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SERPENT -  LIBERTAIRE

anarchiste individualiste

Au XIXe siècle, un État islamique africain de référence

es jihadistes de Boko Haram ne manquent pas d’y faire référence tant il est pour eux un modèle. Le califat de Sokoto était le plus grand État d’Afrique du XIXe siècle. Fruit d’un jihad mené par Ousmane dan Fodio entre 1804 et 1810, cet État islamique s’étendait sur un territoire couvrant principalement le nord du Nigeria et le nord du Cameroun contemporains. Selon un témoignage du XIXe siècle, il fallait compter quatre mois pour le traverser d’ouest en est et deux mois pour le parcourir du nord au sud. Il s’agissait aussi de l’État le plus peuplé de l’époque même si les estimations sont toujours difficiles pour cette période.

Les six premières années du jihad (1804-1810) ont été fondamentales dans la création d’une base politique et religieuse pour un État qui n’a jamais été un empire à proprement parler mais une collection de territoires placés sous l’autorité du calife à Sokoto. En effet, le califat de Sokoto était un État fortement décentralisé dirigé par le calife. Le califat lui-même était une innovation dans les régions haoussas (le dirigeant de Borno portait le titre de calife entre la fin du XVe siècle et le début du XIXe siècle). Il conférait une autorité morale et politique à dan Fodio et ses successeurs. Les compagnons du calife, lettrés Fulani devenus jihadistes ont ainsi été placés comme émirs à la tête de chaque subdivision territoriale et répondaient en théorie directement de leurs actions auprès du calife. À cause de la distance, le califat était de fait divisé entre les émirats de l’ouest directement dirigés depuis la ville de Sokoto et les émirats de l’est plus ou moins autonomes.

Le califat de Sokoto et Borno au XIXe siècle - Histoire générale de l’Afrique, UNESCO.

Tous les descendants de dan Fodio ont dû mener des campagnes militaires pour assoir leur autorité faisant ainsi du jihad un phénomène quasiment ininterrompu jusqu’à la moitié du XIXe siècle. Ainsi Mohammed Bello, fils et successeur direct de Dan Fodio qui a pris le titre de sultan, a mené de nombreuses campagnes qu’il aimait comparer à la conquête de la péninsule arabique par les premiers musulmans. La politique de Bello consistait à nommer des membres de sa famille à la tête des villes-frontières, ou bien à fixer des populations nomades Fulani dans des villages ou encore à construire des villages fortifiés pour surveiller certaines de ses frontières. Il fallait assurer la sécurité du califat à ses frontières mais aussi dans les zones tampons entre chaque émirat. Grâce à des soldats recrutés en saison sèche, les troupes de Sokoto pouvaient mettre fin à toute rébellion ou toute incursion touarègue au nord.

L’autorité du calife découlait de sa capacité à contrôler ses frontières, à redistribuer le butin des campagnes militaires ou les impôts aux alliés et membres de sa famille. Les revenus du califat étaient en théorie soumis à la loi islamique. Ainsi, le jihad avait remplacé les impôts des dirigeants haoussas par des impôts islamiques comme la zakât. Cependant, ces impôts dépendaient largement de chaque émirat avec par exemple l’existence d’un impôt foncier à Kano ou Zaria et non à Sokoto. Les volontés centralisatrices de Sokoto sur le reste du califat étaient donc limitées par les structures pré-jihadiques des villes haoussas mais aussi par l’impossibilité d’atteindre de grandes parties de la population vivant à la campagne.

Il en va de même avec les questions de justice et d’éducation. Le califat de Sokoto fidèle aux intentions premières du jihad voulait instaurer la loi islamique dans les tribunaux de tout le califat. Le besoin en hommes instruits a favorisé l’éclosion d’écoles dans les villes du califat même si les premières années du califat ont révélé un manque de personnel qualifié. En effet, ce qui marque particulièrement la structure du califat de Sokoto est le personnel lettré travaillant dans l’administration de chaque émirat. Nés libres ou esclaves, ces hommes étaient bien souvent la condition nécessaire pour le fonctionnement de l’État.

C’est encore une fois le manque de bras qui provoquait les multiples expéditions ayant pour but de capturer des esclaves que ce soit pour les vendre ou les faire travailler dans les plantations ou autres lieux de production du califat. Ainsi, le travail dans les mines de sel du nord du califat était basé sur le travail servile. Il en allait de même pour les industries du fer, coton, indigo ou cuir des régions centrales du califat. La richesse de l’État était donc basée sur une économie servile alimentée par des guerres ou des razzias comme en pays bedde. Des marchands nord-africains ont donné une proportion du nombre d’esclaves dans la ville de Kano des années 1820 : pour chaque homme libre, il y avait trente esclaves.

L’islam qui avait pénétré dans les régions haoussas pendant le XIVe siècle par l’intermédiaire de voyageurs/commerçants venus du Borno voisin et/ou des régions situées au nord du Sahara s’est donc répandu grâce au jihad mais aussi grâce à l’administration du califat de Sokoto. Les religions préislamiques, souvent appelées «traditionnelles» continuaient à exister mais la culture islamique véhiculée par des livres écrits par la famille du calife ou vendus à travers le Sahara a ainsi pénétré dans toute la région. Que ce soit par le pèlerinage à la Mecque, le commerce ou la diffusion des confréries, l’espace haoussa s’est donc largement intégré au monde musulman grâce au califat de Sokoto. Ce phénomène existait auparavant mais le califat l’a largement accéléré.

Après une brève campagne militaire britannique, le califat de Sokoto a été intégré au protectorat du nord du Nigeria en 1903. Cette date constitue le début de la période coloniale dans cette région et marque la défaite du sultan de Sokoto face aux armées britanniques. Ces troupes, comme dans de nombreux cas en Afrique, étaient essentiellement composées d’Africains avec à leur tête des officiers européens. Quand on sait que les soldats africains étaient en grande partie haoussas on peut se demander le sens à donner à la conquête britannique tant elle peut aussi être comprise comme le résultat d’une guerre au sein-même de Sokoto. Quoiqu’il en soit, le califat n’a pas tout à fait disparu en 1903 puisque les Britanniques se sont servi de cet État pour bâtir leur théorie de l'Indirect Rule.

L’empreinte du califat de Sokoto n’existe pas que dans les esprits des dirigeants de Boko Haram. Cet État a laissé sa trace dans l’histoire de l’Afrique de l’ouest mais aussi dans le jeu politique du Nigeria du XXe siècle. D’ailleurs, le sultan de Sokoto en 2015, même s’il ne dispose pas des mêmes pouvoirs que ses prédécesseurs du XIXe siècle, est toujours un descendant de dan Fodio.

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A quand un grand colloque international sur l'esclavage entre pays Africains ?

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Et pour l'approvisionnement de la traite des esclaves vers le nouveau monde ils avaient sans doute une certaine expertise

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@Rominator Oui des esclaves des regions de Sokoto etaient vendus comme esclaves en Amerique mais l'abolition de la traite par les Britanniques en 1807 a considerablement ralenti ce phenomene. C'est plutot la traite des esclaves pour les reseaux transsahariens qui etaient importants au XIXe siecle. L'esclavage au sein-meme du califat jusqu'en pleine periode coloniale etait lui aussi fondamental. Si cette histoire vous interesse, voyez Slow death for slavery par Lovejoy et Hogendorn.

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@Vincent.Hiribarren @Rominator

Dans les compte rendus du commerce trans-saharien dans les siècles passés, on 'vend ' aussi bien du sel, de l'or , des produits manufacturés ( exemple: poignards ouvragés en Afrique du Nord , ustensiles de cuisine) , de l'ivoire que des esclaves .

Et ce commerce a duré pendant des siècles (jusqu'au XIX eme siècle ).

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Il y avait de grands empires en Afrique avant l'arrivée des Européens.

L 'empire du Mali par exemple.

Il y avait une administration avec des lettrés d'origine arabe ou africaine.

Il y avait une civilisation avec des écoles coraniques, des industries (du fer , du cuir ,du coton, de l'indigo ) et des esclaves nombreux exerçaient les métiers les plus durs.

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@Jacques7145

"Industrie" : n'était-ce pas plutôt de l'artisanat ?

La différence entre les deux est que dans l'industrie, il y a une production en série, avec utilisation d'une source d'énergie (l'eau, le vent, les hydrocarbures, le charbon).

Dans l'artisanat, le travail est souvent fait à façon, et l'énergie c'est ... l'huile de coude.

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@chem @Jacques7145 On peut bien parler d'industrie dans le cas de Sokotoau XIXe siecle que ce soit pour l'echelle mais aussi les techniques de production. Voir Plantations in the Economy of the Sokoto Caliphate par Lovejoy.

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UN BLOG ÉCRIT PAR :

Vincent Hiribarren, maître de conférences à King's College London, j'enseigne l'histoire de l'Afrique et l'histoire globale. Mes recherches portent sur le Nigeria et la région de Borno depuis le XIXe siècle. Plus généraleme et je m'intéresse généralement aux concepts de frontières et d'espace en Afrique. Mon premier livre intitulé, A History of Borno: Trans-Saharan Empire to Failing Nigerian State sera publié par Hurst en janvier 2015. Je suis aussi fasciné par l'apport des technologies numériques aux sciences humaines. Vous pouvez voir mes cartes et autres visualisations sur mon site.
Twitter: @bixhiribarren

Jean-Pierre Bat, ancien élève de l'Ecole nationale des Chartes (archiviste-paléographe), agrégé et docteur en histoire (Sorbonne), chercheur affilié au CNRS en histoire de l'Afrique et chargé de cours à Sciences Po et à l'Ecole du Louvre. Chargé des relations africaines et du fonds Foccart aux Archives nationales, auteur du Syndrome Foccart. La politique française en Afrique de 1959 à nos jours (Paris, Gallimard, 2012). Dernier ouvrage paru :La Fabrique des barbouzes. Histoire des réseaux Foccart en Afrique (Paris, Nouveau Monde, 2015).

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C

Le jihad africain de référence

VINCENT HIRIBARREN 22 JUIN 2015

(MISE À JOUR : 23 JUIN 2015)

Par Vincent Hiribarren

Les jihads ne sont pas nouveaux en Afrique. Le colloque Musulmans au Sahel : histoires de jihad l’a bien montré. Pour les dirigeants de Boko Haram et de nombreux jihadistes encore aujourd’hui, l’un de ces jihads fait figure de référence. Il s’agit du jihad d’Ousmane dan Fodio de 1804-1810 responsable de la création du plus grand État d’Afrique au XIXe siècle. Cet État appelé «califat de Sokoto» a existé entre 1804 et 1903 et s’étendait sur un territoire compris aujourd’hui principalement au nord du Nigeria et au nord du Cameroun.

Le jihad de dan Fodio a été interprété de multiples façons. Certains y ont trouvé une dimension raciale ou ethnique. En effet, Dan Fodio était le descendant de Fulani (ou Peuls) installés dans les régions haoussas depuis le XVe siècle. C’est pour se soulever contre la domination de ces mêmes Haoussas que les Fulani se seraient revoltés au début du XIXe siècle. En d’autres termes, la religion n’aurait été qu’instrumentalisée par dan Fodio. Il est vrai que la plupart des dirigeants de ce jihad étaient Fulani mais résumer le jihad à une simple querelle ethnique ne serait pas logique tant les Fulani étaient en infériorité numérique dans la plupart des territoires conquis par Sokoto. D’ailleurs, dan Fodio lui-même dans son ouvrage Bayan Wayan Wujub al-Hijra condamnait toute discrimination ethnique.

D’autres ont vu dans le jihad une révolution tant les conditions socio-économiques des territoires haoussas auraient été un terreau fertile pour la propagation d’un message religieux vantant une certaine forme d’égalité et la fin de la corruption des dirigeants haoussas. Dan Fodio dans cette optique se serait présenté comme le champion du peuple contre les aristocrates. La lutte des classes version ouest-africaine aurait donc été responsable pour cette révolution et expliquerait comment dan Fodio aurait commencé son jihad contre le roi de Gobir en 1804. Même s’il est vrai que les inégalités entre la classe dirigeante et le peuple étaient criantes, dans son livre Kitab al-Farq, dan Fodio expose ses vues sous un angle principalement religieux et se limiter uniquement à une vision sociale du jihad ne ferait que donner une image incomplète de ce mouvement.

Pour dan Fodio, la principale raison du jihad est la purification de l’islam dans des territoires déjà musulmans. La légitimité de son combat provient donc de son constat que les dirigeants musulmans ne pratiquaient qu’une forme impure de l’islam. La correspondance échangée avec le dirigeant du Borno dans les années 1800 est à cet égard révélatrice. Après avoir tenté d’envahir le royaume qui existait depuis (au moins) le Xe siècle, le fils de Dan Fodio, Mohammed Bello, essaye de convaincre Mohammed el-Kanemi du bien-fondé religieux et juridique de leur combat. Pour dan Fodio et ses successeurs, le jihad est donc principalement (mais pas uniquement) conçu comme une réforme pour les musulmans par d’autres musulmans.

Des débats sur la place de l’islam dans la société s’étaient déjà tenus avant le jihad de dan Fodio que ce soit au sujet des interdits alimentaires, des lois concernant le mariage ou des habits que devaient porter les femmes. C’est ce dernier point qui avait déjà retenu l’attention de Shaikh Jibril b. ’Umar, l’un des maitres d’Ousmane dan Fodio. D’autres jihads s’étaient déjà produits en Afrique de l’ouest avant celui de dan Fodio (Boundou, fin XVIIe siècle; Fouta Djallon, 1725; Fouta Toro, 1776). En d’autres termes, des lettrés musulmans s’étaient déjà posés en réformateurs-conquérants avant l’avènement d’Ousmane dan Fodio. Le questionnement religieux du jihad de dan Fodio n’était donc pas complètement original. C’est sa victoire politique durable sur un vaste territoire qui assure son succès auprès des jihadistes encore aujourd’hui.

Chaque époque tente de comprendre le jihad de dan Fodio sous un angle bien précis. Ceux qui veulent obstinément voir dans l’Afrique une longue série de conflits ethniques lisent le jihad comme un conflit entre Fulani et Haoussas. Ceux qui s’attachent à la dimension sociale des événements y trouvent un phénomène de lutte des classes. Enfin, ceux qui veulent trouver des sources idéologiques et religieuses à tout événement politique analysent le jihad comme le retour d’un débat de fond sur la place de l’islam dans la société.

Trois analyses parmi d’autres confirmant que l’Histoire (la discipline) est bien une réinterprétation constante et dynamique du passé.

Le jihad africain de référence

VINCENT HIRIBARREN 22 JUIN 2015

(MISE À JOUR : 23 JUIN 2015)

Par Vincent Hiribarren

Les jihads ne sont pas nouveaux en Afrique. Le colloque Musulmans au Sahel : histoires de jihad l’a bien montré. Pour les dirigeants de Boko Haram et de nombreux jihadistes encore aujourd’hui, l’un de ces jihads fait figure de référence. Il s’agit du jihad d’Ousmane dan Fodio de 1804-1810 responsable de la création du plus grand État d’Afrique au XIXe siècle. Cet État appelé «califat de Sokoto» a existé entre 1804 et 1903 et s’étendait sur un territoire compris aujourd’hui principalement au nord du Nigeria et au nord du Cameroun.

Le jihad de dan Fodio a été interprété de multiples façons. Certains y ont trouvé une dimension raciale ou ethnique. En effet, Dan Fodio était le descendant de Fulani (ou Peuls) installés dans les régions haoussas depuis le XVe siècle. C’est pour se soulever contre la domination de ces mêmes Haoussas que les Fulani se seraient revoltés au début du XIXe siècle. En d’autres termes, la religion n’aurait été qu’instrumentalisée par dan Fodio. Il est vrai que la plupart des dirigeants de ce jihad étaient Fulani mais résumer le jihad à une simple querelle ethnique ne serait pas logique tant les Fulani étaient en infériorité numérique dans la plupart des territoires conquis par Sokoto. D’ailleurs, dan Fodio lui-même dans son ouvrage Bayan Wayan Wujub al-Hijra condamnait toute discrimination ethnique.

D’autres ont vu dans le jihad une révolution tant les conditions socio-économiques des territoires haoussas auraient été un terreau fertile pour la propagation d’un message religieux vantant une certaine forme d’égalité et la fin de la corruption des dirigeants haoussas. Dan Fodio dans cette optique se serait présenté comme le champion du peuple contre les aristocrates. La lutte des classes version ouest-africaine aurait donc été responsable pour cette révolution et expliquerait comment dan Fodio aurait commencé son jihad contre le roi de Gobir en 1804. Même s’il est vrai que les inégalités entre la classe dirigeante et le peuple étaient criantes, dans son livre Kitab al-Farq, dan Fodio expose ses vues sous un angle principalement religieux et se limiter uniquement à une vision sociale du jihad ne ferait que donner une image incomplète de ce mouvement.

Pour dan Fodio, la principale raison du jihad est la purification de l’islam dans des territoires déjà musulmans. La légitimité de son combat provient donc de son constat que les dirigeants musulmans ne pratiquaient qu’une forme impure de l’islam. La correspondance échangée avec le dirigeant du Borno dans les années 1800 est à cet égard révélatrice. Après avoir tenté d’envahir le royaume qui existait depuis (au moins) le Xe siècle, le fils de Dan Fodio, Mohammed Bello, essaye de convaincre Mohammed el-Kanemi du bien-fondé religieux et juridique de leur combat. Pour dan Fodio et ses successeurs, le jihad est donc principalement (mais pas uniquement) conçu comme une réforme pour les musulmans par d’autres musulmans.

Des débats sur la place de l’islam dans la société s’étaient déjà tenus avant le jihad de dan Fodio que ce soit au sujet des interdits alimentaires, des lois concernant le mariage ou des habits que devaient porter les femmes. C’est ce dernier point qui avait déjà retenu l’attention de Shaikh Jibril b. ’Umar, l’un des maitres d’Ousmane dan Fodio. D’autres jihads s’étaient déjà produits en Afrique de l’ouest avant celui de dan Fodio (Boundou, fin XVIIe siècle; Fouta Djallon, 1725; Fouta Toro, 1776). En d’autres termes, des lettrés musulmans s’étaient déjà posés en réformateurs-conquérants avant l’avènement d’Ousmane dan Fodio. Le questionnement religieux du jihad de dan Fodio n’était donc pas complètement original. C’est sa victoire politique durable sur un vaste territoire qui assure son succès auprès des jihadistes encore aujourd’hui.

Chaque époque tente de comprendre le jihad de dan Fodio sous un angle bien précis. Ceux qui veulent obstinément voir dans l’Afrique une longue série de conflits ethniques lisent le jihad comme un conflit entre Fulani et Haoussas. Ceux qui s’attachent à la dimension sociale des événements y trouvent un phénomène de lutte des classes. Enfin, ceux qui veulent trouver des sources idéologiques et religieuses à tout événement politique analysent le jihad comme le retour d’un débat de fond sur la place de l’islam dans la société.

Trois analyses parmi d’autres confirmant que l’Histoire (la discipline) est bien une réinterprétation constante et dynamique du passé

UN BLOG ÉCRIT PAR :

Vincent Hiribarren, maître de conférences à King's College London, j'enseigne l'histoire de l'Afrique et l'histoire globale. Mes recherches portent sur le Nigeria et la région de Borno depuis le XIXe siècle. Plus généraleme et je m'intéresse généralement aux concepts de frontières et d'espace en Afrique. Mon premier livre intitulé, A History of Borno: Trans-Saharan Empire to Failing Nigerian State sera publié par Hurst en janvier 2015. Je suis aussi fasciné par l'apport des technologies numériques aux sciences humaines. Vous pouvez voir mes cartes et autres visualisations sur mon site.
Twitter: @bixhiribarren

Jean-Pierre Bat, ancien élève de l'Ecole nationale des Chartes (archiviste-paléographe), agrégé et docteur en histoire (Sorbonne), chercheur affilié au CNRS en histoire de l'Afrique et chargé de cours à Sciences Po et à l'Ecole du Louvre. Chargé des relations africaines et du fonds Foccart aux Archives nationales, auteur du Syndrome Foccart. La politique française en Afrique de 1959 à nos jours (Paris, Gallimard, 2012). Dernier ouvrage paru :La Fabrique des barbouzes. Histoire des réseaux Foccart en Afrique (Paris, Nouveau Monde, 2015).

Les marchés de N'Djamena : une économie africaine connectée

JEAN-PIERRE BAT 29 JUIN 2015

(MISE À JOUR : 1 JUILLET 2015)

En longeant de bout en bout l'avenue Charles-de-Gaulle, la principale artère de la capitale tchadienne, on croise les trois principaux marchés de la ville. A travers eux peut se lire l'économie réelle des citoyens de N'Djamena, aux connexions traditionnelles ou mondialisées.

Marché central de N’Djamena (© Jean-Pierre Bat 2015)

Le marché central de N’Djamena est installé au cœur du quartier musulman, en face de la grande mosquée de la capitale. Celle-ci est ceinte d’une clôture verte... surmontée de barbelés en chevaux de frise. L’entrée, même le vendredi (jour de prière), reste filtrée sinon contrôlée par des fidèles à l’entrée. Le marché central – ou marché musulman – déborde, en réalité, bien largement le périmètre tracés par les murs du marché pour se répandre dans tout le quartier. En déambulant dans les travées, les contre-allées puis les ruelles, les produits en vente donnent à voir une certaine géographie économique. Les sacs de mil, que l’on trouve par tonnes sur le marché, porte tous le sigle du marché de Maïduguri, la capitale régionale du Bornou au Nigeria : les échanges commerciaux transfrontaliers, autour du Lac Tchad, constituent une importante colonne vertébrale de l’économie quotidienne. Les importantes boutiques de tissu rappellent le poids du coton tchadien dans l’économie nationale. Mais apparaissent également depuis des années des produits manufacturés, manifestement venus du monde arabe à l’image des services à thé manifestement produits en série ou des tapis de prière stéréotypés siglés en leur centre de la Kaaba. Dans les allées, des baffles diffusent des versets du Coran en arabe. La sonorisation est parfois chaotique, mais les versets s’enchaînent et accompagnent tout au long de certains secteurs du marchés les clients. Un peu plus loin, on peut même trouver une sonorisation bilingue : chaque verset lu en arabe est immédiatement répété et traduit en français.

Grande Mosquée de N’Djamena (© Jean-Pierre Bat 2015)

En reprenant l’avenue Charles-de-Gaulle, la principale artère de la capitale, on trouve parmi les différentes boutiques quelques quincailleries et autres magasins chinois qui commencent à fleurir. Le long de la rue, les motos-taxis de marques japonaise (pour les plus anciennes) et chinoise (pour les plus récentes) qui zigzaguent entre les embouteillages mettent un sérieux coup de vieux aux ultimes et antiques taxis jaunes modèle Peugeot 504, restés immobiles le long de la chaussée.

Après avoir dépassé le marché de mil, tout au bout de l’avenue Charles-de-Gaulle, on arrive au marché Dembé – baptisé par certains marché chrétien en opposition au marché central dit musulman. Le marché Dembé fonctionne comme un véritable supermarché : on y trouve véritablement de tout, des sauces maggi aux matelas, en passant par les allumettes historiques de marque « boxeur », les sempiternelles baguettes de pain, les poissons séchés du lac, ou encore le célèbre gombo. On y trouve également les cotonnades empilées en quinconce et des biens manufacturés (importés) pour tous les besoins, avec un choix sans doute bien plus large que dans les supermarchés occidentaux. Plus discret dans son apparence extérieure, le marché Dembé dépasse largement par son volume et son périmètre le marché central.

Le marché Dembé fonctionne comme une véritable petite ville qui ne cesserait de s’étendre ou plus exactement de se renouveler, comme en témoignent les charpentes et toitures en tôle ondulée toutes neuves dans certaines galeries. Les commerces débordent désormais de part et d’autre du rond point qui avoisine le marché. Dembé se distingue du marché central en ce qu’il n’est pas confessionnellement marqué... Les bruits sont presque uniquement ceux des commerces et des commerçants. Une exception : à l’une des sorties stratégiques du rond point que le marché entoure, une énorme baffle reliée à un ordinateur portable diffuse les seules prières musulmanes que l’on peut entendre dans le quartier. A deux pas, se trouve la station de taxi avec ses indémodables Peugeot 504 précédemment vues.

De l’autre côté du rond-point, le trottoir est envahi par les vélos flambant neufs d’un marchand de cycles. Le Tchad se différencie de nombreux autres pays d’Afrique par le nombre de vélos qui circulent, et qui se ressemblent à l’évidence tous. Les vélos au Tchad se caractérisent par une marque de fabrication symbolique : le guidon est doublé d’un second guidon supérieur, comme des cornes de vélo qui seraient horizontales et non perpendiculaire au guidon. Aux abords du rond-pont de Dembé se trouve des rangées innombrables de vélos, sous cellophane, neufs. Renseignement pris, il s’agit de vélos... indiens.

En longeant l’avenue Charles-de-Gaulle, les marchés de N’Djamena donnent ainsi à voir les connexions commerciales de la capitale tchadienne, entre circuits régionaux (notamment avec le secteur nigerian de Maïduguri) et mondialisation (à l’image des motos chinoises et des vélos indiens).

Les marchés de N'Djamena : une économie africaine connectée

JEAN-PIERRE BAT 29 JUIN 2015

(MISE À JOUR : 1 JUILLET 2015)

En longeant de bout en bout l'avenue Charles-de-Gaulle, la principale artère de la capitale tchadienne, on croise les trois principaux marchés de la ville. A travers eux peut se lire l'économie réelle des citoyens de N'Djamena, aux connexions traditionnelles ou mondialisées.

Marché central de N’Djamena (© Jean-Pierre Bat 2015)

Le marché central de N’Djamena est installé au cœur du quartier musulman, en face de la grande mosquée de la capitale. Celle-ci est ceinte d’une clôture verte... surmontée de barbelés en chevaux de frise. L’entrée, même le vendredi (jour de prière), reste filtrée sinon contrôlée par des fidèles à l’entrée. Le marché central – ou marché musulman – déborde, en réalité, bien largement le périmètre tracés par les murs du marché pour se répandre dans tout le quartier. En déambulant dans les travées, les contre-allées puis les ruelles, les produits en vente donnent à voir une certaine géographie économique. Les sacs de mil, que l’on trouve par tonnes sur le marché, porte tous le sigle du marché de Maïduguri, la capitale régionale du Bornou au Nigeria : les échanges commerciaux transfrontaliers, autour du Lac Tchad, constituent une importante colonne vertébrale de l’économie quotidienne. Les importantes boutiques de tissu rappellent le poids du coton tchadien dans l’économie nationale. Mais apparaissent également depuis des années des produits manufacturés, manifestement venus du monde arabe à l’image des services à thé manifestement produits en série ou des tapis de prière stéréotypés siglés en leur centre de la Kaaba. Dans les allées, des baffles diffusent des versets du Coran en arabe. La sonorisation est parfois chaotique, mais les versets s’enchaînent et accompagnent tout au long de certains secteurs du marchés les clients. Un peu plus loin, on peut même trouver une sonorisation bilingue : chaque verset lu en arabe est immédiatement répété et traduit en français.

Grande Mosquée de N’Djamena (© Jean-Pierre Bat 2015)

En reprenant l’avenue Charles-de-Gaulle, la principale artère de la capitale, on trouve parmi les différentes boutiques quelques quincailleries et autres magasins chinois qui commencent à fleurir. Le long de la rue, les motos-taxis de marques japonaise (pour les plus anciennes) et chinoise (pour les plus récentes) qui zigzaguent entre les embouteillages mettent un sérieux coup de vieux aux ultimes et antiques taxis jaunes modèle Peugeot 504, restés immobiles le long de la chaussée.

Après avoir dépassé le marché de mil, tout au bout de l’avenue Charles-de-Gaulle, on arrive au marché Dembé – baptisé par certains marché chrétien en opposition au marché central dit musulman. Le marché Dembé fonctionne comme un véritable supermarché : on y trouve véritablement de tout, des sauces maggi aux matelas, en passant par les allumettes historiques de marque « boxeur », les sempiternelles baguettes de pain, les poissons séchés du lac, ou encore le célèbre gombo. On y trouve également les cotonnades empilées en quinconce et des biens manufacturés (importés) pour tous les besoins, avec un choix sans doute bien plus large que dans les supermarchés occidentaux. Plus discret dans son apparence extérieure, le marché Dembé dépasse largement par son volume et son périmètre le marché central.

Le marché Dembé fonctionne comme une véritable petite ville qui ne cesserait de s’étendre ou plus exactement de se renouveler, comme en témoignent les charpentes et toitures en tôle ondulée toutes neuves dans certaines galeries. Les commerces débordent désormais de part et d’autre du rond point qui avoisine le marché. Dembé se distingue du marché central en ce qu’il n’est pas confessionnellement marqué... Les bruits sont presque uniquement ceux des commerces et des commerçants. Une exception : à l’une des sorties stratégiques du rond point que le marché entoure, une énorme baffle reliée à un ordinateur portable diffuse les seules prières musulmanes que l’on peut entendre dans le quartier. A deux pas, se trouve la station de taxi avec ses indémodables Peugeot 504 précédemment vues.

De l’autre côté du rond-point, le trottoir est envahi par les vélos flambant neufs d’un marchand de cycles. Le Tchad se différencie de nombreux autres pays d’Afrique par le nombre de vélos qui circulent, et qui se ressemblent à l’évidence tous. Les vélos au Tchad se caractérisent par une marque de fabrication symbolique : le guidon est doublé d’un second guidon supérieur, comme des cornes de vélo qui seraient horizontales et non perpendiculaire au guidon. Aux abords du rond-pont de Dembé se trouve des rangées innombrables de vélos, sous cellophane, neufs. Renseignement pris, il s’agit de vélos... indiens.

En longeant l’avenue Charles-de-Gaulle, les marchés de N’Djamena donnent ainsi à voir les connexions commerciales de la capitale tchadienne, entre circuits régionaux (notamment avec le secteur nigerian de Maïduguri) et mondialisation (à l’image des motos chinoises et des vélos indiens).

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