18 Avril 2016
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L’AG de la Nuit Debout, depuis les événements du 9 avril et la semaine sauvage qui a suivi, a mis au centre des débats la question de la violence. Si des citoyens persistent dans leur pacifisme rigoriste, les prises de paroles en faveur de la « diversité des pratiques » se multiplient. La Coordination Nationale Etudiante elle-même a explicitement refusé la dissociation entre casseurs et manifestants.
Le Comité d’Action de la Nuit à Bout a recueilli, parmi ce foisonnement de discussions, les positions qui semblent judicieuses dans un contexte de renforcement du mouvement comme de la répression. Plus nous assumerons sérieusement notre présence sur la place de la République, plus fréquemment se présenteront les situations à même de déclencher des affrontements. Nous devons nous y préparer. Il ne s’agit précisément pas de convaincre tout le monde que la violence est une option valable ou une voie nécessaire. Il s’agit simplement de trouver les formes d’actions, peut-être effrayantes, qui nous délivreront de la peur.
Ce qu’il faut expliquer, ce n’est pas qu’il y ait des débordements autour de la Nuit Debout à Paris, c’est qu’il y en ait si peu. Au fond, tout le monde comprend très bien pourquoi des gens qui se réunissent tous les soirs depuis deux semaines pour réfléchir à la fin du capitalisme en viennent à exploser les vitrines de la Société Générale (#PanamaPapers). C’est évidemment juste, ça tombe sous le sens. Là n’est pas le problème. C’est pourquoi l’apologie morale de la violence, la justification théorique ou idéologique de la "casse" n’amèneront jamais plus de gens à se battre contre la police ou à défoncer les vitrines des banques.
Il ne faut jamais oublier que si beaucoup de gens se tiennent à carreau en manifestation, ce n’est pas parce qu’ils sont viscéralement pacifistes, mais simplement parce qu’ils ont peur. Dépasser cette peur est une tâche collective, qui ne s’accomplira jamais mieux que dans la rue. En faisant attention à tout le monde, et pas seulement à ses amis ; en veillant les uns sur les autres, même dans les pires situations.
"Diversité des pratiques" est une expression qui, comme sa cousine "convergence des luttes", ne nous dit rien de ce qu’il faut faire quand se retrouvent ensemble des gens qui n’ont pas les mêmes manières de lutter, voire n’ont même pas de manière de lutter du tout. Il se cache derrière cette expression une idée au fond assez libérale : chacun lutte côte à côte, à sa manière, sans se gêner, sans se parler.
Ce n’est jamais qu’une manière plus subtile de se dissocier. A quand la « diversité des cortèges » ? La FIDL le revendique déjà à chaque manif lycéenne.
La question n’est pas d’être ou de ne pas être violent. La question est d’être offensif, ou inoffensif. Trois groupes de 5 amis déterminés à casser des distributeurs, mais incapables de s’organiser au-delà du cercle affinitaire, sont aussi inoffensifs que les 10 000 citoyens syndiqués qui défilent pesamment derrière le camion-frites-sono de la CGT. A l’inverse, 3000 personnes restant dans les gaz et une poignée de lanceurs de pierre derrière une banderole ont effleuré un apéro chez Valls.
Tous les moments forts vécus dans la rue depuis le 9 mars ont impliqué, à un moment, que les gens prêts à se battre et ceux qui ne le sont pas fassent attention les uns aux autres, et décident de se tenir ensemble, pas simplement côte à côte dans une ignorance courtoise et diplomatique. Le 9 avril, à Nation, il n’y avait pas assez de lacrymos dans toute la capitale pour séparer les centaines de personnes qui bombardaient les lignes de CRS des centaines de personnes qui huaient ou filmaient les policiers, acclamaient ou soignaient les émeutiers.
Petit à petit, la « question de la violence » apparaît pour ce qu’elle est : une diversion. Tant que nous continuons à parler de ça, et surtout à en parler en termes moraux ou idéologiques, nous n’affronterons pas les vrais problèmes stratégiques posés par les manifestations. Faire l’apologie de la violence, encore une fois, n’amènera à rien. Il y a déjà bien assez de gens prêts à se défendre de la police. Ce qui manque, c’est justement un cortège à protéger.
Une manifestation n’est pas un rituel symbolique. C’est une épreuve de force, où la population ayant des raisons de se révolter rencontre, physiquement, les gens que l’on paye pour maintenir le monde dans l’état déplorable où nous le trouvons. Chaque manifestation est l’actualisation du rapport de force entre ceux prêts à prendre des risques pour changer la situation, et ceux que l’on paye pour la conserver. Le problème des manifestations officielles et syndicales, c’est qu’elles nient jusqu’à l’existence même d’un tel rapport de force. Elles donnent une image de ce qu’est la vie, de ce qu’est la lutte, qui nous dégoute. Ballons sponsorisés, slogans-saucisses et services d’ordre ; si « lutter » signifie défiler comme la CGT, alors lutter signifie : être passif, répéter les mêmes gestes encore et toujours, et ne jamais prendre de risques. Cela, en plus d’être mensonger, est intolérable. On ne commence à lutter vraiment que lorsqu’on cesse d’être inoffensif : cela semble peut-être tautologique, mais l’intégralité des forces syndicales passe son temps à affirmer le contraire. Leurs gestes, dans la rue, n’expriment que la soumission.
La police maintient l’ordre. Parce qu’elle est une protestation contre l’ordre des choses, une manifestation est par essence un affrontement contre la police, sous quelque forme que ce soit. Il y a donc, le soir venu, un gagnant et un perdant. Soit la police gagne (5 avril). Soit les manifestants gagnent (31 mars). La police gagne quand tout se passe comme prévu en préfecture. Les manifestants gagnent quand tout ne se passe pas comme prévu en préfecture. Alors, on gagne en liberté ce que l’on parvient à arracher ensemble aux nez des policiers. Gagner importe. Autant pour la construction du rapport de force que de nos liens, de notre courage. Trop de gens viennent manifester en touristes, inconscients de l’enjeu qu’il y a à réussir le débordement. Ces gens-là peuvent être de sympathiques clowns dansants devant les CRS, ou des casseurs indifférents au comportement du cortège. Peu importe : ils sont inoffensifs.
Les policiers, pour s’assurer que tout se passe comme prévu, mettent en place des dispositifs : nasse mobile, rue barrée, hordes de la bac, etc. L’enjeu du combat, en manifestation, est donc le dispositif policier : il faut l’empêcher de fonctionner, il faut le briser. Non seulement il y a mille dispositifs différents, mais il y a mille manières différentes de déborder un même dispositif.
De même, il n’y a pas grand chose à dire d’une manifestation où le dispositif policier n’a pas été remis en question. C’est pourquoi, dans le traitement médiatique d’une manifestation, on ne parle jamais que des débordements. Eux seuls signifient quelque chose. Dire que « des affrontements ont eu lieu en marge du cortège » a autant de sens que de dire « des buts ont été marqués en marge du terrain de foot ».
La casse est la manière la plus simple, la plus évidente, de déborder un dispositif policier. C’est aussi une des moins intéressantes, des plus ennuyeuses. Ce que la plupart des discours sur les casseurs négligent, c’est que ces derniers aimeraient mieux, le plus souvent, faire autre chose : percer des lignes de policiers pour libérer le cortège, occuper un bâtiment, partir en manifestation sauvage, tenir des barricades, laisser des tags inspirés, etc. La casse est souvent un pis-aller. C’est le degré zéro de la manifestation. Le défilé syndical classique, familial et bon enfant, lui, n’est même pas une manifestation : c’est une opération de police.
Il est bon de noter qu’il y a rarement eu aussi peu de casse dans un mouvement social que pendant le mois qui vient de s’écouler. On ne casse rien quand on affronte la police. On a mieux à faire.
Si l’Assemblée Générale de la Nuit Debout peut-être tour à tour divertissante, touchante ou ridicule, elle ne nous sera d’aucun secours pour nous organiser dans une perspective révolutionnaire. Cette affirmation est un constat pratique : on ne débat pas de ce genre de choses comme on prend un ticket à la boucherie. La succession infinie de prises de parole chronométrées et déconnectées abolit les conditions même d’une conversation construite. Personne ne dit rien d’intelligent en deux minutes. Tout le monde le voit, mais tout le monde s’en arrange. Quelque soit la bonne volonté "démocratique" de certains organisateurs ou "facilitateurs", les procédures de décision et de vote relèvent quasiment toujours de la farce. Ce qu’elles parodient de la "démocratie formelle", c’est l’impuissance liée au fait que les décisions, finalement, n’engagent rien ni personne. Or, tenir dans les affrontements demande que l’on se tienne à certaines décisions - ce que l’AG rend de fait impossible. On peut y assister comme on regarderait The Voice. Élaborer une perspective révolutionnaire nécessite que d’autres modalités de parole, d’échange et d’intelligence collective soient déployées parallèlement sur la place.
Nos cortèges commenceront à ressembler à quelque chose quand tout le monde y partagera non une tolérance de principe envers les actions des autres, mais une perception stratégique commune de la situation. C’est à dire, quand nous percevrons toutes les manifestations comme des batailles qu’il faut gagner, par tous les moyens, quand nous serons tous enclins, non à la violence, mais à l’offensivité, à la vitesse, à la surprise. C’est par l’attention aux mouvements et aux affects qui agitent nos manifestations que l’on parviendra à trouver un terrain commun propice à une réelle convergence des luttes – en un point, place de la République.
Il y a mille gestes non violents qui viennent alors à l’esprit et qui décupleraient notre efficacité dans la rue :
— Marcher en masse sur les trottoirs afin d’empêcher les déplacements latéraux des CRS et la prise en tenaille de la manifestation.
— Se préoccuper de l’itinéraire des manifs sauvages. Les têtes de cortège, dans le feu de l’action et l’improvisation, ne font pas toujours les meilleurs choix de parcours. Aidez les.
— Prendre l’habitude de dissimuler son visage au moment opportun : autant pour saboter le travail d’identification et de surveillance opéré systématiquement et massivement par la police que pour rendre indissociables les manifestants prenant part aux affrontements des autres.
— Les affrontements n’ont pas vocation à se dérouler dans le silence ou le mutisme. Les slogans et les chants expriment l’esprit du mouvement. Ils ont donc leur place dans tous les moments de confrontation. Quand d’autres se battent, chantez et dansez.
— Être mobile et ne pas laisser de trous se former dans le cortège lorsque les SOou la police tente de le scinder.
— Apprendre à se protéger des gaz lacrymogènes pour ne pas laisser les seules personnes équipées dans les nuages.
— Renvoyer systématiquement les grenades lacrymogènes, ou au moins les éloigner du cortège.
— Rester calme en cas de charges, éviter les ruades. Se tenir et ne pas reculer cent fois plus loin que là où la ligne policière s’arrête afin de ne pas leur laisser gratuitement du terrain.
Leur morale n’est pas la nôtre.
Comité d’Action Nuit A Bout
tit à petit, la « question de la violence » apparaît pour ce qu’elle est : une divers