anarchiste individualiste
30 Novembre 2015
Fast-food, speed dating, temps de sommeil raccourci, impression constante de « perdre son temps », haut débit Internet, opérations financières à la nanoseconde : le temps semble s’accélérer. Mais comment se peut-il que le temps accélère ? Une journée durera toujours vingt-quatre heures et une heure soixante minutes. C’est donc le rythme de notre vie sociale qui s’accélère et engendre un rapport subjectif au temps tout à fait nouveau. Le temps, dans nos sociétés modernes tardives, est perçu comme une matière première : il est une denrée rare qui nous glisse entre les mains. Mais, n’est-ce pas le même processus enclenché par la révolution industrielle au XIXe siècle qui suit simplement son cours ? Hélas, non. La modernité classique s’est constituée sur le principe fondateur du progrès inter-générationnel. Elle implique une perception linéaire du temps — représentée par nos frises chronologiques — où l’individu prend conscience que son existence diffère de celui de ses aînés autant que différera celle de ses descendants. À l’inverse, la modernité tardive — à partir des années 1970 — s’affirme lorsque la vitesse du changement social est telle qu’une même génération est sujette à des bouleversements majeurs. Hartmut Rosa redonne ici ses lettres de noblesse à la critique sociale. Elle a pour ambition de donner à voir les structures invisibles qui régissent nos existences individuelles. Et, il en est une fondamentale et éminemment politique que nous ne questionnons jamais : le temps. Pourtant, nous dit-il, nos sociétés ne tiennent que « par la mise en place rigoureuse de normes temporelles, par la domination des horaires et des délais imposés, par le pouvoir de l’urgence et de l’immédiateté ». Pire, ces normes engendrent des « sujets de culpabilité » : qui ne se couche pas le soir en s’attribuant individuellement la faute de n’avoir su terminer sa liste de choses à faire ? Et, de là, les pathologies sociales se multiplient : burnout, dépression, insatisfaction perpétuelle, quête effrénée à la compétitivité. Hartmut Rosa propose une critique éthique de la modernité avancée sur les bases du projet moderne lui-même. « La société de l’accélération » ne permet plus d’atteindre l’autonomie mais nous aliène – c’est-à-dire, nous pousse à faire volontairement ce que nous ne voulons pas vraiment faire. Se réapproprier le temps paraît être la condition première d’une « vie bonne ». Ironie de l’histoire conclut Hartmut Rosa, toute politique « progressiste » consiste désormais à reprendre le contrôle sur le temps social pour le ralentir alors que le camp « conservateur-libéral » plaide pour son accélération afin « de ne pas être dépassé dans la compétition mondiale ». [A.G.]
Édit