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SERPENT -  LIBERTAIRE

anarchiste individualiste

Poutine ne peut rien contre internet

Même à l'époque de l'Union soviétique, des Russes avaient déjà trouvé des moyens de communiquer grâce aux nouvelles technologies.

En 1955, un jeune physicien soviétique, Vladimir Fridkin, créa quelque chose d'extraordinaire: une machine cubique, d'environ 90 centimètres de haut et 60 centimètres de large, composée de deux cylindres en son sommet et d'un générateur à haute tension, qui, pour la première fois en URSS, était capable de copier une photographie. Fier de sa réalisation, Fridkin lui donna le nom de «Machine de copie à électrophotographie n°1». Les autorités russes étaient visiblement aux anges –Fridkin apparut dans une émission de télévision louant les progrès de la science soviétique et reçut une petite récompense financière.

Dans son institut de recherche, Fridkin allait vite devenir une célébrité et, tous les jours, ses collègues venaient le voir afin de copier les articles de revues étrangères. Deux ans passèrent et il reçut une visite d'un tout autre genre. Une officière du KGB entra dans son bureau et lui retira sa machine. La première photocopieuse soviétique allait être réduite en miettes et jetée à la décharge. La raison? «Les gens qui viennent vous voir peuvent copier des choses interdites», se vit expliquer Fridkin. Si des photocopieuses fabriquées à l'Ouest allaient finir par arriver en Union soviétique, on les garda sous clé et seuls des membres autorisés du Parti communiste pouvaient y avoir accès.

Près de vingt ans plus tard, l'Union soviétique se préparait à accueillir les Jeux olympiques, prévus à Moscou pour l'été 1980. Une bonne organisation signifiait un accès à des lignes téléphoniques internationales, et pas qu'un peu. Dès lors, en 1979, le nombre de lignes internationales fut considérablement augmenté. Une station d'échange téléphonique international, la M9, fut créée dans le sud-ouest de Moscou. Les ingénieurs soviétiques étaient drôlement fiers de leur innovation: ces nouveaux canaux permettaient une connexion automatique, sans l'entremise d'un opérateur, soit une chose encore inédite en Union soviétique. Mais cette situation n'allait pas durer longtemps. À peine quelques mois après la fin des JO, le KGB ordonna la destruction des connexions automatiques. Les ingénieurs essayèrent d'expliquer que toutes les lignes pouvaient être mises sur écoute et interceptées, si jamais le KGB le désirait. Mais le KGB persista. Les connexions automatiques furent coupées dans toute l'Union soviétique, exception faite pour quelques rares organisations, que les autorités avaient triées sur le volet.

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En Union soviétique, le contrôle social était étroitement lié au contrôle de l'information par tous les moyens possibles. On espionnait ce que les gens disaient et lisaient et on limitait leurs communications. Un accès à une communication moderne signifiait des liens horizontaux, des gens se parlant entre eux, échangeant des nouvelles et des idées. Mais l’État soviétique était fondé sur l'idée de hiérarchie, de verticalité, où tout devait préalablement être autorisé.

Cette histoire s'est répétée, encore et encore, jusqu'à l'arrivée d'internet dans le pays en 1990 –au départ, sans surprise, dans les bureaux du top secret Institut Kourtchatov de recherche nucléaire, à Moscou.

Services de sécurité

Et c'est là que tout a changé. À l'été 1991, le KGB allait essayer de destituer Gorbachev et d'inverser le cours des réformes démocratiques entreprises. Des chars et des soldats furent envoyés dans les rues de Moscou et le KGB mis en œuvre une censure des plus strictes. Mais il y avait déjà en Union soviétique un minuscule réseau de chercheurs reliés à leurs pairs de l'Ouest. À l'époque, les connexions se faisaient le plus souvent par modem commuté, elles étaient donc lentes et peu fiables, mais suffisantes pour s'échanger des messages. Ce réseau allait devenir le premier outil de transmission d'information sur le coup d’État et, grâce à lui, à l'intérieur et à l'extérieur du pays, la réaction de la population et les mouvements de troupes allaient être connus.

Le KGB n'avait pas pris conscience de l'importance de ce réseau –les agents secrets n'allaient jamais débarquer dans les deux petits bureaux de l'unique fournisseur d'accès moscovite. Et les services de sécurité ne purent que perdre leur bataille contre internet.

Ce minuscule réseau de chercheurs reliés à leurs pairs de l'Ouest allait devenir le premier outil de transmission d'information sur le coup d’État

Le coup d’État de 1991 fut un échec et, durant les vingt années qui suivirent, l'internet russe put se développer librement et à l'abri de toute censure. Les services de sécurité essayèrent tout de même de le contrôler en obligeant tous les fournisseurs d'accès à installer des boîtes noires sur leurs réseaux. Ces boîtes, les SORM, permettaient aux services secrets d'accéder à toutes les communications émises en Russie, y compris sur internet. Mais le fondement même du réseau demeurait intact: tout le monde pouvait y participer, sans autorisation.

En 2011-2012, après les manifestations à Moscou, Vladimir Poutine en fit une affaire personnelle. En 2014, il déclara qu'internet était une création de la CIA et fit en sorte de durcir la législation russe pour intimider les géants d'internet œuvrant en Russie.

Poutine avait l'habitude de la hiérarchie et d'organisations susceptibles d'être domptées en s'en prenant à leurs patrons, et c'est une telle stratégie qu'il mit en œuvre avec ces entreprises. À partir de 2012, les cadres supérieurs de Yandex ou de Google furent invités au Kremlin pour des discussions privées sur le filtrage d'internet. En un sens, cette stratégie allait être payante –les plus grandes entreprises internet nationales et internationales acceptèrent très vite l'idée d'un internet censuré, et se contentèrent de critiquer la manière dont les autorités russes voulaient s'y prendre pour ce faire– parce que la première méthode choisie aurait très bien pu générer un blocage complet de services comme YouTube.

Création de contenu

Mais les réseaux n'ont pas de chefs ni de sommets, ils sont des créatures horizontales. Les contenus ne sont pas créés par les entreprises qui font tourner les sites et les réseaux sociaux mais par les gens qui les utilisent.

Au printemps 2014, Vkontakte, le réseau social le plus populaire en Russie, imitation de Facebook, fut placé sous contrôle du Kremlin. Un manœuvre similaire à celle que Poutine avait enclenchée contre les médias traditionnels au début des années 2000. Le fondateur de ce réseau, Pavel Durov, fut forcé à l'exil. Rapidement, il fut remplacé par Boris Dobrodeyev. Un choix qui en dit long –le père de Dobrodeyev, Oleg, était à la tête de VGTRK, l'empire médiatique national. Et voilà que son fils devenait le patron du réseau social le plus populaire de Russie.

Puis ce fut le début de la guerre en Ukraine. Les autorités allaient nier l'implication de l'armée russe dans le conflit. Mais, bien vite, des journalistes russes et ukrainiens trouvèrent sur Vkontakte les profils de soldats russes se targuant de leurs exploits en Ukraine –en précisant leurs noms, leur unité, leur emplacement géographique. Cet automne, l'histoire se répéta, cette fois-ci avec des soldats russes envoyés en Syrie. La plupart de ces jeunes soldats ne savaient rien de l'organigramme de Vkontakte –et sans doute qu'ils n'avaient jamais entendu parler de Durov ou Dobrodeyev. Mais qu'importe Poutine et son envie de contrôler internet, ces soldats venaient de révéler la vérité.

En des temps de stabilité politique, quand le message est sous contrôle d’État et que l'opinion croit à la propagande, en tant que technologie, internet ne peut pas grand-chose. Mais quand arrive une crise, de n'importe quelle sorte –politique, économique, ou même une catastrophe naturelle–, il pousse ses usagers à créer du contenu. Les autorités n'ont aucun moyen de les arrêter, sauf à couper totalement internet.

Irina Borogan et Andrei Soldatov

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