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SERPENT -  LIBERTAIRE

anarchiste individualiste

Le patrons des sapeurs pompiers de Paris raconte la nuit des attentats du 13 novembre

C'est un document très long et extrêmement intéressant que vient de mettre en ligne l'Assemblée nationale sur son site. Le général Philippe Boutinaud, chef de la brigade de sapeurs-pompiers de Paris (BSPP), a été auditionné le 16 décembre par la commission de la défense nationale et des forces armées pour qu'il raconte l'opération menée par ses services, parmi les premiers à arriver sur les lieux des attentats du 13 novembre.

"L’opération est assurément la plus grosse opération de secours par le nombre de victimes depuis les années 1980 et peut être la plus importante jamais effectuée par les pompiers de Paris si l’on exclut les bombardements de la seconde guerre mondiale."

Pour le général Boutinaud, "il n’y a pas eu de dysfonctionnement important au regard de l’ampleur des missions à remplir". Le succès de l'opération a tenu à"notre anticipation, notre organisation, notre préparation opérationnelle et nos décisions". Et ce qui n'a pas complètement fonctionné devra être rectifié avant la prochaine "opération".

"Nous avons été efficaces le 13 novembre dernier, et il aurait été difficile de faire mieux. Il ne s’agit pas d’une autocélébration et nous devons nous pencher non pas sur la guerre que nous venons de vivre, mais sur la prochaine. Il faut se préparer à toutes les hypothèses, même les pires, afin de garantir la capacité à mener des opérations de secours dans des contextes très complexes. Il faut continuer à réfléchir, à s’entraîner et à s’adapter, car ce n’est pas à un risque que nous devons faire face, mais à une menace, ce qui change tout."

La réaction immédiate : "Comprendre ce qui se passe"

La mobilisation des sapeurs pompiers "a débuté à 21 h 19, heure de la première explosion au Stade de France, et s’est achevé à 5 h 30 le 14 novembre, moment où nous avons clos les opérations de secours au Bataclan". Pendant ces huit heures, 430 pompiers et 125 engins étaient sur le terrain, et 250 personnes"travaillaient derrière eux dans la chaîne de commandement et de soutien".

La première chose à faire a été "de comprendre ce qui se passe en de pareilles circonstances".

"Entre 21 h 30 et 22 heures, nous avons reçu 700 appels, dont certains faisaient état de fusillades, d’autres d’explosions, d’autres de scènes de panique ou de prises d’otages. On nous indiquait de très nombreuses adresses différentes, car, outre les angles de rue, de nombreuses personnes, blessées et échappées du Bataclan par exemple, se réfugiaient sous des portes cochères dans les rues voisines ou montaient dans la première voiture qui passait."

Une des premières décisions importantes prises, et parfois critiquée à posteriori, est de ne pas avoir évacué les "72 000 personnes au Stade de France, dont les plus hautes autorités de l’Etat", explique Philippe Boutinaud, qui était dans le stade.

"Pendant que les spectateurs regardaient le match, dès lors qu’aucune explosion n’avait eu lieu à l’intérieur, les gens risquaient moins dans le stade que dehors où des kamikazes auraient pu se mêler à la foule pour alourdir le bilan. Par ailleurs, ça laissait aux secours et aux policiers un répit pour travailler plus sereinement après les deux premières explosions commises par des kamikazes."

La difficulté a ensuite été de "localiser précisément les lieux des attentats" pour y envoyer des secours.

"Nous avons baptisé le terrain en donnant un nom, « Bataclan », « Charonne », « Voltaire », « République » pour identifier chaque site d’intervention. J’ai appelé la zone de défense pour que la consigne d’utiliser uniquement ces termes soit donnée. Malgré cette recommandation, certains services ont continué d’employer des adresses pour désigner les sites ce qui a parfois entretenu une certaine confusion. Cet élément, qui peut paraître insignifiant, se révèle déterminant. C’est un réflexe chez les militaires que de baptiser le terrain pour éviter les confusions."

Une fois sur place, il a fallu faire face à un "afflux de 35 à 40 personnes blessées par balle en quelques minutes", ce qui "a posé quelques difficultés". Des photos montrant des personnes transportées "sur des barrières" ont suscitées des interrogations, notamment sur l'équipement des pompiers.

"Des blessés furent transportés sur des barrières de foule, car nous n’avions plus de brancards disponibles devant l’afflux de blessés. Cela peut choquer mais ça ne présente pas de danger particulier, même pour une urgence absolue, l’important étant que la personne reste à l’horizontal. On a depuis perçu davantage de brancards souples pour les répartir dans tous les véhicules de secours à victimes".

Un exercice d'attentat simulé... le matin du 13 novembre

"Nous étudiions notamment depuis cet été le cas d’une course mortifère dans Paris", révèle Philippe Boutinaud. Sinistre coïncidence, un exercice d'entraînement"envisageant un scénario multi-sites avait eu lieu le vendredi 13 novembre 2015 au matin avec les services d'aide médicale d'urgence de la région parisienne", quelques heures avant les vrais attentats.

Les enseignements tirés des précédents attentats

Philippe Boutinaud évoque trois attentats qui ont poussé ses services à revoir leur organisation : ceux de Madrid en 2004, de Londres en 2005 et de Bombay en 2011.

"Après Madrid et Londres […] nous avons élaboré un 'plan rouge alpha' en 2005 nous permettant d’agir sur plusieurs sites simultanément. Le contrat opérationnel de la BSPP a été adapté en conséquence mais la situation du 13 novembre dernier excédait les exigences de ce contrat."

La crainte de voir un scénario identique à celui de Bombay a traversé l'esprit de M. Boutinaud. Une dizaine de terroristes avaient attaqué plusieurs hôtels avant de se retrancher dans la gare centrale. L'opération policière avait duré trois jours, 188 personnes avaient été tuées.

"Au troisième attentat, j’ai donné l’ordre de réduire l’envoi des moyens demandés pour plan rouge alpha, afin de ne pas nous trouver démunis. Je craignais en effet que le scénario de Bombay se répète, et que les terroristes aillent dans une gare après avoir visé des gens attablés à des terrasses de café. Nous devions donc garder des moyens pour réagir si la liste des sites frappés continuait de s’allonger."

"On n’a pas déployé plus de 430 pompiers, parce que nous souhaitions économiser nos forces en cas d’autre frappe plus importante et que les associations de sécurité civile ont immédiatement fourni des moyens d’évacuation suffisants. Nous n’avons pas manqué de moyens."

La rumeur...

"Elle a toujours existé, mais auparavant elle provenait du bas alors que maintenant ce sont les chaînes d’information émettant en continu qui la créent. Un bruit faisait état d’une personne tirant dans la gare du Nord avec un grand nombre de victimes. Nous sommes parvenus à le dissiper en demandant aux appelants s’ils avaient vu eux-mêmes des blessés ou le tireur.

Beaucoup avaient entendu dire mais aucun n’avait vu. Il s’agit d’un problème récurrent car, en janvier dernier, je commandais le centre opérationnel et l’on m’avait demandé à cinq reprises des secours pour une prise d’otages à Paris l’après-midi de l’Hyper Cacher. Nous veillons donc à ne pas consommer des moyens pour rien en recoupant l’information à partir de ce que voient ou non les requérants."

...et les médias

Interrogé par Claude de Ganay (LR-Loiret), qui estime que "les médias perturbent votre action et celle de l’ensemble des forces de secours dans une intervention comme celle du 13 novembre", Philippe Boutinaud répond qu'"on ne pourra pas demander aux médias de cesser de diffuser dans les heures suivant un attentat, et c’est à nous de nous adapter à cette situation et à leur dire de ne pas nous solliciter pendant notre intervention".

L'exemple de la Belgique, où les médias avaient accepté le 22 novembre de ne pas parler, à la demande de la police, d'une vaste opération antiterroriste en cours à Bruxelles, a été encensé par le député. "Dans la soirée du 13 novembre, des journalistes m’ont appelé, mais je leur ai répondu que je n’avais pas le temps de m’entretenir avec eux. Il y a lieu de réfléchir collectivement à une évolution de nos rapports avec les médias", répond M. Boutinaud.

Comment gérer l'après-attentats

"Dès leur retour d’interventions, j’ai demandé à tous les garçons et les filles qui avaient participé au secours la nuit du 13 au 14 novembre d’écrire librement ce qu’ils avaient fait. Cet exercice présente deux vertus : savoir ce qui a été accompli sans réécriture postérieure de l’histoire et favoriser le désamorçage psychologique. En effet, les pompiers au Bataclan ont découvert 78 morts dans la salle de spectacle et ont entendu sonner les téléphones portables des personnes décédées que leurs proches tentaient de joindre. Ce sont des moments difficiles.

[…]

Tous les personnels intervenus le 13 novembre, y compris moi, sont passés devant un psychologue. La première réaction des garçons et des filles est de rechigner à subir cette consultation au motif qu’ils n’en sentent pas le besoin, mais ils sont jeunes et j’ai vu dans ma carrière des militaires s’effondrer à la cinquantaine. Avec ce passage devant un psychiatre, il sera au moins écrit dans le dossier de ces pompiers ce qu’ils ont vécu cette nuit-là, ce qui leur permettra de faire valoir leurs droits."

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