Tunisie : les gars, soyez fiers de vous

Alors oui, il y a un paradoxe. Commençons par-là, quitte à faire un peu de provocation mais c’est ça aussi l’esprit critique. Il n'y a pas plus anti-démocratique que le mouvement dit du dialogue national tunisien récompensé par le prix Nobel et glorifié à Paris ! Sérieusement. Rappelez-vous ce qu'il s'est passé. Eté 2013. La Tunisie a renversé une dictature et lancé le mouvement des printemps arabes ; des élections ont été organisées, respectant scrupuleusement les règles de transparences, de pluralité et d'équité. 80% de participation. Une assemblée élue à la proportionnelle. Tout le monde est donc représenté selon son poids réel. Les islamistes modérés sont en tête et forment un gouvernement d'alliance avec les socialistes et la gauche laïque. "On n’est vraiment pas pareil mais on gouverne ensemble". Si ça, ce n’est pas démocratique…

Mais voilà, ça patine. Les réformes économiques traînent, le climat sécuritaire se dégrade, des députés sont assassinés. Les islamistes se crispent sous l’œil accusateurs des laïcs. En Egypte le bras de fer entre les deux camps vire au bain de sang. Il y a de quoi être inquiet. Voilà que descend dans la rue un mouvement (syndicats et ligue des avocats et des droits de l’homme) qui va imposer à ce gouvernement éminemment démocratique de démissionner pour laisser la place à des techniciens jusqu’aux prochaines élections ! Un putsch au nom de la démocratie ! Fin de la provoc'. Le fait est qu’ils ont eu raison. "Pas de recul", lisait-on dans les cortèges. Les acquis de la révolution étaient menacés et le mouvement a permis à tous les partis politiques de donner des gages de leur engagement démocratique, faisant taire les suspicions mutuelles.

Reste à savoir pourquoi ? Pourquoi eux en sont-ils capables ? Si vous avez un ami tunisien il vous en parlera pendant des heures. Pour ma part et très modestement je propose quelques pistes :

1. La période post-coloniale a été mieux gérée. Moins de traumatismes au départ et du coup moins de revanches à prendre. Moins de nationalisme arabe qui plastronne et qui défile ; en Tunisie on choisit de construire des écoles plutôt que des casernes, pour dire aux jeunes "soyez des ingénieurs plutôt que des soldats". On en voit le résultat. Une société plus lettrée que la moyenne de la région, plus formée, plus politisée, plus tolérante, capable de trouver des chemins de traverse improbables comme le dialogue national tunisien.

2. Parce que la société tunisienne n'est pas hémiplégique. Les femmes en font pleinement partie. Le statut donné à la femme dans les années 60 lui a permis de revendiquer la même chose que ses frères et même si on reste dans une société très patriarcale (parfaitement incarnée par le président actuel Beji Caïd Essebsi), les femmes composent la moitié de l’Assemblée et ne demandent à personne l’autorisation pour s’exprimer.

3. Parce que la religion est au bon endroit. C’est-à-dire partout et nulle part. Elle est une option personnelle. Ni une obligation morale, ni un repoussoir pratique pour les militaires. La Tunisie est de culture musulmane, personne ne le nie. Mais chacun fait ce qu'il veut. Des questions comme les droits des homosexuels sont encore en retard. Mais on a vu que s’il reste des pesanteurs (le président laïc rejoignant les positions des islamistes modérés), elles ne sont pas liées à la religion mais plutôt à une culture encore très macho et méditerranéenne qui fera que la Tunisie fera sans doute son mai 68 un jour ou l’autre.

4. Enfin, les Tunisiens ont de l’ambition pour leur pays, mais pas d’ego mal placé et c’est un Français qui vous le dit !

Pluralisme, tolérance, libre parole, inventivité. Voilà ce que récompense le Nobel. Mesdames messieurs les Tunisiens ne le boudez pas ; ne les minimisez pas ; ils devraient au contraire pousser les soi-disant grandes démocraties à réfléchir sur leur propre niveau d’exigence

Tunisie : les gars, soyez fiers de vous

Lisez 'Tunisie : les gars, soyez fiers de vous' de notre blog Le Monde selon Ravanello sur Yahoo Actualités France. Les prix Nobel de la paix sont à Paris et j'entends des Tunisiens légèrement ...

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