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SERPENT -  LIBERTAIRE

anarchiste individualiste

«Vos guerres, nos morts», «choc des civilisations»: ces explications qui ne doutent de rien

De la gauche radicale aux sites d'infos «alternatives», l'analyse des attentats de novembre est univoque: la France et à tout le moins ses dirigeants, sont «responsables» des massacres du 13 novembre.

Pour plusieurs courants de la gauche radicale, qu'il s'agisse d'associations ou de partis politiques, l'union nationale ne saurait masquer les «responsabilités» de la France dans le massacre perpétré vendredi 13 novembre au soir. L'argument principal est le suivant: la France provoque, Daech réplique. Nous les avons agressé, ils se vengent. Il existe des versions plus ou moins subtiles et érudites de cette même thèse, qui est qu'on ne récolte que ce qu'on a semé.

C'est, par exemple, ce qu'évoquent les dessins du caricaturiste brésilien et pro-palestinien Carlos Latuff:

Cette grille de lecture s'appuie donc sur la logique d'un «retour du boomerang» de la politique étrangère française, comme l'a formulée par exemple le chercheur Jean-François Bayart dans une tribune publiée par Libération. L'auteur dresse la longue énumération de ces erreurs politiques, qui aboutissent selon lui à la situation que nous vivons:

«Un examen de conscience s’impose à tous, car ces erreurs, qui nous reviennent en plein visage comme un boomerang, ont été commises à l’initiative de toutes les majorités qui se sont succédé au pouvoir depuis les années 1970. Si Sarkozy a sans conteste été le plus mauvais président de la République qu’ait connu la France, Giscard d’Estaing, Chirac, Mitterrand et Hollande se partagent la paternité de la politique suivie. Or, nous avons les dirigeants que nous élisons, et les médias que nous achetons. En bref, nous sommes responsables de ce qui nous arrive.»

La doctrine du «choc des civilisations» comme grille de lecture unique

Variation parmi d'autres sur le même thème dans l'hebdomadaire de gauche tendance anti-impérialiste et altermondialiste Politis, avec la chronique du Yéti intitulée «Terrorisme : notre irresponsable part de responsabilité». Selon lui, nous avons fait la guerre«contre les autorités légitimes des pays du Moyen-Orient, sous le prétexte d’une croisade pro-démocratique (mais bien plus sûrement pour mettre la main sur leurs immenses ressources énergétiques). On peut penser ce qu’on veut de Saddam Hussein (Irak), de Mouammar Kadhafi (Libye) ou de Bachar el-Assad (Syrie), ceux-là étaient non seulement des dirigeants légitimes, mais ils garantissaient alors leur région de l’épidémie islamiste».

A ces guerres extérieures contre ces «autorités légitimes» (on s'arrêtera au passage sur cette étrange formulation pour qualifier des régimes qui ontmassivement tué des fractions de leurs populations respectives) s’ajoute la responsabilité de la société française sur son propre sol, responsable d’avoir stigmatisé sa population musulmane. Dès lors:

«Faut-il s’étonner ensuite que le chaos que nous avons semé au Moyen-Orient nous frappe de plein fouet? Sous forme d’actions solitaires isolées pour commencer, sous forme maintenant d’attaques simultanées organisées en meute, avec la volonté de tuer un maximum de gens?»

(A noter que l'édito de Denis Sieffert dans le même magazine ne défend pas tout à fait la même ligne sur l'engagement français en Syrie. Et l'auteur de la chronique précitée a annoncé mercredi la fin de son blog justement après une discussion avec Sieffert,«pour divergences d’opinion entre la ligne éditoriale de Politis et celle exprimée sur mon blog, notamment sur certains sujets comme la situation au Moyen-Orient»).

Sans surprise, le Parti des Indigènes de la Républiquenous a gratifié d’un petit texte de désolidarisation dans son inimitable style passif-agressif:

«Nous sommes bouleversés par ces actes terroristes que rien ne peut justifier mais nous ne sommes pas surpris. Malheureusement, compte-tenu des précédents, les tueries de janvier, celles de Bruxelles et de Toulouse, tous les indicateurs étaient au rouge. La France connait le retour de flamme d’une politique étrangère belliciste en Libye, au Mali, en Syrie, en Irak… motivée par la stratégie du “choc de civilisations” et son corrélat interne que sont le racisme et l’islamophobie d’État.»

Autre texte, très relayé, qui accrédite la thèse du 13-Novembre comme acte de réaction à une agression militaire, celui de Julien Salingue, chercheur sur la question palestinienne, faisant partie des animateurs actifs de la blogosphère anti-impérialiste. «Vos guerres, nos morts», titre-t-il donnant par la même non seulement une interprétation des événements, mais un slogan auquel vont rapidement se rallier les soutiens de cette thèse sur les réseaux sociaux.

«Ce sont les nôtres qui sont morts la nuit dernière», écrit l'auteur sur son blog Le pire n’est jamais certain.Avant d’expliquer pourquoi ces attentats ont été dirigés contre le peuple français. Citant un précédent article écrit dans la foulée des attentats de janvier 2015, l’auteur estime que «la France a, en réalité, emboîté le pas aux États-Unis de George W. Bush dès septembre 2001 (guerre en Afghanistan, législation “antiterroriste”) et fait sienne, sans toutefois le dire, la rhétorique et la politique du “choc de civilisation”».C’est cette politique, et les engagements de la France au Mali et au Moyen-Orient, qui expliqueraient que les terroristes choisissent Paris comme cible, pour «lancer un message: “Votre pays est en guerre contre nous, et tant que cette guerre durera, aucun d’entre vous ne sera en sécurité”.»

C’est aussi ce mantra que reprend sur son blog Akram Belkaïd, journaliste et reporter, notamment pour Le Monde Diplomatique et Orient XXI:

«“Votre guerre, nos morts” est un slogan qui a beaucoup circulé sur les réseaux sociaux dès vendredi soir. Un slogan que les principaux médias se sont bien gardés de citer ou de chercher à analyser. Pourtant, il résume bien la situation. Voilà la France et les Français embarqués dans une guerre voulue par une poignée d’hommes politiques irresponsables en mal de popularité. Cette guerre, il faudra bien la mener jusqu’au bout mais une chose est certaine, ceux qui l’ont déclenchée n’ont pas l’étoffe pour la terminer.»

«La barbarie impérialiste et la barbarie islamiste se nourrissent mutuellement»

Faut-il rappeler que d’autres grilles de lecture, d'ailleurs pas nécessairement contradictoires sur tous les points soulevés, ont été avancées? Ainsi «accepter que les attentats de Paris et de Saint-Denis soient une “riposte” à l’intervention française en Syrie revient à tomber dans le piège de la rhétorique djihadiste»,explique dans Le Monde un autre spécialiste du Moyen-Orient, Jean-Pierre Filiu. «De toute façon ils vont nous frapper, ajoute-t-il sur France Inter, ils ne se définissent pas pour ce que nous faisons, mais pour ce que nous sommes.» On peut l'entendre aussi sur France Culture le 16 novembre reprendre la chronologie des attaques de Daech en Europe et mettant en garde contre la tentation de ne voir dans ces attaques que de l'autodéfense. Le lien causal entre les frappes en Syrie et les attaques de l'organisation sur le sol européen et français est d'ailleurs loin d'être évident. «Les attaques à Paris et Saint-Denis étaient [...] très vraisemblablement préparées depuis une date bien antérieure à l’intervention française en Syrie», souligne encore un article du Monde.

Autre point aveugle de cette thèse: la critique ad nauseam des thèses de Samuel Huntington, l’auteur du célèbre et controversé Choc des civilisations, s’appliquerait surtout à Daech qui en a fait une doctrine politique, au point de théoriser les affrontements internes que des vagues d’attentats pourraient provoquer dans les pays occidentaux, en faisant sauter ce qu'ils nomment la «zone grise». Faut-il rappeler, enfin, qu’au nombre des griefs de l’Etat islamique contre la France, on compte l’interdiction du voile intégral dans l’espace public? Ne faudrait-il pas dès lors revenir sur les lois votées au Parlement pour calmer ces ennemis?

On ne lira, bien sûr, à peu près rien dans ces contributions sur la montée d'un fondamentalisme religieux mortifère –sinon pour rappeler qu'il est la création de l'Occident. Dans un communiqué publié samedi 14 novembre, le NPA se fait encore plus limpide sur cette question de la responsabilité, et sur la logique action/réaction développée par ces divers analystes engagés. «Leurs guerres, nos morts: la barbarie impérialiste engendre celle du terrorisme», nous explique doctement le parti anti-capitaliste:

«Cette barbarie abjecte en plein Paris répond à la violence tout aussi aveugle et encore plus meurtrière des bombardements perpétrés par l'aviation française en Syrie suite aux décisions de François Hollande et de son gouvernement.»

«Ces bombardements sont censés combattre l’État islamique, les terroristes djihadistes, en fait, avec l'intervention et les bombardements russes, ils protègent le régime du principal responsable du martyr du peuple syrien, le dictateur Assad.»Jusqu’ici, la ligne française était pourtant plus floue que celle-ci, mais la subtilité échappe au parti qui devrait, s'il la prenait en compte, abandonner son interprétation selon laquelle «la barbarie impérialiste et la barbarie islamiste se nourrissent mutuellement. Et cela pour le contrôle des sources d'approvisionnement en pétrole.» «Ni État islamique, ni État policier !», clame encore la CNT avec un curieux sens du parallélisme.

La mode est aussi au parallèle entre Bush et Hollande,comme dans une vidéo publiée par Tariq Ramadan le 18 novembre. Pourtant, dire qu'Hollande est le Bush de l'après 13 novembre 2015, c'est passer pour l'instant un peu vite sur les différences de contexte et d'intensité entre les engagements des Etats-Unis après le 11 septembre 2001 et la situation française fin 2015.

Quelques jours à peine après la plus terrible attaque subie par la France depuis la Seconde Guerre mondiale, la grille interprétative des événements par ces experts en politique étrangère comme en sociologie de la France ne saurait donc souffrir la moindre faille, et tout s'emboîte parfaitement: l’interventionnisme sur des théâtres étrangers se couple avec l’oppression interne de la République vis-à-vis de ses minorités pour expliquer pourquoi le pays est si durement frappé. Quant l'idée d’union nationale, elle n’est, pour les tenants les plus jusqu’au-boutistes de la rhétorique de la culpabilité inversée, que le faux-nez d’une nouvelle stigmatisation d’un «bouc-émissaire» (NPA) musulman.

On trouvera aussi de très nombreuses contributions à ce débat sur les sites plateformes qui agrègent les contributions de la galaxie des sites de médias alternatifs, comme sur Les Crises. On peut y lire plusieurs «explications» comme celle de ce site anti-capitaliste:

«Le peuple français, encore une fois, est victime d’un gouvernement impérialiste qui sème la misère et la terreur pour défendre le capital international sous les oripeaux d’un "socialisme" mille fois trahi. Et c’est la France qui est bien entendu une nouvelle fois frappée, en raison de ses interventions militaires directes ou indirectes qui suscitent des réactions de haine partout où elles sont menées.»

Ces différentes galaxies politiques ont trouvé un nouvel allié en la personne de Michel Onfray, qui s'est fendu d'un tweet dans la droite ligne du «on ne récolte que ce qu'on a semé».

«L’Occident attaque prétendument pour se protéger du terrorisme, mais il crée le terrorisme en attaquant», affirmait-il déjà dans une interview au site de la chaîne d'Etat russe RT, en septembre dernier.

Il serait absurde d'évacuer les liens entre les choix politiques faits depuis le début des années 2010 par la France, ses alliés et ses participations à des guerres et sa désignation comme une cible prioritaire par Daech dans les explications. Le débat est légitime, et il aura forcément lieu. Mais ne voir ce qui se produit à l’extérieur de nos frontières comme l’unique produit de nos actions, n’est-ce pas finalement la plus grande preuve de notre ethnocentrisme européen, pourtant unanimement conspué par ceux qui critiquent la doctrine du «choc des civilisations»?

Jean-Laurent Cassely

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