont pas des impulsions animales.
Leur coeur bat et leur sang pulse avant qu’il ne soit versé et qu’il ne verse celui de beaucoup trop de gens au travers de leur stratégie politique ignoble.
En cela, ils sont traversés par tous les sentiments que n’importe quel être humain peut éprouver, dont la peur, la haine, la colère, mais tous les autres aussi. Y compris ceux plus ’valorisés’ : l’amitié, sûrement l’amour aussi, le surpassement de la peur, etc.
Et effectivement, partir dans Paris (commettre des actes évidemment atroces, mais pas dépourvus de sens politique, pour autant qu’on les condamne tout à fait) en ayant la quasi-certitude d’en mourir relève de quelque chose de spécifique. De courage (voir définition ci-dessus) peut-être, de fanatisme sûrement, de l’un découlant de l’autre très probablement.

Mais le mot ’courage’ en soi n’a aucun lien direct avec les attentats ou avec le terrorisme. Ici, il se réfère seulement à des fantômes, comme il se référait autrefois au fameux "spectre d’Action Directe" que Michèle Alliot-Marie agitait comme un étendard pour jeter le discrédit sur les militant-e-s révolutionnaires des années 2000.
Dans les deux cas, blackout, ne dérangeons pas les fantômes. D’autant moins quand la même personne peut servir de bouc émissaire aux deux histoires.

Et finalement, quand la Présidente, lors du procès de juin, dit que "Les jeunes (des quartiers nord) qui écoutent cette radio ont entendu le mot courageux.", on peut sérieusement considérer deux choses :
Radio Grenouille est-elle réellement la radio favorite "des quartiers nords" (faisant un douteux parallèle entre quartiers nords et terrorisme, par ailleurs) ?
ces fameux jeunes n’auraient-ils pas entendu ce mot de "courageux" bien plus souvent du fait du raz-de-marée médiatique qui l’a reproduit partout et sur tous les supports que s’il s’était cantonné à une petite radio/journal locale sans prétention ?

Ravi de rejeter toute la faute sur une seule personne.

Le journal, quant à lui, s’empresse de se dissocier de Jean-Marc, en affirmant par exemple dans une mise au point : "A l’antenne, et dans nos colonnes, nous avons clairement indiqué que, à nos yeux, « il ne faut pas beaucoup de courage pour aller abattre des gens à une terrasse de café » ! Ceux qui connaissent la ligne éditoriale du Ravi, ceux qui ont lu nos réactions, nos articles, nos dessins, après les attentats contre Charlie Hebdo, contre l’Hyper Cacher puis contre les victimes du Bataclan et celles des terrasses parisiennes, connaissent le peu d’empathie que nous avons pour les méthodes et les visées des intégristes islamistes."
Sous-entendraient-ils par ces lignes que Jean-Marc Rouillan éprouve de "l’empathie" les inégristes islamistes ? Oui, ils le font, malgré tout ce que le militant révolutionnaire peut déclarer et penser contre eux, malgré toutes ses condmnations, ses considérations des djihadistes en tant qu’ennemis.

Ce que les journalistes du Ravi font à ce moment-là, c’est tout simplement tenter de rejeter toute la faute sur une seule personne, et qui plus est une personne qui risque gros, pour ne pas risquer d’avoir eux-mêmes de problèmes. Alors que c’est justement eux qui emmènent l’entretien de départ dans cette direction et qui insistent lourdement pour faire parler des attentats. Il suffit d’écouter l’émission pour s’en rendre compte. Et l’idée n’est pas ici de dire qu’ils devraient être jugés, nous ne pensons en aucun cas que cette "Justice" serve à quoi que ce soit dans cette histoire, seulement qu’elle défend des intérêts, comme toujours. Seulement qu’ils aient un minimum de conséquence. ’Faire le buzz’ ne justifie pas de telles choses.
Ce qui est d’autant plus dangereux maintenant, puisque cette condamnation risque de faire sauter la liberté conditionnelle de Jean-Marc et donc de le renvoyer en prison pour une durée indéfinie, et en tout cas très largement supérieure à huit mois.

Plutôt que d’articuler le débat autour d’un mot qui n’est que l’expression d’une sensation, d’une attitude, remettons au centre le sens politique réel de cette situation : Daech est un ennemi, et on enferme un révolutionnaire.

Pour le coup, nous trouvons l’équipe du Ravi assez lâche.

Nous apportons tout notre soutien à Jean-Marc Rouillan et tout notre mépris à Daech et à ses actions.

Un petit mot de l’avocat des parties civiles Casubolo, qui a l’outrecuidance de mettre sur le dos de Jean-Marc Rouillan les victimes du stalinisme : « M. Rouillan est communiste ! Ah ! le communisme ! 50 millions de morts !… ». Rappelons simplement que celui-ci ne s’est jamais réclamé de l’URSS de Staline et que le libéralisme (dont se réclame sûrement Casubolo) et la République ont très certainement fait encore plus de morts que ça, même si la guerre des chiffres de l’horreur n’a que peu de sens.

Notes

[1] Lorsque l’on regarde en face les vertigineux yeux clairs de la mort, se disent les vérités, barbares, terribles, amoureuses cruautés. [...]
Parce que nous vivons par à-coups, parce que c’est à peine s’ils nous laissent dire que nous sommes qui nous sommes,
nos chants ne peuvent être un ornement dépourvu de péchés. [...]
Je maudis la poésie de ceux qui ne prennent pas parti jusqu’à s’en tâcher.
Je fais miennes les erreurs. Je sens en moi ceux qui souffrent et je chante en respirant.

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